Il faut que je me hâte de vous donner de mes nouvelles, pour ne pas vous en priver pendant trop longtemps. Aujourd’hui je m’embarque pour me rendre dans l’intérieur de la Chine, où je n’aurai régulièrement des occasions pour Macao, et, par conséquent, pour la France, qu’une ou deux fois l’an. Je m’en vais rejoindre nos chers confrères MM. Rameaux et Baldus au Hou-pé, pour partager leurs travaux. Je ne sais quand j’arriverai. D’abord, quoique je n’aie qu’environ deux cents lieues à faire par mer, il me faudra pour cela peut-être plus de deux mois, parce que la mousson est contraire, et que les navires chinois vont d’ailleurs très lentement. Ensuite, pour faire deux ou trois cents lieues sur le continent, je n’irai pas d’un trait et par la poste. Je voyagerai à pied, ou sur une barque en remontant les fleuves. Je ferai une station au Fo-kien, chez le Vicaire apostolique, puis une autre au Kiang-si, chez notre confrère, M. Laribe ; encore une autre au Ho-nan, chez M. de Bési ; de sorte que je ne pourrai parvenir que vers Pâques au lieu de ma destination. J’espère que le bon Dieu me protégera dans tout ce pèlerinage comme il a fait pour le précédent. Je pars bien portant et bien content. Si vous pouviez me voir un peu maintenant, je vous offrirais un spectacle intéressant avec mon accoutrement chinois, ma tête rasée, ma longue queue et mes moustaches, balbutiant ma nouvelle langue, mangeant avec les bâtonnets qui servent de couteau, de cuiller et de fourchette. On dit que je ne représente pas mal un Chinois. C’est par là qu’il faut commencer à se faire tout à tous : puissions-nous ainsi les gagner à Jésus-Christ !…
Lettre 71. — J.-B. Etienne, op. cit., p. 116.