6. La mission de l’Eglise et les ouvriers de l’Evangile
Lorsque le Pape François a parlé de l’urgence de la mission évangélisatrice de l’Eglise dans monde actuel, il s’est exclamé : « Comme je voudrais trouver les paroles pour encourager une période évangélisatrice plus fervente, joyeuse, généreuse, audacieuse, pleine d’amour profond, et de vie contagieuse ! » (Evangelii Gaudium, #261).
Le pape a invoqué le Saint-Esprit pour inspirer ce nouveau processus évangélisateur : « J’invoque une fois de plus l’Esprit Saint, je le prie de venir renouveler, secouer, pousser l’Église dans une audacieuse sortie au dehors de soi, pour évangéliser tous les peuples. » (Evangelii Gaudium, #261). Il décrit ensuite les évangélisateurs comme des « évangélisateurs avec esprit [ce qui] veut dire [des] évangélisateurs qui s’ouvrent sans crainte à l’action de l’Esprit Saint. » (Evangelii Gaudium, #259), « [des] évangélisateurs qui prient et travaillent » (Evangelii Gaudium, #262), « des évangélisateurs qui annoncent la Bonne Nouvelle non seulement avec des paroles, mais surtout avec leur vie transfigurée par la présence de Dieu ». (Evangelii Gaudium, #259).
Contemplant la situation de l’Eglise en Europe ou ayant reçu des nouvelles des Missionnaires et des Filles de la Charité partis vers des terres lointaines, Vincent insistait sur le besoin qu’à l’Eglise d’ouvriers, de personnes qui continuent la mission de Jésus-Christ, de vrais apôtres :
Hélas ! l’Eglise a assez de personnes solitaires, par sa miséricorde, et trop d’inutiles, et plus encore qui la déchirent ; son grand besoin est d’avoir des hommes évangéliques, qui travaillent à la purger, à l’illuminer et à l’unir à son divin époux ; et c’est ce que vous faites, par sa divine bonté…. pour aller annoncer Jésus-Christ au pauvre peuple et pour travailler à l’instruction des prêtres. Travaillons-y, Monsieur, de toute l’étendue de nos forces, je vous en prie, dans la confiance que Notre-Seigneur, qui nous a appelés à sa manière de vie, nous fera plus participants à son esprit et enfin à sa gloire. (Coste III, 202).
Nous venons d’envoyer trois prêtres et trois Filles de la Charité à Narbonne, à 200 lieues d’ici ; il nous en faut encore pour quelques nouveaux établissements qui se présentent à faire. Quelques-uns se disposent pour le voyage de Madagascar, qui se fera vers la fin de ce mois. On nous demande des ouvriers de tous côtés ; la moisson est grande ; il faut prier Dieu qu’il suscite des hommes apostoliques pour y travailler. (Coste VIII, 125).
Vincent rappelle avec émotion le ministère apostolique des missionnaires à Madagascar et en Barbarie :
Nos missionnaires de Barbarie et ceux qui sont à Madagascar, qu’ont-ils entrepris ? qu’ont-ils exécuté ? qu’ont-ils fait ? qu’ont-ils souffert ?…. A Madagascar, les missionnaires prêchent, confessent, catéchisent continuellement depuis quatre heures du matin jusqu’à dix, et depuis deux heures après midi jusqu’à la nuit ; le reste du temps, c’est l’office, c’est la visite des malades. Voilà des ouvriers, voilà de vrais missionnaires ! Plaise à la bonté de Dieu nous donner cet esprit qui les anime, un cœur grand, vaste, ample ! (Coste XI, 203).
« Ouvriers », « hommes apostoliques » sont les mots que Vincent utilise pour parler de ceux qui ont eu le privilège d’être appelés à « coopérer à étendre l’Eglise ailleurs » (Coste III, 36) ; « [à] aller, non en une paroisse, ni seulement en un diocèse, mais par toute la terre » (Coste XII, 262).
