Mon très cher frère,
La grâce de N. S. soit toujours avec nous.
Allons ! une consolation de plus. Je puis adresser de nouveaux adieux à ce tendre frère, qui va s’éloigner de nous sans doute pour longtemps, qui va sacrifier sa vie pour le salut des âmes que J. C. a rachetées de son sang. Il me serait doux de recevoir encore les vôtres. Vous nous quittez dans un moment bien triste. Où en serons-nous dans peu d’années, ou même dans quelques mois ? Je n’en sais rien. Ainsi ne me mettez pas sur le catalogue de ces nombreux prophètes qui se présentent de tous côtés. Toutefois je ne méprise pas plus que vous leurs prophéties. Le dénouement qu’elles annoncent, semble exigé par les besoins et l’état actuel de la société et les événements qui se déroulent si rapidement sous nos yeux semblent assez se précipiter vers ce but. A propos de prophétie en voici une qui court dans nos pays, et qui, en disant à peu près la même chose que les autres, porte en particulier que les Arabes, après avoir été vaincus par nos troupes, doivent entrer prochainement en France et venir jusqu’à Paris pour le détruire de fond en comble. Quoi qu’il en soit de toutes ces prédictions vraies ou fausses, nous sommes heureux au milieu des bouleversements politiques et des calamités temporelles, d’avoir un Dieu pour Père qui ne nous châtie que pour nous rendre sages, qui ne permet le mal que pour en tirer le bien. Que celui qui a introduit le désordre dans le monde trouble et renverse tout, Dieu sait parvenir à ses fins et procurer par sa Providence adorable sa plus grande gloire et la sanctification de ses élus. En lui seul notre espoir, notre unique ressource. Il est notre tout puisse-t-il l’être éternellement. Le jour de sainte Thérèse, pensant que c’était celui de votre embarquement1, j’ai offert le saint sacrifice pour vous. Tous les jours je vous recommanderai à N. S. Recommandez-lui vous-même son plus indigne ministre. J’espère que vous m’enverrez des relations détaillées sur votre voyage, vos courses, travaux et succès apostoliques, et sur tout ce qui peut intéresser la curiosité et édifier la piété, et que vous me direz si la moisson est déjà mûre dans ces contrées lointaines.
J’ai remis à M. Grappin 50 Fr., il en tiendra compte à M. Etienne. Si par hasard vous pouviez me procurer à un prix très modique les œuvres de Rollin et l’histoire du Bas-Empire, je serais bien aise de les avoir pour les faire [lire] à nos enfants.
Notre oncle vient de céder son pensionnat. M. Gau ancien professeur de 3e au collège est directeur de l’établissement, M. Farges ex-principal en est aumônier. Je ne sais où notre oncle ira se reposer. Je viens de recevoir des nouvelles de nos parents qui se portent bien. Quand je pourrai vous écrire, je vous ferai savoir tout ce qui sera de nature à vous intéresser dans notre famille, notre congrégation et notre patrie.
Adieu, mon très cher frère, adieu ! Soyons toujours unis dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.
Votre très affectionné et à tout jamais dévoué frère,
J.G. Perboyre ind. p. d. l. m.
Saint-Flour, le 27 octobre 1830.
- Louis Perboyre s’embarqua au Havre le 2 novembre 1830, il reconduisait en Chine six séminaristes chinois, et était accompagné de quatre Pères des Missions-Etrangères de Paris : Emmanuel Verrolles, qui devint évêque de Colombia et vic. ap. de Mandchourie ; Pierre Dumoulin-Borie, élu évêque d’Acanthe, décapité au Tonkin le 24 novembre 1838, béatifié le 27 mai 1900 ; Gilles Delamotte, mort en prison à Hué (Annam), des suites des tourments endurés pour la foi, le 3 octobre 1840, déclaré vénérable le 24 septembre 1857 ; Pierre Mariette, destiné au Seu-tch’oan.