François-Régis Clet : prêtre de la Mission, martyr en Chine, 1748-1820 (11)

Francisco Javier Fernández ChentoFrançois-Régis CletLeave a Comment

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Author: André Sylvestre, cm · Year of first publication: 1998.
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X – Les derniers mois

Vie du Bienheureux François-Régis Clet : prêtre de la CongréLe P. Clet écrivant le 14 janvier 1820 au P. Marchini procureur de la Congrégation de la Propagande à Macao, lui décrit les conditions de sa détention : « Il faut avouer que nous jouissons ici d’une telle liberté que je me persuaderais à peine que je suis en prison, si les portes n’en étaient fermées. Nous prions matin et soir et faisons les fêtes en commun, sans être troublés par une cinquantaine de prisonniers païens qui, sous un même couvert, occupent d’autres cages que nous. Bien plus nous sommes peut-être les seuls dans le Houpé qui fassent les fêtes aussi hardiment et aussi paisiblement que nous. Admirez ici la divine Providence, qui contre la première intention du mandarin, a réuni deux prêtres dans une même prison avec dix bons chrétiens que j’ai confessés plusieurs fois, et qui ont reçu avec nous la communion de la main d’un de nos confrères. C’est peut-être inouï dans les prisons de Chine… » (Lettre n° 67)

Cependant la marche de la justice chinoise va suivre son cours. Le P. Clet signale que certains chrétiens se sont laissé ébranler et ont apostasié, mais qu’ils n’en sont pas plus heureux pour autant, car ils ont été transférés dans des prisons où ils manquent de tout.

Il y a eu une comparution générale le 1er janvier 1820. « Le 1er janvier, bons ou mauvais, nous avons tous été conduits au grand mandarin qui a présenté aux apostats, dans un lieu séparé de nous, de la viande de porc dont ils ont tous mangé , ce qui est un signe d’apostasie, après quoi, on les a tous renvoyés chez eux. Mas ils eussent été réduits à mendier leur pain, si par compassion pour eux, malgré leur prévarication, nous ne leur avions donné des sapèques pour le voyage. »

Mais vient le tour de tous les autres qui sont restés fermes dans leur foi.

« Ensuite le grand mandarin a fait comparaître tous les chrétiens, qui ont tous refusé de manger de la viande et en conséquence ont été renvoyés en prison. Enfin M.M. Lamiot, Chen et moi avons comparu. Après une ou deux interrogations faites à chacun de nous, M. Lamiot a été déclaré innocent et a reçu l’ordre de se lever. Ensuite M. Chen et moi demeurant à genoux, M. Chen a été interrogé s’il ne voulait pas manger de la viande ; sur sa négative, il a été déclaré en général soumis à la peine. La même interrogation ne m’a pas été faite. Bien plus ce grand mandarin a dit quelques mots qui tendaient à ma décharge et annonçaient le désir qu’il avait de me conserver la vie, et en a écrit sur ce ton à l’Empereur. Au reste je ne me prépare pas moins à mourir après 15 ou 20 jours. J’attends, grâce à Dieu, cet arrêt et son exécution avec paix patience et tranquillité, disant avec St. Paul : Pour moi vivre c’est Jésus-Christ, et la mort m’est un gain. »

M. Lamiot innocenté, fut reconduit en chaise à porteurs à son hôtel, mais il fut banni de Chine et dut se réfugier à Macao où il se chargea de la Procure des Missions.

M. Chen fut condamné à l’exil dans l’ouest chinois à Ili en Tartarie , où il fut massacré en 1825 lors d’une émeute fomentée par des rebelles musulmans. Quant au P. Clet, il écrivait à ses confrères portugais de Pékin : « Je ne compte pas sur la clémence de l’Empereur, je me prépare à mourir. J’attends grâce à Dieu cet arrêt avec patience et tranquillité. »

Malgré la bienveillance du grand mandarin, son cas devait être soumis au jugement de l’Empereur qui devait appliquer la sanction prévue par les édits, contre les missionnaires entrés clandestinement en Chine pour y prêcher l’Evangile. Le rapport favorable fait par le grand mandarin n’avait pas suffi, l’Empereur se devait d’appliquer les lois et prononcer la condamnation à mort. Le P. Clet ne se fait aucune illusion sur son sort. Il écrit après la dernière comparution : « Nous attendons à présent la décision de l’Empereur que l’on conjecture devoir arriver dans cinq ou six jours. Quoique le Gouverneur ait écrit quelques mots à ma décharge, on doute fort que l’Empereur consente me laisser vivre, je me prépare donc à la mort disant souvent avec St. Paul :  » Ma vie c’est Jésus-Christ et la mort m’est un gain « . »