Lorsqu’il parle à ses confrères, Vincent s’en remet à l’autorité de M. Duval afin de souligner combien il est important que les prêtres soient des travailleurs infatigables :
M. Duval, grand docteur de l’Eglise, disait qu’un ecclésiastique doit avoir plus de besogne qu’il n’en peut faire ; car, dès que la faitardise [fainéantisme] et l’oisiveté s’emparent d’un ecclésiastique, tous les vices accourent de tous côtés…O Sauveur, ô mon bon Sauveur, plaise à votre divine bonté délivrer la Mission de cet esprit de faitardise, de recherche de ses propres aises, et lui donner un zèle ardent pour votre gloire, qui fera embrasser tout avec joie et qui ne lui fasse jamais refuser l’occasion de vous servir ! (Coste XI, 202).
Le plus grand bonheur de la Famille Vincentienne est d’être en mesure de travailler comme Jésus-Christ et pour son œuvre :
Oh ! quel bonheur pour vous d’être employé à faire ce qu’il a fait ! Il est venu évangéliser les pauvres, et voilà votre sort et votre occupation. Si notre perfection se trouve en la charité, comme il est constant, il n’y en a point une plus grande que de se donner soi-même pour sauver les âmes et de se consommer comme Jésus-Christ pour elles. Voilà à quoi vous êtes appelé. (Coste VII, 341).
L’évangélisation des pauvres ne consiste pas simplement à proclamer les vérités de la foi, mais elle doit plutôt, à la manière que Jésus, impliquer la réalisation des signes prédits par les prophètes : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres… (Cf. Luc 4, 18ss).
On peut dire que venir évangéliser les pauvres ne s’entend pas seulement pour enseigner les mystères nécessaires à salut, mais pour faire les choses prédites et figurées par les prophètes, rendre effectif l’Evangile. (Coste XII, 84)
Louise de Marillac se dirige aux premières sœurs en soulignant qu’il est impossible d’accepter dans la Compagnie toute personne ne pouvant travailler (Ecrits 277, L.241 ; 506-507, L.479 ; 584, L.565), parce que le service des pauvres exige de bonnes travailleuses (Ecrits, 567, L.545 ; 662-663, L.647b). Les Filles de la Charité doivent travailler pour gagner leur vie (Ecrits, 238, L.169) ; elles doivent chercher les pauvres malades dans les villages voisins et ne devrait pas se contenter de servir ceux qui viennent vers elles (Ecrits 227, L.126 ; 239, L.208).
Vincent et Louise ont évoqué la relation entre maîtres et serviteurs pour décrire la vie des Filles de la Charité comme celle de « servantes » des pauvres, leurs « seigneurs et maîtres ».
Mère Lucie Rogé a remarquablement résumé cette contribution du charisme vincentien à la mission de l’Eglise :
Quand nous lisons les instructions que Vincent et Louise ont données aux premières Filles, nous pouvons voir qu’ils voulaient transposer, autant que possible, cette fonction de servantes en faveur des pauvres, « nos Seigneurs et Maîtres ». Il a souvent été dit que les Filles de la Charité, Servantes des Pauvres, allant et venant, ont constitué une révolution à leur époque à l’égard de la vie consacrée dans l’Église. Cependant, de la même manière, elles ont constitué une révolution du point de vue de la vie sociale1.
Au début de son pontificat, le pape Benoît XVI s’est présenté lui-même comme « un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur »2. « Ouvriers », « travailleurs apostoliques », « serviteurs » : cela constitue une contribution importante du charisme vincentien à la mission de l’église, à la compréhension de soi des évangélisateurs.
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- L. ROGUE, “Actitudes de la Hija de la Caridad para el servicio: Don total para el servicio” [Attitudes de la Fille de la Charité vis-à-vis du service: LE don total de soi pour le service], Conférence lors de la Rencontre des Conseils Provinciaux à Avila en 1981. Editorial CEME, Salamanca, 1982, 231-241. [T.L.]
- BENOÎT XVI, Bénédiction Apostolique « Urbi et Orbi”, Premier salut du Pape, 19 avril 2005, URL : https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2005/april/documents/hf_ben-xvi_spe_20050419_first-speech.html