Saint-Flour, 15 février 1832
Mon cher Père et ma chère Mère,
Mêlons nos pleurs, unissons nos prières : notre cher Louis n’est plus ! Quelle douloureuse nouvelle pour vous, pour moi, pour toute la famille ! Lorsque l’année dernière, il quitta la France, nos âmes se trouvèrent accablées par le poids du sacrifice que nous imposait une si dure séparation. Mais nous ne pensions pas, pendant que nos regrets et nos vœux l’accompagnaient à travers les mers, que sa mort viendrait sitôt mettre le comble à notre désolation. Hélas !
Dans ses impénétrables, mais adorables conseils, Dieu nous réservait cette épreuve ! Nous ne pouvions perdre, ni vous un meilleur fils, ni moi un meilleur frère. Toutefois, mes chers parents, ne nous livrons pas à une tristesse excessive ; nous avons bien des motifs de consolation. Nous pouvons croire que notre cher Louis avait conservé son innocence baptismale. Dès ses plus tendres années, il s’est trouvé à l’abri de toutes ces occasions si funestes à tant d’autres, et il a été soigneusement élevé à l’ombre des autels. Une courte vie a eu pour lui tout le prix d’une longue carrière, et à la fleur de la jeunesse, il a été jugé mûr pour le ciel. Il doit jouir déjà de la récompense de ses belles vertus. Que sa gloire doit être grande ! Notre-Seigneur, fidèle à sa parole, s’est plu à lui accorder ce bonheur ineffable qu’il promet à ceux qui quittent tout pour lui, père, mère, frères, sœurs, etc. N’ayons pas d’inquiétude pour ses derniers moments. Notre-Seigneur, la sainte Vierge, son ange gardien et ses saints patrons lui auront prodigué des soins beaucoup plus assidus et plus tendres que ceux d’un père, d’une mère, d’un frère, d’une sœur. La Providence de Dieu est bien douce, bien admirable à l’égard de ses serviteurs, et infiniment plus miséricordieuse que nous ne pouvons le concevoir. Bénissons donc le Seigneur de ce qu’il s’est formé deux élus parmi vos enfants pour être dans le ciel les protecteurs de toute la famille1. Leurs exemples doivent aussi nous instruire. Méprisons le monde, détachons-nous de toutes les choses de la terre, attachons-nous à Dieu seul et à son service ; nous ne recueillerons à la mort que ce que nous aurons semé pendant la vie.
Je dirai la messe pour Louis et Mariette, mais il faut en faire dire de votre côté. Nous ne savons pas jusqu’à quel point ils ont eu à satisfaire à la justice divine. J’ai reçu dernièrement des nouvelles de Jacou, il se portait bien. Mon cher père et ma
chère mère, je vous embrasse très respectueusement. Bien des choses à mon frère et à mes sœurs et à tous nos parents. Mes respects à M. le curé.
J.G. Perboyre