MON CHER ABBÉ,
Ecrivant le 8 avril 1933 à M. Coste, prêtre de la Mission, éditeur des entretiens de saint Vincent, c’est à savoir : les conférences aux missionnaires et aux Filles de la Charité, les répétitions d’oraison, les conseils, avis et lignes de conduite, plans de discours, etc., je formais le souhait ou mieux cette espérance : « La lecture de ces entretiens révélera, je crois, à plusieurs un saint Vincent insoupçonné, je veux dire un maître de la vie et de la doctrine spirituelle. » Mon espérance ne fut pas déçue, car, peu après, fut publié votre intéressant travail sur Saint Vincent, directeur des consciences. Il dénotait chez vous une connaissance peu ordinaire de saint Vincent et de ses enseignements. Manifestement vous vous étiez familiarisé avec le saint et avec sa pensée. Le succès de votre livre ne fut point médiocre : il fut de nature à vous dédommager de vos efforts et de vos recherches.
Je ne fus certes point le dernier à applaudir à votre publication.
Vous avez pensé ensuite qu’il y a encore, non pas seulement à glaner ; mais à moissonner, dans le vaste champs des entretiens, comme aussi des lettres ce saint Vincent, et vous m’offrez, ainsi qu’au public pieux ou simplement curieux, [VI] des choses de la vie intérieure, un nouveau volume. Vous l’intitulez Saint Vincent de Paul, maître d’oraison. Comme son aîné et peut-être plus directement que lui, il répond au souhait et à l’espérance formulés plus haut.
Parce qu’il fut un saint, et un saint de grand envergure, vous croyez et dites avec raison, que saint Vincent fut un homme d’oraison, de profonde oraison. Vous pensez que seule une intense vie intérieure et d’intime union avec Dieu pouvait seule expliquer le nombre et les merveilles de ses œuvres extérieures et vous avez bien raison.
Mais en outre, parce que saint Vincent voulait en ses missionnaires et dans les Sœurs des ouvriers, des ouvrières infatigablement dévoués aux œuvres extérieures de la charité spirituelle et corporelle, il a aussi voulu que, eux, fussent des hommes d’oraison, elles, des filles d’oraison ; des personnes comme lui, de vie intérieure et d’intime union avec Dieu. Vous en avez conclu très logiquement que, parlant, de l’abondance de son cœur, de piété et d’oraison, le fondateur, le père a dû enseigner à ses enfants la science ou l’art de l’oraison ; en un mot, que saint Vincent a été un maître d’oraison.
A la vérité, ce maître n’a pas écrit un traité didactique d’oraison, un manuel avec ses obligatoires divisions, subdivisions et conclusion. Ce grand travailleur avait trop à faire pour trouver, l’eût-il cherché, le temps d’écrire. Enseignements et doctrine spirituelle, il les a parlés, selon l’opportunité des circonstances ; selon l’inspiration du moment ou mieux de l’Esprit-Saint ; selon les besoins présents de son auditoire. Tout y est dit et bien dit ; mais tout s’y trouve dispersé en de nombreux endroits.
Rechercher ces endroits, ces passages, ces leçons a été le but de vos études. Vos recherches ont été bénies de Dieu et vous présentez au lecteur un véritable manuel de l’oraison selon la petite méthode et selon la pratique de votre saint, de notre saint.
Qui lira les treize chapitres qui composent et partagent votre nouveau travail, aura une idée claire et pratique de l’oraison ; il en connaîtra les conditions de succès ; il en saura la méthode ; il et appréciera les heureux fruits et ces fruits, il voudra les goûter par l’exercice de l’oraison quotidienne.
Votre lecteur verra que faire oraison n’est point une chose si compliquée à laquelle seules pourraient prétendre les personnes de qui sont nombreux les loisirs mystiques ; douées de profondes connaissances théologiques et ascétiques, dégagées des conditions et des nécessaires préoccupations de la vie ordinaire et du quotidien travail.
À l’école de saint Vincent, chacun peut apprendre à faire oraison et y réussir, grands et petits, savants de haute science et gens de petite culture. Ne faisait-il pas faire oraison et répétition d’oraison à la domesticité de la famille des Gondi, quand il y était précepteur ? Et même dans le coche ou la diligence, ne faisait-il pas agréer par ses compagnons de voyage que l’on fit oraison et qu’on en fit, pour l’édification commune, la répétition bonnement, simplement ? Les gens de la maison des Gondi, ses compagnons de rencontre aux hasards d’un voyage n’étaient pas tous des théologiens.
Et les frères laïques du vieux Saint-Lazare, les frères coadjuteurs, ainsi qu’on les nommait et qu’on les nomme, n’étaient point docteurs de Sorbonne et pourtant, au dire du saint lui-même, ils réussissaient assez bien dans l’exercice de l’oraison et la répétition des pensées, sentiments et résolutions de leur oraison consolait souvent le vénérable Supérieur de la Mission.
Je vous remercie donc et vous félicite de votre travail. Qu’il ait beaucoup de lecteurs attentifs, réfléchis, persuadés, pas seulement intéressés et que le mître d’oraison compte autant d’élèves dociles que votre livre comptera de lecteurs.
C’est dans cet espoir que je me dis en N.-S. et Marie Immaculée, cher Monsieur l’Abbé, Votre dévoué serviteur.
F. Verdier,
Sup. Gén. De la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité.