Chapitre 2 : Une adolescence pleine d’espérance
« Paris vaut bien une messe »
Les années 1593 à 1595 furent importantes pour la France, quand le paysan du Pouy décida de faire étudier son fils Vincent. Ce furent des années-clefs non seulement pour ce petit berger éveillé, mais aussi pour tous les français. Il y a une espèce de sympathie secrète entre la marche de l’histoire de France et la trajectoire de la vie de Vincent de Paul. Toutes deux commencent au même moment leur courbe ascensionnelle et toutes deux arrivent à la plénitude en même temps.
En 1594, l’ancien huguenot Henri de Bourbon arrive à être reconnu presque universellement comme roi de France. Une année auparavant, le 25 juillet 1593, au moment où Vincent donnait à un mendiant ses derniers trente sous, Henri avait abjuré solennellement l’hérésie dans l’église de Saint-Denis, revenant pour la deuxième fois au sein de l’Église catholique. Était-ce calcul, conviction ou patriotisme ? Grâce à sa conversion sincère ou intéressée et à une habile politique de concessions et de récompenses, Henri arrivait peu à peu à être reconnu de ses sujets catholiques. Après un quart de siècle de luttes religieuses acharnées, la paix intérieure commençait à être en France une réalité. En février 1594, Henri recevait à Chartres la consécration avec l’huile qui avait servi à oindre tous les rois très chrétiens, c’était un mois avant son entrée triomphale à Paris –Paris vaut bien une messe– pendant que la garnison espagnole qui avait occupé la capitale battait en retraite sans combattre. En 1595 le pape Clément VIII après de longues hésitations, consultations et prières accordait à l’ancien hérétique relaps, l’absolution de ses censures. Toutefois la guerre avec l’Espagne continuera pendant trois ans, jusqu’à ce que, en 1598, l’édit de Nantes et la paix de Vervins viennent sceller officiellement et coup sur coup, la paix intérieure et la paix extérieure du royaume. Le chemin de la France vers sa grandeur avait commencé. La puissante nation retrouvait sa vigueur et se disposait sous la direction d’un monarque énergique, astucieux, clairvoyant, cynique et habile, à unir toutes ses énergies pour la grande entreprise –le grand dessein– de l’hégémonie européenne. Il faudra encore trois règnes et quatre-vingts ans (les 80 ans de la vie de Vincent) pour y arriver. Mais cette grande tâche était en marche. Le règne décisif, moins brillant peut-être que les deux suivants, avait commencé comme une aurore.1
Comment la confusion de ces évènement politiques, religieux et guerriers parvenait-elle jusqu’au village caché à l’extrémité du royaume ? La lenteur des courriers de l’époque, l’arrivée occasionnelle d’un voyageur, apportaient des échos des épuisantes négociations (États généraux, conversations de Suresnes), de déroutes et de victoires dans des cités lointaines et inconnues : Doullens, Cambrai, Calais, Fontaine-Française, Amiens, Paris ; de déclarations épiscopales ou pontificales. Au foyer paysan des Depaul, on commentait les nouvelles et les rumeurs au coin du feu au cours des interminables veillées d’hiver. De nombreuses années plus tard, Vincent se fera peut-être l’écho des impressions qu’il avait recueillies de la bouche de son père :
« Vous savez les troubles qui s’élevèrent en France au sujet d’Henri IV. Ce prince avait été hérétique et relaps ; ce qui obligea ses sujets de se départir de l’obéissance qu’ils lui auraient rendue s’il ne se fût déclaré, pour une seconde fois, l’ennemi de la religion catholique. Ce roi, se sentant pressé par sa conscience de quitter ses erreurs, et voyant que les peuples refusaient de se soumettre à ses lois, envoya aussitôt à Rome pour se réconcilier. »2
La fameuse phrase “Paris vaut bien une messe” n’était pas arrivée jusqu’à l’humble foyer du Pouy. Le roi s’était converti “obligé par sa conscience”. Y-a-t-il dans ces lignes une révélation sur la prise de position politique de Vincent de Paul encore adolescent ? Dans la conscience de Vincent de Paul vieillard, les anciennes blessures sont cicatrisées ; les anciennes rancœurs, s’il y en eues, sont oubliées : les excès des troupes de Jeanne d’Albret, les atroces campagnes de Montluc et de Montgomery, la sacrilège destruction du sanctuaire de Buglose, les tentatives d’assaut hérétiques à Dax… Les protestants ont cessé d’être en France une force en expansion. Plutôt que de les combattre, il faudra travailler à les attirer. La douceur contagieuse de Vincent quand il traite avec les dissidents a peut-être ici ses racines.3
« Combien j’ai été désobéissant ! »
Avec la paix, la vie a repris son cours… et les classes aussi. Un beau jour du début de l’automne de 1594 ou 1595,4 le père et le fils arrivèrent à la porte du couvent des franciscains de Dax. À travers cette porte commençait pour Vincent un long chemin qui achèvera de l’éloigner du paysage natal, mais qui ne brisera jamais les liens qui le retenaient à la terre et à la campagne. Dès lors, il aura à s’affronter aux rudiments de la langue latine, commencement obligé du parcours des humanités de l’époque. Au milieu du petit essaim de compagnons de cours appartenant peut-être à des familles un peu plus distinguées que la sienne (fils de procureurs ou d’avocats de province, de commerçants ou de marchands en voie d’ascension économique, de quelque gentilhomme), il commençait à se sentir distant et distinct de l’obscur tronc familial sur lequel il avait poussé. Nous le savons grâce à une paire de savoureuses anecdotes que lui même racontera plus tard pour sa confusion publique.
« J’y pensais encore tantôt, et je me ressouviens qu’étant petit garçon, comme mon père me menait avec lui dans la ville, parce qu’il était mal habillé et un peu boiteux, j’avais honte d’aller avec lui et de le reconnaître pour mon père. O misérable ! combien ai-je été désobéissant ! »5
Une autre fois
« Je me souviens qu’une fois, lui dit-il, au collège ou j’étudiais, on vint me dire que mon père, qui était un pauvre paysan, me demandait. Je refusai de lui aller parler ; en quoi je fis un grand péché. »6
Peut-être en réaction contre ces petits péchés de vanité infantile, Vincent, en son âge mur, insistera et rappellera ses humbles origines. Ces faits nous servent à compléter notre image de Vincent au moment de commencer sa carrière : ajouté au cœur généreux et désintéressé de l’enfant, l’orgueil de l’adolescent et sa révolte naissante ; c’est l’image humaine jusque dans ses contradictions, d’un homme en formation qui toutefois n’a pas encore senti le puissant attrait de la sainteté.
À Dax, auprès des franciscains, Vincent n’a étudié que peu de temps, peut-être seulement deux ans : la cinquième et la quatrième, selon la manière française de compter les années d’études. Il avait l’habitude de dire qu’il était un pauvre élève de quatrième. Ce qui a toujours été pris comme un trait d’humilité, il faut peut-être le prendre littéralement.7
Durant cette période, l’intelligence éveillée du jeune garçon attira sur lui, à la recommandation du Père gardien des franciscains, l’intérêt d’un protecteur inespéré, peut-être une ancienne connaissance de la famille : M. de Comet, avocat de Dax et juge de Pouy. À la protection de M. de Comet, Vincent devra deux faveurs d’ordre différent : celle de permettre de faire face aux dépenses des études sans grever fortement le budget familial, et celle de s’orienter définitivement vers la carrière ecclésiastique. M. de Comet le fit sortir du couvent franciscain et l’installa dans sa maison en qualité de précepteur (répétiteur, ou accompagnateur aîné, dirions-nous plutôt) de ses propres enfants. À partir de ce moment, il ne sera plus nécessaire de vider le gousset familial pour y chercher les soixante livres de la pension scolaire. Et en même temps il lui fit voir que son chemin était celui de l’état ecclésiastique.8
Suivant les indications de M. de Comet, le 20 décembre 1596, à un peu plus de quinze ans accomplis, Vincent reçoit la tonsure et les ordres mineurs à Bidache,9 avec l’autorisation du chapitre de Dax, parce que le siège épiscopal était vacant. L’année suivante, il commençait ses études universitaires. Son père, tout à fait certain des capacités et des solides espérances que présentait l’enfant, fit, pour que cela soit possible, un sacrifice de plus : il vendit une paire de bœufs.10 Ce bon paysan continuera de se préoccuper des progrès du plus doué de ses fils et cela jusqu’après sa mort qui survint pendant la première partie des études universitaires de Vincent. Dans son testament, daté du 7 février 1598, il dispose que l’on ne devait épargner aucun sacrifice pour permettre à Vincent de continuer ses études et à cet effet il lui concéda tous les avantages que permettait le droit.11
Intermède espagnol
La carrière universitaire de Vincent de Paul s’est déroulée sur deux scènes différentes, Toulouse et Saragosse, bien que la majeure partie se soit passée dans la ville française. Un certificat délivré par les autorités académiques de Toulouse en 1604 et découvert après sa mort dans la chambre du saint lui reconnaît sept ans d’études théologiques.12 Le séjour à Saragosse semble avoir été bref bien que les sources sur ce sujet soient imprécises et autorisent à penser à une durée de quelques mois ou sans forcer sur les données, un cours entier. Nous ne savons pas non plus si ce séjour à Saragosse a précédé ses études à Toulouse ou s’il eut lieu pendant un intervalle dans ces études. Mais le fait est indiscutable. Nous avons là dessus les affirmations catégoriques d’Abelly et de Collet les deux biographes (français tous les deux), qui ont eu accès à la documentation primitive. Abelly écrit :
« Il est vrai que pendant ce temps (les sept années d’études théologiques) il passa en Espagne et fit quelque séjour à Saragosse pour y faire aussi quelques études. »13
Et Collet dit :
« Nous ne pouvons décider si le voyage qu’il fit en Aragon, précéda le commencement de ses études à Toulouse. Ce qui est sûr, c’est qu’il étudia quelques temps à Saragosse, mais n’y fit pas un long séjour. »14
Aucun motif de prestige ou d’utilité ultérieure dans le déroulement de sa biographie n’a pu inciter les témoins ou biographes à inventer un fait qui demeure isolé, comme un point solide qui perpétue la mémoire d’un chemin brouillé par la suite.
