Une Semence d’Eternité : Saint Jean-Gabriel Perboyre : Prêtre de la Mission, Martyr, Premier Saint de Chine (05)

Francisco Javier Fernández ChentoJean-Gabriel PerboyreLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Jean-Yves Ducourneau, cm · Année de la première publication : 1996.
Estimated Reading Time:

4. Professeur et Semeur

Saint-Flour est une petite ville de près de cinq mille habitants. A quelques pas de la Cathédrale, surgit le grand séminaire qui fut confié à la Congrégation de la Mission dès 1674. Les lazaristes en furent chassés en 1791 et le retrouvèrent en 1820.

Maintenant, le supérieur en est le père Grappin, un prêtre de la Mission âgé de 35 ans. Il reçoit Jean-Gabriel peu de temps après son ordination car il faut déjà préparer la rentrée d’octobre. Confiné dans une chambre exiguë, il se voit confier la charge de l’enseignement de la théologie dogmatique. Le programme de cette première année a pour thème les Traités de la Grâce et de l’Incarnation.

Malgré sa jeunesse, il marque ses élèves par sa connaissance biblique, notamment en ce qui concerne les textes de Saint-Paul. Un des séminaristes se plaira à retenir : « je me souviens toujours, dira-t-il, d’une magnifique préface qu’il nous fit au sujet du traité de l’Incarnation, par le seul développement du texte suivant de la première Épître à Timothée : « C’est sans doute quelque chose de grand que ce mystère d’amour qui s’est manifesté dans la chair, qui a été justifié par l’esprit, qui a apparu aux anges, qui a été prêché aux nations, qui a été cru dans le monde et élevé dans la gloire » ».

Placé à Saint-Flour, le désir pour Jean-Gabriel de voir sa famille se fait plus pressant : « J’ai déjà écrit à Paris pour demander la permission d’aller vous voir. J’espère qu’elle ne me sera pas refusée. » L’année scolaire est lourde à assumer : »Quoique je ne sois pas malade, je me sens très fatigué ». Gardant les soucis de la ferme familiale et de ses affaires courantes, il essaye de vendre le vin de la propriété sur place mais : »Je ne vois pas grande apparence à ce que votre vin soit placé par ici ; on le trouve fort bon, mais le transport offre trop de difficultés. »

L’enseignement qu’il dispense se veut d’une fidélité exemplaire à celui de l’autorité ecclésiale. Il est heurté par les idées gallicanes qu’il pense néfastes pour l’Église. On peut l’entendre dire à ses élèves :  » Gardons-nous bien, Messieurs, de jamais attaquer les prérogatives du Saint-Siège. Ne croyons pas que jamais il dépasse ses pouvoirs dans les décisions qu’il prend, reconnaissons-lui toute l’autorité qu’il s’attribue dans toutes les questions quelles qu’elles soient. »

Néanmoins, il éprouve de la sympathie pour les idées de Lamennais quand celui-ci défend les libertés chrétiennes, notamment celle de l’enseignement. Le paradoxe qu’il semble soulever en approuvant cela, ne lui pose pas question mais ne nuit en rien, d’après les dires, à sa qualité d’enseignant. Quand le pape Grégoire XVI fera savoir, plus tard en 1832, que les idées de Lamennais sont condamnées, Jean-Gabriel s’y pliera sans mot dire : « Prions Dieu qu’il nous préserve de jamais trouver à redire aux paroles du Souverain Pontife. C’est à lui que Jésus a dit : « Vous êtes Pierre et sur cette pierre j’établirai mon Église et les portes de l’Enfer ne prévaudront pas sur Elle. » »

Cette vie trépidante de jeune professeur exige du repos. C’est enfin une chose possible durant l’été 1827, à la fin de l’année scolaire. Il a obtenu la permission de retourner au Puech. Après un séjour à Carcassonne et à Montolieu chez les confrères, Jean-Gabriel et son compagnon de route parviennent à Montauban chez l’oncle Jacques. A cette occasion, il assiste à une remise des prix de fin d’année au petit séminaire et, durant son séjour, on est aux petits soins pour lui : « Vous ne sauriez vous imaginer comme je me refais vite, écrit-il à son frère Louis, alors à Paris, à la Maison-Mère, mon oncle, les dames Ursulines 2 chez lesquelles je vais dire la messe tous les jours ont tant de soin de moi ! »

Après douze jours passés à Montauban et trois jours à Cahors, le voici enfin au Puech avec ses frères Jacques et Antoine, revenus avec lui de Montauban. Cela fait près de sept ans que Jean-Gabriel n’a pas mis les pieds à la ferme familiale. Il y revoit toutes ses connaissances et va se recueillir sur la tombe de sa jeune sœur Mariette décédée l’an passé.

Ce temps béni des vacances s’achève et Jean-Gabriel s’en retourne à Saint-Flour. Il écrit au Recteur d’Académie à Clermont en décembre 1827 : « Le Supérieur général des Lazaristes vient d’appeler à Paris M. Trippier… 3 A la sollicitation de Mgr l’évêque de Saint-Flour, le même supérieur m’a placé à la tête du pensionnat que Mr Trippier dirigeait… J’ai cinq ans d’exercice dans l’enseignement, ayant professé successivement les classes inférieures, la philosophie, les mathématiques et la théologie, au petit séminaire de Montauban, au collège de Montdidier, au grand séminaire de Saint-Flour ».

A vingt-cinq ans, le père Jean-Gabriel Perboyre est nommé supérieur du pensionnat ecclésiastique de Saint-Flour, que le nouveau directeur se plaira à nommer petit séminaire malgré la non-reconnaissance de ce statut. En effet, la loi stipulait que l’Église n’avait l’autorisation d’ouvrir qu’un seul petit séminaire par département, or celui-ci existait déjà dans le canton de Mauriac.

A la rentrée d’octobre 1827, on compte trente-six pensionnaires qui poursuivent leurs études au collège Royal de Saint-Flour et logent au pensionnat ; ce chiffre augmentera les années suivantes pour avoisiner bientôt les cent-quarante.

Deux prêtres diocésains sont donnés comme collaborateurs. C’est insuffisant face à l’ampleur de la tâche et aux difficultés qui ne manquent pas de se dresser : la précarité des ressources, les oppositions du Collège Royal qui espère voir la fin de ce pensionnat, la crainte des parents devant la jeunesse du nouveau directeur, les surcharges de travail. Il écrit d’une plume lasse à son frère Louis se plaignant de l’absence de nouvelles : « Obligé de faire 4 ou 5 classes ou répétitions par jour. Obligé, en qualité de directeur, d’économe etc., etc. d’être toujours à tous et à tout, et partout à la fois, comment pourrais-je aller de temps en temps me recréer avec vous à Paris ? »

Soucieux d’une bonne éducation pour tous, il déplore l’obligation qu’ont ses jeunes de suivre les cours au collège de la ville « où ils voient tous les jours les turpitudes les plus abominables, hélas ! » Il s’intéresse beaucoup à celle de son jeune frère Antoine, resté à Montgesty, qui lui écrit avec quelques fautes d’orthographe et pour lequel il use toujours d’indulgence, sans omettre de lui rappeler l’essentiel à ses yeux : « mais en tout ne travaillez que pour plaire à Dieu, autrement vous perdriez votre temps et toutes vos peines ». Quant à son frère Louis, qui a la chance de se former aux belles lettres, il ne lui passe pas la moindre faute et n’hésite pas à le reprendre d’une manière qui en froisserait bon nombre ; il lui écrit : « en relisant votre lettre… j’ai remarqué quelques fautes d’orthographe que je vais vous signaler. Je sens qu’il n’est pas trop flatteur pour un écrivain de la capitale de recevoir des leçons d’un petit pédagogue de province ; mais il est si important pour lui de bien écrire qu’il ne doit pas mépriser les avis d’un tel aristarque 4, lorsqu’ils peuvent lui être utiles ».

