La Vie de Mademoiselle Le Gras. Livre Premier, Chapitre 2

Francisco Javier Fernández ChentoLouise de MarillacLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Monsieur Gobillon, Prêtre, Docteur de la Maison et Société de Sorbonne, Curé de Saint Laurent · Année de la première publication : 1676.
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Comme elle eut toujours dès sa jeunesse un grand mépris pour le monde, et un désir ardent de se consacrer à Dieu, elle eut dessein de se faire Capucine : mais l’ayant communiqué au Père Honoré e Champigny Capucin, qui vivait pour lors en réputation de sainteté, il ne jugea pas qu’elle en pût supporter les austérités, à cause de la faiblesse de sa complexion, et il lui déclara qu’il croyait que Dieu avait quelqu’autre dessein sur sa personne.Dans le temps qu’elle délibérait sur sa vocation, elle perdit son Père, et se voyant par sa mort, privée de sa conduite, elle se trouva obligée de prendre parti. Elle s’engagea dans le mariage, ne pouvant satisfaire le désir qu’elle avait pour la vie religieuse; et elle n’entra dans cet état que par la nécessité d’un établissement.Le Ciel qui la destinait pour l’assistance des Pauvres, l’unit avec une famille qui faisait une profession particulière d’exercer la charité. Il donna pour époux à Louise de Marillac, Antoine Le Gras, natif de Montferrand en Auvergne, Secrétaire de la reine Marie de Médicis, dont la famille s’était signalée par l’amour des Pauvres, et avait fondé un Hôpital dans la Ville du Puy. Elle fut engagée dans ce mariage à l’âge de vingt-deux ans, au mois de février de l’année mil six cent treize, et elle en reçut la bénédiction dans l’église de Saint Gervais, à Paris.

Il n’y a point de vertu dont cet état soit capable, qu’elle ne pratiquât avec édification. Elle s’appliquait dès les premières années à visiter les pauvres malades de la paroisse où elle demeurait. Elle leur donnait elle-même les bouillons et les remèdes, faisait leurs lits, les instruisait et les consolait par ses exhortations, les disposait à recevoir les Sacrements, et les ensevelissait après leur port. Et la paroisse de Saint Sauveur, entre les autres, où elle est demeurée veuve, a été le témoin et l’objet de toutes ces actions de charité.

Cette vertu qui, selon la doctrine du Saint Esprit, s’affermit et s’augmente de plus en plus par le secours des malades, s’établit dans son soeur avec tant de force et de zèle, quelle ne mit point de borne à ses desseins. Elle ne se contenta pas d’assister les malades dans leurs maisons, elle alla les visiter dans les hôpitaux pour ajouter quelques douceurs aux secours qui leur y étaient fournis, et pour leur rendre par ses mains les services les plus bas et les plus pénibles.

Ce n’était pas assez pour elle de servir de sa personne : elle y attira des Dames par ses conseils et par ses exemples, et elle faisait pour lors l’essai du grand ouvrage qu’elle devait un jour entreprendre pour le soulagement de tous les pauvres, par l’institution d’une Congrégation de Filles, dont elle a témoigné par un écrit qu’elle avait conçu quelque dessein dans le temps de son mariage.

Quoi qu’elle vécut dans le monde, elle garda inviolablement cette religion pure et sans tache, dont parle Saint Jacques, qui consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction , et à sa conserver pur de la corruption du siècle (St Jacques 1,27)

Elle eut toujours le coeur éloigné de ses faux plaisirs et de ses vanités : et pendant le temps des divertissements publics, elle avait coutume de se retirer dans le Monastère des capucines, pour lequel elle eut une affection tendre toute sa vie. Elle garda toujours une grande modestie dans ses habits, ne mettant son ornement, selon l’avis de Saint Pierre, à se parer au dehors, mais à parer l’homme invisible caché dans le coeur, par la pureté de l’esprit. (1 Pierre 3,4) On ne pouvait pas voir une âme qui fut plus détachée de la vie et des maximes du monde. Elle n’avait jamais plus de joie que lors qu’elle se pouvait séparer de son commerce par les retraites, et qu’elle avait la liberté de s’unir et de converser avec Dieu par l’oraison.

Ce fut sous la conduite de l’illustre Évêque de Belley, Jean Pierre Camus, qu’elle apprit à faire ces exercices de la vie spirituelle, et elle s’y porta avec tant d’ardeur, que ce sage directeur se crut obligé d’en modérer l’excès, et il lui en marque son sentiment en ces termes, par une lettre :

« Je suis consolé de savoir que les exercices de recueillement et les retraites spirituelles vous soient si utiles et si savoureuses : mais il en faut prendre pour vous comme du miel, rarement et sobrement. Car vous avez une certaine avidité spirituelle qui a besoin de retenue. »

Comme elle savait que la vie de l’esprit aussi bien que celle du corps ne peut subsister sans aliment, et que le Juste qui vit de la Foi, a besoin, comme parle Tertullien, de l’entretenir et de la repaître des vérités divines : elle lisait souvent des livres de piété, et elle avait un amour particulier pour l’Imitation de Jésus, pour le Combat spirituel, et pour les oeuvres de Saint François de Sales, et de Louis de Grenade. Le savant Prélat qui la conduisait, la jugeant, capable de la nourriture la plus solide, lui mit entre les mains les écritures divines, qui selon les paroles de l’Apôtre, sont utiles pour rendre l’homme de Dieu parfait et parfaitement disposé à toutes sortes de bonnes oeuvres. (Tim. 3,16-17)

Mais parce que l’âme ne peut s’unir à Dieu avec liberté par la méditation et par les autres exercices spirituels, si elle ne réprime l’insolence des passions du corps qui résistent à ses mouvements, et si elle ne se sépare de la multitude des occupations temporelles qui la troublent; Louise de Marillac tachait de dompter et de soumettre son corps par les jeunes, les veilles, et le cilice, quoi que d’ailleurs il fût très mortifié par ses infirmités ordinaires et par les emplois pénibles et continuels de la charité. Et pour les affaires temporelles, dont les soins sont comme ces travaux de l’Egypte qui empêchaient les Israélites d’aller sacrifier dans le désert, elle n’y avait d’application qu’autant que la nécessité l’y obligeait, et elle prenait toujours garde qu’elles ne fussent des obstacles à l’union qu’elle avait avec Dieu.

Cependant, quelque précaution qu’elle prît, elle ne pût éviter absolument que le Démon ne traversât la paix et la tranquillité qu’elle cherchait. Cet ennemi voyant qu’il ne la pouvait pas troubler par la révolte des passions, ni par les affections et les engagements du monde, prit une voie plus subtile et plus artificieuse : il la tourmenta par sa propre vertu, et se servit pour ce dessein contre elle-même, de la pureté et de la tendresse de sa conscience. Il lui inspira une si grande crainte du péché et appliqua si fortement son esprit à la considération des fautes qui échappent à l’infirmité des âmes les plus innocentes, qu’elle avait peine dans ses oraisons d’en détourner la vue.

Monsieur l’Evêque de Belley ayant eu connaissance de cette disposition de son esprit, fit tous ses efforts pour y mettre le calme, et nous voyons l’avis qu’il lui donna sur ce sujet dans une lettre :

« J’attends toujours, ma chère Fille, que la sérénité vous revienne après ces nuages qui vous empêchent de voir la belle clarté de la joie qui est au service de Dieu. Ne faites point tant de difficulté aux choses indifférentes, détournez un peu votre vue de vous-même et l’attachez à JESUS-CHRIST, et voilà, selon mon jugement, votre perfection, et je puis dire avec l’Apôtre, qu’en cela je pense avoir l’esprit de Dieu.

Parmi ces inquiétudes dont Dieu permit qu’elle fût troublée par la vue de ses péchés pendant plusieurs années, il y eut quelque intervalle de temps où il souffrit, pour une plus grande épreuve, que son âme fût agitée par des mouvements contraires : elle passa de l’excès de la crainte du péché dans une autre extrémité. Le Démon lui suggéra des pensées d’infidélité pour combattre cette crainte dans son principe, et pour la détruire entièrement dans son coeur : il l’attaqua par de violentes et de longues tentations contre la foi de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme; et ces tentations lui durèrent depuis le jour de l’Ascension de l’année mille six cent vingt trois, jusqu’au jour de la Pentecôte. Mais elle fut soutenue par la puissance de l’Esprit Saint, qui la délivra de ces peines le jour de cette grande Fête, lors qu’elle assistait aux sacrés Mystères dans l’église de Saint Nicolas des Champs; elle a déclaré par écrit qu’elle croyait avoir obtenu cette grâce par les prières de Saint François de Sales, pour lequel elle avait une grande dévotion, et dont elle avait reçu pendant qu’il vivait, des marques particulières d’estime et d’affection, ayant été honorée de ses visites dans une maladie, le dernier voyage qu’il fit à Paris.

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