Au cours de sa vie Vincent fera des allusions plus ou moins voilées mais sans équivoque à son séjour en Espagne. Une longue série de ces allusions se rapporte précisément aux méthodes d’enseignement des universités espagnoles. Le Saint ne donne pas l’impression de parler d’après ce qu’il a entendu, mais d’après son expérience vécue. Il s’est toujours opposé au système si facile d’enseigner en dictant des notes en classe. Pour justifier son point de vue il recourt, avec une insistance répétitive, à l’exemple des universités espagnoles :
« L’on n’écrit point en classe dans les collèges d’Espagne. »15
« Que dirons-nous des universités d’Espagne, où l’on ne sait ce que c’est que de dicter en classe et où l’on se contente d’expliquer et où néanmoins chacun demeure d’accord qu’ils sont plus profonds théologiens qu’ailleurs ? »16 « Jamais on n’en donne en Espagne, ni en Italie, ce me semble ; et de là vient que les Espagnols sont fort savants et qu’ils pénètrent plus avant dans les sciences qu’on ne fait ailleurs. »17
Les statuts de l’université de Saragosse élaborés en 1583 par le fondateur, Pierre de Cerbuna, et son collaborateur, Diego Frailla, ordonnaient que l’on explique sans attendre que les auditeurs écrivent, mais en ayant soin qu’ils fassent leur ce qui est expliqué et le retiennent de mémoire … « car le fait de dicter a l’inconvénient de transmettre peu de matière aux auditeurs et ne les oblige pas à comprendre et à redire avec l’utilité nécessaire. »18
Sa référence aux coutumes des carmélites espagnoles est plus précise :
« Les Carmélites, qui sont fort austères, ont pour fin une grande mortification. Elles vont pieds nus, si ce n’est qu’elles portent quelquefois des sandales en France. Je ne sais pas bien comme elles sont ici mais, en Espagne, elles ne portent ni bas, ni souliers ; elles sont pieds et jambes nus, couchées sur un peu de paille ou de foin, nonobstant la rigueur de l’hiver. »19
Seule une présence personnelle de Vincent en Espagne, à une époque de sa vie, peut expliquer qu’il connaisse mieux les habitudes des carmélites espagnoles que celles des françaises. Une autre expression du saint, cette fois en relation avec les repas des carmélites, évoque une connaissance directe :
« Elles mangent de grandes écuelles de potage et des œufs pourris. C’est là leur nourriture, quoiqu’elles soient filles de bonnes maisons, qui autrefois ont été traitées bien délicatement. Mais je ne dis chose que je ne sache très assurément : les œufs qu’on leur sert sont puants comme charogne. Il faut qu’elles les mangent. »20
Si, dans la première citation, il admet ne pas bien savoir comment sont les carmélites françaises, il est évident que la certitude absolue qu’il étale dans la seconde ne peut se référer à elles mais bien aux espagnoles, qu’il dit bien connaître. La fondation carmélite de Saragosse remontait à 1588, presque dix ans avant l’arrivée du nouvel universitaire sur les terres aragonaises.
L’ultime témoignage est de plus grande portée et a des connotations politiques. Peut-être à cause de cela, Vincent évite de nommer le pays auquel il se réfère :
« Je me suis trouvé dans un royaume où un religieux, allant trouver le roi, demanda quelque nouvelle de la cour, et celui à qui il s’adressa lui dit : “Eh quoi ! mon Père, faut-il que les religieux se mêlent des affaires des rois !” C’est que dans ce royaume-là on ne parle point du roi. Et parce que c’est une personne sacrée, ils ont tant de respect pour tout ce qui le regarde, qu’ils n’en parlent jamais. Et de là vient qu’en ce royaume tous sont unis au roi, et il n’est pas permis de dire une parole contre ses ordres. »21
Ce royaume catholique où Vincent dit avoir séjourné autrefois ne peut être que l’Espagne. Aucun autre pays européen de l’époque ne réunit l’ensemble des conditions impliquées par ses paroles : ou ce n’était pas des royaumes, ou ils n’étaient pas catholiques, ou ils ne se distinguaient pas l’adhésion sans faille au monarque, caractéristiques qui, au contraire, décrivent avec précision l’Espagne de Philippe II dans les dernières années de son règne. Il n’existe dans aucun autre pays le plus petit indice d’une tradition sur un possible séjour de Vincent de Paul sur son territoire.
Mais ce que nous ignorons complètement, ce sont les raisons de sa venue à Saragosse, comme de son retour en France. Peut-être y avait-il quelque lien familial, ou l’influence de quelques prébendés aragonais, comme l’a soutenu la tradition espagnole.22 Collet a hasardé sur ce dernier point une hypothèse destinée à faire fortune chez les biographes français, jusqu’à ce qu’elle ait été démentie par Coste : à cause de son inclination naturelle à la paix et à la charité, Vincent aurait abandonné Saragosse dégoûté par le spectacle des aigres disputes des théologiens à propos des controverses sur la science moyenne et les décrets prédéterminants.23 Le malheur est que cette supposition si nouvelle correspond à la triste réalité de l’université de Toulouse en ces années-là. Les étudiants des différentes nationalités (Bourgogne, Languedoc, Lorraine, France, Champagne,…) entamaient fréquemment de violentes querelles qui dégénéraient souvent en batailles rangées. Le parlement de Toulouse se voyait obligé de renouveler, presque chaque année, pour les étudiants la défense, sous peine de mort, de porter des armes. Se succédaient alors des visites domiciliaires, des amendes, des emprisonnements et autres peines plus sévères. Rien n’arrivait à corriger les étudiants turbulents, et rien ne les arrêtait : ils exigeaient la « bienvenue » de la part des étrangers, qu’ils fussent étudiants ou non. En une occasion au moins, deux d’entre eux en arrivèrent jusqu’à l’homicide, causant la mort d’un officier de la commune ; ils furent pour cela condamnés à mort, mais ensuite graciés par le Parlement vu leur jeune âge.24 Si Vincent désirait la paix, il n’avait pas été bien gagnant en quittant Saragosse pour Toulouse. Une hypothèse qui se révèle très vraisemblable comme tout parait l’indiquer, c’est que s’il a commencé ses études à Saragosse en 1597, la mort de son père, survenue en février 1598, l’a obligé à revenir à son village à la moitié du cours. Ensuite, sans argent pour revenir à Saragosse, (il ne pouvait plus vendre une autre paire de bœufs) il transféra son inscription à Toulouse et il y acheva sa première année de théologie. C’est pour cela que Toulouse lui certifiera, en 1604, sept années d’études.25
Malheureusement, le souci de ces problèmes concrets a détourné l’attention des chercheurs de questions plus intéressantes : la qualité des enseignements reçus par Vincent à Toulouse et à Saragosse, les tendances doctrinales de ses maîtres, la trace laissée dans sa pensée par ce contact avec “l’alma mater” de la culture occidentale et chrétienne. C’est pourtant ce qui serait le plus intéressant de connaître.
Pendant ces années de Saragosse et de Toulouse, Vincent fait son entrée dans l’âge de la formation et de l’information. Avec ce qu’il reçoit du monde qui l’entoure, l’homme va former son propre bagage idéologique, construisant sa propre image du monde, adoptant des convictions et des points de vue qui l’accompagneront toute sa vie. L’absence de monographies sur tous ces points ne permet que de déduire des conclusions très générales : la solidité de la discipline scolastique reçue, la gymnastique mentale exercée lors des dissertations académiques, les habitudes de rigueur de pensée acquises au contact des grands maîtres. C’est peu et même très peu en face de ce que nous désirerions savoir sur les origines d’une pensée qui, si elle n’a jamais été ni spéculative ni brillante, a toujours eu la vigueur et la cohérence d’un corps de doctrine solidement structuré et profondément enraciné dans les plus profondes couches de la personnalité de Vincent.26
« Leçons particulières »
La mort de son père avait aggravé la situation du jeune étudiant. Vincent n’avait pas cherché à faire valoir auprès de ses frères et de sa mère les petits avantages que lui accordait le testament.27 Il dut se débrouiller lui-même pour continuer ses études et subvenir à ses dépenses personnelles. L’expérience qu’il avait acquise dans la maison de M. de Comet et les souvenirs de son internat chez les franciscains lui suggérèrent ce moyen : l’ouverture d’un pensionnat pour des collégiens. Comme beaucoup d’étudiants de tous les temps, il enseignerait en même temps qu’il étudierait. Le pensionnat qu’il dirigeait était établi à Buzet-sur-Tarn à une trentaine de kilomètres de Toulouse. Le pensionnat fonctionnait bien et commença à acquérir une certaine renommée dans ce petit milieu provincial. On lui envoyait des élèves même de Toulouse, comme l’expliquait Vincent à sa mère dans une lettre, la première que nous avons sur les milliers qu’il écrira tout au long de sa vie. Malheureusement cette lettre s’est perdue. Nous ne savons de cette lettre que cette brève mention qu’Abelly a sauvée pour nous. Mais il est remarquable que la première lettre écrite par un homme qui fera de la correspondance son instrument de gouvernement et d’influence, soit, comme celle de n’importe quel étudiant éloigné de chez lui à cause des études, une lettre à sa mère.
Parmi les élèves, quelques-uns appartenaient à de grandes familles de la région, désireuses d’une ambiance de discipline pour leurs enfants. Collet assure même que, parmi eux, se trouvèrent deux petits-neveux de Jean de la Valette, le fameux grand maître de l’Ordre de saint Jean de Jérusalem, qui, quarante ans auparavant (en 1565) avait défendu avec 15 000 hommes l’île de Malte contre l’assaut d’une formidable armée turque de 150 000 hommes. Quand Vincent dut revenir à Toulouse pour continuer ses études, il emmena avec lui ses pensionnaires, avec l’accord et le soutien des parents de ceux-ci. La vie d’étudiant-professeur était dure. Il ne devait pas lui rester beaucoup de temps pour la préparation de ses cours universitaires. Collet l’imagine (et dans ce cas, l’imagination ne doit pas être bien loin de la réalité) se couchant tard, se levant aux aurores, sans un espace libre pour l’oisiveté ni pour de légitimes loisirs.28 Il était nécessaire de sortir de cette situation, de trouver un moyen de vie moins laborieux. À cette époque et dans cette société, la solution était d’obtenir vite un bénéfice ecclésiastique. Vincent décida de se faire ordonner prêtre le plus vite possible.
« Si j’avais su ce que c’était le sacerdoce… »
Nous connaissons parfaitement les dates de promotion de Vincent à chacun des ordres. On conserve les copies, aussi bien des dimissoriales que des testimoniales de chaque ordination. Selon ces lettres, Vincent reçut le sous-diaconat et le diaconat, respectivement le 19 septembre et le 19 décembre 1598, des mains de l’évêque de Tarbes, Sauveur Diharse. Les dimissoriales pour le sous-diaconat, signées par le vicaire général de Dax, Guillaume Massiot, car le siège était vacant, portent la date du 10 septembre. Celles du diaconat, signées du même Guillaume Massiot, mais au nom du nouvel évêque, Jean-Jacques Dussault, qui avait été nommé entre temps, sont du 11 décembre. À chaque fois, il y a à peine dix jours entre la concession des dimissoriales et l’ordination correspondante. Les dimissoriales pour le sacerdoce furent concédées le 13 septembre 1599 par les mêmes vicaire général et évêque de Dax. Mais cette fois, Vincent attendit plus d’un an pour les utiliser et il ne recourut pas à l’évêque voisin de Tarbes ; il se fit ordonner prêtre le 23 septembre 1600 et il le fit dans un diocèse assez éloigné aussi bien de Dax et de Pouy que de Toulouse, à Périgueux. Le vieil évêque de Périgueux, François de Bourdeille, lui conféra le sacerdoce dans l’église Saint-Julien de sa résidence de campagne à Château-l’Évêque. En tout cas, Vincent profita du temps des vacances scolaires pour se faire ordonner.29
Sous cette poignée de dates indiscutables se cachent bien des problèmes d’interprétation historique et biographique.30
Avant tout, nous nous trouvons devant la problème de l’âge. En septembre 1600, Vincent (né en 1581 ou 1580) avait dix-neuf, ou peut-être vingt, ans accomplis. Canoniquement, selon les prescriptions du Concile de Trente, qui exigeaient l’âge de vingt quatre ans, il ne pouvait pas être ordonné. Mais le concile de Trente avait tardé à être appliqué en France : jusqu’à l’Assemblée Générale du Clergé de 1615, ses décrets ne furent pas publiés. De toutes façons, et encore bien après, les abus étaient fréquents. Il est notoire que les ordinations irrégulières à cause du manque de l’âge canonique étaient abondantes, et les recours à Rome de dispenses pour ce motif très nombreuses.31 Le vicaire général de Dax, qui expédie les dimissoriales de Vincent, fait observer que le candidat a l’âge légitime. Ce n’était pas vrai ! Agissait-il dans le dos du nouvel évêque, Monseigneur Dussault, prélat réformateur qui, au synode diocésain tenu le 18 avril 1600 (entre la date des dimissoriales et celle de l’ordination), avait mis en marche un programme de restauration chrétienne et sacerdotale inspiré du concile de Trente, comme l’a montré Diebold ?32 De toutes façons, reste entier le fait de l’ordination irrégulière de Vincent qui n’avait pas l’âge canonique.
La volonté réformatrice bien décidée du nouvel évêque pourrait expliquer une autre énigme qui a intrigué les chercheurs pendant longtemps33 : pourquoi Vincent alla-t-il jusqu’à Périgueux pour se faire ordonner par un vieillard de 84 ans, Monseigneur Bourdeille, qui décédera à peine un mois plus tard, le 24 octobre 1600.34 L’hypothèse d’un Vincent qui cherche dans un diocèse lointain un évêque inconnu pour se soustraire aux exigences disciplinaires de son nouveau prélat, ne paraît pas aussi dépourvue de fondement que le prétend Redier dans une de ses moins heureuses intuitions.35
L’histoire de l’ordination sacerdotale de Vincent a, pour la pleine compréhension du personnage, une conséquence d’importance. Vincent de Paul n’était pas le saint prêtre rempli de ferveur apostolique décrit par l’hagiographie traditionnelle. D’autre part il n’aurait pas osé contrevenir consciemment aux prescriptions de Trente. Il n’était pas non plus un malhonnête sans scrupules, insensible au péché « grave » que supposait son ordination irrégulière par défaut de l’âge canonique, péché que, en son âge mûr, il passait toujours sous silence pour ne pas offenser la mémoire des prélats complices de sa supercherie.36 L’abus était si fréquent et invétéré que ni l’ordonné ni le prélat, si le premier en arrivait à confesser le défaut canonique, ne se tracassaient pas beaucoup pour avoir cédé à une coutume généralisée.37 C’était simplement un jeune dans le besoin qui voyait dans le sacerdoce le moyen de s’assurer rapidement, et même le plus vite possible, une position sociale respectable. Peu importe que pour cela il faille violenter un peu certaines formalités juridiques promulguées récemment, et éviter avec habileté le zèle exagéré du nouveau pasteur, qui méconnaissait des coutumes anciennes et bien admises.
L’irrégularité de l’ordination ne devait pas influer négativement sur l’opinion que l’évêque de Dax pouvait avoir de son subordonné ni, pour le moment, sur celle qu’il avait de lui-même ; huit ans plus tard, Vincent n’hésitait pas à demander à Dax une attestation de son prélat témoignant, ce sont ses propres mots, « que l’on m’a toujours reconnu vivant en homme de bien. »38
Par ce chemin si expéditif, Vincent arrivait, sur le coup de ses vingt ans, au but vers lequel, d’un commun accord, son père, le laboureur de Pouy, et son protecteur, M. de Comet, l’avaient poussé. Par ce que nous savons de son histoire postérieure, c’était aussi le chemin que Dieu lui indiquait. Mais, de plus, était-ce pour Vincent lui-même une vocation ressentie intérieurement ? On peut en douter. Des années plus tard, la prétendue vocation d’un de ses neveux lui font évoquer les instants qui précédèrent don ordination :
« Pour moi, si j’avais su ce que c’était, quand j’eus la témérité d’y entrer, comme je l’ai su depuis, j’aurais mieux aimé labourer la terre, que de m’engager à un état si redoutable. »39
Il est encore plus explicite avec un avocat qu’il prétendait dissuader d’aspirer au sacerdoce :
« Cet exemple, joint à l’expérience que j’ai … fait que j’avertis ceux qui me demandent mon avis pour le recevoir, de ne s’y engager pas, s’ils n’ont une vraie vocation de Dieu, une intention pure d’y honorer Notre-Seigneur par la pratique de ses vertus et les autres marques assurées que sa divine bonté les y appelle. Et je suis si fort dans ce sentiment que, si je n’étais pas prêtre, je ne le serais jamais. »40
En une autre occasion, devant les yeux de ses missionnaires, Vincent faisait le tableau de bien des vocations avec des accents qui tenaient autant de scènes d’époque que d’un autoportrait (affligé, car il était devenu saint) :
« un homme, après sa théologie, après sa philosophie, après de moindres études, après un peu de latin, s’en allait dans une cure et y administrait les sacrements à sa mode. »41
« Une vraie vocation de Dieu », « une intention d’honorer Notre Seigneur », une préparation ministérielle adéquate : voilà les trois choses qu’à la distance de 60 ans de vie sacerdotale, il croit lui avoir manqué au moment où il a fait le pas décisif.
Quelles étaient alors ses dispositions ? Quels furent les vrais motifs de son entrée dans le sacerdoce ? D’un côté la témérité, nous l’avons vu dans la première lettre citée. D’autre part sa volonté propre, son choix personnel sans consulter la volonté de Dieu et une vision terrestre, trop terrestre, de l’état sacerdotal, dont l’unique excuse est d’avoir été le produit de la mentalité de l’époque :
« … parce qu’il y a malheur pour ceux qui y entrent par la fenêtre de leur propre choix, et non par la porte d’une légitime vocation. Cependant le nombre de ceux-là est grand, parce qu’ils regardent l’état ecclésiastique comme une condition douce, en laquelle ils cherchent plutôt le repos que le travail. »43 Il la célébra dans le cadre de ses travaux et de ses ambitions. Selon la tradition, ce fut dans une petite chapelle dédiée à la Sainte Vierge, située sur une hauteur au milieu des bois sur le territoire de Buzet-sur-Tarn, la localité où avait fonctionné son pensionnat. Il le fit sans autres témoins qu’un acolyte et un prêtre accompagnateur,44 le prêtre assistant pour la langue liturgique. Tout porte à croire qu’il le fit avec ferveur comme l’atteste la tradition et comme porte à le croire la plus sérieuse recherche contemporaine.45
Avec la réception du sacerdoce Vincent dit adieu définitivement à son enfance et à son adolescence. Il se trouvait au seuil de la jeunesse à l’âge de l’information, à l’âge de la recherche, à l’âge des projets. Vincent y entrait d’un pas décidé. Il avait fait son propre choix. Il avait des projets élaborés selon sa propre inspiration sans se préoccuper s’ils coïncidaient ou non avec ceux de Dieu. Au cours de l’étape suivante de sa vie, il s’obstinera à les réaliser nonobstant les échecs répétés auxquels il allait aboutir. Peu à peu mais très lentement il découvrira un autre plan, un plan qui n’est pas le sien, mais celui de Dieu. En rencontrant Dieu, il se trouvera aussi lui même. En d’autres termes, il découvrira sa vocation.
- Pour les données concrètes de l’histoire de France, E. Lavisse, Histoire de France, tomes 6 et 7. Une interprétation originale de la figure et du règne d’Henri IV dans R. Mousnier, L’Assassinat d’Henri IV, Paris, 1964.
- XII, 347.
- P. Defrennes, La conversion de Saint Vincent de Paul, RAM (1932) p. 391.
- Abelly dit que Vincent commença ses études « vers 1588 » (op. cit., l.1, c.3, p. 10), c’est à dire à douze ans selon sa chronologie. Collet dit la même chose : « Vincent de Paul avait environ douze ans quand son père résolut de le faire étudier. » (op. cit., t.1, p. 8). Mais Vincent lui-même déclare être resté à la campagne « jusqu’à l’âge de quinze ans » (IX, 81). Ceci, ajouté à la fixation de la date de naissance à 1580 ou 1581, nous amène à placer le début des études aux années indiquées dans le texte. Herrera maintient une position plus proche de Abelly (Vicente de Paúl, biografía y selección de escritos, p. 48). En toute hypothèse, la chronologie reste incertaine et peut se résumer en quatre hypothèses différentes : a) naissance en 1576 ; commencement des études en en 1588, à douze ans. C’est la thèse de Abelly. Elle a l’inconvénient de donner neuf ans aux études d’humanité. b) naissance en 1576 ; commencement des études en 1591, à quinze ans. On réduit à six les années d’études. C’est l’hypothèse d’Herrera. c) naissance en 1581 ; commencement des études en 1595, à quinze ans. C’est la thèse de Coste. Cela paraît excessivement serré. d) naissance en 1580 ou 1581 ; commencement des études entre douze et quinze ans (entre 1592 et 1595). Peut-être faut-il se résigner à ne pas pouvoir préciser plus que cela.
- XII, 432.
- Coste, Monsieur Vincent…, t.1, p. 30.
- XII, 135 et 293.
- Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 10.
- XIII, 1-2.
- Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 10.
- Collet, op. cit., t.1, p. 13 ; Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 12.
- Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 12 ; Collet, op. cit., t.1, p. 10.
- Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 10.
- Collet, op. cit., t.1, p. 9.
- II, 212.
- II, 235 et 240.
- IV, 322-323. D’autres allusions sur le thème des cours dictés en VII, 291 ; VIII, 107 et 381.
- Cité par J. Herrera, op. cit., p. 52.
- X, 124.
- X, 60.
- X, 446 (conf. aux Filles de la Charité, 6 janvier 1658).
- A. Hernández y Fajarnés, op. cit., p. 247-349.
- Collet, op. cit., t.1, p. 9 ; U. Maynard, op. cit., t.1, p. 22. Pour Lavedan l’hypothèse se transforme en certitude, et il en parle avec des accents proches de Carmen de Mérimée : H. Lavedan, Monsieur Vincent, aumônier des Galères, Paris, 1928.
- R. Gadave, Les documents sur l’histoire de l’Université de Toulouse et spécialement de sa faculté de droit civil et canonique (1229-1798), Toulouse, 1910. Cité par Coste, Monsieur Vincent…, t.1, p. 33-36.
- Le séjour de Vincent de Paul à Saragosse a été accepté par la presque totalité de ses biographes, anciens et modernes. Coste, uniquement, a exprimé des réserves que nous croyons justifiées : « Il est difficile de comprendre que, dans l’état de gêne où il se trouvait, le jeune homme ait quitté l’Université de Toulouse pour celle de Saragosse, et, à peine arrivé, ait repris le chemin de Toulouse. Avant de croire à la réalité de ce voyage, dont parlent les mémoires envoyés de Dax au premier biographe, on aimerait à savoir sur quel fondement l’affirmation repose. Vincent, suppose Collet, aurait trouvé l’Université de Saragosse pleine du bruit des disputes des écoliers sur la science moyenne et les décrets prédéterminants, et c’est ce qui aurait hâté son retour en France ; hypothèse assez peu vraisemblable, imaginée pour expliquer un fait moins vraisemblable encore. » (Monsieur Vincent, t.1, p. 36-37) Le manque de méthode du compilateur de toute l’œuvre vincentienne saute aux yeux : il donne pour acquis, au contraire de la prudence des sources, le commencement des études à Toulouse ; il ignore la forme catégorique des affirmations de Abelly et Collet « il est vrai », « il est certain », qui semble vouloir prévenir de possibles objections ; il convertit « le bref séjour » en un aller et retour dont personne ne parle ; il transforme une estimation subjective d’invraisemblance en un obstacle objectif et insurmontable ; il rejette, à partir d’une prise de position a priori, le témoignage certain et formel de témoins plus directs et en rien intéressés au problème ; il déduit de la faiblesse d’une explication déterminée, l’irréalité des faits eux-mêmes. Pour une saine critique historique, la solution d’un problème ne passe pas par le chemin de sa négation.
- Herrera, à la suite de Hernández et Fajarnés, se plait à spéculer sur les contacts de Vincent avec des professeurs jésuites du collège Saint-Charles, hypothétique résidence de Vincent durant ses mois de séjour à Saragosse, et avec les professeurs de la faculté de théologie. Mais toute la construction manque de rigueur dans la compilation des faits et des circonstances. Il manque aussi une analyse systématique de la pensée des possibles maîtres de Saragosse. La même remarque par rapport à Toulouse. L’étude déjà ancienne de Paul Dudon se limite à répéter les données connues du passage de Vincent dans les amphithéâtres toulousains, sans apporter de détails sur l’examen de la doctrine que l’on y enseignait. (cf. P. Dudon, Le VIIe centenaire de l’Université de Toulouse, dans Études (1929) t. 199, p. 724-738).
- Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 12.
- Tous les renseignements sur le pensionnat de Vincent à Buzet-sur-Tarn se trouvent dans Abelly, op. cit., l.1, c ;3, p. 12 et dans Collet, op. cit., t.1, p. 9-11.
- XIII, documents 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8, p. 2-7.
- On peut voir l’énoncé minutieux du problème dans l’article de E. Diebold, Saint Vincent de Paul. Sa nomination à la cure de Tilh (diocèse de Dax) en 1600, Annales (1959) p. 389-397.
- Coste, Monsieur Vincent…, t.1, p. 39. « Le 21 juillet 1609, dans une lettre au nonce de France, le cardinal secrétaire d’État s’étonnait du grand nombre de prêtres français ordonnés avant l’âge canonique et avec de faux dimissoires, qui écrivaient à Rome pour demander l’absolution de leur faute. » Sébastien Zamet, en prenant possession de son diocèse de Langres, en 1615, trouva quelques 200 clercs promus aux ordres sacrés avant l’âge légitime. D’autres témoignages dans Coste, La vraie date de la naissance de Saint Vincent de Paul, tiré à part du Bulletin de la Société de Borda (Dax, 1922) p. 15-17.
- E. Diebold, art. cit., p. 392.
- F. Contassot, Saint Vincent de Paul et le Périgord, Annales (1949-1950) p. 161-203.
- Ibid., p. 162 en note.
- A. Redier, La vraie vie…, p. 16.
- A. Redier, ibid., p. 17.
- F. Contassot, art. cit., p. 164.
- I, 15.
- V, 568.
- VII, 463.
- XII, 289.
- VII, 463.[/note]
« terrible animal que d’avoir 20 ans »
À vingt ans, « terrible animal son veinte años », écrivait vers les mêmes dates, un contemporain espagnol de Vincent de Paul, Mateo Aleman : Vincent de Paul n’a pas trouvé sa vocation ni psychologiquement ni humainement, bien que ce soit Dieu qui l’a amené à elle. Ce n’est pas un paradoxe. Ne resterait-il qu’à répéter le dicton banal que Dieu écrit droit avec des lignes courbes ? À vingt ans, pour Vincent de Paul le sacerdoce n’est pas une vie mais un moyen d’existence. Il y est entré en croyant entrer dans une condition tranquille recherchant davantage le repos que le travail. Il allait bientôt se détromper.
L’auteur écrit ces lignes avec un respect tremblant et une grande crainte d’être mal compris. Vincent de Paul n’est pas un scélérat, il ne l’a jamais été, pas même à ses vingt ans. Il est simplement, vu la perspective historique de son époque et de son milieu, un de ces nombreux pauvres garçons ambitieux qui, par force, voient dans la carrière ecclésiastique une manière de réussir. La vision utilitaire de l’état clérical plus que du sacerdoce n’est pas incompatible avec une certaine honnêteté naturelle, avec un certain sens du devoir et une certaine volonté de remplir les obligations auxquelles on s’est engagé. Ils peuvent même être pieux, d’une piété peut être superficielle, mais sincère. Avant de célébrer sa première messe, Vincent s’impose un temps d’attente, accomplissant ainsi les dispositions que dictaient alors les évêques les plus attachés à une volonté de réforme.42E. Diebold, La première messe de saint Vincent de Paul, Annales (1957), p. 490-492.
- Abelly, op. cit., l.1, c.3, p. 11 ; Collet, op. cit., t.1, p. 14.
- E. Diebold, art. cit., p. 492, Coste, Monsieur Vincent…, t.1, p. 40.