Il est pourvu de la principauté du collège des Bons-Enfants, en suite de quoi se fit la première fondation de la congregation de la Mission.
Madame la Générale des galères, comme il a été déja dit, ayant reconnu la nécessité et les fruits des missions, avait conçu depuis plusieurs années le pieux dessein de faire une fondation, pour l’entretien et subsistance de quelques bons prêtres ou religieux qui allassent de temps en temps exercer cet office de charité dans ses terres; et le désir de voir ce dessein accompli allait tous les jours s’augmentant en son cœur; de sorte que renouvelant chaque année son testament, par lequel elle destinait seize mille livres pour cette bonne œuvre, elle en recommanda aussi l’exécution à M. Vincent, lequel de sa part cherchait de tous côtés les moyens et l’occasion propre pour mettre en exécution le dessein de cette vertueuse dame: il en parla plusieurs fois aux supérieurs de diverses communautés, et employa toute son industrie pour leur persuader d’accepter cette fondation; ce qu’il ne put pourtant obtenir, n’ayant trouvé aucun supérieur qui y voulut engager sa communauté; chacun avait ses raisons particulières, pour lesquelles il jugeait ne le devoir pas faire: mais la principale était que Dieu réservait cet ouvrage à M. Vincent. Et comme sa Providence dispose suavement toutes choses pour parvenir à ses fins, il employa le concours des causes secondes les plus propres pour le faire réussir et pour y engager son fidèle serviteur. Voici de quelle façon.
Madame la Générale savait le refus que faisaient les communautés religieuses, et d’ailleurs voyait plusieurs docteurs et autres vertueux ecclésiastiques qui se joignaient ordinairement à M. Vincent pour travailler aux missions, elle jugea que, s’il y avait une maison dans Paris qui fût destinée pour ceux qui voudraient continuer ces missions, quelques-uns d’entre eux pourraient s’y retirer et y vivre ensemble en quelque forme de communauté, en laquelle d’autres prêtres étant depuis reçus, cette bonne œuvre pourrait ainsi se perpétuer, et sa fondation avoir un effet tel qu’elle le désirait. Elle en parla à M. son mari, qui non seulement approuva sa pensée, mais aussi voulut se rendre fondateur conjointement avec elle. Tous deux communiquèrent leur dessein à M. Jean-François de Gondy, leur frère, successeur de M. le cardinal de Retz au gouvernement de l’Eglise de Paris, dont il fut le premier archevêque, lequel approuva grandement leur zèle; et considérant que son diocèse en pourrait recevoir beaucoup d’avantages, il voulut aussi y contribuer, en destinant le collège des Bons-Enfants, qui était à sa disposition, pour le logement de ces prêtres. Après avoir conféré ensemble de ce qu’il leur semblait être le plus expédient pour faire réussir un si grand bien, ils se résolurent d’en parler tous trois à Monsieur Vincent, pour couper chemin à toutes les excuses que son humilité pourrait alléguer, et l’obliger plus efficacement de se conformer à leurs sentiments; ce qui réussit selon leur intention, le singulier respect que M. Vincent portait à ces trois personnes lui ayant fait donner les mains à tout ce qu’ils désiraient de lui. Il consentit à la proposition qu’ils lui firent, premièrement de recevoir la principauté de ce collège avec la direction des prêtres qui s’y retireraient avec lui et des missions auxquelles ils s’appliqueraient; secondement, d’accepter la fondation au nom desdits prêtres; et en troisième lieu, de choisir lui-même ceux qu’il trouverait propres et disposés pour ce pieux dessein.
La chose étant ainsi résolue, elle fut ensuite exécutée, et peu de jours après, c’est-à-dire le premier jour de mars 1624, l’archevêque lui fit expédier les provisions de la principauté du collège des Bons-Enfants.
Et le 17 avril de l’année suivante, M. le Général des galères et Madame sa femme passèrent le contrat de fondation, qui fut par leur ordre et suivant leur intention, conçu en des termes dignes de leur piété.
Ils déclarèrent, en premier lieu, «que Dieu leur ayant donné depuis quelques années le désir de le faire honorer tant en leurs terres qu’autres lieux, ils avaient considéré qu’ayant plu à sa divine Majesté pourvoir par sa miséricorde infinie aux nécessites spirituelles des habitants des villes, par quantité de bons docteurs et de vertueux religieux qui les prêchent et catéchisent, et qui les conservent en l’esprit de dévotion, il ne reste que le pauvre peuple de la campagne, qui seul demeure comme abandonné; à quoi il leur avait semblé qu’on pourrait remédier par la pieuse association de quelques ecclésiastiques, de doctrine, piété et capacité connues, qui voulussent renoncer tant aux conditions desdites villes, qu’à tous bénéfices, charges et dignités de l’Église, pour, sous le bon plaisir des prélats, s’appliquer entièrement et purement au salut dudit pauvre peuple, allant de village en village aux dépens de leur bourse commune, prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens, et les porter à faire une confession générale de toute leur vie passée, sans en prendre aucune rétribution, en quelque sorte et manière que ce soit, afin de distribuer gratuitement les dons qu’ils auront gratuitement reçus de la main de Dieu. Et pour y parvenir, lesdits Seigneur et Dame, en reconnaissance des biens et grâces qu’ils ont reçus et reçoivent journellement de sa dite Majesté divine; pour contribuer à l’ardent désir qu’elle a du salut des pauvres âmes; pour honorer le mystère de l’Incarnation, de la Vie et de la Mort de Jésus-Christ Notre-Seigneur, pour l’amour de sa très sainte Mère, et encore pour essayer d’obtenir la grâce de si bien vivre le reste de leurs jours qu’ils puissent avec leur famille parvenir à la gloire éternelle; et qu’à cet effet lesdits Seigneur et Dame ont donné et aumôné la somme de quarante mille livres, qu’ils ont délivrées comptant ès mains de M. Vincent de Paul, prêtre du diocèse d’Acqs, aux clauses et charges suivantes. C’est à savoir, que lesdits Seigneur et Dame ont remis et remettent au pouvoir dudit sieur de Paul, d’élire et choisir dans un an tel nombre de personnes ecclésiastiques que le revenu de la présente fondation pourra porter, dont la doctrine, piété, bonnes mœurs et intégrité de vie lui soient connues, pour travailler audit œuvre sous sa direction, sa vie durant; ce que lesdits Seigneur et Dame entendent et veulent expressément, tant pour la confiance qu’ils ont en sa conduite que pour l’expérience qu’il s’est acquise au fait desdites missions, èsquelles Dieu lui a donné grande bénédiction. Nonobstant laquelle direction toutefois, lesdits Seigneur et Dame entendent qu’icelui sieur de Paul fasse sa résidence continuelle et actuelle en leur maison, pour continuer à eux et à leur famille l’assistance spirituelle qu’il leur a rendue depuis longues années.
«Que lesdits ecclésiastiques et autres qui désireront à présent et à l’avenir s’adonner à ce saint œuvre s’appliqueront entièrement au soin dudit pauvre peuple de la campagne, et, à cet effet, s’obligeront de ne prêcher ni administrer aucun sacrement ès villes èsquelles il y aura archevêché, évêché ou présidial, sinon en cas de notable nécessité. Que lesdits ecclésiastiques vivront en commun sous l’obéissance dudit sieur de Paul, et de leurs supérieurs à l’avenir après son décès, sous le nom de Compagnie ou Congrégation des Prêtres de la Mission. Que ceux qui seront ci-après admis audit œuvre seront obligés d’avoir intention d’y servir Dieu en la manière susdite, et d’observer le règlement qui sera sur ce entr’eux dressé. Qu’ils seront tenus d’aller de cinq ans en cinq ans par toutes les terres desdits Seigneur et Dame pour y prêcher, confesser, catéchiser et faire toutes les bonnes œuvres susdites; et d’assister spirituellement les pauvres forçats, afin qu’ils profitent de leurs peines corporelles, et qu’en ceci ledit Seigneur Général satisfasse à ce en quoi il se sent aucunement obligé: charité qu’il entend être continuée à perpétuité, à l’avenir, auxdits forçats par lesdits ecclésiastiques, pour bonnes et justes considérations. Et enfin, que lesdits Seigneur et Dame demeureront conjointement fondateurs dudit œuvre, et comme tels eux et leurs hoirs et successeurs descendants de leur famille jouiront à perpétuité des droits et prérogatives concédés et accordés aux patrons par les saints canons, excepté au droit de nommer aux charges, auquel ils ont renoncé.»
Il y a quelques autres clauses dans le contrat, qui ne regardent que le bon ordre qui doit être observé par les prêtres, tant pour les intervalles des missions que pour leur propre perfection, qui eussent été trop longues à rapporter; ce qui en a été extrait ci-dessus suffira pour faire connaître non seulement quelle a été la première fondation des Prêtres de la Congrégation de la Mission, mais aussi combien pure et agréable à Dieu a été l’intention de leurs premiers fondateurs, lesquels y ont uniquement recherché sa plus grande gloire et le salut des âmes qui semblaient les plus délaissées, telles que sont celles des pauvres gens de la campagne. Et ce qui est particulièrement digne de remarque et fait voir leur grand désintéressement en cette affaire, est qu’ils n’ont point voulu imposer aucune obligation ni de messes ni de prières pour eux, ni d’autres charges ou bonnes œuvres qui leur fussent applicables en particulier, soit pendant leur vie ou après leur mort; afin que les prêtres de cette Congrégation, étant dégagés de ces sortes d’obligations, pussent avec plus de liberté s’appliquer aux fonctions de leur ministère et travailler avec plus d’assiduité aux missions: ces charitables fondateurs s’étant ainsi volontairement privés de tous les soulagements spirituels qu’ils eussent pu prétendre, afin que les pauvres en fussent mieux servis et secourus, et que par ce moyen Dieu en fût plus glorifié.
Peu de temps après que ce contrat eut été passé, M. le Général des galères s’en alla en Provence, et Madame demeura à Paris. Tous deux restaient grandement consolés du sacrifice qu’ils venaient d’offrir à Dieu, et fort satisfaits d’avoir assuré leur fondation, l’ayant ainsi mise entre les mains de M. Vincent, en qui ils avaient une entière confiance, et tenant pour certain qu’il se comporterait comme ce vigilant serviteur de l’Évangile, qui fit profiter les talents qu’il avait reçus de son maître; en quoi ils n’ont pas été trompés; cette première fondation ayant si bien profité entre les mains et sous la sage et fidèle conduite de M. Vincent, qu’elle en a produit un grand nombre d’autres par la bénédiction qu’il a plu à Dieu lui donner, comme il se verra en la suite de ce livre.