Mon très cher frère,
La grâce de Notre Seigneur soit toujours avec nous.
Malgré toutes vos menaces ou toutes vos prédictions, ma supériorité est encore debout. Toutes les secousses qu’elle éprouve ne servent qu’à l’affermir toujours de plus en plus, si bien que je prévois que je lui manquerai plutôt qu’elle ne me manquera ; car je puis dire véritablement dans un sens, quotidiè morior.
Je ne saurais qu’approuver et admirer votre belle résolution d’aller évangéliser les Chinois. Quelque attachement que j’aie pour vous, avec quelle joie ne vous verrais-je pas franchir les vastes mers de l’hémisphère, pour une aussi belle cause !
Vous ne ferez pas mal de suivre les cours publics de physique, etc., si les supérieurs le permettent. Mais prenez garde de faire trop de fonds sur ces sortes de sciences. Quoiqu’elles puissent être considérées comme un moyen surnaturel, toutefois indirect et éloigné d’introduire le Christianisme parmi les infidèles, elles ne sont pour le missionnaire que comme un morceau de pain que le voyageur jette au chien qui s’oppose à son passage : cet expédient lève un obstacle, mais ne fait pas faire la route au voyageur. C’est dans la vertu de Dieu qu’est la puissance du missionnaire.
Tâchez donc surtout de détruire entièrement en vous tous les restes du vieil homme, afin de vous revêtir uniquement de J. C., de vous bien pénétrer, de vous bien remplir de son esprit. Avec la plénitude de l’esprit apostolique, vous ferez des merveilles, parce que N. Seigneur ne trouvant point d’obstacles en vous accomplirait parfaitement tous ses desseins.
Je crains beaucoup, mon cher frère, d’avoir étouffé par mon infidélité à la grâce les germes d’une vocation semblable à la vôtre. Priez Dieu qu’il me pardonne mes péchés, qu’il me fasse connaître sa volonté et qu’il me donne la force de la suivre.
M. Vivier1 vient de me demander le montant de la pension de Jacques ; je pense que ce n’était pas sérieusement. J’ai donné commission pour que les frais d’entretien lui fussent payés et pour que notre frère reçût les petits secours dont il avait besoin.
N’ayant pas eu de nouvelles de notre oncle depuis quelque temps, je ne sais plus où il en est pour ses affaires ; seulement on m’a dit que l’Université l’avait autorisé à tenir pension.
D’après les réclamations que j’avais faites à M. Vivier, il vient de m’envoyer la note des dépenses accessoires de Jacques. Je vous la renvoie. Je ne m’attendais pas à payer les trois articles croisés, c’est-à-dire, les droits de la maison, le blanchissage et ce qui a rapport au lit. Je conviens que les autres articles appartiennent essentiellement à l’entretien dont je m’étais chargé. Puisque vous avez fait vous-même les conventions avec M. de Wailly, faites connaître à M. Vivier en quoi elles consistent au juste ; il dit qu’il ne s’en souvient pas ; marquez-le moi aussi promptement afin que je donne satisfaction. Demandez à M. le Général s’il veut bien continuer la même faveur à notre frère. Ne manquez pas de lui témoigner notre commune reconnaissance et de lui présenter mon profond respect.
Tâchez de bien interpréter mes sentiments auprès de tout le monde et gardez-vous d’oublier M. Hersent. Comment se trouve-il par-là ? Le séminaire interne est-il nombreux ? Y a-t-il espoir que la chétive compagnie s’accroisse et prospère selon Dieu ? Puisque le temps ne vous manque pas écrivez-moi plus souvent. Ne soyez pas si exigeant à mon égard. Si vous connaissiez ma position, vous ne me traiteriez pas si impitoyablement. Quoique nous n’ayons encore qu’une centaine d’élèves, je suis accablé de besogne. Je suis extrêmement fatigué d’esprit et de corps. Je ne sais où aboutira un malaise général que j’éprouve depuis longtemps et qui est toujours progressif. Je m’en mettrais peu en peine, si je pouvais bien remplir mes devoirs religieux. Ayez compassion d’un misérable qui ne fait qu’amasser des trésors de colère pour l’éternité ; priez pour un frère qui est tout à vous en N. S.
J.G. Perboyre ind. ptre. d. l. m.
Saint-Flour, le 28 novembre 1829.