LA RESTAURATION. — Résultats de la Révolution. — Le retour des Filles de la Charité. — Rétablissement de la Congrégation de la Mission. — Épreuves et progrès. — La translation du corps de saint Vincent de Paul. — Une ère nouvelle de charité. — La Société de Saint-Vincent-de-Paul. — Œuvres pour la jeunesse. — Œuvres pour l’âge mûr et la vieillesse. — Les Petites-Sœurs des pauvres. — Accroissement des deux familles de saint Vincent. — Missions étrangères. — Diffusion des Sœurs de charité dans le monde. — Conclusion.
Les promesses de la Révolution n’avaient abouti qu’à la ruine universelle. Tout ce qu’il y avait de bon dans le passé était détruit, sans que rien eût été édifié à la place. Les églises fermées, les institutions de charité abolies, il ne restait au pauvre que la misère et le désespoir. La voix de la souffrance finit par se faire entendre au milieu de cette explosion d’utopies humanitaires qui avaient désorganisé et ensanglanté la France.
Pour remédier aux misères croissantes du peuple, il fallait revenir à la charité. Ce fut vers les filles de saint Vincent de Paul que le gouvernement du 18 brumaire tourna d’abord ses regards. Un arrêté du 14 octobre 1801 les replaça dans les hôpitaux d’où la Révolution les avait expulsées, en constatant « que les secours accordés aux malades ne peuvent être assidûment administrés que par les personnes vouées par état au service des hospices et dirigées par l’enthousiasme de la charité ; que parmi tous les hospices de la République, ceux-là sont administrés avec plus de soins, d’intelligence et d’économie, qui ont appelé dans leur sein les anciennes élèves de cette sublime institution, dont le seul but était de former à tous les actes d’une charité sans bornes. » En conséquence, la « citoyenne Deleau, ci-devant supérieure des Filles de la Charité », fut autorisée à former des élèves pour le service des hospices, et on lui accorda à cet effet la maison hospitalière des Orphelines, rue du Vieux-Colombier.
Après dix années de dispersion, les Filles de Saint Vincent reparaissaient plus utiles et plus bénies que jamais ; semblables à la colombe de l’arche, elles annonçaient par leur rentrée dans le monde la cessation des orages politiques et le retour de la sérénité sur la terre. Déjà un certain nombre d’entre elles s’étaient rassemblées à Paris, autour de la sœur Deleau : elles s’empressèrent de reprendre leurs fonctions auprès des pauvres et des malades. De toutes parts, des postulantes vinrent combler les vides que la persécution, l’exil et la mort avaient faits dans leurs rangs, et trois ans après le jour où le gouvernement leur avait permis de renaître elles se trouvaient en état de desservir deux cent cinquante hôpitaux.
La Congrégation des prêtres de la Mission, qui avait pris plus d’extension à l’étranger avant 1792, eut moins de peine à se maintenir pendant la période révolutionnaire. M. Cayla, supérieur, étant mort à Rome le 12 février 1799, M. Brunet lui succéda en qualité de vicaire général pour la France. Un décret du 27 mai 1804 rétablissait la Congrégation de la Mission. Tout annonçait des jours prospères. Mais l’épreuve n’était pas terminée. Le tout-puissant organisateur de la Révolution ne voyait dans la charité, comme dans la religion, qu’un instrument de règne, et il voulait les avoir l’une et l’autre sous la main. Le successeur de M. Brunet, le vénérable M. Hanon, gouvernait les deux familles de Saint Vincent, lorsque Napoléon entreprit de soustraire les religieuses à la direction des Prêtres de Saint-Lazare. C’était détruire l’œuvre du saint fondateur. M. Hanon le comprit. Sa résistance était un crime aux yeux de l’empereur. Il fut interné en divers lieux et finalement à Fenestrelles, où d’illustres prisonniers, entre autres le cardinal Pacca, l’honorèrent de leur amitié. En même temps, on faisait des tentatives auprès des Sœurs d’Espagne pour les séparer de la maison mère. Saint Vincent veillait sur sa double famille, et deux brefs du Souverain Pontife, Pie VII, vinrent rétablir la paix et l’union un moment altérées. En 1827, la série des supérieurs généraux recommence avec M. de Wailly, et dès lors l’œuvre de saint Vincent de Paul s’épanouit avec une vigueur nouvelle dans l’extension des deux communautés indissolublement unies sous un même chef.
Un fait éclatant inaugura l’ère nouvelle de charité qui allait s’ouvrir sur les ruines de la Révolution. Le corps du bienheureux Père des pauvres avait suivi toutes les vicissitudes des événements. Exilé aussi de Saint-Lazare pendant la tourmente, il reparut avec gloire au moment où les deux compagnies des Prêtres de la Mission et des Servantes des Pauvres venaient d’être reconstituées selon les règles de leur fondateur. La translation des reliques de saint Vincent de Paul dans la nouvelle maison-mère de la Mission, accomplie en grande pompe le 25 avril 1830, ne fut pas seulement le triomphe public et solennel de ce bienfaiteur de l’humanité, elle fut comme le point de départ d’une rénovation religieuse dans un siècle qui semblait voué par ses principes et par ses débuts à l’impiété envers Dieu, à l’égoïsme envers l’homme. La réapparition de ces sacrés ossements produisit tout à coup un immense regain de charité. Un nouveau principe de fécondité et de vie sortit du tombeau glorifié de saint Vincent de Paul. Son esprit ressuscita parmi les hommes. Toutes les œuvres de charité interrompues par la Révolution reprirent un essor merveilleux. La vertu du saint développa la miséricorde sous ses formes les plus sensibles, et multiplia tellement les industries de la bienfaisance chrétienne que ce qu’il a fait paraît encore moins que ce qu’il a inspiré. Alors naquit la Société de son nom, qui donna lieu aux inventions les plus variées du dévouement et du bien. À aucune époque peut-être il n’y eut un pareil déploiement de charité.