La bienveillance des mandarins

Le grand mandarin avait été frappé par le rayonnement qui émanait du P. Clet. Il en avait même eu les larmes aux yeux et revenu chez lui, il dit à sa famille :  » Si je nuisais à un tel homme, je serais un malheureux.  » (La C.M. en Chine, t. II, p. 550)

Quant aux autres mandarins de ce tribunal, ils avaient manifesté plusieurs fois leur sympathie aux prévenus en adoucissant leur prison ou en prenant soin de leur éviter trop de fatigues pendant les séances au tribunal, les faisant asseoir ou leur faisant apporter à manger. Une fois ils leur ont donné mille sapèques.

Dans une lettre à ses confrères portugais, le P. Clet estime qu’il faut manifester à ces mandarins une reconnaissance qui pourra être utile plus tard. « J’ai fortement insisté auprès de M. Lamiot qui est de mon avis, sur la nécessité de leur exprimer notre reconnaissance. J’en ai même parlé de la même manière à M. Chang afin qu’il leur offrit des présents et de l’argent et qu’il ne montrât pas de lésinerie en cette circonstance. Il est très convenable, je dirai même indispensable de manifester ainsi notre gratitude. Bien plus cela peut être utile pour l’avenir. Qui sait s’il ne se présentera pas quelque occasion où les chrétiens auront besoin de la protection du mandarin supérieur qui sera d’autant plus disposé à leur venir en aide, qu’il sera plus certain qu’ils savent reconnaître les services qu’on leur rend ». (Lettre n° 68)

Cependant la marche de la procédure suivait son cours selon les lois et décrets impériaux en vigueur. En effet l’Empereur allait appliquer dans toute sa rigueur les décrets et comme le P. Clet s’y attendait, il allait être condamné à mort.

Mais à un catéchiste qui venait le visiter dans sa prison le P. Clet avait dit en parlant de l’Empereur : « Je suis jugé, mais l’Empereur qui m’a mis en jugement périra bientôt, car la mesure de ses péchés est comble ».

Depuis la fin du long règne de Kien-Long en 1796, c’est son fils Kia-king qui gouvernait la Chine. A la suite d’un rapport violent et calomnieux, il avait pris, en 1811, des dispositions sévères contre le christianisme, disant en parlant des missionnaires,  » qu’il fallait couper l’arbre à sa racine « .

Sous son règne il y eut un état de persécution larvée mais parfois violente. La mort tragique que lui prédisait le P. Clet survint dans des conditions qui frappèrent les imaginations. Il fut atteint de la foudre à Jéhol le 2 septembre 1820, en revenant de Tartarie. Son cadavre fut si défiguré que sa mort fut regardée comme un châtiment du ciel pour son inconduite. Enfin M. Torrette, qui fut par la suite procureur à Macao et supérieur des missionnaires lazaristes, rapporte ce propos tenu par les païens  » Voyez comment ont péri tous ceux qui ont persécuté cette religion. Depuis qu’on a fait mourir le vieux Liéou (nom chinois du P. Clet) nous n’avons jamais eu de bonnes récoltes, mais toujours malheurs sur malheurs « .

Le P. Clet dans le rôle d’arbitre

Depuis sa prison d’Ou-tchang-fou en attendant que revienne de Pékin la sentence impériale, le P. Clet s’employa à négocier un arrangement entre ses confrères français et portugais de Pékin, qui avaient des sujets de mésentente. Le régime de la prison étant comme nous l’avons dit relativement libéral, le P. Clet vu aussi l’estime dont il était entouré par le personnel, geôliers et policiers, pouvait écrire à qui il voulait et recevoir tous ceux qui désiraient le voir et lui parler.

Parmi les missionnaires lazaristes, il était le plus ancien et son jugement était considéré comme absolument impartial, aussi il estima de son devoir d’user de son autorité pour essayer de rétablir la paix entre ses confrères.

Les Lazaristes portugais avaient un établissement à Macao et un autre à Pékin, l’église du Nantang. Ce qui compliquait encore la situation, c’est que l’évêque ou vicaire apostolique de Pékin, un portugais, Mgr. de Souza, résidait à Macao et que celui de Nankin un autre portugais Mgr. Pirès résidait à Pékin. Les Lazaristes français avaient eux aussi un établissement à Macao et un autre à Pékin, l’église du Pétang . M. Lamiot était le seul lazariste français résidant à Pékin, mais, étant banni, il devait partir pour Macao. Il avait délégué ses pouvoirs de supérieur à son confrère chinois M. Sué. Pour éviter que le gouvernement chinois ne s’empare du Pétang, deux lazaristes portugais, M. Serra et Mgr. Pirès vinrent s’y installer. Ce fut là l’origine de mésentente et de soupçons entre les deux communautés.

