8. Les sillons de la route
Le Père Rameaux connaît bien Jean-Gabriel. Tous deux ont le même âge. Ils ont été ordonnés prêtres la même année, en 1826. Cette connaissance mutuelle devait simplifier beaucoup de choses sur place.
« Ce soir même, je m’embarque pour le Fokien sur une jonque conduite par des chrétiens. Après avoir traversé cette province et celle du Kiang-si, où j’aurai le plaisir de voir les confrères que nous y avons, j’arriverai Dieu aidant, dans trois ou quatre mois environ, au Houpé, lieu de ma destination ». Nous sommes le 19 décembre 1835, et Jean-Gabriel annonce cette nouvelle à son Supérieur général de Paris. Il lui confie en outre, « Je ne sais pas ce qui m’est réservé dans la carrière qui s’ouvre devant moi : sans doute bien des croix, c’est là le pain quotidien du Missionnaire. Et que peut-on souhaiter de mieux, en allant prêcher un Dieu crucifié ? Puisse-t-il me faire goûter les douceurs de son calice d’amertume ! Puisse-t-il me rendre digne de mes devanciers que je vais rejoindre ! » Volontaire, le jeune prêtre n’est toutefois, pas encore prêt au martyre et de fait qui peut l’être ? Néanmoins, il sait, pour l’avoir appris et enseigné, que c’est, un jour ou l’autre, le passage quasi obligé d’un don total de l’Évangile aux terres « infidèles ». La Mission est périlleuse parce qu’interdite et hors-la-loi même pour les catéchistes autochtones qui sont eux aussi persécutés. Vivre clandestinement dans un pays hostile débouche rarement sur une reconnaissance officielle, bien plus souvent sur une persécution et Jean-Gabriel de préciser : « nous ne manquons ni d’exemples ni de motifs pour nous exciter et nous soutenir ».
Le long voyage peut commencer. Avant le départ, Jean-Gabriel s’empresse de rédiger quelques mots pour son frère Jean-Jacques : Je m’en vais rejoindre MM. Rameaux et Baldus au Houpé, pour partager leurs travaux… Il me faudra pour cela peut-être plus de deux mois, parce que la mousson est contraire et que les navires chinois vont très lentement. Ensuite, pour faire deux ou trois cent lieues sur le continent, je n’irai pas d’un trait et par la poste. Je voyagerai à pied, ou sur une barque. je ferai une station au Fo-kien, chez le vicaire apostolique, puis une autre au Kiang-si chez notre confrère, M. Laribe ». Il continue sa lettre avec un brin d’humour concernant son inculturation forcée : « Si vous pouviez me voir un peu maintenant, je vous offrirais un spectacle intéressant avec mon accoutrement chinois, ma tête rasée, ma longue queue et mes moustaches, balbutiant ma nouvelle langue, mangeant avec les bâtonnets qui servent de couteau, de cuiller et de fourchette. On dit que je représente pas mal un Chinois. » Et il conclut en recentrant tout : « c’est par là qu’il faut commencer à se faire tout à tous : puissions-nous ainsi les gagner à Jésus-Christ ! »
Il part le 21 décembre dans la nuit, accompagné d’un prêtre des Missions Étrangères, le père Delamare, qui doit rejoindre sa destination, le Sutchuen. Leurs routes sont communes jusqu’au Houpé. Ils prennent donc ensemble au petit matin une jonque, dont l’équipage est chrétien, qui se faufile parmi une flottille de multiples sampans afin de passer inaperçus et de se prémunir en cas d’une attaque de pirates, toujours à l’affût de nouvelles prises. Suivant la côte pour garantir la sécurité, les petites et fragiles embarcations se regroupent, le soir venu, dans un port pour y passer la nuit en toute tranquillité. Le confort n’est pas le souci premier du navigateur et de son équipage. Sur la jonque, il n’y a qu’un seul logement où l’on s’entasse à quatre avec pour seule possibilité de s’y tenir accroupi, assis ou couché et dormir à même le plancher les uns contre les autres. A la moindre alerte, à l’apparition de tout étranger inquiétant ou menaçant la sécurité des prêtres, on condamne énergiquement la porte en se postant devant pour protéger les missionnaires, qui, prévoyants, se sont déjà enfouis sous les couvertures.
Fin février 1836, ils arrivent au Fo-kien. Jean-Gabriel prend la plume et écrit à Jean-Baptiste Torrette, son Provincial, une longue lettre sur son périple avec les précautions prises en cas de danger, les descriptions des ports « simplement un abri au pied d’une montagne », les moments de prière, « c’est sur le pont (de la jonque) qu’à l’entrée de la nuit, nous allions réciter notre chapelet, à l’exemple des chefs de barque… les matelots les imitaient aussi… Ainsi tandis que les barques païennes qui nous environnaient, faisaient descendre à la mer la flamme des papiers superstitieux, la nôtre faisait monter vers le Seigneur du Ciel l’encens pur de la vraie foi. » Le missionnaire reste subjugué devant le spectacle quotidien de cette vie indigène qui grouille de partout : « la mer est couverte en certains endroits d’innombrables barques de pêcheurs… On n’est plus étonné après cela d’entendre dire que cinq millions de Chinois habitent les eaux de la mer… Les pêcheurs n’en sortent pas même à la fin du jour… Ils reposent dans cette barque dans laquelle ils ont travaillé. C’est là qu’est toute la famille ; c’est là qu’ils naissent, qu’ils vivent et qu’ils meurent. » Décrivant encore, il poursuit : « Vous voyez à peu de distance de vous, mais loin de la terre, un ou deux hommes que vous croiriez danser sur les eaux. En passant auprès, vous découvrez qu’ils ont sous les pieds une espèce de radeau composé de quatre ou cinq branches de bambou… Il faut avouer qu’il y a des hommes qui font dépendre de bien peu de chose cette pauvre vie à laquelle ils rapportent cependant tout ».
Voici enfin l’arrivée pittoresque au Fo-kien : « Vers les 6 heures du soir, nous jetâmes l’ancre pour la dernière fois. Après avoir attendu quelque temps la marée pour remonter le fleuve, nous nous acheminâmes sur une petite barque et par une nuit obscure, vers la demeure du Vicaire Apostolique du Fo-kien, accompagnés de son courrier 6 et cachés encore sous notre couverture, car nous avions à passer devant une douane. La vigilance des douaniers ne fut pas en défaut, mais satisfaits par les réponses données au Qui vive, ils nous firent grâce de la visite ». Jean-Gabriel se plaît à constater qu’à cet endroit, la Croix du Christ est déjà solidement plantée : « La florissante église du Fo-kien se compose de quarante mille chrétiens… On conçoit par là qu’il y a des localités même considérables, où tout est chrétien et beaucoup, où les païens sont en minorité. Aussi dans ces districts, les chrétiens marchent la tête levée sans rien craindre ; ils y ont sept ou huit grandes églises ouvertes à tout le monde, bien connues des mandarins, ainsi que les deux Séminaires ».
Les deux missionnaires sont bien reçus par Mgr Carpéna, dominicain et Vicaire apostolique. On parle de la Congrégation de la Mission et des amis communs, de la cause du père Clet en vue de le faire déclarer Vénérable. Le bon évêque les régale même d’un petit reste de vin de Bordeaux qu’on n’imaginait pas pouvoir déguster sur cette terre chinoise. Après une visite au séminaire et dans un secteur chrétien puis un repos bien mérité, les deux hommes doivent reprendre la route. Ils partent, au matin du 15 mars, accompagnés de quatre chrétiens du pays, qui vont servir « de courriers et de porteurs d’effets » pour la région appelée le Kiang-si.
La chaleur frappe déjà la terre. Les rocs de pierre renvoient les premiers rayons printaniers déjà violents sur les chemins sinueux. C’est l’époque où l’on se découvre la tête pour marcher à l’aise mais nos Européens sont obligés de rester couverts pour masquer leur apparence quelque peu différente de la population locale et leur chevelure claire. Dans un pays où tous ont les yeux bridés, le teint olivâtre et les cheveux noirs et raides, on les regarde avec curiosité et moquerie. Dans les villes, on ne s’attarde pas « Ils nous faisaient traverser les villes au pas de course » précise Jean-Gabriel. Aux plus soupçonneux des indigènes, les guides répondent qu’ils sont des marchands de thé des contrées voisines et donc qu’ils ne peuvent converser dans leur langue. « Avant d’entrer dans le Kiang-si, nous avions à passer une douane établie pour examiner les marchandises qu’on transporte d’une province à l’autre. Toute notre contrebande était dans nos personnes. Aussi pendant que nos courriers présentaient nos effets aux douaniers, nous glissâmes bien vite en avant pour n’être pas passés en revue par des hommes que leur emploi rend plus soupçonneux et leur expérience plus habile que les autres. »
Et enfin, après un périple de quinze jours durant lesquels les missionnaires ont joué à cache-cache avec les autorités locales, ils parviennent dans un village chrétien où les courriers fokinois les confient à la conduite d’autres. « Ce jour-là, nous eûmes à admirer un nouveau trait de Providence sur nous. Pour éviter les dangers qu’on craignait sur la route qu’avaient tenue les missionnaires avant nous, nous en avions suivie une différente. Elle nous fit aboutir tout juste, à notre grande et agréable surprise, à l’endroit où M. Laribe faisait mission ». Le père Laribe a le même âge que Jean-Gabriel et comme lui est originaire du diocèse de Cahors. Il est venu en Chine en même temps que le père Rameaux en 1832 et a de suite été affecté à la mission du Kiang-si.
Le travail ne manque pas, particulièrement en cette période chargée de la Semaine Sainte. Ainsi, Jean-Gabriel peut s’initier sans attendre à la mission, à l’école du père Laribe, « cet excellent confrère qui fait la joie des chrétiens et le bonheur des prêtres qui travaillent avec lui ». Puis, en fin observateur de la situation, il note que « dans le Kiang-si, se dessinent des dispositions favorables au Christianisme et on a grand espoir de les voir s’étendre. Tous les ans on y baptise bon nombre d’adultes. Quoique dans cette province, comme dans les autres, les chrétiens appartiennent en général à la classe pauvre, on compte cependant parmi eux quelques riches négociants, quelques particuliers d’une fortune considérable » et il souligne avec un certain étonnement : « l’un d’eux était parti tout récemment pour aller chercher à Pékin une charge de mandarin ».
Quand Jean-Gabriel décide de poursuivre sa longue route, le père Laribe choisit de l’accompagner jusqu’à la ville de Kien-Tchang-fou, à une bonne soixantaine de kilomètres. Ils y retrouvent le père Delamarre qui les avait devancés de trois jours. Puis « pour aller de Kien-Tchang-fou au Houpé, la voie du fleuve est la plus sûre et la plus commode. C’est aussi celle que nous prîmes en recommençant le 8 avril notre pèlerinage avec deux courriers du Kiang-si… On nous donne la note de marchands fokinois qui entendaient peu le langage de cette province. Les païens qui nous conduisaient durent donc trouver fort naturel que nous parlassions continuellement notre propre langue, c’est-à-dire la française, qu’ils prenaient pour celle du Fokien ».
Le beau temps permet facilement à la troupe de progresser. Le Yang-tsé-kiang, majestueux « fleuve bleu », déploie ses eaux gigantesques devant les yeux ébahis des Européens ; « quand après les grandes pluies il déborde, c’est comme une mer ». Après dix-huit jours de navigation sur ces eaux arrogantes, ils arrivent enfin, en pleine nuit et par une pluie battante, à accostent le quai de Han-Keou (Hankow). « Han-keou est une des villes les plus commerçantes et les plus grandes de la Chine ; elle a en face Outchang-fou, capitale du Houpé ». On compte alors sur les rives fertiles près de deux millions d’habitants et parmi eux, seulement deux cents chrétiens. C’est à Han-Keou que le père Delamarre se sépare de Jean-Gabriel et s’enquiert du chemin de sa destination. Quant au missionnaire lazariste qui avait contemplé en son temps les reliques du père François-Régis Clet, il ne peut s’empêcher de se rappeler qu’il est sur les lieux mêmes où ce martyr a donné sa vie pour Jésus-Christ.
Après une halte d’une journée à Han-Keou, le 27 avril 1836, Jean-Gabriel reprend son bâton de pèlerin, secondé cette fois, par un catéchiste que son confrère, le père Baldus, a envoyé ici pour le baptême d’enfants. Les deux hommes sont accompagnés par un courrier du père Rameaux. Il leur faut encore franchir les 400 kilomètres qui les séparent du nord du Houpé. A coup de navigation et de marche, ils avancent sans trop de repos, s’arrêtant ça et là dans quelques communautés chrétiennes tout heureuses et comblées de recevoir la bénédiction d’un prêtre. Jean-Gabriel, à ce propos, raconte à son oncle dans une longue lettre : « Un jour, j’étais à Cha-Yang au milieu d’une jeune et fervente chrétienté. Elle doit son origine à ce hasard de la Providence qui, sans l’industrie des hommes, transporte au loin sur une terre inculte une nouvelle semence pour la féconder. Un chrétien du Sutchuen était venu exercer son commerce dans cette ville, ne s’attendant à rien moins qu’à en devenir l’apôtre. Peu à peu il a gagné la confiance, l’affection et l’estime des païens et maintenant il se voit entouré de nombreux enfants spirituels. Il me racontait… comment le mandarin, qui est son compatriote, l’honorait de son amitié et de ses visites… et combien il avait espoir de faire encore de nombreuses conquêtes à la foi. »
Le 7 mai, après de longs et épuisants kilomètres parcourus à pied, bien que l’on ait proposé, sans succès, à Jean-Gabriel un cheval pour le soulager, la petite équipe a la douce joie de voir le père Baldus et deux jours après, le même bonheur d’embrasser le père Rameaux qui évangélisent tous deux dans le district. Ils restent ensemble quelque temps, heureux de se retrouver. Puis les deux missionnaires aguerris doivent poursuivre leur travail tandis que Jean-Gabriel peut prendre quelque repos chez un bon vieux médecin chinois. Tous se reverraient à la maison de la communauté.
Après un nouveau périple de huit jours sur l’eau, que Jean-Gabriel a mis à profit pour réviser son chinois et catéchiser ses compagnons de route, le 26 juin, il quitte le fleuve, accompagné à présent du seul maître de la barque, pour une ultime étape de montagne à pied. Les deux hommes passent furtivement dans la ville de Kou-tchen car les mandarins, forts zélés, s’y montrent particulièrement redoutables. N’est-ce pas à eux que l’on doit bon nombre de martyrs et d’apostats ainsi que la ruine de quelques églises ?
La montagne est devant eux, insolente de puissance. Il faut puiser à la source du courage pour la franchir et pourtant Jean-Gabriel est éreinté. Toujours à son oncle Jacques, il écrit : « En la voyant s’élever devant nous, je vins à me rappeler que je portais sur moi une petite croix à laquelle était attachée l’indulgence du chemin de la croix ; c’était bien le moment de tâcher de la gagner… Je m’asseyais sur toutes les pierres que je rencontrais ; puis je me remettais à grimper, quelquefois avec les mains. Si vous me permettez de parler ainsi, j’aurais au besoin grimpé avec les dents, poursuivant la voie que la Providence m’avait tracée. » Et constatant la gêne qu’il occasionne alors, il poursuit : « Mon pauvre conducteur était réduit à me rendre le service qu’on rend à une mauvaise rosse, qu’on soulève et qu’on pousse en avant ». La sollicitude des chrétiens qui gardent les maigres troupeaux aux alentours semble fortifier le missionnaire flapi et « enfin je doublai le sommet de la terrible montagne et sur le revers je trouvai, cachée dans un bosquet de bambous, notre résidence, où M. Rameaux et un confrère chinois me reçurent à bras ouverts. »
Jean-Gabriel reprend des forces en contemplant cette nature embaumante : « Vous n’apercevez tout autour de vous que de hautes montagnes qui vous enferment dans une assez étroite enceinte où la nature semble vivre toute seule, vous n’entendez que le cri des insectes ou le chant des oiseaux » La solitude aurait pu envahir le cœur du missionnaire mais « comme vous n’avez point découvert de maisons, vous êtes agréablement surpris vers les neuf heures du soir d’entendre de divers côtés le chant de la prière, et vous êtes encore plus étonné le dimanche matin, de vous voir entouré et salué de quatre à cinq cents personnes qui sont venues entendre la messe et la parole de Dieu, réciter le Rosaire et faire le chemin de la croix. D’où sortent-elles donc ? De petites cabanes cachées sous les arbres, dans les sinuosités de la montagne. » La pauvreté était le lourd bagage commun de cette humanité habillée de lambeaux. Spirituellement, elle pouvait devenir un trésor inestimable susceptible de préparer les cœurs à l’infinie miséricorde du Seigneur mais l’autre côté de sa médaille dorée par la folie avilissante des hommes, elle étreignait les plus faibles dans une violente souffrance imméritée. « Ce sont des pauvres tels que je n’en avais jamais vus. Beaucoup ne sont pas habillés ; seulement autour de leur corps pendent des haillons moins propres à le couvrir qu’à faire ressortir la plus extrême misère à laquelle un homme puisse être réduit. D’autres ne vont pas à la messe parce qu’ils n’ont pas même un pareil vêtement… Les années précédentes, beaucoup ont péri de misère… Ceux qui ne meurent pas vivent à peu près de rien. Ce qu’ils ont de mieux, c’est du maïs et du blé noir. »
Le père Baldus termine sa longue tournée missionnaire et vient à son tour se reposer à la résidence de Tcha-Yuen-Kéou. La communauté se trouve composée d’une vingtaine de personnes : les missionnaires, les catéchistes et cinq jeunes étudiants qui apprennent le latin. Cette maison que Jean-Gabriel se plaît à nommer « la Chartreuse » en référence au silence environnant, est le lieu de vie et de ressourcement apprécié de tous. « L’église et la résidence, qui passent pour des palais dans l’endroit, sont bâties en terre, couvertes en paille et n’ont d’autre pavé que le sol battu, ni d’autre plafond que les branches de bambous qui soutiennent le toit. » Un peu plus loin, on voit encore les ruines d’une école et celles d’une église dédiée à Marie malheureusement détruite sur l’ordre d’un mandarin craintif de perdre son titre s’il ne le faisait pas.
« Mon séjour au milieu de confrères dont la compagnie m’était aussi agréable qu’utile ne fut pas de très longue durée. Je m’en séparai vers la mi-juillet pour me rendre dans le Ho-nan où je devais continuer mes études auprès de deux confrères chinois qui se trouvaient dans cette province ». Le 12 juillet, Jean-Gabriel, à dos de mulet, se remet en route. Sous une chaleur éprouvante, missionnaire et catéchistes franchissent montagnes et vallées et traversent des plaines agréables. Un soir, ils arrivent enfin à une auberge. Dans sa fatigue, le Français n’ayant pas fait honneur au potage aux nouilles proposé lors du repas, a la désagréable surprise d’avoir vexé l’aubergiste qui le traite tout de go d’avare. « Le lendemain, nous arrivâmes pour midi à Lao-Ho-Keou, place de commerce, l’une des plus importantes du Houpé après Han-kéou… Il y a quelques chrétiens… mais nous ne pouvons les voir que dans les barques pour ne pas tomber entre les mains de deux anciens apostats qui sont nos mortels ennemis. » Vers minuit, le quatrième jour, l’équipe arrive enfin à la résidence de Nanyang-fou dans laquelle quelques années auparavant, fut capturé François-Régis Clet.
Seize longs mois se sont écoulés depuis le départ de France de Jean-Gabriel Perboyre. Il a beaucoup appris et observé. En arpentant les difficiles chemins d’accès, il a réussi à se prouver que sa santé n’était pas un obstacle majeur bien qu’il éprouvât souvent certaines gênes peut-être bien compréhensibles. Petit à petit son âme se burinait au creuset mystérieux de la foi et au témoignage à donner dans cette vaste Chine que d’autres avant lui, ont déjà lavé de leur sang de martyr, et écrivait-il encore : « Si je suis venu de si loin c’est sans doute pour courir encore dans cette arène. Dieu veuille que j’y coure de manière à obtenir l’incorruptible couronne. »