Sainte Catherine Labouré, la Sainte du Silence

Francisco Javier Fernández ChentoCatherine LabouréLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Juana Elizondo, F.C. · Année de la première publication : Avril, 1997 · La source : Échos de la Compagnie.
Estimated Reading Time:

laboureCet événement mérite que nous nous y attardions et que nous fassions quelques réflexions sur le silence qui comporte des aspects positifs et négatifs. En approfondissant la vie de sainte Catherine, nous découvrons immédiatement que son silence, à elle, est en même temps le fruit et le garant de sa grande humilité. Sainte Catherine n’a jamais parlé des grâces extraordinaires que lui a accordées le Seigneur, dans le but d’attirer sur elle l’attention ou l’admiration des autres. L’un des témoins interrogés pour la cause de sa béatification, ira plus loin encore en affirmant : «Elle ne parlait jamais d’elle-même, elle était plutôt silencieuse» (Soeur de La Haye Saint Hilaire, 6 juillet 1909).

Soeur Catherine a répondu, plus d’une fois, par un silence accompagné d’un sourire, aux Soeurs qui s’adressaient à elle sur un ton dénotant un certain mé­pris. Le 5 juillet 1909, Soeur Gil Moreno de Mora dira : «Une de ses compagnes la traitait de sotte et de niaise. Elle ne répondait pas un rriot et se contentait de sourire». Ce silence est encore le reflet de la grande humilité et de la grande charité de notre Soeur.

Le silence de sainte Catherine n’est ni indifférence, ni mutisme, ni hermé­tisme. Même si elle était d’un naturel plutôt froid et peu communicatif, à cause des nombreuses circonstances douloureuses vécues dès son enfance, elle rra jamais fait usage du silence pour s’évader ou pour éviter la communication avec les autres, encore moins pour exprimer de l’amertume ou de la mauvaise hu­meur. Elle a été accusée quelquefois de quitter la récréation pour s’en aller à la chapelle. Les témoins au procès ont rectifié cette affirmation en précisant : «Elle y venait (aux récréations) très régulièrement, sauf quand un vieillard ma­lade avait besoin de ses soins» (Vie authentique de Catherine Labouré -Preuves-R. Laurentin, p. 505, n° 1299, Soeur Maure!, 21 juillet 1909).

Ce qui est indéniable, c’est que Sœur Catherine avait une idée très élevée du silence en tant que moyen propre à faire bon usage d’un autre don important : celui de la parole. Le silence permet en effet d’utiliser la parole en lui donnant toute sa valeur. Il évite d’en faire un emploi inutile et surtout il empêche que la parole soit utilisée comme une arme offensive, destructive, soit contre Dieu, soit contre le prochain.

Le silence dispose à parler en temps opportun et de manière appropriée. La pensée élaborée dans le silence communique, à la parole qui l’exprime, de la densité, de la valeur. Catherine connaît bien la doctrine de son Fondateur à ce sujet :

«… le silence attire, tant sur les communautés que sur les particuliers, abon­dance de grâces et de bénédictions, d’autant que garder le silence n’est autre chose qu’écouter Dieu…». Saint Vincent considère que c’est une grande sagesse que «de parler à propos, que c’était ce que Notre Seigneur avait fait, prenant occasion de l’eau que puisait la Samaritaine pour lui parler de la grâce-. Et notre Fondateur s’exclamera un peu plus loin dans sa Conférence sur le silence : «Qui est-ce qui nous donnera ce don de parler à propos ?» (Saint Vincent, 76 – Résumé d’une Conférence sur le silence, Coste XI, 93-94).

Notre Soeur Catherine a su se taire et parler à bon escient. Son silence aussi bien que sa parole ne recherchaient que l’accomplissement de la volonté de Dieu et l’exercice de la charité envers le prochain. Grâce à son silence, ses paroles étaient plus justes, plus riches de sens et faisaient une plus grande place à la confiance.

«Elle parlait fort peu, mais c’était toujours très bien. Chaque mot qu’elle disait venant à propos (pour) élever vers Dieu et rendre courage» (Soeur Cosnard, 9 juillet 1909).

«Elle n’était pas expansive, elle parlait peu. Lui demandait-on conseil ? Elle le donnait simplement, en peu de mots et toujours avec beaucoup de sagesse. C’était l’Esprit de Dieu qui parlait» (Soeur Tanguy, 2 juin 1909).

Pour sainte Catherine, le silence est surtout le climat où elle cultive son union profonde avec le Seigneur, union que révélaient ses attitudes et toute sa personne. «J’étais frappée de l’esprit de silence et de recueillement de Soeur Catherine -dira Ma Soeur Mauche lors de son témoignage le 2 juillet 1909- Son union à Dieu se reflétait si bien sur son visage, qu’en la regardant, je ne cessais de l’envier».

La vie de sainte Catherine répond comme en écho à l’affirmation de saint Vincent : «… Le silence… sert pour parler à Dieu : c’est dans le silence qu’Il com­munique ses grâces…» (Saint Vincent, Conférence du ‘I er août 1655, Coste X, 96).

Notre Sainte a aussi concrétisé dans sa vie ce que nous recommandent nos Constitutions : «Pour favoriser l’intimité de chaque Soeur avec Dieu et res­pecter chez toutes une indispensable reprise intérieure, il faut des temps de silence. Climat de Dieu, accepté d’un commun accord, le silence prépare les rencontres les plus riches au plan spirituel» (C. 2. 14). Et parmi ces moments, il faut mentionner particulièrement la retraite mensuelle et la retraite annuelle (exercices spirituels).

La sainteté de la vie de sainte Catherine, et principalement son humilité et sa charité extraordinaires envers le prochain, surtout envers les vieillards qu’elle soignait, ne peuvent avoir d’autre explication que celle d’une vie profondément enracinée en Dieu.

Le silence prédispose facilement à l’écoute. Il prépare le climat propice non seulement à l’écoute de Dieu, mais aussi à celle du frère démuni. Les deux heures d’entretien avec Marie qu’a eues sainte Catherine durant la nuit du 18 au 19 juillet l’ont préparée sans doute à ce service si important de l’écoute. C’est là qu’elle a appris à connaître en même temps que la valeur du silence celle de l’écoute et de la parole.

Cependant sainte Catherine n’a pas hésité à rompre le silence et à faire usage de la parole lorsque l’exigeaient la Volonté de Dieu et la transmission du message reçu de Marie. A ces moments-là, elle a parlé et elle a même insisté fermement auprès des personnes qui pouvaient mettre à exécution la mission que la Vierge Marie lui avait confiée.

Comme Sa Sainteté Pie XII l’a rappelé au cours de son homélie en la Messe de la Canonisation, «… Si encore il s’était agi seulement de ces hautes com­munications et visions intellectuelles qui élevaient vers les sommets de la vie mystique une Angèle de Foligno, une Madeleine de Pazzi, de ces paroles intimes dont le coeur garde jalousement le secret ! Mais non ! Une mission lui est confiée, qui doit être non seulement transmise, mais remplie au grand jour ! réveiller la ferveur attiédie dans la double Compagnie du Saint de la Charité ; submerger le monde entier sous un déluge de petites médailles, porteuses de toutes les miséricordes spirituelles et corporelles de l’Immaculée ; susciter une Associa­tion pieuse d’Enfants de Marie pour la sauvegarde et la sanctification des jeunes filles» (Échos de la Maison-Mère, septembre 1947, p. 118).

Jusqu’à la fin de sa vie, elle a souffert le martyre de voir reporter l’exécution de la statue de la Vierge au globe, demandée par Marie. Mais elle n’a pas renoncé à en parler jusqu’à ce qu’elle ait été enfin écoutée, même si elle a dû reconnaître que la statue réalisée était loin de reproduire la beauté de Celle qu’elle avait contemplée dans les apparitions.

Ses confidences lui ont procuré plus d’une difficulté, car elle n’a pas toujours été crue. Elle n’a pas non plus obtenu une réponse prompte à ses demandes. Cependant, et malgré ces refus, la voyante a su vaincre sa timidité et renouveler ses demandes aussi souvent que cela a été nécessaire pour mener à bonne fin la mission reçue. De plus, elle ne s’est pas contentée d’en parler à ses contemporains. En dépit de son manque de culture et ,des imperfections de son style et de son orthographe, elle a entrepris de laisser à la postérité le récit écrit des manifestations de Marie. Dans ce récit, on ne relève pas de mots inutiles, pas de soucis de style, ni de fausse timidité en reconnaissant ne pas savoir mieux faire, car notre Soeur ne se recherche pas elle-même, ni l’admiration humaine que pourraient lui attirer les privilèges dont elle a été l’objet. Elle n’est poussée que par le désir d’accomplir la mission qui lui a été confiée par la Mère de Dieu.

Chez notre Soeur, le silence et la parole, bien compris et bien utilisés, s’enrichissent mutuellement. Le silence magnifie, pour ainsi dire, la parole ; la parole appropriée, utilisée au bon moment, justifie et valorise le silence, au sein duquel elle a pris forme. Ni le silence n’aurait eu autant de densité, s’il n’avait servi de laboratoire à la parole, ni celle-ci n’aurait eu un si grand sens, une telle densité de contenu, si elle n’avait été élaborée et soutenue par le silence.

