L’assurance1 que Monsieur de Saint-Martin2 m’a donnée de votre bon portement m’a autant réjoui que le séjour qu’il me faut encore faire en cette ville3 pour recouvrer l’occasion de mon avancement (que mes désastres m’ont ravi) me rend fâché pour ne vous pouvoir aller rendre les services que je vous dois ; mais j’espère tant en la grâce de Dieu qu’il bénira mon labeur et qu’il me donnera bientôt le moyen de faire une honnête retraite4, pour employer le reste de mes jours auprès de vous5. J’ai dit l’état de mes affaires à Monsieur de Saint-Martin, qui m’a témoigné qu’il voulait succéder à la bienveillance et à l’affection qu’il a plu à Monsieur de Comet nous porter. Je l’ai supplié de vous communiquer le tout. J’eusse bien désiré savoir l’état des affaires de la maison et si tous mes frères et soeurs6 et le reste de nos autres parents et amis se portent bien, et notamment si mon frère Gayon est marié et à qui, d’ailleurs, comment vont les affaires de ma sœur Marie, de Paillole7, et si elle vit toujours et fait une même maison avec son beau-frère Bertrand. Quant à mon autre sœur, j’estime qu’elle ne peut être qu’à son aise, tant qu’il plaira à Dieu la tenir accompagnée. Je désirerais aussi que mon frère fît étudier quelqu’un de mes neveux8. Mes infortunes et le peu de service que j’ai encore pu faire à la maison lui en pourront possible ôter la volonté ; mais qu’il se représente que l’infortune présente présuppose un bonheur à l’avenir.
C’est tout, ma mère, ce que je vous puis dire par la présente, fors que je vous supplie présenter mes humbles recommandations à tous mes frères et sœurs et à tous nos autres parents et amis, et que je prie Dieu sans cesse pour votre santé et pour la prospérité de la maison, comme celui qui vous est et vous sera, ma mère, le plus humble, le plus obéissant et serviable fils et serviteur.
DEPAUL
Je vous supplie présenter mes humbles recommandations à tous mes frères et soeurs et à tous nos parents et amis, et notamment à Bétan.
- Lettre 3. Reg. I, f° 1. Le copiste note que l’original était en entier de la main du saint.
Aujourd’hui Saint-Vincent-de-Paul (Landes). C’est dans ce petit village, à 6 kilomètres de Dax, que saint Vincent est né. Un vaste ensemble de bâtiments, comprenant hospice, orphelinats, ateliers et séminaire, marque l’endroit où il vint au monde. - Probablement Jean de Saint-Martin, époux de Catherine de Comet, frère du chanoine de Saint-Martin et juge de Pouy. M. de Comet le jeune était mort, semble-t-il, avant 1610.
- D’après Abelly (op. cit., t. I, chap. V, au début, p. 20), saint Vincent serait venu de Rome à Paris vers la fin de 1608, envoyé vers Henri IV par le cardinal d’Ossat. Aucun document de l’époque ne parle de cette mission secrète, et il est sûr que le cardinal d’Ossat n’y fut pour rien, puisqu’il était mort le 13 mars 1604.
- Saint Vincent eut, le 17 mai, le bénéfice qu’il attendait. Nous donnerons en son lieu le contrat fait à cette occasion.
- Comme ce langage diffère de celui que saint Vincent tiendra plus tard quand il aura pris davantage contact avec les âmes, vu leurs besoins, senti leurs souffrances, entendu leur appel !
- Nous savons par Abelly (op. cit., t. II, chap. Il, au début, p. 7) que Vincent de Paul était le troisième enfant d’une famille comprenant quatre garçons et deux filles. Dans un acte notarié, du 4 septembre 1626 signé Vincent Depaul, il est question de «Bernard et Gayon Depaul, frères dudit sieur Vincent Depaul» ce dernier «son frère second» de Marie Depaul, sa soeur, femme de Grégoire», et d’une autre «Marie Depaul, sa sœur», veuve de «Jehan de Paillole». Un document, du 12 mai 1631, publié dans la Revue de Gascogne (1905, p. 354-357), nous parle de «Pierre Depaul, dit de Leschine», fils de «feu Jehan Depaul)». Si nous comparons une lettre de M. Lostalot, du 25 septembre 1682 (Arch. des prêtres de la Mission), avec les registres de catholicité, nous sommes amenés à cette conclusion que Pierre de Paul était neveu du saint, et par suite que son père en était le frère. Jean n’est pas nommé dans l’acte de 1626, parce qu’il était mort à cette date. Jean, Bernard, Gayon, Marie et une autre Marie, tels seraient donc les noms des frères et soeurs de saint Vincent ; mais rien ne nous dit dans quel ordre il faut les placer.
- Paillole est le nom de la maison qu’habitait la soeur du saint. Cette maison était près de l’église, là où se trouve aujourd’hui celle qui porte le même nom.
- Un des neveux de saint Vincent étudia et devint prêtre. Nous lisons, en effet, dans un registre des prébendiers de Capbreton (Landes) : «M. François Depaul, prêtre, prébendier de Capbreton en la place de M.Jean de Ponteils, décéda le 8 juin 1678 ; il était de Pouy, proche d’Acqs, et neveu de M. Vincent, prêtre, fondateur de la congrégation des prêtres de la Mission.» (Arch. de M. l’abbé Gabarra, curé de Capbreton).