Le P. Clet voudrait clarifier la situation. Il constate que le P. Lamiot a l’impression que les lazaristes portugais manœuvrent pour s’installer définitivement au Pétang. Il écrit donc à M. Ribeiro le supérieur des portugais : « J’ai appris avec un grand serrement de cœur que M. Lamiot ne s’accorde plus aussi bien avec vous et avec nos confrères, c’est pourquoi moi qui suis bien vieux et m’en vais à la mort, je lui écris pour l’engager à faire disparaître toute semence de discorde et conserver avec vous cette paix qui surpasse tout sentiment. Je vous prie d’user de votre prudence qui m’est bien connue, pour faire revivre entre les deux églises sœurs du Nantang et du Pétang, cette concorde qui est fondée sur la charité et qui les unissait sous M.M. Raux et Ghislain. » (Lettre n° 70)

Il écrit aussi au P. Lamiot, qui en janvier 1820 est encore à Ou-tchang-fou à la disposition de la justice et devrait, au moins provisoirement, rejoindre Pékin. Le P. Lamiot croit que le P. Clet peut arranger les choses, mais celui-ci en doute : « Je n’ai pas assez de présomption de moi-même pour croire que je puisse opérer une bonne réunion entre les deux églises. Je ne croyais pas que les choses fussent portées si loin. J’ai écrit (aux confrères portugais) des lettres d’amitié et d’exhortation à la paix entre deux sœurs dont l’église portugaise est l’aînée… Plutôt que de déférer à Rome ou à Paris, il serait bien mieux de pouvoir la conclure sans autorité majeure mais par nous seuls. La voie d’autorité divise souvent les cœurs en divisant les biens. » (Lettre n° 70)

Le P. Clet écrit donc une longue lettre aux confrères portugais. « Lorsque je vous ai écrit pour la première fois, je savais seulement de manière confuse qu’il existait quelque mésintelligence entre les deux églises du Nantang et du Pétang.. c’est pourquoi dans ces lettres, je me prévalais de mon âge, moi qui suis de beaucoup votre aîné pour vous exhorter à écarter de part et d’autre les obstacles qui pourraient nuire au maintien de la charité parmi vous… J’ai été touché des anxiétés de M. Lamiot et quoique à la veille de ma mort, j’ai pensé qu’il serait bon d’employer, pour ainsi dire, mon dernier souffle de vie à rétablir solidement, si je le pouvais, la paix parmi vous… Comme la charité seule, c’est à dire l’amour de Dieu et du prochain, me porte à vous écrire, je vous prie de me lire avec la même charité. Sur le point de comparaître devant le redoutable juge, comment pourrais-je obéir à un autre esprit qu’à l’esprit de charité ? » (Lettre n° 72)

Le vieux missionnaire qui aurait besoin de paix pour se recueillir et se préparer à la mort qui ne saurait tarder, prend sur lui de se mêler de litiges compliqués pour essayer de les débrouiller et rétablir la concorde entre ses confrères. Mais la paix ne peut être établie sur des quiproquos, il faut d’abord faire la vérité sur les faits et sur les droits. Le P. Clet sait quels sont les points litigieux et il ne craint pas de les exposer clairement.

Les sujets de mésentente ne sont pas de simples détails et le P. Clet les rappelle clairement, mais nous ne faisons que les énumérer.

« 1° Vous n’avez aucun droit sur l’église et la maison du Pétang, dont nous avons hérité des Jésuites par la volonté du St. Père, et dont M. Lamiot est toujours supérieur. Nous autres ne prétendons à rien sur la maison du Nantang qui est vôtre.

2° M. Villa (confrère d’origine italienne) a disposé par testament de ses biens personnels en faveur du Pétang, comment se fait-il que vous les ayez retenus jusqu’à présent ?

3° M. Ly, brouillé avec son supérieur du Pétang, s’est retiré chez vous au Nantang en emportant des biens considérables de la maison. Comment se fait-il que vous ne l’ayez pas renvoyé chez nous avec les objets enlevés ?

4° M. Richenet, notre procureur à Macao, a envoyé pour le Pétang une série d’objets et de fournitures. Comment avez-vous pu garder pour vous tout cet envoi, sans nous en parler ?