Chez sainte Catherine, le silence et les paroles parlent par eux-mêmes, posent question, transmettent des messages, et ceci d’autant plus que tout en elle est scellé par son attitude, son comportement.

Par ailleurs, notre Soeur met au service de la charité envers le prochain et son silence et ses paroles. Les vieillards qui lui sont confiés, en qui elle voit Dieu, trouvent en elle compréhension, attention, mansuétude. Sa manière de se comporter envers ceux qui abusent de la boisson est considérée par son en­tourage comme .<trop indulgente». Une de ses Compagnes de Communauté. Soeur Charvier, parmi d’autres témoins au procès de béatification, nous dit : «indulgente pour ses vieillards, elle les grondait bien quand l’un d’eux rentrait quelquefois un peu pris de boisson. Nous disions à la bonne Soeur : « Pourquoi ne le grondez-vous pas plus fortement ? » Elle répondait : « Je ne peux pas le gronder plus fort. Je vois Notre Seigneur en lui »».

De sa vie, elle excluait évidemment les paroles qui accusent et les expres­sions d’impatience ou de critique qui meurtrissent.

Le silence est aussi pour Soeur Catherine un moyen de se garder de l’uti­lisation indue du don de la parole, que ce soit en le transformant en discours superficiel et inutile, ce qui, en quelque sorte, est une profanation de ce mer­veilleux instrument de communication, ou en l’employant comme une arme of­fensive qui blesse le prochain soit directement par des paroles malveillantes, soit indirectement en critiquant son comportement. L’héroïcité de ses vertus prouve que notre Soeur a su être fidèle aux enseignements de nos Fondateurs par rapport à la charité fraternelle qui peut être si facilement détruite par des paroles mal employées :

«Elles se donneront bien de garde dans leurs conversations de s’entretenir ja­mais des défauts du prochain, particulièrement de leurs soeurs… Et d’autant que le silence est le moyen le plus efficace pour remédier, non seulement à quantité de fautes contraires à la charité qu’on commet par la langue, mais encore à plusieurs autres péchés qui ne manquent pas de se rencontrer dans le beaucoup parler, selon le témoignage de l’Écriture sainte, elles feront une attention toute particulière à l’observer exactement…) » (Règles communes, chapitre VI, articles 3 et 4).

Il ne nous est pas difficile d’imaginer que Soeur Catherine ait trouvé aussi, dans le silence et le recueillement qui en est le résultat, l’espace approprié pour la rencontre d’elle-même et pour la réflexion qui s’impose à tout être humain. Dans le monde du bruit et de la dispersion où nous avons à vivre et où nous manquons d’espaces de réflexion, nous risquons de nous laisser emballer par tout ce qui nous entoure et nous entraîne, sans prendre clairement conscience où nous allons ni des influences que nous subissons et qui atteignent notre personne, nos comportements et même notre liberté. Sous le prétexte de cette liberté, nous tombons dans le plus funeste des esclavages, qui ne laisse, ni à notre intelligence ni à notre volonté, la faculté d’exercer leurs capacités. Nous acceptons volontiers ce que le système et la mode régnants nous offrent, sans prendre le temps de chercher l’espace de silence et de réflexion nécessaires pour faire un examen sérieux de ce que nous vivons à la lumière des critères évangéliques, des enseignements de l’Église et de nos engagements en tant que membres de la Compagnie.

Sachons profiter de l’opportunité que nous offre cette année où nous com­mémorons la reconnaissance par l’Église de la sainteté de Soeur Catherine, pour percevoir le rôle important que le silence a joué dans sa vie, en tant que :

  • climat propice pour la rencontre avec Dieu,
  • possibilité d’écoute du prochain,
  • moyen adéquat pour fertiliser la parole et lui procurer une plus grande densité,
  • espace permettant une rencontre de soi-même et une réflexion indispensable pour vivre chacun des instants et des événements de notre vie. Cet espace est particulièrement nécessaire si nous voulons vivre en plénitude notre liberté et nos engagements, au moyen d’une analyse critique des impacts positifs et né­gatifs auxquels nous sommes constamment exposés.

Confions à Marie Immaculée «totalement ouverte à l’Esprit… exemple parfait de ceux qui écoutent la Parole et la gardent» (C. 1. 12) notre désir de continuer, dans une fidélité rénovée, la Mission du Christ parmi nos frères démunis.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *