Les compte-rendus des missions populaires constituent une source de première importance pour l’histoire de l’Eglise, dans sa dimension «terre á terre ». G. Le Bras avait déjà signalé tout Inintérêt de cette source et on a commencé concrètement á l’exploiter en France et en Italie. Mais comme il arrive pour des sources nouvellement découvertes et qui passent de l’oubli total á une mise en valeur dans l’improvisation, l’utilisation de ces relations n’a pas toujours donné des résultats satisfaisants. Les défauts que l’on rencontre dans les diverses études sur ce sujet se ramènent á un manque de sens historique vis á vis des sources, á une mise en valeur exagérée de l’aspect hagiographique, et enfin au fait que cette recherche n’est pas replacée dans un ensemble.
Le présent travail n’a pas la prétention d’épuiser le sujet: cette étude devra are élargie et sa méthodologie affinée, car certains thèmes culturels ou hagiographiques pourront être mieux saisis par comparaison avec d’autres compte-rendu ou d’autres documents.
L’intervention missionnaire de la Congrégation de la Mission dans les Etats pontificaux n’est pas due á une initiative des Souverains pontifes, mais elle est plutôt une conséquence de la contre-réforme française. Le drame des guerres de religion avait laissé la France dans une situation de «pays de mission» En partant d’études comme celles de Jeanne Ferté ou de Thérèse Schmitt, on se rend compte avec évidence des progrès de la déchristianisation. Cette rupture religieuse avait démontré l’incapacité d’un régime de chrétienté á transmettre les valeurs authentiquement chrétiennes. La fin des guerres de religion avait mis l’Eglise de France devant une double exigence:
- bloquer la diffusion du protestantisme et
- réévangéliser une population qui n’avait plus ni catéchèse ni sacrements.
Les Jésuites, les Capucins et les Barnabites se consacrèrent á cette entreprise missionnaire, mais elle fut surtout l’œuvre des communautés sacerdotales nouvelles comme l’Oratoire de Bérulle avec Condren, Bourgoing, Lejeune, les Etudistes de St. Jean Eudes, la Congrégation de Notre Dame de St. Pierre Fourier, les Doctrinaires de Toulouse, les Prêtres du St. Sacrement de Christophe d’Authier de Sisgau, les Montfortains, et enfin la Congrégation de la Mission.
Cette communauté avait été fondée par St. Vincent de Paul (1581-1660) disciple de Bérulle et de François de Sales, lié aux milieux de la Contre-réforme française, ami de Jean Duvergier de Hauranne abbé de St. Cyran, et de Condren, directeur de M. Olier. La Congrégation de la Mission ne devait pas être considérée comme une « religion», mais essentiellement comme une « mission ».C’est là, la raison de sa fondation (1625) et la justification des tractations entreprises á Rome pour son approbation.
Dans un deuxième temps, la communauté assurera d’autres charges, liées logiquement avec les missions. En fait après les premières expériences, il apparut évident que les campagnes missionnaires étaient inutiles si on n’opérait pas une réforme du clergé, si on n’arrivait pas á redonner á sa présence une signification. Vincent de Paul se consacra donc également aux retraites des ordinands (1632), aux Conférences des mardis, c’est-á-dire á la formation permanente du clergé déjà en fonction (1633) et enfin aux Séminaires (1642).
Les nécessités croissantes d’une petite communauté l’amenérent á envisager l’idée d’une maison á Rome, d’autant plus que la projet primitif de la communauté avait subi un changement: Vincent de Paul s’était convaicu de la nécessité d’établir par des vœux, un lien entre les membres et la communauté. C’était là un tournant important auquel se sont opposés des gens comme St. Cyran et Laurent de Brisacier. Ils y voyaient un désaveu de la ligne séculière » de l’Ecole française et trouvaient que l’écclésiologie de la Sorbonne était que ses missionaires pussent continuer á « battre la campagne », c’est pourquoi l’offre d’une église fut repoussée, elle aurait détourné ses confrères de leur travail missionaire. M. Lebreton se mit á l’étude de l’italien et six mois après son arrivée, le 30 novembre 1640, aidé d’un prêtre de Nice, Jean-Baptiste Taoni, il entreprend á Palidoro au diocèse de Porto les premières prédications, á la demande du cardinal Marcel Lanti della Royere (+ 1652) évêque de Porto et Ste Rufine (1639-1641).
L’arrivée des missionaires á Rome coïncidait avec une recrudescence du centralisme romain. C’est de 1642 que date la bulle In eminenti (elle ne fut publiée que le 19 juin 1643). Son importance ne lui vient pas tellement du fait qu’elle marque le début de l’offensive anti-janséniste, mais de la clausule qui fait découler la validité du document de la seule promulgation romaine. En écrivant au nonce Alexandre Bichi, l’assesseur du St. Office François Albizzi commente ainsi la chose: « On a envoyé la bulle en Flandre, non pas pour qu’elle soit publiée et ratifiée, …mais seulement pour qu’on y obéisse promptement comme il se doit».
Durant le pontificat suivant, celui d’Innocent X, la centralisation se traduisit par la suppression de nombreux petits couvents où la fidélité á la réglé était en péril, du moins selon la maniéré de voir du pape dans son formalisme juridique. Dans les années cinquante, le mouvement vers Rome, deux succès importante, ce fut la publication des deux bulles de condamnation, l’une des Cinq propositions de Jansénius (Cum occasione, 31 mai 1653), l’autre de l’interprétation de Jansenius (Ad sacram, 16 oct. 1656, par Alexandre VII)
St. Vincent tout en se maintenant en dehors des polémiques entre ultramontains et gallicans, avait pensé en un premier temps transférer á Rome la maison générale de sa communauté. Toutefois par la suite il remisa son projet, nous ne savons pas pour quelle raison. Mais il est probable que les opinions de la Cour et celles des têtes de l’épiscopat, qu’il avait l’occasion de côtoyer, l’influencérent, opposés qu’ils étaient, et aux religieux et au centralisme romain. La Congrégation de la Mission devait demeurer une communauté gallicane, quant á sa théologie, mais surtout quant á sa sphère d’action. Aussi son origine française marqua profondément la maison de Rome. Au cours de la mission romaine d’Arnauld en 1645-1646 pour la défense de la Fréquente communion, le docteur janséniste Jean Bourgeois trouva dans le supérieur de la maison de Rome Jean De Horgny, un lecteur attentif et bienveillant. En 1654, la fuite rocambolesque de Jean François Paul de Gondi archevêque de Paris et cardinal de Retz, homme de par ailleurs dépourvu de tout sens religieux, aboutit á la maison des missionaires de Rome, ce qui souleva la colère de Mazarin, qui ordonna le retrait des confrères français. Parmi eux, Thomas Berthe était chargé de suivre la cause ‘de béatification de François de Sales.
Il était naturel qu’une communauté française s’appuyát sur les Barberini qui étaient notoirement francophiles. Le cardinaux Antoine (+ 1646), Antoine le jeune (+ 1671), François (+ 1679) furent en correspondance ave St. Vincent. François Barberini évêque de la Sabine et abbé commendataire de Farf a et S. Salvatore Maggiore (1672-1679) procura 43 missions aux paroisses qui lui étaient confiées. Après sa fuite en France, les missionnaires se rendirent en 1647 á l’abbaye de S. Salvatore et en assumèrent pendant quelques années la charge pastorale. L’abbaye devint un centre missionaire, ils n’y firent pas de mission, mais pendant la période où ils y demeurèrent, « le pauvre peuple en fuit bien consolé et affectionna fort les missionaires, qui selon les occasions qui se présentaient, allaient aussi dans les villages pour confesser, instruire, prêcher, assister les mourants, mémé au péril de leur vie dans les cas de maladies contagieuses».
L’un des missionaires, Humbert Duneau mourut «pour s’étre ainsi exposé en entendant la confession d’un homme atteint d’une maladie contagieuse».
Charles Barberini (1630-1704) créé cardinal en 1653, fut le moins impliqué dans la politique, Pour préparer le synode de Subiaco en 1673, il chargea les missionaires de donner une mission, au cours de laquelle il intervint souvent en personne se servit des missionaires au synode de Farfa en 1685 afin particulièrement de promouvoir la réforme du clergé. Il prit une initiative analogue pour S. Salvatore maggiore.
L’activité des missionaires en semblait appréciée á Rome par la curie: divers cardinaux utilisèrent leurs services pour leurs diocèses, ainsi Cornelio Spada, Alderano Cybo, Francesco M. Brancaccio, Fabrizio Paolucci, Guido Gabrielli, Pietro Ottobuoni. L’archevêque de Naples Innico Caracciolo les appela en 1668 dans le cadre de la réforme de son diocèse. Cosme Galilei, le neveu du savant, était á leur tété, c’est lui qui prit les premiers contacts avec Giuseppe Crispino.
A Bergame, les missionnaires entrèrent dans le plan de renouveau pastoral établi par St. Grégorie Barbarigo (1625-1697). Il introduisit l’usage des missions populaires, et au cours d’un voyage á Rome (1-3 sept. 1660) il réussit á obtenir quelques missionaires qui prêchèrent dans quelques paroisses de son diocèse. De même Marc-Antoine Barbarigo (1640-1706) á peine nommé évêque de Montefiascone et Corneto, confia aux missionaires la charge d’y prêcher des missions, et il assistait souvent lui-même en personne aux cérémonies. Semblablement Pier Matteo Petrucci (+ 1701) á peine nommé évêque de Iesi (14 août 1681), établit tout un programme de missions dans son diocèse, il demanda des missionaires par l’intermédiaire du cardinal Alderano Cybo. Ce choix est significatif, il ne s’addresse pas aux jésuites, ils étaient en pleine controverse quiétiste: ils avaient tendance á mettre l’accent sur les éléments pénitentiels, pour affirmer la nécessité de l’ascèse.
Méme á la fin de la période que nous étudions, le cardinal Baldassarre Cenci (+ 1709) nommé en 1967 évêque de Fermo, voulut préparer son arrivée á son nouveau siégé par des exercices spirituels donnés au clergé. Il en confia la charge aux missionaires de la maison de Rome. «Son Eminence voulut intervenir á toutes les conférences qui avaient lieu le matin après l’oraison, et aux entretiens de l’après midi, où intervint également Mgr. Governatore ainsi que de nombreux réguliers parmi lesquels des jésuites. Pendant ces exercices, son Eminence voulut que les ecclésiastiques fissent des répétitions de cérémonies, et quelques un demeurèrent frappés de suspense jusqu’á ce qu’ils fussent tout á fait familiarisés avec les cérémonies de la messe».
Un missionnaire donna des prédications á quatre couvents de moniales, pendant qu’un autre s’occupait des répétitions de cérémonies pour les ecclésiastiques et confessait les orphelines dans leur asile.
Un indice qui ne laisse aucun doute sur l’appréciation qui était faite de la méthode des missionnaires, c’est la demande de fondation de maisons de missions. Entre 1660 et 1703, furent ouvertes les maisons de Naples 1668, Reggio Emilia 1680, Pérouse 1680, Pavie 1682 Macerata 1686, Ferrare 1697, Sts. Jean et Paul á Rome 1697, Florence 1703, L’Académie des nobles ecclésiastiques á Rome 1703.
La maison de Ferrare a été voulue par la marquise Camille Bevilacqua et celle de Florence par Cosme III. L’Académie des nobles fut créée par le cardinal René Imperiali qui avait connu les missionnaires á Ferrare, et en avait demandé quelques un dans les Pouilles. Le cardinal Baldassari Cenci fut le fondateur de la maison de Fermo en 1704, le cardinal Fabrizio Paolucci le fut de celle de Forli en 1710, on lui doit également d’importants travaux á Sts. Jean et Paul.
La mission vincentienne
Les missions au XVIIème siècle étaient de deux types: missions pénitentielles et missions catéchétiques. Les premières étaient répandues en Espagne et en Italie, elles donnaient une large place aux cérémonies destinées á frapper l’imagination populaire: processions, représentation de mystères, flagellations. Le Pére Segneri, jésuite célébré, prédicateur á succès, (1624-1694) mit en œuvre ce type de missions en Italie dans sa mission centrale; c’était une forme de prédication qui touchait les centres les plus importants autour desquels devaient graviter les paroisses environnantes.
L’autre méthode, au contraire, s’était développée dans les régions où la reconquête catholique rencontrait le plus de difficultés, c’est-á-dire en France. C’est pour cela que la Congrégation de la Mission l’avait choisie et l’avait introduite ensuite en Italie. La mission vincentienne consistait essentiellement en une intervention des missionnaires dans un milieu rural pauvre, auquel on voulait procurer une reprise de la vitalité religieuse, grâce á une catéchèse systématique et á une réorientation de la population selon les comportements d’une foi cohérente.
En réaction contre les habitudes du XVIIème s. la prédication missionnaire devait être «simple » tant dans son style que dans son contenu, lequel devait se diviser en trois points selon un schéma invariable: l’énonciation des motifs d’une vérité, un bref examen de la nature de la chose considérée et enfin in les moyens les plus adaptés pour acquérir la vertu dont il était question. C’était là la célèbre «petite méthode». Elle était caractérisée particulièrement par l’interdiction faite aux missionnaires d’utiliser un langage polémique, surtout á l’égard des hérétiques. La mission devait aboutir á une confession générale jugée indispensable á l’abandon d’un état de péché ou d’une situation dangereuse. Trois moments importants étaient prévus: une prédication de bonne heure le matin, avant que la population ne se rende á son travail, le grand catéchisme pour tous, le soir á la tombée de la nuit, alors que dans l’après — midi avait lieu le petit catéchisme pour les enfants.
Généralement la prédication du matin avait un but moral: crainte de Dieu, fins dernières, endurcissement du cœur, impénitence finale, fausse honte dans les confession, rechutes dans le péché, médisances, envies, jurements, inimitiés, intempérance dans le boire, bon usage du temps et de l’adversité, pauvreté, fréquentation des sacrements surtout ceux de pénitence et d’eucharistie, imitation de Jésus-Christi, dévotion á la Vierge, persévérance finale. Le soir on mettait l’accent sur la foi, c’est-á-dire sur ce patrimoine de vérités auxquelles il était indispensable de croire comme fondements d’une vie chrétienne: mystères principaux de la foi, Trinité, Incarnation, Eucharistie, les commandements de Dieu et ceux de l’Eglise, le Credo, le Pater et l’Ave.
La durée de la mission était variable. Alors que la mission de Segneri était généralement plus brève, la mission vincentinne était beaucoup plus longue et durait un minimum de deux semaines pour les villages les plus petits et plus longtemps, jusqu’á un mois et plus pour les plus grands. Une présence aussi prolongée de deux ou trois missionnaires dans des localités généralement retirées, permettait aux prédicateurs de confesser toute la population et d’assurer á leur entreprise un succès plus certain. La réussite de la mission reposait sur la possibilité offerte á tous de se confesser á fond et de communier, elle reposait sur l’extinction des haines et de discordes, sur l’adoption de moyens de persévérance: initiation á la « vie dévote», redécouverte de la valeur des associations et des confréries, qui dans la tradition de la spiritualité vincentienne étaient orientées vers la charité c’est-á-dire aboutissaient á l’organisation de compagnies de la charité.
Un élément de valeur pour la réussite de la mission était constitué par les rencontres avec les ecclésiastiques «une ou plusieurs fois par semaine» pour leur proposer des conférences spirituelles « afin de les instruire des choses de leur état, de les aider á satisfaire á leurs obligations, et á maintenir les populations dans cette ferveur, cette piété et cette dévotion dans lesquelles la bonté du Seigneur les a mises grâce à la mission».
La mission vincentienne reflétait une double situation, celle d’une société chrétienne, et celle d’un cadre social pauvre et rural. L’absence d’instruction et donc de modèles culturels et le manque de mobilité amenait á croire que l’affadissement de la foi venait de «l’endurcissement des cœurs», ou encore de «l’ignorance». Le travail des missionnaires qui se continuait pendant 7 ou 8 mois de l’année, consistait á provoquer un réveil» en insistant sur les thèmes moraux et catéchétiques. L’aspect psychologique regardait le côté résonance intérieure des thèmes: peur de la mort, crainte du châtiment, impénitence finale, bien plus que les moyens extérieurs comme les sermons dialogués, les flagellations publiques du prédicateur, le ton emphatique, le réveil de la bonne mort.
Pour ce qui concerne le financement des missions, on doit observer que cette animation vincentienne naissait d’une situation d’extrême gravité. Aussi les missions étaient gratuites, pour autant qu’elles étaient couvertes par une «fondation».
La valeur des comptes-rendus
Il était obligatoire au terme de la mission de présenter á l’évêque un résumé des résultats de la mission, et d’en écrire une relation que la maison de mission devait conserver. Le registre de la maison de Rome contient en effet ces rapports, qui ne sont destinés qu’au supérieur et aux confrères qui auraient á refaire la même expérience missionnaire. Aussi avant de pouvoir utiliser ce matériel, il est nécessaire d’en préciser le caractère, surtout par rapport aux rédacteurs de ces relations.
Les comptes-rendus sont faits dit G. Le Bras « par des professionnels entrainés par une longue expérience », par des personnes qui ne sont pas tenues de rendre compte de leurs insuccès éventuels, et sont donc en mesure de présenter un degré élevé d’impartialité. Toutefois il ne faut utiliser ces sources qu’avec prudence. Les missionnaires n’avaient pas á remplir un questionnaire portant sur des données, mais ils avaient á rapporter un expérience dont ils avaient été á la fois les acteurs et les observateurs. Le plus grand risque réside dans le fait que les auteurs de ces relations pouvaient se laisser conduire par des éléments subjectifs. Dans les moments où les auteurs se laissent entrainer á introduire des éléments subjectifs, il faut alors un gros effort pour retrouver sous le syle utilisé, l’objectivité du compte rendu.
Le problème essentiel de la présente recherche est celui de sonder la personne même des missionnaires, avec leur théologie, la richesse de leur sensibilité humaine et spirituelle, leur faculté d’observation, leur tendance á appliquer aux personnes et aux choses des schèmes préfabriqués. Nous avons donc conduit une enquête préliminaire sur la base de ces deux questions:
I. Comment les missionnaires jugent-ils le miracle et l’action de Dieu dans la mission?
2. Comment rapportent-ils les résultats de la mission?
Le miracle est en général presque absent: sur 952 comptes rendus de missions, il ne s’en trouve que 8 pour parler de miracle. Sur ces 8 cas, 3 sont liés á des phénomènes atmosphériques dans lesquels la population a vu un signe du ciel, 3 autres ont trait aux conséquences positives ou négatives de la mission, enfin 2 sont attribués á l’action divine. Une cloche est demeurée suspendue á une poutre alors qu’elle allait écraser des enfants, et une femme sourde, qui après avoir prié, a réussi á entendre la prédication des missionnaires. Cette qualification de miracle vient-elle de la population? les chroniqueurs n’insistent pas sur ce point. Ne serait-ce pas là le signe que la prédication des missionnaires était détachée du « merveilleux?» Ti est difficile de le prouver, attendu que nous ne connaissons pas encore bien les schèmes mentaux de la prédication vincentienne. Toutefois, on voit par là que las rapports de missions n’ont pas la prétention d’être une «Légende dorée».
On arrive également á cette conclusion lorsq’on fait une enquête serrée sur les résultats des missions. Les chroniqueurs, mais il faudrait pouvoir présenter chacun d’eux, se servent de la catégorie «ferveur» pour mesurer le succès d’une mission. La mission est alors dite «très fervente», «fervente», «froide», selon le degré et l’intensité de la participation, selon les émotions suscitées et selon d’autres éléments de succès extérieurement perceptibles, comme des conversions qui font du bruit, l’assiduité auprès des confessionnaux. Les données relatives au rapport existant entre «les communiants» (fidèles en âge de communier) et les communions de fait, sont peu significatives. C’est pratiquement l’unique élément statistique, mais les missionnaires qui les mentionnent, ne les mettent pas en relief, sinon pour donner une idée de l’ampleur de l’action qui devait être menée dans une zone déterminée.
«Tout n’a pas réussi» écrivent-ils, parlant de la mission de Patricia. «Réussite un peu fraiche», tel est le commentaire laconique sur la mission de Colonna. A Zagarolo, l’affluence á l’église a été exceptionnelle, les participants se demandaient mutuellement pardon dans l’église et sur la place. souvent la qualité du succès est évaluée par comparaison: «On recontra un succès palpable pour ces missions passées, par comparaison avec la mission de Montorio».
On peut en conclure que les rapports écrits par les missionnaires constituent une source de qualité, ils sont généralement préférables aux comptes-rendus des visites pastorales, vicariales et aux relations faites « ad limina » Naturellement il faudra user de prudence avant de les considérer comme des photographies de la réalité ce qui n’est que l’appréciation donnée par les missionnaires á la fin d’une mission. Etant toujours en cause, ils peuvent parfois noircir la réalité pour mieux faire apparaitre les résultats de leur action. Il leur arrive souvent d’appliquer une optique inadaptée á la réalité, c’est-á-dire d’évaluer la réalité selon une mesure univoque, selon un idéal bien établi et défini. Toutefois, même avec ces réserves, les comptes-rendus de missions sont une des rares sources accessibles capables de nous aider á mesurer la vitalité religieuse des populations, pour autant que les missionnaires avaient á leur disposition des tests particulièrement significatifs:
- L’affluence de la population aux prédications
- La qualité de sa participation — joyeuse, émue, froie
- L’expression extérieure du cheminement intérieur de conversion, la presse autour des confessionnaux.
- Le nombre des communiants, mais la signification de cet indice est liée davantage á la confession qu’á l’eucharistie, quand on dit ceux qui communient, on veut dire ceux qui se sont confessés.
- Le fait des conversions (pas nécessairement durables) comme les restitutions, les réconciliations.
- Les progrès ou la stagnation et les conditions générales d’une population d’une mission á l’autre, ou encore d’un village á un autre village voisin (peuple «dur», «dévot») ainsi que les principales caractéristiques morales ou sociales.
Ce sont là des raisons qui toutes nous portent á utiliser ces sources et á en apprécier la valeur, sans toutefois nous relâcher d’une attitude critique.
Les missionnaires
Les principaux protagonistes de ces missions furent les missionnaires. Il nous faut faire choix, á leur sujet, du plus grand nombre possible de données afin d’essayer de reconstituer leur expérience. Parmi les missionnaires français qui ont séjourné le plus longtemps á Rome et qui se sont consacrés aux missions, on peut évoquer: Jean Martin qui y demeura 24 ans, Jean De Horgny 11 ans, Thomas Berthe 13 ans et René Legendre qui donna de très nombreuses missions.
Les missionnaires italiens furent toujours en nombre très réduit. Le registre de la maison de Rome fait état de 47 sujets entrés dans la maison de 1646 á 1700. Nous savons que cette liste n’est pas complète, mais il ne devrait pas manquer plus de 3 ou 4 unités. Si on étudie leur origine, on constate que 19 viennent du Piémont (40,4%) 13 viennent de la République de gènes (27,7%) 10 des Etats pontificaux (21,3%). Les autres viennent du duché de Modéne, du royaume de Naples, d’Allemagne et d’Espagne. Sur les 23 frères coadjuteurs, 10 sont du Piémont (43,5%), 6 de Genès (26,1%), 2 sont français, 2 allemands, 2 des Etats pontificaux, et un dont nous ignorons la provenance.
Au delà des chiffres il est nécessaire de retrouver le sens des mots. Que veut dire «donner la mission»? La mission est une entreprise très pénible, elle s’étend sur une période de 2 á 4 semaines ou davantage. L’équipe missionnaire est composée de 2 ou 3 prêtres et d’un frère. Pour ne pas être á charge á la population, ils devaient porter leurs provisions, quelques livres, une montre et deux sabliers, le nécessaire pour dire la messe, un peu de vaisselle. La période où on estimait convenable de donner la mission commençait á la fin octobre et se terminait á la fin juin. C’était les saisons où il était le plus facile de trouver chez eux les gens de la campagne, mais c’était celles aussi où les voyages étaient le plus pénibles. Le logement représentait une inconnue, quelquefois il devait être payé. Le déroulement de la mission elle-même était plein d’imprévus. Il n’était pas rare de voir les missionnaires tomber malades, c’est ainsi que Cosme Galilei et Humbert Duneau moururent pendant une mission. La population était parfois prévenue contre les missionnaires: á Fiordini elle craignait que les missionnaires n’aillent dénoncer les scandales á l’évêque.
Un intéressant document permettant de saisir la mentalité des missionnaires est constitué par «Les Observations sur l’Institution et le gouvernement de la Mission» de Pier Francisco Giordanini (1658-1720). M. Giordanini fut l’un des meilleurs éléments de la maison de Rome, homme fort intelligent, observateur aigu, il a au cours de années passées en communauté, rassemblé de nombreuses et pénétrantes observations sur le style et la mentalité des missionnaires.
L’auteur note que la Congrégation en Italie souffre d’une pénurie de sujets, qui a fait qu’il n’a pas toujours été possible de choisir les sujets les plus adaptées, soit pour les postes de responsabilité, soit pour la fondation de nouvelles maisons. Relève en outre chez ses confrères une préparation trop hâtive: le cours des études était trop bref, 5 ans, ramenés á 4 ans en 1697 au lieu des 9 ans qu’il estimait indispensables. Ils ne s’astreignaient pas á une préparation spécifique suffisante, qu’ils n’avaient plus l’occasion d’acquérir par la suite, car les missionnaires de son temps ne continuaient pas á étudier. Son jugement sur les hommes était plutôt dur. Beaucoup de missionnaires avaient « peu de cœur ». Ils «nourrissent une certaine apathie qui produit négligence et fainéantise». Un autre élément négatif ressort des «Observations» de M. Giordanini.
«J’ai entendu dire par des personnes de grand sens et piété, et je l’ai aussi entendu de quelqu’un qui nous aimait, que nous étions grossiers, sauvages, que nous fuyions les gens ou que nous les faisons fuir, que nous sommes facilement désagréables et parfois même impolis. On nous trouve trop secs entre nous, il y en a parmi nous qui ne sont pas capables d’être aimables avec un confrère comme des hérissons qui vous piquent avec leurs épines, où que vous les touchiez».
Il relevait cependant chez les missionnaires, un style de vie fort noble. Ils étaient «hommes de bien, sans faste, cordiaux, sincères, pleins de zélé pour l’honneur de Dieu et le salut du prochain, ne rechignant pas á la fatigue et á la souffrance, doués d’une humilité profonde qui les faisait se considérer et s’appeler de pauvres prêtres de campagne et de peu de valeur.
Cette dernière affirmation reflété la vie réelle de nombreux missionnaires au XVIIéme s. Ils étaient répartis pou 8 mois environ en équipes de 3 ou 4 confrères avec un frère laïc et avaient á se déplacer pour les missions et autres ministères parallèles comme les retraites aux ordinands ou aux religieuses, les conférences au clergé, les visites pastorales. Pour mieux comprendre ce que signifie la mission, nous avons jugé utile de suivre de près l’activité de certains missionnaires.
Ainsi pour Renault Legendre, en 18 ans d’activité on enregistre 106 missions, soit au total 2394 jours passés en missions c’est-á-dire une moyenne de 133 jours par an, auxquels il faut ajouter le temps nécessaire pour faire les voyages. Giordanini fait observer que l’activité des missionnaires est certainement excessive:
«c’est véritablement les tuer, car il n’est pas possible qu’un même prédicateur, puisse en prêchant si longtemps, avec le style véhément des missions, durer sans s’en ressentir notablement. L’expérience que l’on a de tant de sujets morts aux environs de 50 ans ou devenus malades, confirme ce sentiment».
Nous en avons une preuve éclatante dans la brève parenthèse que fut la vie de Cosme Galilei (1636-1672). Admis dans la compagnie á Rome en 1663, nous le trouvons employé dès janvier 1665 á la mission di Castelnuovo di Porto. De 1665 á 1668 il prêcha une dizaine de missions et de plus il s’occupa des bergers des Marais pontins. II fut appelé á ouvrir la maison de Naples en mars 1668. Pendant la mission d’Afragola, commencée le 12 avril 1671 il fut pris d’une grave crise de phtisie qui l’emporta dans la tombe le 13 octobre 1672.
Le cadre de la journée constitue une autre confirmation éloquente de ce surmenage. L’horaire prévoyait le lever á 4 heures, jusqu’á 5h 30, les missionnaires devaient réciter l’office divin et faire la méditation. Puis ils commençaient la prédication du matin suivie des confessions qui les occupaient á l’église jusqu’á 11 h. 30. Suivait le repas avec lecture de table. Les vêpres avaient lieu á 13 heures, De 13 h. á 14 h. un des missionnaires enseignait le catéchisme pendant que les autres confessaient jusqu’à 17 heures. Finalement le soir vers l’Angélus avait lieu le grand catéchisme.
De 1642 á 1699 il y a donc eu au total 952 missions, sans compter les retraites, ordinations, visites, synodes, et autres prédications. La plus grande partie de cette activité s’est concentrée dans le Latium (79,9%) et en particulier dans les diocèses de Porto (15,8%) de Tivoli (11,3%), de la Sabine (9,8%) et dans les territoires des abbayes de Farfa et S. Salvatore maggiore (6,5%).
Le milieu dans lequel travaillaient les missionnaires vincentiens était avant tout un milieu rural, particulièrement celui de la campagne romaine, la zone la plus abandonnée. Les villes épiscopales, par contre, avaient un clergé fourni, et avaient de plus la possibilité de profiter des interventions extraordinaires des prédicateurs de carême. Elles étaient aussi dans le rayon d’action des maisons religieuses et des couvents. Les villages qu’évangélisaient les missionnaires étaient des plus petits, il y eut peu de missions dans des villages dépassant 1000 « communiants». Souvent l’horizon se réduisait encore et se ramenait á quelques cabanes de bouviers, de bergers ou de charbonniers dans la zone malsaine des marais ponts. Cerveteri n’arrivait pas á 150 habitants au printemps, mais la population montait jusqu’à 500 en hiver. Les missionnaires trouvèrent une population abandonnée religieusement et socialement. A Maccarese il y avait de nombreux curés mais une seule chapelle. En 1695 á Polidoro, peut-être á cause del l’épidémie de typhus, les pauvres mouraient sur la chaussée. A Affile en 1672 et á Morlupo en 1691, une disette tournant au désastre gêna beaucoup la fréquentation de la mission. Toujours á Affile en 1687, le découragement était tel, que seule l’intervention du cardinal Barberini qui distribua du pain, réussit, au dire des missionnaires, á éviter l’irréparable.
Das la campagne romaine, le plus grand obstacle á la promotion humaine et religieuse venait des « caporaux » ou des gardiens, qui non seulement empêchaient les ouvriers agricoles de fréquenter la mission mais encore les rançonnaient.
Pour les missionnaires, leur champ d’action principal était les pauvres, au moins au dire des relations. Il leur fallait visiter les malades, distribuer les aumônes qui pouvaient s’élever jusqu’à 3 baïoques » par jour, et cela avec l’argent de la Mission, et ils devaient les distribuer non pasdans la rue, mais á la porte de la maison où ils habitaient. Au cours de la première semaine, ils devaient fonder une confrérie de la Charité, destinée á susciter entre les habitants de la localité un esprit de solidarité. Ils ne pouvaient accepter d’honoraires de messes, ni des pauvres auxquels ils devaient au contraire, faire l’aumône, ni des riches qu’ils devaient habituer á s’intéresser aux pauvres.
L’extrême pauvreté provenait des orientations économiques des Etats pontificaux, qui avaient négligé l’agriculture au bénéfice des pâturages, et elles étaient cause de beaucoup de désordres dans la vie des petits bourgs ruraux. Le banditisme était une plaie ouverte. A Alatri ce sont 4 bandits qui, du moins la nuit, faisaient la loi.et peu de temps avant la mission il y avait eu 4 homicides. A tous les niveaux de la société, les missionnaires trouvaient l’insécurité. Le village d’Arce en était comme dépeuplé: il y avait eu au moins 500 homicides en peu d’années.
A cela les missionnaires ne pouvaient pas grand chose. Du reste les bandits ne pouvaient guère être les plus assidus á la mission. Ceux á qui les prédications étaient destinées étaient les ruraux considérés comme de « Pécheurs », bien loin d’un idéal au sommet duquel étaient les religieux, et qui se traduisait dans une attitude dévote et une tension religieuse soutenue.
Un des manquements les plus répandus était le blasphémé. De nombreux habitants de Cotanello de Farfa étaient présents comme de « grands blasphémateurs, et comme des noceurs », comme, du reste, les habitants de Norma. La prédication contre le blasphémé était un des moments essentiels de la mission. On recourait parfois á la manière forte. A Castel di Guido, deux ouvriers qui blasphémaient furent licencies. A ailleurs les missionnaires réussirent á imposer des moyens plus persuasifs: «Il y en eût d’autres qui se mirent d’accord pour que celui qui, au jeu, blasphémerait, perdrait la partie, ou bien paierait une amen- de qui devait être donnée en aumône».
Les divertissements populaires étaient jugés de manière bien négative par la théologie moral et par les prédicateurs. Pour les missionnaires c’était naturellement un point essentiel. C’était en fait peu de chose: « beuveries, jeux, luttes, courses ». Les comptes rendus des missionnaires jugent les jeux de cartes comme sources de « blasphèmes horribles ». On est arrivé parfois á les « extirper », mais nous ne savons pas sur quoi on s’est appuyé pour cela. Plus grave encore, était la fréquentation des auberges. Les missionnaires étaient portés á agir sur les autorités pour les faire fermer, et sur les fidèles pour leur demander de ne pas les fréquenter. Ainsi á Poggio Nativo, le Conseil de la communauté « prit publiquement un décret défendant de les fréquenter ». Toutefois, l’auberge ne fut pas fermée, l’effet se limita á une baisse des prix de l’auberge, et de ses profits. On faisait écho á tous les motifs d’hostilité contre tout ce qui ne reflétait pas un idéal austère, mis á la mode par les tenants du pape Innocent X, et qui tendait á une transformation des mœurs en profondeur grâce á une simple répression. A Palidoro la fréquentation des auberges est considérée comme particulièrement nocive. On note en fait que: « les allées et venues diaboliques de femmes publiques dans ces auberges faisaient scandale, et provoquaient de grands ravages parmi les ouvriers agricoles et parmi d’autres. Les autorités, pour l’exemple firent incarcérer deux de ces femmes ainsi que l’aubergiste qui les entretenait, et prirent des mesures rigoureuses enjoignant de ne plus admettre de ces sortes de personnes dans ces auberges».
Nous ne savons pas si l’initiative de la dénonciation a été prise directement par les missionnaires: les comptes rendus ne le disent généralement pas. II semble toutefois que les missionnaires s’en sont abstenus, ou ont préféré s’abstenir, s’étant rendu compte du durcissement qu’une telle mesure aurait provoqué dans la population. Il est probable, mais l’affirmation devrait être corroborée par comparaison avec d’autres registres de mission, que les dénonciations directes aient été évitées, non pas par souci particulier de respect pour la liberté ou le pluralisme, mais simplement pour ne pas compromettre la mission. L’intervention produisait son effet, car le fait d’en parler en chaire amenait les autorités et la communauté á secouer leur torpeur paresseuse, et á imprimer au contrôle de la vie civile un caractère rigoureux. L’efficacité de ces mesures était généralement de courte durée, une fois les missionnaires partir, les auberges ouvraient á nouveau.
Une situation analogue se présentait pour le Carnaval et pour les comédies. La mission remportait son plus grand succès quand les missionnaires pouvaient remplir les églises au point que les divertissements du Carnaval devenaient impossibles. Pour les supplanter, on organisait des cérémonies religieuses et des représentations « dévotes », sans que les résultats soient toujours positifs. Un maitre d’école fit représenter une comédie, contre la volonté des missionnaires, mais il en demanda ensuite pardon. Ailleurs une comédie et des bals déjà tout prêts furent annulés.
Les missionnaires avaient conscience de se trouver devant une population qui devait être reconquise, ils étaient convaincus de son ignorance. Ces gens étaient dans le mal « in peccato » uniquement á cause de leur ignorance. A Alatri, ils étaient très peu á savoir le Credo et ailleurs la situation n’était pas plus brillante, elle était due á la carence de la pastorale ordinaire. A Orvinio, on n’avait pas fait de catéchisme pendant 12 ans, aussi pendant la mission il a fallu préparer les premières communions. Quand, aux carences du clergé, s’ajoutaient des intervalles trop longs entre une mission et la suivante, le mal semblait insurmontable.
Les missionnaires avaient á remplir quatre taches:
- former le clergé á ses devoirs;
- enseigner le catéchisme tout au long de la mission;
- renforcer ou relancer les confréries de la Doctrine chrétienne;
- insister pour un engagement de la communauté en faveur des écoles.
De fait dans de nombreux villages les communautés se sont engagées á payer le salaire d’un maitre, et dans un cas, on rétablit une école pour les filles.
Les comptes rendus insistent beaucoup sur la nécessité de s’attaquer aux failles du comportement moral des populations. Leur optique est celle de la Contre-réforme s’opposant aux déviations par rapport á la loi, censée connue, et non pas celle d’un manque d’assimilation du message chrétien. Aussi les remèdes préconisés sont ceux d’un retour á l’obéissance á la loi.
II y avait une polémique continue contre les «amourettes » c’est-á-dire en fait, contre les relations préconjugales « contre lesquelles on s’emportait dans la prédication… et l’absolution était refusée s’il n’y avait promesse de les abandonner».
A Monte Carotto, la froideur de la participation á la mission dans ses débuts fut interprétée comme une conséquence du fait que la population était « engluée dans le mal d’amour ». Cela provoquait des péchés «énormissimes». Pour corriger ces habitudes, les missionnaires cherchaient á réveiller le sens du péché en prêchant sur les fins dernières et en menaçant de refuser l’absolution. Les comptes rendus disent qu’après un début difficile « froid », la population devint plus fervente. Alors, poussée par l’autosuggestion, la population faisait facilement des promesses destinées á s’évanouir en fumée après quelques mois. A s’en tenir au texte des comptes-rendus, le lien rattachant ces coutumes aus réalités économiques et sociales, n’était pas perçu. En divers lieux, les fiançailles trainaient pendant des années, tant que les fiancés n’étaient pas en mesure de constituer une dot. On en arrivait alors á la cohabitation, masi sans célébration du mariage. La solution pastorale de l’Eglise d’alors prévoyait la régularisation de ces unions irrégulières « concubinages » par des mesures légales d’un succès douteux, ainsi que l’avoue un missionnaire: « Il est difficile de pouvoir remédier á une corruption aussi pernicieuse, alors que l’Eglise et le bras séculier s’y emploient en vain ».
Dans certains villages, la cohabitation des époux ne pouvait commencer qu’une fois la fête célébrée et non pas après le seul mariage religieux. On rencontrait des résistances passives et inconscientes, dues á permanence de coutumes préchrétiennes qui se montraient imperméables á une culture de sensibilité différente. Sans entrer dans de subtiles analyses, les missionnaires menaçaient de refuser l’absolution. Dans un village, la tradition voulait que la femme apportât avec elle le lit conjugal. Or y eut une mariée trop pauvre pour pouvoir se permettre ce minimum de dot, et elle ne voulait pas á cause de cela cohabiter avec son mari les files de ce village se considérant comme déshonorées, si elles étaient obligées de consommer leur mariage dans la maison paternelle ».
Les unions illégitimes étaient un comportement auquel on prêtait une attention particulièrement sévère. Deux concubinaires qui vivaient ensemble depuis 18 ans á Monte Falco furent séparés. On combinait des mariages pour régulariser les situations. A Roiate, « un vieillard avait une servante avec laquelle il avait péché autrefois pendant de nombreuses années, mais toutefois il ne péchait plus, cependant pour supprimer le scandale, il la renvoya ». Dans un village du diocèse de Porto, un mariage s’est conclu malgré la mauvaise volonté de l’époux á tenir ses promesses.
La moralisation allait plus loin et s’occupait de la toilette féminine et de la présence des prostituées. « Les dames de condition, dit une relation, se couvrirent la poitrine et mirent en pièces leurs robes á paniers ». On lit dans une autre que « vinrent faire l’offrande de leurs rubans et autres vanités » témoignant par là qu’elles quitter leurs « amourettes ».
La conversion des prostituées était un des indices les plus sûrs du succès de la mission. A Fumone « quelques femmes scandaleuses » ont changé de vie. A Cantaliée au milieu du sermon, une prostituée demanda pardon publiquement. A Morlupo, par ordre du cardinal Jules Spinola une prostituée fut chassée. A Palidoro en 1693, la prédication des missionnaires produisit de curieux résultats. Quelques prostituées vivaient dans une maison: « Aussitót que l’un des principaux du lieu, qui mettait cette maison á leur disposition, eut entendu la première prédication, s’en alia les trouver et les mit hors de la maison á coups de bâton, sans se laisser émouvoir par leurs promesses, édifiant ainsi la population, autant qu’il l’avait scandalisée en les recevant ».
Dans certains endroits, la conversion des prostituées fut marquée par de pénitences sanglantes, qui pourtant n’entraient pas dans le style des missionnaires. A Sambuci une prostituée se donna la discipline jusqu’au sang. A Bagnaia «de nombreuses femmes de mœurs dissolues, abandonnèrent leur mauvaise vie et Dieu leur toucha tellement le cœur que pour faire pénitence de leurs péchés, elles se donnèrent des disciplines extraordinaires et se mirent á dormir volontairement sur la terre nue, des nuits entières».
L’ampleur de la mise en accusation des comportement « peccamineux » en matière sexuelle, n’est dépassée que par celle des haines et divisions. La société rurale, au moins celle qui apparait sur les documents sur lesquels porte notre recherche, se montre dure, sans pitié, sans pardon, assoiffée de vengeance. Le rôle de la mission était alors d’apaiser les haines et d’amener les amés á la réconciliation en renonçant au « point d’honneur des mondains ». On demandait á ceux qui étaient innocents, d’offrir leur pardon aux coupables. C’est ce qui arriva á Montecelio où une mère prit l’initiative de parler á nouveau avec la mère de I ‘assassin de son fils. C’était toujours une entreprise difficile, qui cependant rencontrait pendant la mission un climat favorable. La tension, l’émotivité suscitée par la ferveur qui s’emparait de la communauté, emportait les résistances comme celles de l’orgueil et de l’honneur. La mission de Latera, donnée en décembre et janvier par un hiver particulièrement rigoureux, eut comme résultat que:
«Une grande partie de la population qui vivait dans la division, se réconcilia les gens étaient pris d’une telle ferveur, qu’ils se demandaient pardon les uns aux autres dans l’église, beaucoup allaient se jeter aux peids de ceux qui les avaient offensés et ne se relevaient pas avant qu’ils ne se fussent embrassés avec larmes
Les résultats ne manquaient donc pas. En plus des épisodes racontés ci-dessus, on peut encore évoquer les faits suivant: La réconciliation d’un père avec l’assassin de son fils á Vico dans le Latium. Une veuve, dont le mari avait été tué 17 ans auparavant, ne pouvait pas pardonner, et pour cette raison, n’avait pas voulu participer á la mission de 1670. Mais á celle de 1683 elle eut le courage de pardonner aux assassins. A Fiano Romano, une mère accorda son pardon aux assassin de ses deux fils. Il y eut aussi des réconciliations collectives, comme á Montecompatri et á Ceccano où tous s’embrassaient en pleurant, á Vallecorsa où 26 personnes se réconcilièrent, et á Ceprano « oïl se conclurent 12 réconciliations alors que le sang avait coulé
Les comptes-rendus ne minimisent pas les difficultés des accords. Ainsi á Tarano on n’arriva pas jusqu’à la paix. A Selci, l’accord fut laborieux: un homme avait été blessé á coups de hachette, il avait d’abord pardonné, ensuite il décida de n’avoir plus aucun rapport avec celui qui l’avait blessé et, par vergogne, il fut longtemps á ne plus aller á la messe; un missionnaire alla le trouver, sans réussir á l’ébranler et « le laissant entre les mains du démon », mais la participation aux exercices de la mission réussit á la débloquer, il se confessa et pardonna.
Les réconciliation ne se bornèrent pas á conclure de tragiques affaires de sang. 11 y avait une vaste gamme de situations où s’imposait un rétablissement de rapports humains acceptables. A Vetralla, un homme restitua 400 écus d’or, ce qu’aucune excommunication n’avait réussi á obtenir de lui. «Deux procès civils de grande importance furent apaisés á Gerano». Dans un autre endroit, un homme reprit sa femme qu’il avait chassée. Là où les situations étaient les plus embrouillées on constitua un groupe de pacificateurs, qui avaient pour mission de discuter des modalités de la réconciliation.
La seduction missionnaire
Le risque de cette recherche est de faire perdre de vue l’unité des problèmes et de se complaire dans le récit d’épisodes édifiants, ou au contraire négatifs, sans être capable de reconstituer le cadre organique et articulé de ce monde rural qui a bénéficié de la prédication missionnaire.
Généralement au XVII’ s. l’annonce de la mission suffisait á remplir les églises. Les difficultés commencent quand on se demande jusqu’à quel point le message des missionnaires, investi d’une certaine charge charismatique, était accueilli dans un contexte culturel aussi «différent». Les auditeurs ne se contentaient certainement pas « d’avaler, d’apprendre et d’obéir ». La réponse du monde rural se formulait sur des longueurs d’onde variées, allant de l’attitude polémique ou hostile, á la réinterprétation magico-paganisante, et des phénomènes de pseudo-conversion á la conversion authentique.
Le succès de la mission reposait essentiellement sur l’efficacité de deux moments la prédication et la confession. Sauf cas particuliers, les missionnaires n’avaient pas de temps á consacrer aux contacts individuels. La période de leur présence était toujours trop brève, et de plus, les préjugés antiféministes les auraient empêchés d’avoir un dialogue effectif avec la population. La confession répondait donc á un moment. de contact individuel, au lieu que la prédication était le moment de l’impact social et populaire de l’annonce évangélique…
Si on s’en tient aux orientations imposées aux missionnaires (qui n’étaient pas l’annonce évangélique…
Si on s’en tient aux orientations imposées aux missionnaires (qui n’étaient pas nécessairement respectées), la prédication de la mission devait être surtout « Populaire ».
« Etre très populaire, c’est-á-dire s’adapter á la capacité du peuple, laisser les subtilités pour s’appliquer aux fruits, á l’utile, descendre dans le particulier, se servir toujours de notre méthode ordinaire, san oublier surtout ces quatre points en toute prédication:
déclarer et expliquer avec clarté ce dont on veut persuader les auditeurs;
leur dire les motifs les plus sensibles et adaptés á la qualité de ces auditeurs;
leur parler des moyens particuliers et faciles pour acquérir telle vertu ou faire telle chose;
ne pas oublier de prévenir les objections qui peuvent être faites sans jamais parler d’une manière indigeste qui puisse laisser quelque erreur ou quelque doute dans l’esprit des gens simples ».
Le contenu de cette prédication devait être plein de dignité, mais il ne s’appuyait pas spécialement sur un fondement biblique. II était fait obligation au missionnaire de s’en tenir á un niveau général, émaillant leurs propos « de comparaisons et d’exemples familiers » ce qui les rendait plus accessibles, mais ne pouvait certainement assurer les grandes lignes d’une formation biblique solide. Aux sermons du dimanche, pendant la mission, on n’exigeait pas le commentaire de l’évangile du dimanche, mais après en avoir parlé brièvement, il était admis que l’on continuât á développer la suite logique des prédications de la mission.
Pour couper court á la tentation tout á fait prévisible, d’un interminable monologue, qui pouvait tourner á l’avantage du prestige personnel plutôt qu’à l’efficacité, il était prescrit essentiellement d’être bref. Le sermon ne devait pas dépasser une heure les jours de fête et 3/4 d’heure les jours ordinaires pour éviter toute échappatoire, un sablier était placé sur le pupitre devant le prédicateur. Un quart d’heure avant la fin du temps prévu, on devait avertir le prédicateur en le tirant par le pan de son habit pour le prévenir d’avoir á s’orienter vers la conclusion. L’heure á peine écoulée, ou les 3/4 d’heure, s’il n’avait pas l’air de vouloir conclure, on devait sonner une clochette, c’était au supérieur ou au directeur de la mission de le faire, et aucune exception n’était admise. Le prédicateur devait alors tirer sa barrette et conclure. S’il ne le faisait pas, on devait sonner longuement.
Un autre inconvénient se rencontrait si les prédicateurs prenaient un ton tranchant ou se mettaient à formuler des jugements intransigeants. Les Règlements recommandaient:
«Il ne faut pas se laisser aller á l’âpreté dans la prédication pas même contre les grands pécheurs, il faut plutôt user de compassion que de passion. Il faut s’abstenir de crier trop fort et trop longtemps, on doit s’écouter soi-même, et réserver ces grands mouvements pour l’épilogue, en restant toutefois modéré. Il faut se garder d’invectiver les hérétiques dans les provinces où il y en a, il ne faut ni les prendre á partie, ni les nommer en chaire, ni les défier, surtout s’il s’en trouve dans l’assistance, mais il faut plutôt parler d’eux avec compassion, en confirmant les catholiques dans leur foi. Dans ces régions, il serait á propos de ne pas se lancer dans des controverses qui font plus de bruit que de profit et souvent plus de mal que de bien».
La caractéristique de la mission vincentianne était d’être essentiellement catéchétique. Pour le petit catéchisme, confié d’habitude aux débutants, il fallait utiliser une méthode fort simple: on devait interroger les enfants pendant 5 á 7 minutes, puis expliquer avec clarté ce qui était ordonné ou défendu par un commandement, ou bien donner le sens d’un mystère. Au cours du grand catéchisme, on était prié de ne pas faire rire l’auditoire, au lieu qu’aux séances du petit catéchisme, on pouvait être beaucoup plus coulant. On conseillait beaucoup de prudence dans les explications sur les péchés « possibles » pour ne pas donner des idées de mal. Il fallait éviter d’engager des personnes á lutter tel ou tel vice, sans qu’elles aient d’abord consulté leur directeur.
Constatons objectivement que les résultats furent divers. Pour la mission de Scarpa, on peut noter que les habitant « s’étaient tellement affectionnés pour la parole de Dieu qu’ils n’auraient voulu rien en perdre, bien que Hit venu le temps de la moisson ». A Saracinesco, la mission remporta un franc succès dû au fait «qu’il arrivait rarement que des prédicateurs allassent en cet endroit ». A AfIlle, la mission de 1672 n’eut guère de succès, parce qu’elle venait peu de temps après une autre mission prêchée par les jésuites. A Zagarolo en 1673 l’église était si comble qu’on pouvait á grand peine s’y mouvoir et tous proclamaient publiquement leur repentir soit dans l’église soit sur la place. A Marano Saraceno on pleurait si fort qu’on n’arrivait plus á entendre le prédicateur». On note un succès semblable á Monte Carotto où la réaction de la population fut contagieuse «lorsqu’ils se rencontraient dans les rues, ils se disaient les uns aux autre: si Dieu me prête vie, je voudrais ne plus l’offenser!». Les habitants d’un village « n’allaient même plus au travail, ils passaient la journée entière dans l’église». Le résultat opposé se présenta á Viesci où les travaux des champs détournèrent les gens de venir á la mission. A Valmontone, le compte-rendu de 1682 signale l’existence d’une contestation á l’égard de la méthode des missionnaires: II y a ici des personnes auxquelles ne plaisent pas les exercices de la mission et qui critiquent ce qui se dit et ce qui se fait pour leur bien».
La mission était orientée vers la confession. Apprendre aux gens á faire une bonne confession générale, tel était le résultat que St. Vincent s’était efforcé d’obtenir par le fameux sermon de Folleville. A la différence des autres prédicateurs, les lazaristes écoutaient personnellement les confessions. C’était une occupation qui leur imposait beaucoup de fatigues, mais qui était regardée comme très positive. On ne pouvait évidemment pas attendre la conclusion du cycle de prédications pour admettre les gens á la « confession générale » ou pour les engager á une «réconciliation ». Quand la mission était de 15 jours, les confessions ne pouvaient commencer que le 3eme jour, si elle devait durer un mois, on laissait passer 3 ou 4 jours. La mission terminée, on continuait encore á entendre les confessions pendant 2 jours. Au cours de la mission, on confessait aussi les enfants qui n’avaient pas encore 18 l’âge de la première communion.
Pour ce qui regarde les confessions, les comptes-rendus se bornent á mentionner seulement les signes visibles du succès. Tout d’abord la foule des pénitents. D’après le chroniquer, á Bomarzo, « certains parmi la population n’en finissaient pas de se confesser d’autres de pleurer, d’autres d’admirer l’infinie bonté de Dieu qui les avait attendus jusqu’alors pour leur permettre de faire pénitence ». A Montefiascone, la presse de ceux qui attendaient leur tour au confessionnal fut telle que le sacristain en eut son habit arraché. A Cantalice et á Montecompatri, pour être les premiers á se confesser, les fidéles arrivaient á l’église dès minuit. A Nerola, l’église était ouverte á 3 h. du matin et il y avait déjà du monde dès 2 heures. Les prêtres de Vetralla, pour être les premiers á se confesser cachèrent la clef d’un oratoire où les missionnaires allajent confesser. Una page relative á Grotte di Montefiascone est digne de la Légende dorée, le chroniqueun raconte:
«Cette misson fut une réussite, elle fut très fervente: la population assistait avec empressement aux prédications et catéchismes, matin et soir. Le désir de se confesser aux missionnaires était si grand que souvent, le soir, le sacristain appelait plusieurs d’entre nous pour faire sortir les gens qui voulaient dormir dans l’église pour retenir leur place, et qui allaient jusqu’á se cacher pour cela á la sacristie, dans le clocher, sous les bancs, et même dans les armoires de la sacristie. Comme on ne leur permettait pas de rester dans l’église, ils passaient une bonne partie de la nuit sur le seuil, exposés aux rigueurs du froid. Il y étaient en foule pour se trouver les premiers á entrer, au point que le sacristain, ne pouvant arriver jusqu’á la porte, venait demander notre aide, ce n’est qu’alors qu’il pouvait y arriver, et tous entraient avec lui. Il y en a qui criaient á haute voix dans l’église: Pére confessez-moi, j’en al davantage besoin que tous les autres. D’autres disaient que s’ils ne pouvaient se confesser, ils en tomberaient dans le désespoir. Leur désir de confession était si grand que certains dormaient sur la place jusqu’á 8, 10 ou même 15 jours. Personne ne tomba malade, bien qu’ils demeurassent des journées entières sans manger, grelottant de froid, pour ne pas perdre leur tour. C’était le temps favorable: Dieu sait tout le bien qui se fit parmi cette population. On conclut des accords, on fit des réconciliations dont l’une surtout fut importante, car si Dieu ne l’eut ménagée il y aurait sans doute eut mor d’homme et d’autres malheurs graves ».
Il y eut peu de cas, du moins dans les petits villages, où les missionnaires virent quelqu’un échapper á la confession. Le jugement porté sur ces cas est généralement très sévère. Qui ne se confessait pas était regardé comme gravement coupable: rejetait la vérité alors qu’il la connaissait. Il s’exposait au danger de mourir en état de péché mortel, éventualité á l’effet psychologique certain. Les épisodes de ce type faisaient partie du bagage d’exemples cités par les prédicateurs. Ainsi le refus de 2 habitants de Norma de se confesser, or «l’un fut tué près de l’église au dire de l’archiprêtre, et il mourut sans donner aucun signe de contrition. Un épisode analogue eut lieu á Montalto mais sans la conclusion tragique es. Tous se confessèrent sauf un seul homme criminel et scandaleux, il entretenait publiquement une concubine, il était en ce lieu á raison d’une certaine fonction et il y jouissait de quelque considération. On ne lui ménagea ni les remontrances, ni les exhortations tant en public qu’en privé pour l’amener á se confesser, mais il ne fut pas possible de le faire revenir dans le droit chemin».
A Castelnuovo di Porto il y eut au moins cent personnes qui ne se confessèrent pas et cela á cause de l’impiété de cette population adonnée aux jeux et aux divertissements et á cause du mauvais exemple de certains prêtres et de la mésentente entre le directeur de la mission et le prévôt ainsi qu’avec un chanoine de la collégiale. Quelques personnes étaient furieuses d’avoir été renvoyées sans ménagements du confessionnal parce qu’elles n’avaient pas assisté aux prédications».
Les raisons du peu de confessions á Casperia vinrent du bruit répandu parmi les habitants que l’un des missionnaires s’enquérait en confession du nom des complices de certains péchés: c’était là un élément très grave. Que le fait soit mentionné dénote la vigilance attentive des directeurs de mission pour éviter tout soupçon susceptible de porter atteinte á la réputation morale ou professionnelle des confesseurs.
Le bilan des succès est pourtant substantiel. A Testa di Lepre, certains se confessèrent qui se tenaient loin des sacrements depuis des années. Les chroniqueurs racontent qu’á Sta. Maria del Piano revinrent dans le droit chemin et firent leur confession générale. Toutes les femmes se confessèrent avec de grandes marques de contrition; on ne parlait alors que de pénitence, de changement de conduite et de vie chrétienne. La chronique de la miss ion de San Stefano raconte « qu’un des principaux, avant de mourir, décida dans son repentir, de se confesser ». Pour la mission de Castelbellino, on fit venir au autre confesseur « qui fut grandement consolé de voir les bénédictions que Dieu donnait á cette mission».
Le couronnement de la mission était la communion générale, la procession et les résolution communes. A Torrenuova, où avaient été distribués des « bulletins » pour contrôler l’accomplissement du devoir pascal, on fait remarquer qu’il n’y pas á faire de contrôle semblable pour la mission. Cependant un certain contrôle a bien dû être parfois effectué puisqu’on note dans tel ou tel cas le nombre de personnes qui se sont abstenues de la communion.
La procession était somptueuse, elle était l’expression d’un était d’âme retrouvé. C’était un moyen de galvaniser la population, bien que les missionnaires vincentiens se soient montrés beaucoup plus réservés que les autres communautés religieuses pour recourir á ces pompes extérieures.
Les engagements qu’on faisait prendre aux populations exprimaient davantage la psychologie des missionnaires. A Poggio Mirteto, on remit en vigueur le catéchisme pour les adultes, la lecture spirituelle pour les membres de l’Oratoire de St. Roch ainsi que les réunions hebdomadaires des prêtres avec lecture spirituelle et office de la Ste. Vierge. Le résultat de la mission de Monte San Vito fut qu’on fit venir de Rome » 40 écus, de livres spirituels». A Morlupo les « Oratoires spirituels» furent remis en vigueur. La chronique de la mission de Cantarano signale:
«Cette mission porta beaucoup de fruits, ce bourg, á cause de sa pauvreté n’ayant pas l’habitude d’entendre des prédicateurs. On y établit la lecture spirituelle … á l’église et le conseil de la Communauté décida que pour obvier aux abus qui se commettaient, les nouvelles mariées seraient conduites á la maison de leur mari sitôt qu’elles auraient reçu l’anneau».
La mission et les structures d’une societe officiellement chretienne
L’étude de la religiosité populaire et des initiatives pastorales est obligée de tenir compte d’une ecclésiologie déterminée. Celle du concile de Trente mettait en relief le rôle de la hiérarchie. Elle avait mis en lumière l’importance de la réforme de l’épiscopat, du clergé, des religieux, et des nobles, comme lignes maitresses du renouveau de la société. Une société officiellement chrétienne devait être sûre de ses chefs, qui á cause de leur pouvoir et de leur exemple, pouvaient et devaient avoir une influence sur la masse.
Les missions comme toute autre initiative de la Contre-réforme tenaient compte de cette situation. Il est très important pour les rédacteurs des comptes rendus des missions de constater la participation et l’exemple des cadres de la société. Si l’exemple d’un cardinal Marc-Antoine Barbarigo est au dessus de tout, la complaisance avec laquelle est noté le rôle joué par les évêques dans les missions ainsi que par les nobles est significative.
Les évêques apparaissent comme les garants des saints canons et les gardiens sévères de la discipline et de la morale publiques. A Galeria, les missionaires trouvèrent un accueil très froid, parce qu’un religieux avait lancé le bruit qu’ils étaient des espions du cardinal. Situation semblable á Fiordini: la population craignait que les missionnaires n’allassent dénoncer á l’évêque, qui devint plus tard le cardinal Barbarigo, les scandales du pays avec les noms des coupables. La mission d’Amelia n’eut pas de succès parce que le bruit s’était répandu que c’était le nouvel évêque Giuseppe Crispino, homme peu aimé, qui avait fait venir les missionnaires. Les motifs d’alarme ne manquaient pas á la population: les comptes rendus parlent parfois d’interventions de l’évêque pour la sauvegarde de la moralité publique. Les missionnaires, conscients du danger que cela faisait courir á leur ministère, cherchaient á apparaitre comme libres de la tutelle de l’autorité épiscopale. Ils préféraient une intervention de l’évêque soit pour le décorum soit dans le domaine purement spirituel. Ainsi á Amelia en 1664 et 1679 (donc avant Mgr. Crispino) et á Segni où l’évêque voulut être le premier á se confesser, et où il fut assidu á tous les exercices.
Des considérations analogues peuvent être faites relativement aux nobles et aux notables: on avait plaisir á les voir participer á la mission. A celle d’Albano, on note avec une pointe d’orgueil qu’une nombreuse noblesse romaine y a participé. La population de Genzano fut frappée par l’exemple de la duchesse Cesarini, celle de Poli par l’exemple du duc Conti, celle de San Vito par celui du marquis Teodoli. Le prince Borghése se confessa lors de la mission de Pratica et voulut porter le dais á la procession. A la mission d’Artena un autre prince Borghése pardonna á la population les torts qui lui avaient été causés. Pour la réussite de la mission de Castel Salviano, le duc Salviati offrit le vivre aux missionnaires qui le refusèrent et « il fit tenir fermées les portes de la campagne le matin jusqu’après le sermon ». Intervention que ne refusèrent pas les missionnaires. A Monte Fiore les notables venaient pendant la nuit prendre leur place pour les confessions. Le chroniqueur d’une mission dans le diocèse de Ferino écrit que « tout se passa bien pour les gens ordinaires, mais non point pour les principaux qui se montrèrent les plus endurcis». A Cerreto Laziale, ce fut le même insuccès, car les plus riches du pays ne vinrent pas se confesser. C’est là une remarque très significative sur le rôle social de la noblesse et sur la servilité de certains prêtres. Ainsi á Filacciano, des confesseurs avaient plusieurs fois donné l’assurance á « une des femmes des plus notables du lieu » qu’elle n’avait pas d’obligation de pardonner aux assassins de son mari. A l’opposé dans un autre endroit, « un curé refusa la communion á la concubine publique d’un nobliau insolent».
Le dossier du clergé est beaucoup plus riche. Atteindre le clergé était un des buts que se proposait la mission. Les graves carences de l’évangélisation étaient dues á un clergé qui était nombreux mais sans motivation pastorale. En général, là où il y avait un clergé acceptable, la mission réussissait. C’est pourquoi, les missionnaires avaient la consigne de ne prêcher la mission que si le clergé la voulait. Un signe du succès de la mission était que le clergé assistait aux sermons et allait se confesser aux missionaires. Mais á Alatri, sur 70 prêtres, il n’y en eut qu’une dizaine qui se confessèrent. Echec complet á Marino où aucun des prêtres n’assista aux prédications et ne vint se confesser, comme aussi á Bracciano où il avait parmi le clergé des scandales notoires. La même chose arriva á Magliano. Dans un cas l’absentéisme du clergé est attribué aux missionnaires eux-mêmes ád cause de « certains impairs » lors d’une mission précédente.
On relève certaines notes très dures sur le style de vie du clergé. Il est possible que cela soit dû á une certaine concurrence des rôles. En dépeignant même en termes voilés la situation qu’ils rencontraient, les missionnaires auraient pu en concevoir un motif d’orgueil. Mais cette éventualité semble être bien éloignée, car ces comptes rendus n’étaient pas destinés á la publicité.
Quoi qu’il en soit, la note qui parait la plus fréquente est celle de la « désunion» traduisant tantôt un conflit de juridiction, tantôt une lutte d’intérêts, ou encore une opposition de personnes. Il serait anachronique de projeter au XVIIeme s. un idéal d’union ou de communion qui a mûri en fait beaucoup plus tard. « Une paix importante» a été conclue entre Parchiprétre et les chanoines á Lugnano. Le clergé des deux agglomérations de Cori était divisé pour des questions de juridiction, la mission fut l’occasion d’une procession commune. A Sutri le vicaire général principal et les chanoines se sentirent dans l’obligation de se demander pardon au cours de la mission.
Plus grave, au regard des missionnaires était la division entre le clergé et le peuple. Les choses avaient dû plutôt mal tourner á Poggio Cinolfo où une arquebusade avait été tirée contre l’archiprêtre, la population avait été excommuniée, jusqu’à ce que les missionnaires soient arrivés á régler le différend. A Roccagiovine, le curé avait été occis peu avant la mission.
On s’attendait á des remarques sur les scandales moraux donnés par les ecclésiastiques. « Les prêtres de Pratica vivent quasi tous dans la mauvaise conduite Ceux de Supino
n’avaient pas honte d’avoir publiquement une conduite scandaleuse, d’ailleurs l’évêque avait intenté un procès contre presque tous ». Dans une paroisse de la Sabine, la voix publique rapportée par les missionnaires affirme que plusieurs prêtres vivent en concubinage. Le clergé de Valmontone vivait dans la « mollesse » et en 1692 il ne voulait pas des conférences et fuyait « qui voulait le remettre sur le bon chemin ». Dans certaines paroisses, n’aimaient pas leurs fonctions sacrées, ils fréquentaient les tavernes et « les maisons des séculiers », ils se désintéressaient de leur devoir pastoral. Dans la paroisse de Cori, il se trouve que le curé est devenu fou. Le village de Casanova est depuis 2 ans sans curé et sans messe. A Olevano, c’est un jugement tout opposé: la population était très bien préparée, du fait que la paroisse avait de bons prêtres. La même observation est faite au moins á propos de 3 autres missions. Dans un village de la Sabine, l’absence de scandales est attribuée á la tenue exemplaire du clergé.
Ailleurs, la mission amène certains ecclésiastiques au repentir. A San Lorenzo (Ferentino) la mission avait commencé avec quelque préoccupation á cause du comportement des prêtres, mais ils ont assisté aux prédications, se sont confessés et, conclut notre rédacteur, ceux qui avaient les cheveux longs, les ont fait couper. Le clergé de Lenola suivit les exercices spirituels prêchés par les missionnaires et á la fin « promit d’observer un règlement de vie qui comportait l’exercice de la méditation et de la lecture spirituelle á (aire chaque jour en commun». A Bracciano les résolutions d’amendement furent imposées d’en haut: on merina de lourdes amendes ceux qui transgresseraient la discipline ecclésiastique.
Le compte rendu de la mission de Giuliano contient deux faits intéressants qu’il est opportun de citer intégralement non pas tellement par goût du détail, ou par besoin hagiographique, mais parce qu’ils semblent typiques de la mentalité du XVII’ s. La chronique parle de deux conversions miraculeuses:
«La première fut celle d’une veuve étrangère qui avait été mariée avec un médecin du lieu, par un prêtre qui l’entretenait á Rome et par la suite l’avait fait venir á Giuliano après la mort du mari. Touchée par la parole de Dieu après 20 ans de désordre avec ce prêtre, elle fut la première á se confesser. Elle partit donne de cette maison et se retira avec sa belle-mère et sa belle-sœur, qui promirent de ne plus la laisser aller dans cette maison, surtout après le retour dudit prêtre qui était pour lors á Rome. Elle en fit elle-même, en présence du St. Sacrement, la promesse devant l’archiprêtre et son confesseur. Elle fit sa confession avec de grands sentiments de douleur, se plaignant des confesseurs, qui par le passé, l’avaient laissé vivre dans cet état lamentable: un de ces confesseurs lui avait même dit de ne pas abandonner ce prêtre, mais de lui faire caresses et faveurs, si elle vouloir recevoir la récompense méritée».
L’autre conversion fut celle d’un prêtre adonné á tous les vices sauf l’ivrognerie, car il était abstème:
«Il ne célébrait la messe que 2 ou 3 fois l’an et ne disait pas l’office divin. II se moquait des missionnaires qui se trouvaient alors á Prasséde. Il avait entendu là le sermon sur le 6′ commandement et il avait dit á M. l’archiprêtre et á M.M. les Chanoines que les Capucins en foule et tant d’autres prédicateurs ne l’avaient pas converti depuis 15 ans qu’il était á Giuliano, ce n’étaient pas 500 frères qui le convertiraient, il croyait que les nôtres étaient des frères. Cependant il écouta les sermons et les conférences, n’en manquant aucun, et il en fut touché si bien que, de lion féroce, il devint un doux agneau fit une confession générale avec tant de larmes et de sanglots, qu’il pouvait á peine parler et qu’il fut contraint de la faire en deux fois. Il récite maintenant tous les jours l’office, il célèbre la messe avec grande ferveur et consolation de l’âme. Il avait dans sa maison, comme ornementation, quelques peintures représentant des femmes dans des attitude lascives, afin de s’exciter á la luxure. De son propre mouvement, il les jeta au feu, en faisant á Dieu cette prière, que si par amour pour Lui, il jetait au feu ces peintures, II veuille bien éteindre dans son âme les passions qui jusqu’alors lui avaient brillé le cœur.
Dégoûté de sa propre maison qui était assez belle et commode, il la quitta pour se retirer dans un ermitage proche de la Serra, où il s’applique á l’oraison mentale et la lecture de livres spirituels, fuyant la fréquentation des gens.
Lui-même demeure dans l’étonnement et la stupéfaction de son changement de vie et de tant de grâces qu’il reçoit chaque jour de la miséricorde divine.
Ce pays ne se lasse pas de remercier Dieu, et beaucoup en voyant cet homme et en entendant sa messe, en pleurent de joie».
Nombreuses sont pourtant les interrogations auxquelles il n’a pas été possible d’apporter de réponse. Quel était le degré de culture du clergé? Quelle sensibilité sociale et spirituelle avait-il? Quel degré de conscience avait-il de sa vocation?
Il n’a pas été possible d’extraire autre chose de nos comptes rendus, mais nous avons cependant obtenu des indications fort intéressantes á partir de ces enquêtes « au ras du sol ». C’étaient en fait des enquêtes non officielles, faites par des personnes sans illusions et jusqu’á un certain point désintéressées, nous permettant de connaitre les conditions de clergé de la contre-réforme.
Les missionaires n’émettent jamais de critique sur le nombre de ces prêtres. A Ceccano, il y avait 23 prêtres sur environ 1400 habitants, á Capranica, 27 sur 2200 habitants, á Alatri, 70 sur 3000 habitants. Ce sont les structures de l’Eglise et de la société qui justifiaient un clergé aussi nombreux: ce dernier trouvait dans l’état sacerdotal une perspective concrète de promotion sociale.
Les points signalés par les missionnaires sont principalement ces deux: le manque d’engagement pastoral et la conduite indigne.
La première critique est valable en tant qu’elle s’applique aux prêtres dotés d’un bénéfice á charge d’ames. C’est un aspect qu’il ne faut pas oublier, pour éviter de formuler un jugement anachronique qui partirait d’un principe de révision des structures ecclésiastiques.
Quant á l’indignité, elle se situe á divers niveaux, et dans ce domaine, il y a lieu de se référer aux paramètres de la conscience catholique de l’époque: elle situe au comble de l’indignité, le scandale d’une relation entre un prêtre et une femme, tous les autres vices ne venant qu’ensuite. Les observations sur la vie religieuse des population étudiées s’orientent dans la même direction.
Les comptes-rendus des missions peuvent être regardés comme une ouverture originale sur un monde assez oublié, celui des campagnes italiennes du XVII’ s. A travers eux, on peut percevoir (sans toutefois pouvoir en faire la mesure, car ce ne sont pas des enquêtes sociologiques), le niveau d’imprégnation religieuse des petits villages éloignés des voies de communication, privés de bien-être, de culture et de nouvelles. On peut vérifier á travers les notes des missionnaires le sens des efforts qui étaient faits pour instaurer une société officiellement chrétienne.
Ces résultats pourront être approfondis lorsqu’on aura mené une enquête plus exhaustive sur tous les comptes-rendus des missions données par les communautés qui s’y sont consacrées.