Annexe V : Sur les Rites chinois
Dans le livre Histoire de la Mission de Pékin, tome I, p.75-76 et 157-158, le P. Thomas, parlant du P. Matteo Ricci écrit :
» Ricci fut vraiment un homme apostolique. Vingt fois contrarié dans son hardi projet de s’établir dans la capitale de la Chine, vingt fois il revint à la charge jusqu’à ce que son inébranlable énergie eut mérité de voir son généreux dessein couronné de succès …. Il fut un ouvrier de l’Evangile habile et infatigable qui sut tirer un merveilleux parti des connaissances et des sciences, alors vulgarisées en Europe, pour le profit de la foi.
Une seule chose a terni sa gloire ce fut le sens orthodoxe qu’il voulut donner aux superstitions chinoises. Car c’est bien lui qui, impatient de voir les chinois embrasser en foule la vraie religion, a été le véritable fauteur de la Question des Rites. Ses grandes qualités et ses vertus en imposèrent à ses confrères, lesquels en majorité embrassèrent sa manière de voir. Son école mettra le nom de Ricci en avant pendant plus d’un siècle pour lutter contre les ordres de Rome et pour justifier son point de vue. Certes, il n’y a pas lieu d’en douter, sa bonne foi fut complète et il n’a été victime que de son zèle et d’une formation probablement incomplète au point de vue théologique. C’était l’avis de Mgr. Maigrot (Missions étrangères de Paris) qui étudia à fond la question, et publia en 1693 un mandement condamnant les Rites, que Rome approuva.
Peut-être aussi faut-il chercher l’origine du système dans son séjour aux Indes où les Jésuites avaient adopté, pour leurs néophytes, des pratiques si nettement superstitieuses qu’on n’oserait y ajouter foi, si les faits n’étaient rapportés dans les bulles pontificales. Ainsi ils toléraient que les chrétiens attachassent au cou des jeunes mariées une médaille indécente, nommée Tally, représentant le membre sexuel d’une idole infâme, qui est censée présider aux épousailles. Les hindous se font de la fiente de vache une cendre sacrée en l’honneur du dieu Boutren, et s’en enduisent le front. Les confrères du P. Ricci se permettaient de bénir cette cendre superstitieuse et d’en mettre sur le front des chrétiens…
Le P. Longobardi, supérieur des Jésuites de Chine de 1625 à sa mort en 1654, suspendit son jugement sur les Rites chinois à cause de l’estime qu’il avait pour le P. Ricci.. Mais il approfondit lui-même la question en étudiant Confucius et en consultant des lettrés. Il en conclut que les usages chinois lui paraissaient entachés d’une idolâtrie caractérisée, ne pouvant s’allier avec la sainteté du christianisme. Il fallait en faire sentir l’impiété aux chinois touchés par la grâce de l’Evangile, et interdire absolument ces pratiques aux chrétiens, quelles que fussent leur condition …
La rigoureuse orthodoxie du P. Longobardi s’éloignait beaucoup de l’excessive tolérance du P. Ricci. Tel fut le commencement de cet antagonisme qui devint plus funeste à la prospérité des missions que les persécutions violentes des mandarins. Il naquit, au sein même de la Compagnie de Jésus, et avant l’arrivée en Chine de missionnaires appartenant à d’autres Instituts. Ces divisions intérieures sauvent d’ailleurs la Société de Jésus du reproche excessif d’avoir adhéré en corps aux superstitions chinoises. Même dans son sein il s’est trouvé des partisans convaincus de l’opinion orthodoxe. Le P. Longobardi successeur du P. Ricci n’en est pas le seul exemple. Plus tard, un autre non moins illustre fut Mgr. de Visdelou…
Le rêve du P. Ricci était sans doute une utopie, mais enfin c’était une utopie généreuse qui provisoirement n’aurait pas entravé la propagation de l’Evangile en Chine, si ses confrères et ses successeurs n’avaient fait de l’emploi de cette méthode une question d’honneur, et mis autant d’acharnement à soutenir l’erreur qu’elle renfermait.
Si en effet, à un instant quelconque de cette discussion, était venu un ordre du Général des Jésuites prescrivant l’obéissance pure et simple aux directives puis aux ordres de la Chaire de Pierre, la querelle serait tombée immédiatement. Malheureusement ce fut le contraire qui arriva. La Société de Jésus tout entière se crut solidaire des opinions émises par un de ses plus illustres membres. Elle s’en fit le défenseur aussi bien à Rome que devant toute l’Europe. La doctrine de Ricci fut appelée la doctrine de la Compagnie, et ce fut de là que vint tout le mal. Une fois engagés dans cette voie, les Jésuites ne crurent pas pouvoir honorablement revenir sur leurs pas. Pour se dispenser d’obéir et amener le St. Siège, à révoquer ses décisions, ils épuisèrent le répertoire des sophismes, comme on peut en avoir une faible idée en parcourant la Bulle de Benoît XIV.
On a dit que cette dispute fut plus nuisible à l’Eglise de Chine qu’une persécution sanglante. Il faut dire que cette discussion se transforma en une véritable persécution religieuse contre les seuls défenseurs du dogme catholique. De nombreux Vicaires apostoliques (7) et missionnaires furent chassés de leur mission ou emprisonnés, leurs chrétientés abandonnées. Des deux légats envoyés par le St. Siège pour terminer cette discussion, l’un mourut dans les fers, le second ne dut son salut qu’aux concessions qui lui furent extorquées. «