Parmi les institutions sans nombre écloses en ce siècle, et pour ne parler que de la France, beaucoup se rattachent par des liens étroits à la double famille de saint Vincent ; d’autres sont nées avec elle et se sont épanouies à ses côtés. Qui les comptera ? La seule nomenclature en serait impossible. Toutes, par des voies différentes et avec des moyens divers, poursuivent le même but. Elles s’étendent à tous les âges, à tous les besoins.
L’enfant du pauvre naît : il trouve un berceau et des langes préparés par de tendres mains de femmes. Si sa mère l’a abandonné, une sœur lui en tient lieu à l’hospice des Enfants-Trouvés ; à la crèche et à la salle d’asile il reçoit les soins, l’affection, l’éducation première que ses parents ne pourraient lui donner sans prendre sur le temps du travail. La Société de charité maternelle, avec l’Association des mères de famille, vient en aide aux pauvres mères en couches ; toutes deux encouragent le mariage en n’accordant leurs secours qu’aux femmes mariées. Les Salles d’asile instituées en 1828 par M. Denis Cochin, les Crèches fondées en 1846 par M. Marbeau, complètent l’œuvre des enfants trouvés, à laquelle saint Vincent de Paul a attaché pour toujours son nom ; ses filles la continuent dans les hôpitaux qui reçoivent les petites victimes de la misère ou de la débauche. Mais la charité chrétienne ne se contente pas de recueillir les enfants délaissés, elle va au-devant d’eux ; elle vole à leur secours dans les pays les plus éloignés où règne la coutume barbare de les abandonner. Tel est l’objet de l’œuvre de la Sainte-Enfance, cette annexe précieuse des missions. En Orient, en Chine, elle recueille une multitude de petits êtres. Avec une cotisation d’un sou par semaine, qui devient par la multiplication de l’aumône un capital annuel de plusieurs millions, elle en sauve des milliers d’une mort immédiate et les fait chrétiens pour l’éternité. C’est l’institution de saint Vincent de Paul prolongée par un de ses dignes imitateurs, Mgr Forbin-Janson, jusqu’aux extrémités de la terre et étendue aux enfants de l’infidèle.
Quand le petit enfant a grandi, des écoles s’ouvrent à lui dans toutes les villes, dans tous les villages. La gratuité de l’instruction est une idée chrétienne. Avant l’établissement des écoles communales, subventionnées par le budget de l’instruction publique, un prêtre ou quelque personne pieuse, avec l’agrément du curé, se chargeait dans chaque paroisse d’apprendre aux petits enfants la lecture, l’écriture, le calcul, le catéchisme. Saint Vincent de Paul avait voulu que les servantes des pauvres fussent aussi des maîtresses d’école. Avec le bienheureux de La Salle, l’institution des écoles gratuites devint générale en France. Aujourd’hui, d’innombrables congrégations religieuses d’hommes et de femmes n’ont pas d’autre emploi que l’enseignement des enfants de la classe pauvre. L’esprit du christianisme a mis à la portée des plus petits, des plus délaissés, les moyens de s’instruire. Près de deux millions d’enfants doivent chaque année, en France, à la charité catholique les connaissances nécessaires à leur condition.
Plus admirable encore est la charité dans le soin qu’elle prend des orphelins. Ici, elle a fait des merveilles. Paris seul compte une centaine d’orphelinats ; il y en a cent cinquante autres dans le reste de la France, tous fondés en ce siècle et entretenus pour la plupart avec les aumônes catholiques. L’orphelinat pour les garçons et pour les filles a pris toutes les formes : institut agricole et industriel, collège, école normale, ouvroir, manufacture, il est, en même temps qu’un asile pour les enfants sans père ni mère, une maison d’apprentissage pour tous les états, une école de travail, de bonnes mœurs et de piété. L’orphelinat de Mesnières-en-Bray, le premier des établissements de ce genre, créé par M. l’abbé Eudes avec mademoiselle Marquésy, offre dans une sage organisation la réunion de divers métiers ; l’orphelinat d’Élancourt, dans le département de Seine-et-Oise, fondé en 1859 par M. l’abbé Méquignon, un de ces rares hommes d’œuvres nés pour le bien de leurs semblables, est un de ceux qui réalisent le mieux pour les enfants sans parents les conditions de la famille. Un des plus touchants est celui de Notre-Dame- des-Flots, établi à Dieppe pour les mousses. Parmi les orphelinats de filles on peut citer l’établissement des Enfants délaissés, créé en 1803 par deux femmes pleines de foi et de charité, mesdames les comtesses de Carcado et de Saisseval ; son but est l’adoption toute gratuite de jeunes orphelines de mère, sans protection ni ressources, qui trouvent une famille dans les dames de l’œuvre.
À côté de l’orphelinat, le patronage avec ses ateliers, ses cercles, ses jeux, ses écoles, ses bibliothèques. Saint Vincent de Paul avait eu l’idée de cette œuvre, et l’essai en avait été fait en plusieurs lieux, d’après ses règlements. Aujourd’hui l’institution existe, sous différentes formes et sous des noms divers, pour les jeunes gens des deux sexes. Ce sont les patronages des apprentis et des jeunes ouvriers de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, les associations de jeunes gens dirigées par les Frères des Écoles chrétiennes, les Œuvres de Saint-Jean et de Saint-Nicolas, la Société des Amis de l’Enfance, l’Œuvre des Apprentis, les patronages des jeunes ouvrières dirigés par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, l’Association des Enfants de Marie et celle de Notre-Dame-de-Bon-Conseil. Toutes ces œuvres prennent le jeune garçon et la jeune fille après leur première communion, elles leur offrent le dimanche un lieu de réunion, où l’on trouve, entre les offices et l’instruction religieuse, des jeux, des récréations, des amitiés honnêtes ; elles leur fournissent les moyens de compléter leur instruction dans les écoles du soir, de se placer en apprentissage, et elles les entourent jusqu’à leur sortie de protection et de surveillance. Les garçons ont pour protecteurs et pour guides les bienfaiteurs de la maison, les Frères de Saint- Vincent-de-Paul, les Frères des Écoles chrétiennes ou des autres congrégations qui dirigent les patronages, et pour amis les jeunes gens des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, qui viennent prendre part à leurs jeux, en leur apportant de bons exemples et de bons conseils. Les filles sont placées sous la surveillance d’une dame patronnesse qui les visite et les secourt dans le besoin ou la maladie. Les noms du vénérable M. Maurice Leprévost et de son digne successeur, M. Maignen, tous deux Frères de Saint-Vincent-de-Paul, de Mgr de Bervanger, de M. le comte Victor de Noailles, de M. le vicomte de Melun, de MM. les abbés Landrieu, Du beau, Roussel, de la sœur Rosalie, de madame de Ladoucette, restent attachés à cette utile institution. Les aliénés, les aveugles, les sourds-muets, ont une part particulière et privilégiée dans cet ensemble d’institutions d’éducation, de patronage et d’assistance, qui suppléent à la famille et adoucissent les infortunes de la naissance.
Aux œuvres d’adoption et de patronage s’ajoutent pour la jeunesse les œuvres moralisatrices de correction et de réhabilitation. Les colonies pénitentiaires, auxquelles celle de Mettray, créée en 1837 par M. de Metz et le vicomte de Bretignères de Courteilles, a servi de modèle, reçoivent les enfants indisciplinés, les jeunes détenus, les jeunes gens placés sous la surveillance de la justice jusqu’à leur majorité ; ils y sont employés à des travaux industriels et agricoles qui leur permettent ensuite, par les sociétés de patronage, de prendre un état et d’y gagner honnêtement leur vie. Pour les jeunes filles, il existe aussi des maisons pénitentiaires dirigées par des communautés religieuses, où elles apprennent la couture, le ménage, les travaux des champs. Un grand nombre d’établissements recueillent celles qui veulent rentrer dans les voies de l’honneur et de la vertu. Déjà la sollicitude particulière de saint Vincent de Paul pour ces malheureuses créatures avait produit les maisons de la Pitié et de Sainte-Pélagie, formées à son instigation par madame de Miramion. En même temps naissait l’Œuvre du Refuge, fondée à Caen en 1641 par le vénérable père Eudes ; puis étaient venus les refuges du Bon-Pasteur, ouverts au repentir par madame de Combé à la fin du dix-septième siècle, en plusieurs villes de France, avec les maisons semblables de Sainte-Valère et des Filles-du-Sauveur, fondées à Paris vers le même temps. Depuis, l’institution a merveilleusement germé. Une grande congrégation, dite du Bon- Pasteur, d’Angers, et qui compte près de cent cinquante établissements dans toutes les parties du monde, n’a pas d’autre objet que de recevoir les jeunes filles égarées qui veulent revenir au bien. L’Œuvre du Bon-Pasteur, reconstituée en 1819 par M. l’abbé Legris-Duval et madame la marquise de Croisy, l’Asile-Ouvroir de Gérando, dû à la générosité de l’académicien de ce nom, et placé sous la direction des sœurs de Marie-Joseph, l’Œuvre du refuge de Sainte-Anne, fondée en 1854 par mademoiselle Chupin, devenue, sous le nom de sœur Vincent Ferrier, la supérieure des religieuses dominicaines qui la dirigent, l’Œuvre de la Préservation, confiée aux religieuses du Nom-de-Jésus, l’Œuvre de Notre-Dame-de-Charité du Refuge, rétablie sur le plan du P. Eudes, l’Œuvre des Réhabilitées, l’institution de Notre-Dame-du-Refuge, ont aussi pour but de soustraire les jeunes filles aux entraînements du vice, de leur ouvrir un asile après la faute, de les ramener par la prière et le travail à une meilleure conduite, et de faire succéder la vie honnête au temps d’épreuve de leur vertu.
Les institutions de patronage et de préservation des apprentis ont leur complément dans l’Œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers, née d’une même pensée qui réunit, au lendemain des désastres de 1870, deux hommes dont la vie était déjà vouée au service de la classe ouvrière, MM. Maignen et Paul Vrignault, avec deux jeunes officiers, Albert et Robert de Mun, auxquels les méditations de la captivité avaient inspiré le dessein d’une noble revanche par le relèvement moral du peuple. L’idée de l’œuvre, c’est le dévouement des classes dirigeantes à la classe ouvrière ; son but, c’est d’amener les chefs d’usine et d’atelier, les propriétaires et les fermiers à être vraiment les patrons, c’est-à-dire les protecteurs, les modèles, les pères de leurs ouvriers, à reconstituer avec eux des groupes sociaux pour faire revivre, dans la communauté des devoirs et des intérêts, les traditions de travail, d’honneur et de vertu qui étaient la force de l’ancienne France. Unis par les liens de la fraternité chrétienne, les membres des Cercles ont pour patron Jésus ouvrier, pour bannière la croix. Un comité général, préposé à la direction de l’Œuvre, la propage et l’entretient. Chaque Cercle a son local particulier, son aumônier et souvent sa chapelle. L’ouvrier participe au gouvernement intérieur du Cercle et veille à ses intérêts. Dans les réunions du dimanche il trouve avec les secours de la religion, les avantages de l’amitié et d’honnêtes distractions ; muni de son livret-diplôme, il peut parcourir la France et partout il trouve un accueil fraternel, des bienfaiteurs, des camarades. Cette œuvre a grandi depuis 1871, et plus de trois cent cinquante villes et bourgs possèdent aujourd’hui leur Cercle catholique d’ouvriers. Le mouvement de réforme ouvrière s’est étendu ; dans l’institution des Cercles se montrent les éléments d’une meilleure organisation du travail. Avec M. Albert de Mun, leur éloquent propagateur, et M. Harmel, l’apôtre de l’usine, on entrevoit, au milieu des débordements de l’industrialisme, le moyen de régulariser les excès d’activité, les appétits exagérés d’enrichissement, de ramener la production à ses lois naturelles, de rétablir l’équilibre entre le travail et le capital, l’union entre le patron et l’ouvrier, de convertir enfin l’industrie moderne au christianisme.
Mais il y aura toujours des pauvres, des infirmes, des vieillards dans la société. C’est pour eux qu’est établi l’hôpital ; c’est pour subvenir à leurs besoins qu’ont été créées les diverses institutions d’assistance publique, les œuvres les plus variées de secours à domicile. Il n’y avait qu’à continuer ce que saint Vincent de Paul, avec les collaborateurs de sa charité, avait commencé, qu’à imiter ce qu’il avait appris à faire. Les Confréries de la Charité, détruites pendant la Révolution, se sont reconstituées avec la Société de Saint-Vincent-de-Paul, fondée par un groupe de généreux jeunes gens dont le nom d’Ozanam résume tous les noms, et avec l’Œuvre des Pauvres malades, établie en 1840 à Paris, par M. Étienne, supérieur général de la Mission. De la Société de Saint-Vincent-de-Paul, qui a pour but de visiter les pauvres à domicile et de leur fournir des secours religieux et matériels, sont nées les œuvres des Saintes-Familles et de la Doctrine chrétienne, des Fourneaux économiques, de la Marmite des pauvres, des Caisses des loyers ; les œuvres des Tutelles et de l’Avocat des pauvres, des Vestiaires, des Bibliothèques ; l’Œuvre de Saint-François-Régis pour la réhabilitation des unions illicites. Aux anciennes confréries de charité se rattachent encore l’Œuvre de la Visite des malades dans les hôpitaux, rétablie après la Révolution ; l’Œuvre des Pauvres malades dans les faubourgs de Paris, inspirée à Mgr Langénieux, alors archidiacre de Notre-Dame, par les désastres de la guerre et de la Commune ; l’Œuvre des Dames de la Sainte-Famille, sous la direction des pères Oblats de Marie ; l’Œuvre des Gardes-Malades des pauvres, dites Petites-Sœurs de l’Assomption, et celle des Sœurs de Notre-Dame pour les femmes en couches.
Dans toutes ces œuvres et dans beaucoup d’autres semblables, qu’il ne serait pas même possible d’énumérer, l’initiative privée a tout fait. C’est le dévouement des congrégations religieuses d’hommes et de femmes, le zèle des prêtres des paroisses, le concours des hommes de bien, la générosité des personnes charitables, qui les soutiennent. L’État et les villes ne subventionnent que les hôpitaux et les bureaux de bienfaisance. Mais ici encore la charité domine, et l’administration ne pourrait rien sans elle. La plupart des hôpitaux et des hospices existaient avant la Révolution et ils étaient l’œuvre du christianisme. Beaucoup ont péri par le temps ou faute de ressources ; dans presque tous, le service est confié aux communautés religieuses dont la vocation est de s’occuper des pauvres malades. Les progrès de l’hygiène et de la médecine ont amené les réformes reconnues nécessaires, mais que seraient les asiles des malades si la charité n’y régnait pas avant tout ? L’hôpital, ce n’est pas tant l’administrateur qui fait les fonds, le médecin qui ordonne le remède, que la sœur qui soigne, assiste et console le malade. On l’a vu au moment où les idées révolutionnaires firent substituer aux religieuses des infirmières à gages.
Si les gouvernements et les municipalités, avec leurs budgets, ont beaucoup fait pour les hôpitaux, la charité, par les seules ressources des aumônes, s’est montrée aussi active, aussi ingénieuse dans l’organisation des établissements hospitaliers que dans toutes les institutions de secours et de patronage qu’elle a inspirées. Sans compter les maisons de santé des frères de Saint- Jean-de-Dieu et des dames Augustines, qui reçoivent des pensionnaires, il faut citer l’Association des Dames du Calvaire, fondée en 1842 à Lyon par madame Garnier, avec ses hospices des femmes incurables desservis par les pieuses veuves, dont le lien est l’exercice commun des œuvres de miséricorde ; l’Asile de Saint-Vincent-de-Paul à la Teppe pour les épileptiques ; l’Asile des infirmes à Marsonna, fondé en 1863 par les Petites-Sœurs de Jésus pour les jeunes filles idiotes ; la Maison de convalescence de la Roche-Guyon, due à la libéralité de M. le comte Georges de la Rochefoucauld ; la Maison de convalescence et Orphelinat Saint-Louis à Paris, qui reçoit aussi les jeunes garçons convalescents à leur sortie des hôpitaux, les soigne jusqu’à leur guérison, les, instruit et les place en apprentissage ; l’Asile du Saint-Cœur de Marie à Paris, pour les jeunes filles convalescentes ; l’Œuvre de l’Enfant-Jésus pour la convalescence et la première communion des jeunes filles pauvres ; l’Œuvre analogue des jeunes convalescentes, établie dans l’asile Sainte-Hélène à Épinay-sous-Sénart ; l’Œuvre de patronage pour les aliénés convalescents, fondée en 1841, par le docteur Falret et l’abbé Christophe, depuis évêque de Soissons, dans le but de venir en aide aux aliénés des deux sexes qui sortent des asiles du département de la Seine.
Mais la création la plus admirable de la charité en ce siècle est celle des Petites-Sœurs des Pauvres. La ville de Saint-Servan lui a servi de berceau. Un jeune vicaire de paroisse, M. l’abbé Le Pailleur, en a eu l’inspiration. Il chargea deux jeunes filles, qui n’avaient rien, de visiter, de soigner et de nourrir une vieille aveugle qu’on put bientôt recueillir (1840) dans une mansarde où demeuraient deux autres personnes de condition fort modeste qui voulurent s’associer à l’entreprise. Le nom de l’une de ces dernières, Jeanne Jugan, une ancienne servante âgée alors de quarante-huit ans, devint célèbre lorsque plus tard l’abbé Le Pailleur envoya ses filles quêter pour subvenir à la nourriture de leurs pauvres. Jeanne Jugan fut la première quêteuse des Petites-Sœurs des Pauvres, c’est le nom qu’on avait donné à ces saintes filles que la grâce de Dieu accompagne et qui nourrissent aujourd’hui des multitudes en demandant chaque jour à Notre-Seigneur de renouveler pour elles le miracle de la multiplication des pains. L’abbé Le Pailleur, qui les avait initiées à cette sublime pratique de la charité, les avait en même temps formées à la discipline religieuse. « Les maisons des Petites-Sœurs, écrivait M. Louis Veuillot à la mort de la mère Pauline, première assistante, sont répandues par le monde. La dernière est à Malte ; cinq sont à Paris, toutes déjà anciennes. Une seule a été supprimée par les Genevois ; les débris en ont été recueillis par la France. Le noviciat compte 500 postulantes. Le chiffre total des professes est de 3 000 environ. Près de deux cents maisons sont réparties dans le monde. La France a fourni la plus grande partie de cette armée, qui loge aujourd’hui plus de trente mille pauvres, et ne demande nulle part un sou ni un employé à l’État. Tous vivent comme sur le lac de Tibériade des cinq pains d’orge et des poissons bénis par Notre-Seigneur. »
Se faire pauvre pour recueillir et nourrir les pauvres, c’était une nouveauté dans l’histoire des ordres religieux, si diversement appropriés à tous les besoins de l’humanité souffrante ; c’est, on peut le dire, un sublime renchérissement sur l’institution elle-même des Servantes des Pauvres, et, s’il est permis de parler ainsi de l’Église, il ne semble pas que la charité puisse rien inventer de plus beau et de plus saint.
Si tant d’œuvres admirables en tous genres que notre siècle a produites ne procèdent pas directement de saint Vincent de Paul, elles sont inspirées de son esprit, et pour la plupart elles ne font que reproduire et développer ses institutions. Plusieurs d’entre elles, comme pour lui rendre hommage de tout ce qui a été fait en ce temps, se trouvent réunies au lieu même de sa naissance. La maison établie à l’endroit qui porte aujourd’hui le nom de l’Apôtre de la charité voit groupées autour de son berceau ses principales fondations. Elle comprend un orphelinat de garçons, un orphelinat de jeunes filles, un hospice de vieillards, une école professionnelle pour les garçons, un établissement de missions et de retraites.
Dans cet épanouissement de la charité, les deux familles de Saint-Vincent-de-Paul ont pris une merveilleuse extension et continuent avec un succès croissant les œuvres de leur père. Aujourd’hui, sous le gouvernement de M. Fiat, digne successeur de M. Boré, les prêtres de la Mission, au nombre de près de deux mille, y compris les frères coadjuteurs, ont en France et en Algérie 66 établissements répartis dans les provinces d’Ile-de-France, de Picardie, de Champagne, de Touraine, de Lyon, d’Aquitaine, de Languedoc, de Provence et d’Algérie ; 28 en Italie, 10 en Espagne, 5 en Portugal, 9 en Irlande, 2 en Prusse, 3 en Pologne, 5 en Autriche, 7 en Turquie et dans le Levant, 4 en Perse, 6 en Syrie, 4 en Abyssinie, 39 en Chine, 4 à Manille et aux Philippines, 13 aux États-Unis, 9 au Mexique, 25 dans l’Amérique du Sud. En France, ils sont à la tête de 21 grands séminaires et de 12 petits ; ils dirigent les Filles de la Charité, donnent des missions dans les campagnes, président les retraites, comme avant la Révolution. Leurs emplois sont les mêmes à l’étranger ; mais surtout ils y vaquent aux missions. La Chine est leur plus glorieux champ de conquêtes ; là principalement, leur zèle pour la propagation de l’Évangile, leur courage dans les persécutions, leur héroïsme dans le martyre, proclament aux yeux du monde qu’ils sont de la race des premiers apôtres du christianisme et des premiers missionnaires, envoyés par saint Vincent de Paul aux infidèles. Ils sont, avec leurs frères des autres congrégations religieuses ou compagnies de prêtres, les instruments de cette œuvre admirable de la Propagation de la foi, fondée à Lyon en 1822 par une humble servante, à l’aide de quelques cotisations d’un sou par semaine, et qui possède aujourd’hui, avec la même aumône multipliée par les fidèles du monde entier, un budget annuel de six millions. Ils comptent deux martyrs, MM. Clet et Perboyre, morts pour la foi en Chine, le premier en 1820, le second pendant la terrible persécution de 1840 ; tous deux admis aux honneurs de l’Église, et déclarés vénérables.
Le prodigieux accroissement de la pieuse milice des Filles de Saint-Vincent-de-Paul est le trait marquant de l’histoire de la charité dans ce siècle. La Révolution les avait supprimées et elles sont aujourd’hui plus de vingt mille répandues dans le monde. À peine rétablies, elles pullulent généreusement. On les voit reprendre bientôt en France tous les postes de dévouement d’où on les avait chassés ; elles pénètrent en Belgique et en Suisse ; elles occupent promptement toutes les provinces d’Italie ; elles franchissent les Pyrénées et se répandent en Espagne et en Portugal ; elles traversent le détroit et abordent en Angleterre pour passer en Irlande ; elles vont de nouveau consoler la Pologne et adoucir ses épreuves ; les voici enfin qui traversent les frontières de la Prusse et gagnent l’Autriche. L’Europe n’offrant plus à leur zèle un champ assez vaste, on les voit apparaître en Turquie, en Grèce, en Égypte et en Perse ; les distances ne sont plus rien pour elles : la Chine, l’île Bourbon, l’Abyssinie, les accueillent avec empressement ; elles s’établissent dans l’Amérique du Nord et du Sud ; un jour leur suffit pour conquérir les États-Unis : jour heureux, où plus de quatre cents religieuses de Saint-Joseph passent dans leurs rangs et acceptent leurs constitutions. Cette belle colonie doit son origine à Élisabeth Seton et aux exilés français, en particulier aux prêtres de Saint-Sulpice.
C’est surtout au vénérable M. Étienne, l’un des plus éminents supérieurs généraux de la Mission, que la compagnie des Filles de la Charité doit sa propagation et ses établissements à l’étranger. Ce digne successeur des Alméras et des Cayla écrivait à ses filles, le 8 septembre
1843 : « Les bornes de l’Europe ne suffisent plus pour contenir les efforts de votre charité ; tout à coup l’esprit apostolique a éclaté au sein de votre Compagnie ; la charité a dilaté les cœurs : traverser les mers, aller habiter des plages lointaines, s’exposer à tous les dangers, à toutes les persécutions et à tous les sacrifices, tout cela a paru un bonheur et une jouissance. » En effet, les Sœurs de charité sont allées partout, ont embrassé tous les travaux, déployé tous les héroïsmes, supporté toutes les persécutions. Elles desservent aujourd’hui une grande partie des salles d’asile, des orphelinats, des ouvroirs, des écoles de filles, des hôpitaux et des hospices. Non contentes de se vouer à l’éducation de la jeunesse, au service des pauvres, au soin des malades, et toujours insatiables de dévouement, elles suivent les missionnaires dans les contrées les plus lointaines, les plus barbares ; elles attendent les soldats sur tous les champs de bataille. Comme elles sont journellement à la peine et au sacrifice dans les écoles, au chevet des malades, dans les hôpitaux, on les a vues aussi, à l’occasion, montrer un dévouement au-dessus des forces de leur sexe dans les guerres dont la France, la Russie, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Turquie, la Chine, le Mexique, les États-Unis ont été le théâtre depuis le commencement de ce siècle.
Au combat de Brienne, en 1814, une batterie de canons couvrait l’hôpital de fer et de feu ; tout le monde s’était enfui, excepté les trois sœurs qui gardaient les blessés. On les presse de s’en aller aussi : « Non, répond la supérieure, je suis à mon poste et j’y mourrai. Dieu me demanderait un jour ce que je faisais au moment de la bataille de Brienne. » Cependant elle veut faire partir ses compagnes plus jeunes ; celles-ci persistent à partager son dévouement. Un boulet les emporte toutes les trois.
Près des barricades, en 1848, la sœur Rosalie, d’immortelle mémoire, sauvait, au péril de sa vie, un brave officier. Les émeutiers allaient le fusiller dans la maison des Filles de la Charité de la rue de l’Épée-de-Bois ; la sœur se jette à genoux entre eux et lui, écarte les baïonnettes et offre à ces forcenés une poitrine de femme à percer. Tant de courage les désarme. Mais qui eût osé toucher à la sœur Rosalie ? Les révolutionnaires les plus farouches lui obéissaient comme les petits enfants d’une salle d’asile ; son nom était proclamé dans toutes les mansardes de l’ouvrier, et quand elle mourut l’admiration publique lui fit des funérailles de reine. Sur sa tombe on grava ces mots : « À sœur Rosalie, ses amis reconnaissants, les riches et les pauvres. »
Chez la sœur de charité c’est le même héroïsme dans les persécutions et les épidémies. En face de la mort elle dira aux bourreaux, comme cette admirable supérieure de la maison de Thien-Tsen, massacrée en 1870 avec dix de ses compagnes : « Me voici, tuez-moi, mais épargnez mes enfants. » Dans les jours néfastes de la Commune de Paris, c’est en vain que les gens de l’Hôtel-de-Ville et leurs séides voulurent faire disparaître la cornette blanche ; elle se trouvait toujours où il y avait une misère à soulager, quelque bien à faire. Menaces, injures, mensonges, visites domiciliaires, tout fut employé pour effrayer celles qui venaient d’affronter les champs de bataille de la malheureuse guerre de 1870, et rien ne put les empêcher de vaquer à leur ministère de dévouement. Il y a longtemps que les Filles de Saint-Vincent-de-Paul excitent à Damas et à Constantinople l’admiration des sectateurs eux-mêmes de Mahomet. En 1860, Abd-el-Kader leur sauvait la vie à Damas ; au mois d’avril 1878, le grand-vizir de Constantinople écrivait à M. Boré, supérieur général de la Mission, et lui témoignait sa reconnaissance pour le dévouement des Filles de la Charité envers les malades et les victimes de la guerre. Tous les éloges leur sont dus ; car, à Constantinople comme en France, comme en Chine, comme aux États-Unis, elles sont prodigues de leur vie.
Leur martyrologe, écrit sur toutes les plages du monde, abonde en nobles victimes de la charité. Les dernières ont péri de la même manière, avec le même dévouement, au Sénégal et en Turquie. C’est de celles-ci que M. Louis Veuillot disait, au lendemain du traité de Berlin : « Au milieu des choses inglorieuses par lesquelles la France semble s’efforcer de constater combien elle est terriblement absente des théâtres sérieux du monde, nous ne voyons qu’un spectacle qui puisse nous rappeler le passé. Une palme pure, et digne de figurer dans le deuil de la patrie, est abandonnée sur un tombeau. Ramassez-la ; elle est belle, chrétienne et française ; rien n’est plus complètement un signe d’autrefois. En moins de quatre mois, du 27 février au 30 mai (1878), quatorze Sœurs de la Charité sont mortes en soignant les malades dans les hôpitaux pestilentiels de Constantinople. Les Annales de la Congrégation de la Mission publient les noms de ces martyres avec leurs états de service. Grâces soient rendues à Dieu, nous remercions la France ! La diplomatie voulait l’oublier dans cette dernière page de l’interrègne du Bas-Empire grec, mais les Sœurs de charité l’ont écrite en caractères ineffaçables, et elle y reparaît digne de son grand nom. Vaincue et mourante, elle est au chevet des mourants. Elle a sa noble part, dont Dieu et l’histoire se souviendront. Ce martyrologe est peut-être tout ce qui restera de l’histoire de France en Orient. Ces sœurs meurent victimes de la charité, fidèles à l’honneur du Christ et à l’honneur de leur pays. Elles auront tenu jusqu’à la fin, jusqu’à la mort. On les ensevelira près de leur église, sur leur champ de bataille, tenant dans leurs mains saintes et innocentes le signe sacré de la croisade, où elles ont succombé les dernières. Les yeux français, troublés de tant d’humiliations amères, les verront encore dans l’avenir et seront consolés. »
Rien ne dit mieux les services et les bienfaits des Filles de Saint-Vincent-de-Paul que la statistique de leurs établissements dans le monde entier. En 1857, elles en comptaient déjà près d’un millier ; vingt ans après, elles en avaient plus du double. Au 3 novembre 1878, le nombre des établissements de toute sorte des Sœurs de charité, séminaires, orphelinats, maisons de charité, hôpitaux, hospices, infirmeries, salles d’asile, écoles, ouvroirs, refuges, s’élevait pour la France à 884 ; pour la Belgique, à 35 ; pour l’Italie, à 303 ; pour l’Espagne, à 206 ; pour l’Autriche, à 62 ; pour la Prusse, à 9 ; pour la Pologne, à 66 ; pour l’Angleterre, l’Irlande et l’Écosse, à 21 ; pour le Portugal, à 10 ; pour la Suisse, à 6, après la persécution qui en avait détruit autant. À la même date, les Filles de la Charité possédaient 31 maisons à Constantinople, dans le Levant et en Syrie ; 100 aux États-Unis, 1 au Canada, 24 au Brésil, 18 au Chili, 18 au Pérou, 11 dans la Confédération Argentine, 7 aux îles Philippines, 3 dans les Grandes Antilles, 1 dans les Antilles espagnoles, 6 à Cuba, 10 au Guatemala, 1 en Californie, 8 dans la république de l’Équateur, 1 dans l’Uruguay, 2 à la Nouvelle-Grenade, 2 à Bourbon, 1 en Abyssinie, 1 en Perse, 9 en Chine ; au Mexique elles en avaient 49 avant la proscription de 1875.
C’est de la France qu’est venue l’impulsion qui a porté les Sœurs de charité jusqu’aux extrémités du monde, c’est en France surtout que les admirables filles de saint Vincent de Paul se sont multipliées comme un produit de ce généreux sol où germent toutes les bonnes et grandes choses. Elles y sont dans leur patrie de naissance, à l’ombre du tombeau de leur vénérable père, dont les œuvres sont leurs œuvres et la gloire leur gloire ; elles portent son nom et représentent sa douce et sainte figure. La cornette blanche, répandue dans le monde entier, est devenue l’emblème de la Charité ; elle est aussi le glorieux étendard sous lequel saint Vincent de Paul est aujourd’hui connu et aimé de tous les hommes. N’eût-il institué que la Sœur de charité, Vincent de Paul mériterait l’éternelle reconnaissance du monde, car il a plus fait par là pour le bien de l’humanité que tous les législateurs, tous les philosophes, tous les orateurs et tous les poètes qui prétendent améliorer le sort de leurs semblables avec des lois et des phrases. L’un a agi et les autres ne font que parler ; ceux-ci représentent la politique, celui-là la charité, et il l’emporte autant sur les premiers que l’Évangile l’emporte sur la Déclaration des droits de l’homme.
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P. B. ET L. B.
On a fait un volume de la seule liste des institutions religieuses et charitables établies à Paris ; il faudrait le doubler pour le reste de la France, et aucune énumération ne saurait donner une idée complète des œuvres de la charité dans le monde chrétien. « La nomenclature d’un si grand nombre d’institutions, nées presque toutes de l’influence du christianisme et sous l’inspiration de l’Évangile, n’est-elle pas, dirons-nous aussi avec l’auteur de cette statistique, le plus éclatant témoignage en faveur des croyances et des doctrines aujourd’hui si calomniées et si combattues, et une réponse victorieuse à ceux qui seraient tentés de désespérer de notre temps et de notre pays ? ». En moins d’un siècle, l’Église a refait tout ce que la Révolution avait détruit.
Celle-ci cependant n’a point cessé de la combattre ; mais plus elle est maîtresse, plus elle se montre impuissante à procurer le bien des hommes, le soulagement des misères, le maintien de la paix. Malgré ses promesses et ses efforts elle n’a rien fondé de bon ni d’utile, elle n’a su créer ni un établissement de bienfaisance, ni une corporation d’hommes dévoués à leurs semblables, ni même une vertu de philanthropie. C’est que la charité n’est pas une institution légale, et que rien ne peut la remplacer. Avec ses deux cents millions employés chaque année à l’assistance publique, avec ses maisons de travail pour les indigents, la riche Angleterre est rongée, depuis Élisabeth, par la plaie du paupérisme ; au milieu de ses victoires l’Allemagne protestante tremble devant le socialisme, et la Russie schismatique voit son formidable empire menacé par le nihilisme. Si la France, exploitée depuis un siècle par les doctrines les plus insensées, et ballottée sans cesse par les révolutions, sort victorieuse de tant d’épreuves, c’est à la charité qu’elle le devra, Qui pourrait méconnaître l’influence politique et sociale des orphelinats, des patronages, des maisons de correction, des pénitenciers, des refuges et des innombrables œuvres d’assistance pour les pauvres ? En France plus qu’en aucun autre pays, la charité recueille, élève, secourt et console une multitude de malheureux qui sans elle deviendraient, sous les mauvais conseils de la faim, des criminels ou des révolutionnaires. Elle est la vraie solution des questions sociales qui se posent d’une manière si redoutable en face des sociétés modernes, parce qu’elle seule peut faire régner dans le monde la paix avec la justice. Dans la théorie chrétienne de la richesse, Dieu seul est le vrai propriétaire, les riches ne sont que les usufruitiers, et cette doctrine a son application dans l’exercice de la charité, qui conduit à la fois au soulagement de toutes les misères et à l’organisation équitable du travail. Telle est la charité prêchée et pratiquée dans l’Église, Cette charité des saints, qui est la forme la plus sensible de l’action civilisatrice de l’Église, l’expression la plus parfaite des vertus chrétiennes, transformerait le monde si elle était mieux imitée. Saint Vincent de Paul en a été un des plus parfaits modèles, un des plus féconds instruments. Ses œuvres soutiennent aujourd’hui une société ébranlée jusqu’aux fondements par le souffle des mauvaises doctrines et des passions politiques ; son esprit merveilleusement ranimé en ce siècle ne périra pas, et il ne cessera d’engendrer des dévouements et des œuvres qui feront plus pour le maintien de l’ordre et de la paix que toutes les lois de police et toutes les sentences des tribunaux. La charité n’a besoin que de la liberté pour produire ses fruits, Avec elle, l’Évangile, manifesté dans toute sa force et toute sa beauté, continuera de régir le monde, et l’Église de Jésus-Christ, à travers toutes les épreuves du temps et malgré toutes les oppositions des hommes, vaincra la Révolution comme elle a vaincu l’idolâtrie.
ARTHUR LOTH,