5° M. Lamiot avait confié à M. Sué (confrère chinois) la direction du Pétang. Or sans les consulter, vous avez agi dans la maison du Pétang comme si le supériorat vous avait été confié ipso facto. Après avoir pris les clefs, vous avez tout visité et enlevé l’argent et ce qui était à votre convenance. Quand M. Lamiot sera de retour, rendez-lui, comme il est juste, un compte exact de tout ce que vous avez fait au Pétang durant son absence. Si M. Lamiot vous a fait tort en quelque chose, il est prêt à vous rendre le tout. Quoiqu’il arrive à M. Lamiot… n’oubliez pas que les biens de l’église du Pétang ne sont pas abandonnés, et que donc il ne vous est pas permis d’en disposer à votre gré, mais qu’ils appartiennent malgré tout à la mission française.

Le Seigneur m’est témoin que ce que je viens de vous écrire, le cœur navré de tristesse, ne diminue en rien le profond respect et l’entier dévouement dans lesquels je suis, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur. » (Lettre n° 73)

La lettre est très charitable, très humble et très polie, mais cela n’a pas empêché le P. Clet de dire en toute franchise ce qui n’allait pas dans les relations entre les deux maisons.

Le P. Clet avec son expérience conclut : « De même qu’il n’y a qu’un Dieu, une foi, un baptême, les deux églises n’en feront qu’une par un échange de bienveillance, de bons offices et de charité réciproque. Si vous n’écoutez pas ma prière, vos maisons n’auront point de fondement en Notre Seigneur Jésus-Christ, elles tomberont l’une sur l’autre, et seront toutes deux détruites au grand détriment de notre sainte religion. »

Malheureusement la prédiction du P. Clet se réalisa. Après le départ de M. Lamiot, le P. Sué transféra les œuvres du Pétang à Sywantse, en Mongolie, et laissa la maison aux Lazaristes portugais, mais elle fut confisquée par l’Etat chinois et démolie ainsi que l’église en 1827. Le Nantang fut à son tour confisqué et détruit après la mort de Mgr. Pirès en 1838.

Cette histoire de mésentente, le P. Clet l’a sur le cœur. Il en parle encore au P. Lamiot dans une lettre écrite vers le 10 février, quelques jours à peine avant sa mort. « Tenez ferme pour nos droits légitimes sur le Pétang. S’ils s’obstinent là-dessus, usez du canal de notre bon ami M. Marchini pour exposer à la Sacrée Congrégation la folle prétention des portugais sur le Pétang et les choses qui lui appartiennent. Il serait, je crois, possible par M. Richenet de recourir au roi de France… j’ai peine à croire que Louis XVIII tolérât que les portugais s’emparassent d’une église pour laquelle Louis XIV a fait tant de frais. » (Lettre n° 74)

Il continue en donnant une appréciation sur l’empereur : « Kia-King est déjà vieux, il est, dit-on, toujours malade et le chagrin le ronge. A vue de pays il ne peut vivre longtemps. Quand il mourra, il ne sera je crois, pleuré de personne. Je suis fort éloigné de désirer sa mort, qu’il vive et se convertisse, c’est là tout mon souhait… »

Dans une dernière lettre, vers le 16 février, il écrit encore au P. Lamiot :

« Monsieur et très cher Supérieur

Bien ou mal, je crois avoir rempli la tâche dont vous m’avez chargé. Il ne me reste donc plus qu’à me préparer à mourir, ce que je désire plutôt que de vivre… Ayez confiance… Au reste sachez que vivant ou mourant, je ne vous oublierai jamais.. Voici peut-être mon dernier signe de vie auprès de vous. » (Lettre n° 75)

Le fait que le P. Clet s’estimait à tort responsable des graves ennuis que le P. Lamiot avait subis avec son arrestation, son voyage forcé à Ou-tchang-fou et sa comparution, avait créé entre eux une amitié profonde, empreinte à la fois de confiance et de familiarité. M. Lamiot écrivait à son frère :  » Le P. Clet seul confrère français qui me restât, septuagénaire vénérable, avait déterminé ma vocation pour la Chine  » (Demimuid p. 327.)

Le P. Clet sait qu’il n’en a plus que pour quelques jours, aussi il voit l’avenir de la mission désormais entièrement entre les mains du P. Lamiot et l’assure donc de son assistance une fois mort, autant qu’il a pu le faire de son vivant. Il s’est créé entre leurs âmes une profonde intimité.

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