Histoire générale de la Congrégation de la Mission (01)

Francisco Javier Fernández ChentoHistoire de la Congrégation de la MissionLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Claude-Joseph Lacour cm · Année de la première publication : 1897.
Estimated Reading Time:

I. 1660 Histoire de la  Congrégation de la Mission

I. État de la Congrégation à la Mort de M. Vincent

logocmLa Compagnie se trouvait déjà bien affermie à la mort de M. Vincent, tant par rapport aux liens qui l’unissaient et en formaient les nœuds indissolubles qu’à l’égard du nombre des établissements en diverses provinces et états qui en sont étendue, son digne Instituteur, après bien des délibérations et consultes faites sur cet article jugea à propos de lier les sujets par des vœux simples qui trouvèrent d’abord bien des contradictions à Rome pour les y faire approuver. On avait ci-devant obtenu la Bulle de l’érection de la Compagnie accordée par notre Saint-Père le Pape Urbain VIII en date du douze janvier 1632,2 laquelle est restée comme propre à la Congrégation et ne se trouve pas dans le bullaire, sans être pour cela moins authentique. M. Vincent ayant pris la résolution après en avoir communiqué avec Mgr l’archevêque de Paris, de faire faire des vœux simples à tous les sujets de la Congrégation immédiatement après les deux années de séminaire, avait chargé les supérieurs de la maison de Rome, déjà établie dès l’année 1642, et en particulier M. Berthe, supérieur vigilant et adroit, d’en solliciter l’approbation du St.-Père ; ni celui-ci ni les autres n’en purent venir à bout. M. Vincent, s’apercevant qu’à moins d’y envoyer quelque autre missionnaire plus expérimenté à faire réussir une affaire de cette nature, en cette cour où il faut des esprits déliés et patients qui ne se rebutent pas des longueurs, rappela M. Berthe en 1655 et y envoya à sa place M. Jolly, lequel savait déjà le train de la maison et même de la cour de Rome, y ayant été autrefois en qualité de sautier à la suite de M. le comte de Fontenay Mareuil, ambassadeur de France, et puis en qualité de missionnaire, et y ayant fait les fonctions de procureur, de consulteur et de confesseur de la maison sous M. Berthe, son prédécesseur.

L’espérance qu’avait conçue M. Vincent ne fut pas vaine. En deux mois et demi de temps, depuis son arrivée, M. Jolly fit si bien qu’il obtint l’approbation de ces vœux simples. N[otre]. S.[aint]-P[ère] le Pape Alexandre VII en ayant expédié le bref1, daté de la première année de son pontificat, le 22 septembre 1655, où Sa Sainteté dit qu’ayant à cœur de favoriser les communautés et les personnes qui s’y appliquent particulièrement au salut des âmes, et voulant résoudre quelques doutes qui s’étaient formées touchant l’état de la Congrégation de la Mission commencée en France et déjà approuvée par le St.-Siège, comme aussi accordée par une grâce spéciale à son bien-aimé fils Vincent Depaul, qui en était le supérieur général, après la supplique qu’il en avait fait faire, de l’avis de ses Vénérables Frères les cardinaux, interprètes du saint concile de Trente, auquel elle avait ordonné de renvoyer cette affaire, elle approuve de nouveau et confirme ladite Congrégation où l’on fera dorénavant les vœux simples de pauvreté, de chasteté, d’obéissance et de stabilité dans ladite Congrégation, pour y travailler pendant toute la vie au salut des pauvres gens des champs ; en telle sorte que personne ne se trouve pas quand on fera l’émission de ces vœux pour les accepter au nom du Pape ou de la Congrégation, et que Sa Sainteté seule ou le général de la Compagnie, dans l’acte de renvoi de la Congrégation, les puisse dissoudre, et nul autre, en vertu d’aucun jubilé que ce soit, bulles, privilèges ou indults quelconques, à moins qu’il n’y soit fait mention expresse desdits vœux ; ordonnant en outre que ladite Congrégation soit exempte en tout de la juridiction de l’Ordinaire des lieux, excepté que ceux qui seront envoyés par les supérieurs pour faire des missions seront soumis auxdits Ordinaires quant aux fonctions, sans que ladite Congrégation soit pour cela censée être au nombre des ordres religieux mais restera du corps du clergé séculier.

Telle est la substance de ce Bref apostolique que M. Jolly, nouveau supérieur de la maison de Rome, envoya à M. Vincent ; et Mgr le Nonce résidant à Paris, attesta que la copie qui en était venue en France était parfaitement conforme à son original. Dieu sait avec quelle joie M. Vincent reçut le Bref qu’il avait fait solliciter depuis si longtemps. Et il en remercia M. Jolly par une lettre très obligeante, mais cet humble supérieur s’excusa en disant qu’il fallait attribuer à tout autre qu’à lui le succès de cette affaire, dans la poursuite de laquelle il n’avait fait que des fautes, et quelque temps après, il récrivit à M. Vincent, qu’ayant été envoyé à Rome seulement pour ce point, il le suppliait de le rappeler pour donner ce poste d’honneur à M. Berthe ou à tel autre qu’il lui plairait.

M. Vincent donna dans la suite des règles à toute la Compagnie de la manière que cela est marqué dans sa Vie, et c’était là un nouveau moyen de cimenter la Congrégation qui pour son affermissement, demandait d’être ainsi liée par des règles communes. Le Bref apostolique touchant les vœux ne put être sitôt exécuté, certains particuliers qui étaient pour lors dans la Compagnie ayant fait des difficultés de se soumettre à ces vœux, et c’est apparemment la raison pour laquelle il n’en n’est [sic] pas fait mention dans les règles. Il fallut de nouveau avoir recours à Rome pour en obtenir divers éclaircissements des doutes que l’on formait à l’occasion du vœu de pauvreté, le plus difficile à entendre, attendu qu’il laissait aux sujets de la Congrégation la propriété des biens et leur en interdisait l’usage. M. Jolly était encore supérieur à Rome, et il obtint du même Alexandre VII un nouveau Bref apostolique [Alias nos] daté du 12 août 1659, un peu plus d’un mois [sic] avant la mort de M. Vincent, où ce Pape faisait mention de la substance de son premier Bref et de la représentation que lui avait fait faire M. Vincent de diverses difficultés touchant le vœu de pauvreté qui troublaient la Congrégation, jusque-là qu’on était dans la nécessité de recourir au St.-Siège pour autoriser le Statut fondamental de cette Congrégation pour la pauvreté, qui porte que les sujets de la Congrégation retiennent la propriété de leurs immeubles desquels ils se trouveront en possession, sans toutefois en avoir l’usage, de même pour les fruits des bénéfices simples, s’ils en ont, qu’ils ne pourront les retenir par-devers eux pour s’en servir, sans la permission du supérieur, mais seront tenus de les dispenser en œuvres pies de l’avis et du consentement des supérieurs qui feront en sorte qu’on en aide les pauvres parents, si on en a. Sa Sainteté confirma ce Statut de son autorité apostolique y suppléant tous les défauts de forme de droit si aucun y est intervenu.

C’était M. Vincent qui était l’auteur de ce Statut et l’avait envoyé à Rome sur la fin de sa vie pour le faire approuver, autorisant ainsi, comme il dit lui-même, ce qui était porté par des règles communes au chapitre troisième, de la pauvreté, il ajouta de plus que ce que disent ces règles que personne ne doit rien avoir à l’insu et sans le consentement des supérieurs s’entendait également de l’argent et de toute autre chose que personne ne doit garder non seulement chez soi et dans sa chambre mais encore chez les autres ou dedans la maison ou dehors quand cela se fait sans la permission du supérieur et contre son intention, et que la même quantité qui était suffisante pour pêcher mortellement en fait de larcin contre le septième commandement, s’était de même en fait de vœu de pauvreté si on venait à l’enfreindre, de plus qu’on manquait contre la perfection de la pauvreté si on écrivait sur des livres qu’on a à son usage quelques notes, ce qui restent la propriété, et que dans ceux qu’on achète de son bien, il y fallait d’abord écrire le nom de la maison, où l’on le trouvait, en telle sorte qu’on ne pût plus les porter d’une maison à l’autre, M. Vincent voulut ainsi mettre un frein à l’ennui à quiconque se trouve avoir du bien d’en disposer comme il lui plaît et encore pour maintenir les sujets de la Compagnie dans une parfaite égalité, sans que ceux qui se verraient dénués de biens de patrimoine eussent occasion d’envier le sort des autres, il était nécessaire d’obliger les missionnaires à faire ainsi profession d’une pauvreté pour le moins aussi étroite que celle qui se pratique dans les communautés religieuses, ces sont des maximes aussi anciennes que la Compagnie, l’amour propre ne les goûte pas, et on a toujours vu qu’on les a regardés comme l’incommodes, mais la conscience quand elle est timorée s’y tient inviolablement, nous verrons dans la suite que diverses assemblées ont eu occasion de se plaindre que plusieurs particuliers s’écartaient de ces maximes fondamentales de la Congrégation.

[1] Son instituteur la voyait sur la fin de sa vie déjà établie en divers états de la chrétienté, dans le royaume de France outre le séminaire des Bons-Enfants à Paris, dont les exercices avaient commencé dès 1642, il y en avait d’autres à Toul en Lorraine, à Troyes, à Annecy, Cahors, à Saintes, au Mans, à Saint-Méen, à Agen, à Montauban, à Tréguier, et à Agde, c’est-à-dire dans une grande partie des provinces du royaume, où les ecclésiastiques demeuraient plus ou moins, selon les ordonnances des évêques, pour s’y disposer à la réception des saints ordres et de plus quelques autres maisons chargées de faire des missions en divers diocèses, comme celles de Richelieu et Luçon dans le Poitou ; de Crécy et Montmirail en Brie, Notre-Dame de la Rose en Agenois ; Marseille, Sedan, etc.

2° En Italie, une maison à Rome qui se trouvait en état de subsister par un bâtiment assez commode qu’avait acheté M. Jolly, sur la fin de la vie de M. Vincent sur le Mont Citori[o], où l’on est encore aujourd’hui, au lieu qu’auparavant l’on avait été obligé de se tenir dans des maisons de louage, tantôt dans un quartier, tantôt dans un autre, c’était le palais de Mgr le cardinal Bagny2, ci-devant nonce en France et Mgr le cardinal Durazzo3, archevêque de Gênes et intime ami de la Compagnie, de M. Vincent en particulier, interposa son crédit pour faire réussir cette affaire, et y contribua même de son bien. M. Vincent, déjà très caduc, en remercia Son Ém[inence] par une lettre pleine de reconnaissance, qui était bien due à ce grand cardinal. Peu après, N[otre]. S[aint]. P[ère] le Pape Alexandre VII fit faire dans cette maison les exercices de l’ordination, obligeant ceux qui prendraient des dimissoires à Rome d’y assister à l’avenir. Messieurs les deux abbés de Chandenier se trouvèrent à ces premiers exercices et revenants ensuite en France, M. l’abbé de Tournus, mourut de fièvre à Chambéry, ainsi qu’il est marqué dans la Vie de M. Vincent. Le même cardinal Durazzo avait fondé une autre maison de la Compagnie à Gênes, dont il était archevêque, et M. le marquis de Pianezze, ministre de S[on] A[ltesse] R[oyale] de Savoie, une troisième à Turin.

3° En Pologne, il y avait la maison de Varsovie et de plus deux habitations de missionnaires, à Tunis et à Alger pour le soulagement des pauvres esclaves chrétiens. De plus encore, des missions dans l’île de Madagascar, au-delà du cap de Bonne-Espérance et dans les îles Hébrices [sic], au nord de l’Écosse, tous les emplois se faisaient avec bénédiction dans ces différentes maisons, au gré des pasteurs et avec profit des peuples.

M. Vincent jugeant qu’il était nécessaire pour encourager les missionnaires à les continuer avec fruit, d’obtenir pour cela des privilèges du St.-Siège, comme il l’avait fait pour l’affermissement de l’état intérieur de sa Compagnie, le même Pape Alexandre VII instruit à fond du mérite de son Instituteur et de l’utilité de ses emplois, accorda volontiers aux suppliques de M. Vincent deux grâces par un même Bref :

1° Le pouvoir d’absoudre seulement dans le cours des missions et au for intérieur des cas réservés au St.-Siège, non compris ceux qui sont réservés dans la Bulle In caena Domini ; 2° indulgence plénière pour tous les sujets de la Compagnie qui seront envoyés en mission et feront en chacune une confession et communion avec les prières marquées par Sa S[ainteté]. M. Vincent ayant reçu le nouveau Bref apostolique, l’envoya aux maisons avec une lettre4 ou mémoire y marquant 1° que la bulle In Coena Domini n’étant pas reçue en France, les missionnaires y pouvaient par conséquent absoudre des cas qui y sont énoncés et même de l’hérésie quand le pénitent avait une fois abjuré entre les mains de l’évêque ou de son pénitencier et avait été absout au for extérieur de l’excommunication qu’il avait encourue, 2° qu’on n’avait pas pour cela le pouvoir de commuer les cinq vœux réservés au pape, n’y de dispenser des irrégularités qui n’étaient pas mentionnées dans le dit bref, 3° que le pouvoir accordé par S[a] S[ainteté] à l’égard des cas réservés au St.-Siège n’était pas pour les externes qui travailleraient avec ceux de la Compagnie dans les missions, 4° qu’il fallait montrer à l’évêque ou à son grand vicaire, quand on irait en mission dans son diocèse, une copie du Bref pour obtenir la faculté de publier l’indulgence de la Congrégation dans les endroits où l’on ferait la mission, de peur que les curés des lieux n’y trouvassent à redire. C’est ainsi que ce sage supérieur de la Mission a toujours eu fort à cœur la subordination que demande l’Église ; il envoyait même, dans ce mémoire, une copie de la permission que le grand vicaire de Paris avait donnée par écrit aux missionnaires de St.-Lazare, pour servir de modèle et en obtenir de semblables des prélats de chaque diocèse où l’on ferait des missions, ayant cru qu’il fallait de cette façon régler toutes choses pour mettre en usage ce Bref apostolique et envoyer ce mémoire par écrit, afin que les supérieurs à l’avenir s’y conformassent.

Il fit encore résoudre à Rome certains doutes qu’on pouvait former sur l’usage des privilèges accordés par le St.-Siège à la Congrégation de la Mission et on s’adressa, entre autres, au R. Père Hilarion, de l’ordre de Cîteaux, homme très habile et en réputation d’un grand savoir en cour de Rome, surtout pour ce qui regardait les Réguliers et les privilèges des corps de différents Instituts, consulté de tout le monde pour être éclairci de ces difficultés. Ce savant homme jugeait être hors de doute que la Congrégation devait jouir de tous les privilèges dont le clergé séculier était en possession, attendu qu’elle en était membre, et, qu’outre cela, la Bulle de l’érection de la Compagnie portant qu’elle jouirait des privilèges et grâces accordés aux autres Congrégations différentes, on devait entendre par ce nom de Congrégations différentes les Sociétés régulières. Toutefois, cela ne fut pas estimé certain, et la Congrégation n’a jamais prétendu jouir des privilèges qu’ont obtenus les ordres religieux. Il fut résolu, de plus, que les missionnaires étaient en droit d’absoudre, dans le cours des missions, des cas réservés au St.-Siège, en vertu des privilèges de la Congrégation de Saint-Philippe de Neri, excepté les cas compris dans la bulle In Coena Domini et les cinq vœux réservés au Pape ; que les externes, en travaillant avec eux dans les dites missions, ne devaient pas jouir de ces privilèges ; qu’il n’était pas nécessaire, pour gagner l’indulgence, de se confesser à un missionnaire, le Bref apostolique ne l’exigeant pas ainsi, mais seulement qu’on se confessât dans le cours actuel de la mission, in actu missionis, ce qui semble supposer que ces exercices de piété doivent se faire dans l’église où est la mission.

Ces résolutions continuent ; les missionnaires en vertu du bref apostolique qui ne parle pas d’autre cas que de ceux qui sont réservés au St.-Siège, ne peuvent absoudre de ceux que les évêques se réservent sans leur permission, ni pareillement les étrangers à qui les évêques défendraient de se confesser hors de leur diocèse à moins que ce ne fut en cas de nécessité où toutes réserves cessent, les prêtres de la Congrégation qui hors des missions prêchent quelquefois, soit en chemin faisant, soit en accompagnant les évêques dans leurs visites ou visitant eux-mêmes des confréries de la charité peuvent absoudre des cas réservés au pape en vertu du bref apostolique, mais par communication de privilèges de la Congrégation de Saint Philippe de Neri sans aucune faculté ; toutefois de faire gagner les indulgences, ils ne peuvent dans les missions absoudre au for de la conscience celui qui avait été censuré nommément par un statut de son évêque, n’y pareillement dispenser des irrégularités occultes, des empêchements à rendre le devoir conjugal, des vœux et serments, excepté de ceux qui sont faits en faveur d’un tiers, pour la dispense desquels le supérieur général n’était pas en usage de demander permission à l’ordinaire.

  1. Ex commissa nobis.
  2. Nicolas Guidi di Bagno, † 1663.
  3. Stefano Durazzo, † 1667.
  4. Coste, SV V, 569ff.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *