Avant-propos
En tête du premier tome des Œuvres complètes de A.-F. Ozanam, publiées à partir de 1855, dans un intervalle de dix années, on lit, sous la signature de J.-J. Ampère, cette déclaration sur le plan et le contenu des volumes :
Les amis d’Ozanam ont la satisfaction de livrer ses Œuvres au public. Le succès de la souscription, dont quelques généreux Lyonnais ont pris noblement l’initiative, permet d’élever à sa mémoire ce monument, le plus digne d’elle. Tout ce qu’il a exécuté d’un vaste plan, et une partie de ce qu’il avait conçu, sera du moins conservé. Tant de savoir laborieusement acquis, tant d’efforts persévérants, tant d’âme et de talent ne seront pas perdus ; l’œuvre de cet homme, mort à quarante ans, restera pour l’honneur de la science, des lettres et du christianisme.
Une portion de cette œuvre est complètement inédite ; le reste était déjà connu, soit par des travaux considérables qui ne formaient qu’une partie de l’ensemble embrassé par Ozanam, soit par des publications détachées éparses dans différents recueils, soit enfin par des brochures devenues rares, et qu’il était important de réunir, car toutes se rapportent à un même dessein et offrent comme les aspects d’une même pensée.
Il semblerait donc que, pour trouver, sinon la Bibliographie, du moins le catalogue détaillé — qui en est l’ébauche — des écrits d’Ozanam, l’on n’eût qu’à consulter la table des matières des Œuvres complètes. Cependant, à l’examen, cette édition révèle promptement d’importantes autant que nombreuses lacunes : l’exécution n’a répondu que très incomplètement aux intentions. Les éditeurs1 des manuscrits d’Ozanam, dominés surtout par le souci, tout à fait louable, d’en reproduire scrupuleusement le texte, se sont acquittés, certes, de leur besogne avec « le soin minutieux », « la religion » que méritait la mémoire de leur illustre ami ; mais aussi, en dehors de toute préoccupation de chronologie et de bibliographie, qui les eût amenés, sans nul doute, à rechercher un bon nombre de pièces dont on s’explique mal l’absence dans leur recueil. Négligence regrettable par quoi, en définitive, les Œuvres complètes, loin d’offrir ce qu’elles paraissaient promettre, ne forment guère qu’une collection d’Œuvres choisies.
C’est en vue de fournir le moyen de combler tant de fâcheuses lacunes et pour dresser un inventaire aussi exact que possible de l’œuvre d’Ozanam que l’on a tenté cet Essai de Bibliographie. Il est le fruit de minutieuses et persévérantes recherches, poursuivies pendant de longues années, à travers tous les documents où l’on pouvait supposer que l’auteur avait déposé quelque produit de l’incroyable fécondité de sa plume.
On a interrogé d’abord ses trois principaux biographes : Urbain Legeay (1854), Mgr Ozanam (1879) et Mgr Baunard (1913), qui mentionnent çà et là, le long de leur narration, les ouvrages les plus remarquables et les plus connus de leur héros. Ensuite, l’étude attentive des Lettres de F. Ozanam — véritable autobiographie — m’a mis sur la piste des journaux et revues où il insérait des articles, souvent — trop souvent — sous un voile d’anonyme qu’il n’a pas toujours été facile de lever. Enfin, le Livre du Centenaire (1913), qui se clôt sur une Bibliographie par Corbierre2 m’a fourni plus d’une indication intéressante. Ce dernier travail, le seul du genre, venu à ma connaissance jusqu’en 1913, constitue plutôt une nomenclature qu’une véritable Bibliographie ; il présente d’ailleurs le double inconvénient d’être entaché de trop nombreuses erreurs et fautes d’impression et de mélanger les écrits d’Ozanam avec ceux que l’on a publiés sur Ozanam. Il me sera permis néanmoins de rendre hommage à la patience et à la sagacité de l’auteur de ce précieux catalogue et de payer un juste tribut d’éloges à sa mémoire.
En un mot, je me suis appliqué à utiliser tous les guides capables de me conduire aux sources d’informations et j’ai rassemblé ici les titres de tous les manuscrits et de tous les imprimés que j’ai pu recueillir dans mon enquête consciencieuse.
Pour les manuscrits, le travail m’a été singulièrement facilité par une liste des écrits signalés au Tribunal canonique, en vue de l’instruction de la Cause de Béatification. Je suis redevable de cette inappréciable aubaine à l’aimable obligeance de M. le chanoine F. Maurer3 qui m’a autorisé à faire état de son document ; je suis heureux de lui en exprimer ici toute ma respectueuse reconnaissance.
Quant à la nomenclature des imprimés qui constitue le fonds de cet « Essai », on se doute bien qu’elle a exigé de patientes investigations, surtout dans les Bibliothèques de Paris et de Lyon, les deux villes où Frédéric Ozanam a exercé son activité intellectuelle dans les laborieuses fonctions du professorat. J’ai fait également de notables trouvailles dans les collections de la Bibliothèque de Dijon, et je me plais à remercier M. Oursel, le distingué conservateur, de son accueil amical.
J’ai cru opportun de répartir en trois séries les numéros de mon catalogue, parce que ces groupements me paraissent nettement représentatifs de l’évolution du talent de l’auteur : les compositions de l’écolier, les essais de l’étudiant, les travaux du Professeur. En quoi je me trouve d’ailleurs en parfaite communauté d’appréciation avec Ozanam qui parle quelque part4 des « années de la troisième éducation… celles qui achèvent de mûrir le sens, le goût, la fécondité littéraire », et supposent, bien entendu, une première et une seconde éducation, c’est-à-dire précisément les étapes intellectuelles que je note ici.
On remarquera que, parmi les articles cités, les uns figurent sous la signature d’Ozanam, les autres, avec ses simples initiales ; un seul présente l’anagramme ingénieuse de Manazo de Milan ; d’autres, enfin, assez nombreux, sont anonymes. Dans cette catégorie, il importe de distinguer les écrits dont l’attribution est nettement douteuse, de ceux où l’authenticité se découvre sans peine, ou par des témoignages intrinsèques indiscutables, ou par des preuves extrinsèques absolument péremptoires. C’est ainsi, par exemple, que, grâce à un « précieux volume »5, dit le Recueil de Lallier6, j’ai eu la bonne fortune de pouvoir mettre le nom d’Ozanam sur une douzaine d’articles tirés de la Tribune catholique et de l’Univers religieux. Je n’ai fait précéder d’un signe de doute — point d’interrogation — que les pièces pour lesquelles il n’a pas été possible, jusqu’à présent du moins, de produire un témoignage formel d’authenticité, mais qui présentent cependant, en garantie de leur attribution conjecturale, certains indices d’inspiration et de style par où se décèlerait la main d’Ozanam. Il faut s’y résigner d’ailleurs : tant que l’on ne possédera pas une édition complète de tout ce qui subsiste de la vaste correspondance de l’écrivain, on doit renoncer à des résultats définitifs aussi bien sur sa Biographie que sur sa Bibliographie.
En attendant, et sous le bénéfice de ces réserves, on s’est efforcé de présenter dans ces pages des informations exactement vérifiées. Pour être aussi complet que possible, j’aurais vivement désiré joindre à la Bibliographie d’Ozanam une liste chronologique des écrits sur Ozanam, mais je devais me contenir dans des limites nettement tracées, de peur de grossir outre mesure ce petit volume. Car il y a, si l’on peut ainsi dire, toute une littérature sur Ozanam : un nombre considérable d’articles, de discours, d’études, de panégyriques qui fourniraient la matière d’une copieuse bibliographie sur sa personne et son œuvre7.
Par manière de compensation, j’ai tenu à signaler : d’abord, pour ce qui a trait à la Biographie, les principaux historiens d’Ozanam, qui mettent eux-mêmes sur la trace des écrits d’importance secondaire, publiés à la louange du Chrétien, du Professeur, de l’Homme d’œuvres, du Fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul, ou qui apportent des éléments inédits à la trame de sa vie ; puis, la liste des portraits d’Ozanam, son Iconographie sur la toile et sur le marbre. J’ai indiqué enfin, à la suite des morceaux les plus saillants, un certain nombre de comptes rendus qui en soulignent l’importance ou le retentissement dans les milieux intellectuels d’alors. Les traductions de plusieurs livres et opuscules n’ont pas été omises non plus, puisqu’elles fournissent un témoignage incontestable de la réputation du professeur français à l’étranger.
Le lecteur remarquera encore qu’un seul numéro d’ordre sert d’étiquette à tout le Cortège des différentes éditions, traductions et comptes rendus d’un même ouvrage : on a pensé faciliter ainsi les recherches et donner une plus juste idée de l’étendue de l’œuvre d’Ozanam. J’ai cru enfin rendre service en ajoutant, toutes les fois que je l’ai pu, la cote de la Bibliothèque Nationale ou d’autres collections publiques ou privées, (en reproduisant l’orchestration de la première page des éditions originales qui sont d’une extrême rareté.
Cependant, malgré tous mes soins à ne laisser rien échapper, je ne puis que reprendre pour mon compte ces paroles d’un maître de la Bibliographie8 : « Nous ne saurions nous flatter d’avoir été complet ; il y a dans ce travail des lacunes dont nous sommes parfaitement conscient ; il y en a d’autres, sans doute, que l’on pourra relever. Tel qu’il est, nous espérons qu’il pourra rendre des services. »
Ce timide Essai méritera, je l’espère aussi, l’indulgence de tous ceux qui auront le goût de le feuilleter. Ils comprendront qu’un travailleur isolé dans les solitudes de la Bresse forestière, loin des grandes bibliothèques où il ne lui est guère permis de fréquenter qu’à de rares intervalles, est bien excusable de montrer plus d’une défaillance dans l’achèvement d’un labeur si minutieux.
Au surplus, avant de clore cet Avant-propos déjà trop prolongé, il me reste l’agréable devoir de m’acquitter de mon mieux de la dette de reconnaissance contractée depuis si longtemps, à l’égard de toutes les personnes qui m’ont soutenu de leur bienveillance et de leurs encouragements, qui m’ont aidé de leur expérience dans l’accomplissement d’une tâche qui eût dépassé, de toute façon, ma compétence et mes seuls moyens.
Je nommerai d’abord M. Gabriel Ledos, archiviste paléographe, conservateur adjoint à la Bibliothèque Nationale qui, non content de me proposer comme guide et comme modèle son Essai de Bibliographie lacordairienne9 — un chef- d’œuvre du genre — a eu l’extrême bonté, au milieu de ses absorbantes occupations professionnelles, de réviser toutes mes fiches, d’en corriger les inexactitudes et de les enrichir des annotations les plus précieuses. Sans l’appui de sa haute compétence, il est bien évident que je n’aurais jamais pu conduire cet Essai au point d’exactitude et de précision où il m’est donné de le présenter aujourd’hui. Que le savant archiviste veuille bien trouver ici l’hommage de ma profonde et respectueuse reconnaissance ! J’en adresse aussi l’expression à M. André Jaulme, archiviste paléographe, bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale, qui a consenti à poursuivre et à terminer ce travail ingrat de révision, auquel M. Ledos l’avait prié de mettre la dernière main. C’est à ces deux savants que mon Essai est redevable encore des cotes de la Bibliothèque Nationale.
Le bibliothécaire adjoint de l’Institut catholique de Paris, M. I ’abbé Urbain Rouziès, a droit, de son côté, à un juste tribut de gratitude, pour son aimable empressement à me découvrir les richesses insoupçonnées de ses collections.
A la Bibliothèque municipale de Lyon (ancien Archevêché), j’ai trouvé l’accueil le plus favorable, et je suis heureux d’assurer M. Joly, le Conservateur des Bibliothèques et Archives historiques de la Ville de Lyon, de mon souvenir reconnaissant pour les attentions gracieuses dont il lui a plu de me combler.
La Société de Saint-Vincent de Paul, attentive à mes recherches, a daigné s’intéresser à un travail entrepris pour la glorification du grand homme de bien qu’elle reconnaît à bon droit comme son fondateur. Par l’entremise de son éminent secrétaire général, M. Léonce Celier, archiviste aux Archives nationales, elle m’a prodigué les encouragements et a stimulé mon ardeur ; elle a pris sous son patronage cet Essai de Bibliographie. C’est un grand honneur dont je sens tout le prix et auquel je voudrais pouvoir égaler ici ma reconnaissance. Du moins, je prie M. Léonce Celier d’agréer mes très vifs remerciements, et je présente mes hommages respectueux à M. H. de Vergés, le vénéré Président de la Société de Saint-Vincent de Paul, qui a bien voulu me permettre d’inscrire son nom en tête de ce modeste volume.
Je terminerai par un vœu. « Les amis et les admirateurs de A.-F. Ozanam » qui, en 1855, ont publié l’édition complète de ses Œuvres, « afin de perpétuer l’influence de ses travaux et d’honorer sa mémoire par ce témoignage spontané de reconnaissance et de respect »10, ont laissé après eux une phalange sans cesse renouvelée et sans cesse grossissante d’autres amis et admirateurs du professeur de Sorbonne. Comme leurs devanciers, ceux d’aujourd’hui sont désireux de prolonger toujours davantage l’influence des travaux d’Ozanam et de glorifier sa mémoire. Et ils estiment, à n’en pas douter, que sa mémoire serait d’autant mieux honorée, et partant son influence d’autant plus grandie et accrue, que ses Œuvres seraient plus intégralement publiées. Puisse ce modeste Essai Bibliographie aider à la réalisation d’un tel désir, en servant d’amorce à une nouvelle édition des Œuvres de Frédéric Ozanam où se détacherait, dans un relief plus saisissant, sa personnalité, l’une des plus sympathiques et des plus rayonnantes de l’Eglise de France au dix-neuvième siècle.
Eug. Galopin,
Toutenant, par Verdun-eur-le-Doubs (Saône-et- Loire), le 8 septembre 1931, au soixante-dix- huitième anniversaire de la mort de A.-F. Ozanam.
- Cf. Préface, p. IX (édition de 1855, t. I).
- Auguste-Joachim Corbierre, oblat bénédictin (1876- 1930).
- Je suis redevable aussi à M. le chanoine Maurer de la précieuse nomenclature des lettres de F. Ozanam, recueillies ou inédites, que leurs détenteurs ont déposées entre ses mains, pour l’examen canonique. M. le chanoine J. Gaston, vicaire général, archidiacre de Saint-Dénis et président dudit Tribunal canonique, a eu, lui aussi, la bonté de me meltre sous les yeux plusieurs pièces du plus haut intérêt ; je le prie d’agréer l’hommage de ma très vive gratitude. — Les lettres de Frédéric Ozanam formeront, l’objet d’une Bibliographie spéciale.
- Cf. Lettre du 9 sept. 1852 à J.-F. Nourrisson (Théde- nat, op. cit., p. 82-85).
- Cf. Livre du Centenaire, p. 58, note.
- Il s’agit d’un recueil factice formé par François Lallier, sous ce titre : Recueil d’articles insérés dans la Tribune catholique et l’Univers religieux (lre série) par MM. Ozanam, Lamache, de La Noue, Gorse, Lallier et autres. Il se termine par une « Table des Articles » qui donne la nomenclature détaillée de toutes les pièces publiées sans signature dans les deux journaux par ces différents auteurs, avec les attributions respectives. J’ai pu consulter ce volume à loisir, grâce à l’obligeance d’une personne de la famille Lallier qui a mis le plus gracieux empressement à me le confier, en même temps qu’elle m’ouvrait libéralement le trésor de ses archives familiales où j’ai eu la permission de puiser à mon gré maints renseignements du plus haut prix. Que M»e s. P., aimable gardienne de tous ces documents, veuille bien trouver ici, avec l’hommage de mon respect, l’assurance de ma très vive gratitude.
- Cf. Corbierre, Livre du Centenaire, p. 465-479.
- Ledos (Gabriel), Morceaux choisis et Bibliographie de Lacordaire. Parie, Librairie des Saints-Pères, 1913, in-12, VIII, 576 p. (cf. p. VI-VII).
- Ledos (Gabriel), op. cit. (p. 401-476).
- Cf. Œuvres complètes, t. I. Dédicace.