Annexe VI : Le régime pénitentiaire chinois proposé en exemple
Le P. Clet envoie à son correspondant à Paris, son confrère M. Richenet, une description détaillée des prisons de Chine, souhaitant qu’avec l’agrément du Supérieur général, elle soit publiée et transmise aux pouvoirs publics de la France, mais ne veut pas que son nom soit mis en avant.
» Comme j’ai souvent ouï parler en France de basses-fosses et de noirs cachots où les criminels sont renfermés jusqu’à la décision de leur procès, je me crois obligé de vous donner une petite notice des prisons de Chine pour, au moins, faire rougir des chrétiens d’être beaucoup moins humains que des Chinois à l’égard de ces malheureuses victimes de la vengeance humaine, triste prélude de la vengeance divine dont on travaille si peu à les préserver.
J’en puis parler de science certaine, puisque j’ai parcouru 27 prisons, pour être traduit du Honan à Ou-tchang-seng.
Or nulle part cachots, basses-fosses. Dans la prison où je suis, il y a des meurtriers, des brigands, des voleurs, etc. ; tous jouissent depuis l’aurore jusqu’à la nuit, de la liberté de se promener, de jouer dans une vaste cour, et d’y respirer cet air pur si nécessaire à la conservation de la santé. J’ai vu un homme qui avait empoisonné sa mère. Crime horrible ! Il a été libre dans cette cour jusqu’au jour de son supplice…
Pour vous donner une idée plus précise des prisons de Chine. Ces prisons sont plus ou moins grandes, mais qui en voit une, c’est comme s’il en voyait cent.
Imaginez donc une cour plus ou moins longue sur une largeur proportionnée, autour de laquelle sont bâties des chambres plus ou moins longues, au rez-de-chaussée. Cette cour est balayée tous les jours et maintenue propre.
Ces chambres, dans les grands endroits, peuvent contenir environ 25 prisonniers : on les appelle cages, en chinois Long, parce qu’elles sont revêtues de barreaux de bois de la grosseur d’une jambe, de bas en haut et même le plancher, de la distance d’un pouce d’un barreau à l’autre. Cette précaution est pour empêcher les prisonniers d’endommager les murs. La partie antérieure est comme un long vestibule ; il y a une vaste porte qui, n’étant fermée que la nuit, éclaire ce vaste appartement, avec une grande fenêtre aux deux côtés de la porte.
Les prisonniers couchent côte à côte sur des planches élevées de terre de la hauteur d’un pied, pour éviter l’humidité. Aux approches de l’hiver on donne à chacun une natte de paille pour garantir du froid, et aux approches de l’été, un éventail pour modérer la chaleur. Une lampe doit éclairer chaque chambre toute la nuit, et il y a un surveillant, qui couche sur un lit, pour maintenir le bon ordre, éviter les disputes, et pourvoir aux besoins inopinés des prisonniers.
Dans la cour il y a 4 ou 5 hommes gagés pour battre, toute la nuit à tour de rôle, un instrument plus ou moins sonore, dont le bruit, après 4 ou 5 jours, n’empêche pas de dormir.
Chaque chambre est cadenassée et la clef est portée au mandarin de la prison. Hors la porte extérieure, est une petite chambre où plusieurs geôliers se relèvent successivement pour garder la dite porte, l’ouvrir et la fermer au besoin. Les prisonniers les plus notables nomment un d’entre eux, à bonne tête, pour arrêter les disputes, inévitables parmi un amas de gens sans règles et sans mœurs. Si on vient à se battre, on en avertit le mandarin qui vient gravement faire donner quelques coups de bastonnade aux coupables et faire à tous les auditeurs une petite exhortation sur la paix.
Je ne dois pas oublier que la commisération chinoise va jusqu’à donner aux prisonniers, pendant les chaleurs, du thé en abondance ou bien quelque boisson rafraîchissante et en hiver, des habits et culottes fourrées de coton aux plus pauvres.
En France, on prêche sur la commisération en faveur des prisonniers. Les soi-disant philosophes, non par charité, mais pour avoir occasion d’invectiver contre notre sainte Religion, qui est toute charité, élèvent aussi la voix, pour réclamer contre la dureté, pour ne pas dire inhumanité, à l’égard des prisonniers. Pour moi, j’élève ma voix mourante, pour opposer des païens aux chrétiens.
Les prédicateurs, dans les chaires chrétiennes, réclament la charité des fidèles en faveur des prisonniers ; et moi, je réclame le Christianisme et la bonté de nos monarques et la tendre vigilance des magistrats en faveur d’un grand nombre de malheureux qui meurent équivalemment mille et mille fois, avant que de perdre réellement la vie par le dernier supplice.
Le secours que les bonnes âmes donnent aux prisonniers, n’est qu’un secours momentané ; il appartient, et il est du devoir du ministère public d’améliorer tellement leur sort, qu’ils puissent avec patience et résignation envisager le supplice qui les attend, comme un moyen de satisfaire à la justice divine et leur donner droit au bonheur éternel, promis aux pécheurs pénitents.
En vous donnant cette description des prisons de Chine, mon intention est, si Mr. notre Général le juge à propos, de la faire insérer dans les papiers publics sous le titre d’extrait d’une lettre d’un Français missionnaire apostolique en Chine, détenu pour la foi dans les prisons de Ou-tchang-fou, capitale du Houpé.
Vous supprimerez mon nom, que je désire et ne veux être écrit que dans le livre de vie. »
Ainsi donc du fond de sa prison de Chine, dont il a pu étudier le fonctionnement, le P. Clet s’intéresse aux régime des Prisons en France et il estime qu’une réforme du système pénitentiaire français gagnerait à s’inspirer du modèle chinois dont il vante l’humanité envers les prisonniers.
Bibliographie
- L’Empire chinois, Père Régis-Evariste Huc, Éditions du Rocher, Monaco, 1980.
- Histoire des chrétiens de Chine, Jean Charbonnier, Éditions Desclées, Paris, 1992.
- Le voyage en Chine, N. Boothroyd et M. Détrie, Éditions R. Laffont, Paris, 1992.
- Les Révolutions, Jean Tulard, Editions Fayard, Paris,
- Histoire de l’Eglise, vol. VIII, Daniel Rops, Éditions Grasset, Paris, 1962.
- Vie du Vénérable Serviteur de Dieu François-Régis Clet, Prêtre de la Mission et Martyr, Mgr.Charles Bellet, Editions Bloud et Barral, Paris, 1891.
- Vie du Vénérable François-Régis Clet, prêtre de la Mission martyrisé en Chine le 18 février 1820, M. Demimuid, Directeur de l’œuvre de la Ste Enfance, Éditions Gaume et Cie, Paris, 1893. (Réédition chez X. Rondelet en 1900)
- Vie du Bienheureux François-Régis Clet, Prêtre de la Mission Martyrisé en Chine le 17 février 1820, par un prêtre de la même Congrégation, Procure de la C.M., Paris, 1900.
- Soldat du Christ. Le Bienheureux François-Régis Clet martyrisé en Chine (1748-1820), G. de Montgesty, Éditions Lethielleux, Paris, 1900.
- Vie du Bienheureux François-Régis Clet, sans nom d’auteur, Éditions Charles Paillart, Abbeville.
- Annales de la Congrégation de la Mission, 1963, tome 127, n° 503-506, p. 80 à 102.
- Histoire de la Mission de Pékin, Tome II, par A. Thomas, tirage privé, p. 1 à 115.
- Mémoires de la Congrégation de la Mission, La C.M. en Chine, tome II, La mission française de Pékin.
- Trois siècles d’apostolat. Histoire du catholicisme au Hou-kouang, par Mgr Gubbels O.F.M., Imprimé par Franciscan Press, Wuchang Hupeh, 1934.
- Lettres du Bienheureux François-Régis Clet, annotées et publiées par Joseph Van den Brandt, frère lazariste, Imprimerie des Lazaristes, Pékin, 1944.
- Comptes-rendus des Triduum et des panégyriques qui furent célébrés et prononcés en 1900, dans les diocèses de Lyon, Cahors, Meaux, Amiens, Lille et Cambrai
Fin