« Je suis accablé de besogne. Je suis extrêmement fatigué d’esprit et de corps. je ne sais où aboutira un malaise général que j’approuve depuis longtemps et qui est progressif ». Épuise, Jean-Gabriel ne sait plus où donner de la tête. Soutenu par les uns et raillé par les autres, il songe à démissionner mais tient ferme pour sauvegarder son autorité.

Indirectement, son jeune frère Louis lui redonne du baume au cœur. Les supérieurs de Paris avaient confié au jeune Louis, le soin de s’occuper de quelques jeunes lazaristes chinois. A leur contact, il ressent en lui l’appel à les suivre en leur pays si lointain. Jean-Gabriel se réjouit du choix missionnaire de son cadet : « Je ne saurais qu’approuver et admirer votre belle résolution d’aller évangéliser les Chinois… C’est dans la vertu de Dieu qu’est la puissance d’un missionnaire » lui assure-t-il, tout en poursuivant : « Tâchez donc surtout de détruire entièrement en vous tous les restes du vieil homme, afin de vous revêtir uniquement de Jésus-Christ, de vous bien pénétrer, de vous bien remplir de son esprit ». Et se retournant sur son propre chemin, il regarde d’un œil mélancolique : « Je crains beaucoup, mon cher frère, d’avoir étouffé par mon infidélité à la grâce les germes d’une vocation semblable à la vôtre. Priez Dieu qu’il me pardonne mes péchés, qu’il me fasse connaître sa volonté et qu’il me donne la force de la suivre. »

Durant l’été 1830, Paris connaît la Révolution de Juillet. La peur s’empare une nouvelle fois de beaucoup de gens d’Église. On craint que les restes de Saint Vincent ne soient jetés dans la Seine. Jean-Gabriel est dans les « transes mortelles » jusqu’au moment où il append que son jeune frère, prêt à partir en Chine, est en sécurité ; « puisse le Seigneur continuer à favoriser de sa divine protection et vous et tous les Enfants de St-Vincent ! ».

Jean-Gabriel loue le courage de son frère. Il souhaite d’une manière de plus en plus brûlante qui commence à s’exprimer ouvertement, emprunter le même chemin missionnaire : je désire ardemment, lui écrit-il en août 1830, d’avoir l’occasion de vous voir avant votre départ pour la Chine. Quoique je ne sois pas très éloigné de prendre la même route que vous, je ne suis pas assez prêt ni assez décidé de moi-même pour m’embarquer cette année. » L’appel est entendu. Il lui faut, à présent, germer pour que s’enracine et éclose une pousse évangélique dans le cœur de Jean-Gabriel qui s’ouvre à Dieu. La Providence, usant du temps comme d’un outil s’en chargera.

Le départ pour la Chine se fait attendre. Louis est toujours à Paris. Il reçoit encore un mot de son frère. Jean-Gabriel se lamente sur leur séparation prochaine « mais la foi vient consoler ». Il invoque sur lui la bénédiction de Jésus et de « la Reine des Anges » ainsi que celle des « anges tutélaires des contrées infidèles » afin qu’ils lui obtiennent « d’immenses succès dans l’établissement du règne de Dieu ! » Là encore, il regarde en arrière et semble se morfondre sur lui-même : « Je crains de n’avoir pas été fidèle à la vocation que le Seigneur vous a donnée. Priez-le de me faire connaître sa volonté et de m’y faire correspondre. Obtenez-moi de sa miséricordieuse bonté le pardon de mes misères et l’esprit de notre saint état afin que je devienne un bon chrétien, un bon prêtre, un bon missionnaire. »

Louis s’embarque enfin au Havre, le 3 décembre 1830. Il emporte avec lui une dernière lettre de son frère qui est conscient des conséquences de ce départ sans retour : « Je puis adresser de nouveaux adieux à ce tendre frère, qui va s’éloigner de nous sans doute pour longtemps, qui va sacrifier sa vie pour le salut des âmes que Jésus-Christ a rachetées de son sang. » et comme s’il voulait le réconforter, il poursuit d’un trait courageux : « En Dieu seul notre espoir, notre unique ressource. Il est notre tout, puisse-t-il l’être éternellement. » Avec Louis, ont pris place à bord du bateau, les jeunes confrères chinois et quatre prêtres de la Société des Missions Étrangères de Paris.

Louis ne devait pas voir les rivages de la mystérieuse et envoûtante Chine. En mars 1831, le bateau dut faire escale à Saint-Denis de l’Île Bourbon (aujourd’hui la Réunion) sous une chaleur inhabituelle pour des Occidentaux. On changea d’embarcation pour mettre le cap sur l’île de Java. Un vent glacial vint du Sud et la fièvre s’empara de Louis. Il mourut en mer le 2 mai 1831 après avoir prononcé ces dernières paroles : « Je laisse un frère prêtre, j’espère qu’il viendra un jour me remplacer ». La nouvelle ne parviendra en France qu’au début 1832. Jean-Gabriel écrit alors à son père dès l’annonce du décès. Sa lettre mêlant tristesse et espérance est un appel à renouveler la confiance en Dieu qui peut faillir en de tels moments : Quelle douloureuse nouvelle pour vous, pour moi, pour toute la famille !..Une courte vie a eu pour lui tout le prix d’une longue carrière, et à la fleur de la jeunesse, il a été jugé mûr pour le ciel… La Providence de Dieu est bien douce, bien admirable à l’égard de ses serviteurs, et infiniment plus miséricordieuse que nous ne pouvons le concevoir… attachons-nous à Dieu seul et à son service. »

Peut-être le même jour, il prend la plume pour écrire à son oncle Jacques : « Je ne doute pas que Louis ne jouisse déjà de la gloire céleste… Que ne suis-je trouvé digne d’aller remplir la place qu’il laisse vacante !..Hélas, j’ai déjà plus de trente ans, qui se sont écoulés comme un songe, et je n’ai pas encore appris à vivre ! Quand donc aurai-je appris à mourir ? »

La mort de Louis, si difficilement acceptée, devient pourtant comme une lumière nouvelle apportant une certitude à Jean-Gabriel : il ira en Chine, quels qu’en soient les dangers et les persécutions. Durant l’été 1832, il fait un séjour au Puech. Ce temps est plus triste que les précédents mais sa décision est prise, enfin. C’est la dernière fois qu’il voit ses parents et ses amis de Montgesty.

Il va voir l’oncle, à Montauban, lui avoue son désir arrivé maintenant à maturité. Jacques lui objecte sa santé qui donne rapidement des signes de fatigue, sans parler de ce climat difficile à supporter et enfin du risque non moins considérable de la mort par persécution : « C’est tout ce que je souhaite, aurait-il alors rétorqué, puisque Dieu a voulu mourir pour nous, nous ne devons pas craindre de mourir pour lui ! »

Lors de son retour à Saint-Flour, il trouve un mot de ses supérieurs de Paris. En raison de son état de santé, mais aussi de ses qualités intellectuelles et pédagogiques, Jean-Gabriel se voit confier la charge de sous-directeur du séminaire interne de la Congrégation, à Paris. C’est là, estime-t-on, en haut lieu, sa juste place. L’évêque de Saint-Flour, qui apprécie beaucoup le fougueux directeur de son pensionnat, emploie tous les moyens de persuasion possibles, mais en vain, pour le retenir dans son diocèse. Jean-Gabriel est resté près de six ans à Saint-Flour et a marqué à jamais l’histoire et la terre de ce diocèse de Haute-Auvergne.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *