La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Livre troisième, Chapitre XXV et dernier

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Louis Abelly · Année de la première publication : 1664.
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Chapitre XXV et dernier: Conclusion de tout cet ouvrage, où l’on satisfait à la demande qui pourrait se faire pourquoi on ne rapporte en ce livre aucun miracle fait pour preuve de la sainteté de M. Vincent.

Ceux qui mettent par écrit la vie des personnes qui ont excellé en vertu, rapportent ordinairement à la fin de leur ouvrage, les miracles que Dieu a opérés en leur faveur, pour servir comme d’un témoignage authentique de leur sainteté. Et comme on ne doit pas légèrement croire tout ce qui se dit de ces œuvres extraordinaires et miraculeuses, aussi ne les faut-il pas témérairement rejeter ou improuver: car la main de Dieu n’est pas raccourcie, et sa puissance n’a pas moins d’étendue en ces derniers siècles que dans les précédents. Il est le souverain Seigneur de l’univers, qui peut toujours faire tout ce qu’il lui plaît au ciel et en la terre: et comme le don des miracles est un des principaux moyens qu’il a voulu employer pour établir son Église, et pour planter la foi dans les cœurs des hommes, il n’y a pas lieu de douter qu’il ne puisse s’en servir, et qu’en effet il ne s’en serve de temps en temps, pour affermir cette même Église, et réveiller cette foi qui semble quelquefois être comme endormie en la plupart des chrétiens.

Cela étant donc de la sorte, quelqu’un peut-être demandera pourquoi, dans tout le récit de la vie de M. Vincent, on n’a rapporte aucun miracle ? Car cette vie ayant été si vertueuse et si sainte, comment se pourrait-il faire que Dieu n’en eût pas opéré en sa faveur? Et s’il en a fait quelqu’un, pourquoi est-ce qu’on le retient sous le silence, et qu’on ne le déclare point, puisque selon le témoignage d’un ange: «C’est une chose honorable et glorieuse à Dieu de déclarer et manifester les œuvres de sa puissance?»

Mais on peut répondre, en premier lieu, que ce n’est pas une conséquence nécessaire, lorsqu’une personne a mené une vie sainte, que cette vie ait été accompagnée du don des miracles, puisque nous voyons plusieurs grands saints reconnus pour tels de toute l’Église, desquels toutefois on ne lit point qu’ils aient fait aucun miracle. L’Évangile nous déclare expressément que saint Jean-Baptiste, quoique déclaré par la bouche du Fils de Dieu même le plus grand de tous les hommes, n’a pourtant fait aucun miracle; et l’histoire ecclésiastique nous met devant les yeux un très grand nombre de saints, de tout état et condition, qui n’en ont jamais fait, dont néanmoins l’Église ne laisse pas de reconnaître et d’honorer la sainteté, et par conséquent, bien que Dieu n’eût fait aucun miracle par M. Vincent, cela ne devrait en rien diminuer l’estime que méritent ses vertus, ni la vénération qui est due à la mémoire de sa sainte vie.

On pourrait encore répondre, que si on n’a rapporté aucun miracle en faveur de ce saint homme, ce n’est pas que plusieurs personnes très dignes de foi n’aient rendu témoignage de diverses choses qu’il a faites durant sa vie, et qui sont arrivées après sa mort, qui pourraient être reconnues pour miraculeuses; par exemple, qu’il a plusieurs fois prédit des choses avant qu’elles arrivassent; qu’il en a connu et déclaré d’autres purement intérieures, qui ne pouvaient être sues que de Dieu seul; qu’il a délivré plusieurs personnes de diverses peines intérieures très grandes, dont elles étaient extraordinairement travaillées depuis longtemps et auxquelles elles n’avaient pu trouver aucun soulagement. Pour ne rien dire de la guérison de plusieurs autres personnes affligées en leurs corps de maladies très fâcheuses, et qui paraissaient irrémédiables, laquelle s’est faite d’une manière qui surpasse entièrement les forces de la nature, lorsque ces personnes ont eu recours aux intercessions de ce grand serviteur de Dieu.

Mais quoiqu’on pût rapporter plusieurs exemples de telles et semblables choses, qui sont très avérées, et appuyées sur des témoignages irréprochables, et qui mériteraient sans doute la créance du lecteur. On a mieux aimé toutefois les cacher sous le voile du silence, pour rendre une plus exacte obéissance aux ordres de la sainte Église, qui ne veut point qu’on publie aucun miracle qui n’ait auparavant été reconnu et approuvé par l’autorité des évêques, que pour se conformer plus parfaitement à l’esprit de ce père des Missionnaires, dont l’humilité ne pouvait souffrir qu’on découvrît les dons et les grâces extraordinaires de Dieu, voulant qu’on les tînt cachées, jusqu’à ce que la Providence les manifestât elle-même, par les voies qu’elle jugerait les plus convenables.

Enfin, si l’on ne produit en ce livre aucun miracle pour marque de la sainteté de M. Vincent, c’est que nous en avons d’ailleurs des preuves si fortes, qu’elles sont plus que suffisantes, non seulement pour convaincre, mais aussi pour persuader un esprit raisonnable et chrétien. On rapporte d’un Cardinal fort âgé, présent dans le consistoire à la lecture qui s’y faisait des informations que le Souverain Pontife avait ordonnées pour procéder à la canonisation d’une personne qui avait vécu, et qui était morte en réputation de sainteté. Pendant qu’on récitait un grand nombre de guérisons miraculeuses de diverses maladies, faites par ses intercessions, ce Cardinal paraissait tout assoupi, et abattu de sommeil; mais que dans la suite, quand on vint à rapporter qu’un jour ayant reçu en pleine rue une injure fort atroce, et un affront très sensible, elle l’avait supporté avec une patience admirable, sans en faire paraître la moindre émotion, et qu’au contraire elle avait témoigné beaucoup de charité et d’amour envers ceux qui la traitaient si mal, ce bon Cardinal ouvrant les yeux, comme s’il se fût réveillé, dit tout haut: « Voilà un grand miracle! Voulant témoigner par ces paroles que les actions vertueuses, et particulièrement celles qui sont héroïques, et beaucoup élevées au-dessus de la portée de la nature, doivent passer pour des preuves les plus fortes et les plus convaincantes de la sainteté de ceux qui les ont pratiquées jusques à la mort .

Suivant cette maxime, ceux qui voudront ramener leur attention sur tout ce qui a été rapporté de M. Vincent trouveront abondamment de quoi convaincre leur esprit sur ce sujet. Car si l’on peut appeler miraculeuses les œuvres qui sont au-dessus des voies communes de la nature, qui surpassent de beaucoup ses forces et qui vont bien loin au-delà du train ordinaire du commun des chrétiens, on peut aussi bien dire que la longue vie de M. Vincent a été presque un continuel miracle; puisqu’elle n’a été autre chose qu’un tissu d’actes des plus excellentes vertus, dans la pratique desquelles ce fidèle serviteur de Dieu a toujours constamment persévéré jusqu’à la fin.

Mais pour donner encore plus de jour à ce que nous désirons faire entendre au lecteur, il observera s’il lui plaît que, comme Dieu ne s’est pas servi des seuls miracles, mais qu’il a employé divers autres moyens pour rendre croyables les mystères et les vérités de notre religion, de même sa divine Providence ne veut pas toujours manifester la sainteté de ses plus fidèles serviteurs par les œuvres miraculeuses qu’il opère par eux, pouvant se servir, quand il lui plaît, d’autres moyens, qui ne sont pas moins propres ni moins efficaces pour cette fin. Ainsi voyons-nous dans l’histoire ecclésiastique qu’il en a rendu quelques-uns célèbres par une vocation tout extraordinaire: et par une manière de vie fort élevée au-dessus du commun, et plus angélique qu’humaine, les a rendus l’objet de la vénération aussi bien que de l’admiration de tous les fidèles.

Il a voulu que le seul martyre, sans aucun autre effet miraculeux, en ait canonisé un grand nombre d’autres; et que plusieurs, par une voie différente, se soient rendus illustres et recommandables dans l’Église par leur érudition et par une doctrine toute singulière et toute sainte.

Mais pour son serviteur Vincent de Paul, (s’il est permis de pénétrer dans les secrets de sa Providence) il semble qu’il ait voulu, par une conduite toute spéciale et non moins merveilleuse, se servir de ses abaissements pour le relever, et de sa profonde humilité pour le rendre plus digne d’honneur et de vénération dans son Église; en sorte qu’en cet humble prêtre se trouve particulièrement vérifié ce que Jésus-Christ a dit: «Que celui qui s’humilie sera exalté. »

Certainement, si d’un côté l’on considère avec quelque attention le mépris que M. Vincent faisait de lui-même et le désir continuel qu’il avait de passer pour un homme de néant, pour un pauvre serviteur inutile, pour un misérable, pour un abominable pécheur, tel qu’il se disait; Et que d’autre part, on regarde les choses extraordinaires et presque incroyables qu’il a plu à Dieu faire par son moyen, on sera obligé de reconnaître que si ces choses ont réussi avec une telle bénédiction, cela n’est pas venu de l’industrie ni de la vertu de l’homme; ce sont des effets d’une conduite toute particulière de la sagesse et de la puissance de Dieu et presque autant de miracles opérés par sa bonté, pour témoignage qu’il agréait et approuvait ce que son fidèle serviteur entreprenait et faisait pour son service.

Car n’y a-t-il pas sujet de tenir pour une chose en quelque façon miraculeuse que le fils d’un simple paysan, né dans l’obscurité de la plus basse condition qui se trouve parmi les hommes, élevé d’une manière toute rustique à la garde des bestiaux, et après réduit dans un malheureux esclavage, et qui s’est toujours tenu caché autant qu’il a pu dans l’ombre d’une vie commune et abjecte, ait, nonobstant tout cela, paru dans l’Église comme un nouveau soleil? Il a éclairé un nombre presque innombrable de pauvres âmes « qui gisaient dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort », comme parle un prophète, c’est-à-dire qui passaient toute leur vie dans une effroyable ignorance de Dieu et des choses nécessaires à leur salut, et que non seulement éclairé, mais aussi échauffé et vivifié par les ardeurs de son zèle une infinité de personnes qui étaient mortes à la vie de la grâce et comme ensevelies dans le péché, et il a rallumé dans les cœurs de plusieurs autres le feu du divin amour.

Qu’un simple prêtre, sans bénéfices, sans biens extérieurs et sans aucun pouvoir ni autorité dans l’Église, ait su remédier efficacement à un très grand nombre de dérèglements qui se trouvaient dans le clergé; et qu’il ait fait sur ce sujet, et heureusement conduit à chef dedans et dehors le Royaume de France, ce que les plus grands prélats et les plus zélés eussent a peine résolu d’entreprendre dans leurs propres diocèses et dans les lieux dépendants de leur juridiction, avec toute leur autorité et tous leurs grands revenus.

Qu’un homme pauvre et dénué de tous moyens et de toutes commodités ait trouvé le moyen de secourir et d’assister dans leur extrême nécessite les pauvres, non d’une seule ville, mais de plusieurs provinces entières, non pendant quelque partie d’une mauvaise saison, mais durant un grand nombre d’années; et que pendant tout ce temps il a procuré qu’ils fussent pourvus de ce dont ils avaient besoin pour leur nourriture, leurs vêtements et autres nécessités; qu’il ait remis en état les églises brûlées par les gens de guerre, les fournissant d’ornements; qu’il ait procuré aux prêtres et aux curés la subsistance nécessaire; qu’il ait pourvu de médicaments et de nourriture un nombre presque infini de pauvres malades, répandus de tous côtés dans la plupart des villages de France, de Savoie, d’Italie et de plusieurs autres provinces encore plus éloignées, et cela, non pour un peu de temps, mais depuis plus de trente ans; et qu’il ait trouvé un fonds inépuisable pour continuer toujours ces assistances, autant que les Confréries de la Charité qu’il a instituées dureront.

Enfin, qu’un homme de la plus basse naissance, qu’il n’a point cachée, mais qu’il a publiée partout, qui se déclarait un pauvre ignorant, qui ne faisait paraître aucun talent extérieur qui le rendît considérable, qui n’a jamais composé aucun livre, ni prêché en aucune chaire célèbre, et qui a plutôt fait tout ce qu’il a pu pour se tenir caché ou pour se rendre vil et méprisable; nonobstant tout cela, cet homme inconnu a acquis une réputation qui s’est répandue presque par tout le monde; il a été honoré et recherché des plus grands, et même appelé dans les Cabinets et dans les Conseils des souverains.

Certainement, celui qui pèsera bien toutes ces choses sera obligé de reconnaître que la main du Seigneur a été avec son fidèle serviteur pour opérer toutes ces merveilles, et que la vie, la conduite, les œuvres et les succès des entreprises de M . Vincent ont été des ouvrages singuliers de la sagesse et de la puissance de Dieu, qui sait, quand il lui plaît, faire sortir la lumière des ténèbres, et tirer du néant ce qu’il y a de plus grand et de plus éclatant dans l’univers.

Après tout, le lecteur trouvera ici un ample sujet de glorifier Dieu et de le bénir de tous ces grands exemples de vertu qu’il lui a mis devant les yeux en la personne de son fidèle serviteur. Saint Grégoire de Nysse, parlant de saint Ephrem, disait, que Dieu l’avait mis sur la terre comme un grand luminaire pour éclairer le monde, ou bien comme une haute colonne vivante et animée pour montrer aux hommes les sentiers de la vertu et de la sainteté, à la façon de ces Mercures que l’on posait sur les grands chemins; et nous pouvons, avec toute sorte de raisons, dire de même de M. Vincent. C’est Dieu qui l’a fait naître et qui l’a donné à son Église pour lui procurer plusieurs grands biens, mais particulièrement pour y laisser l’exemple de sa sainte vie, comme un adresse assuré pour connaître le chemin qui conduit à la solide perfection; afin que par cette vue on fût excité à prendre cette route, et à marcher à la faveur d’un si bon guide, entrant dans ses sentiments, embrassant ses maximes et cherchant à son imitation, avant toute autre chose, le Royaume de Dieu, l’accomplissement de ses volontés, et l’accroissement de son honneur et de sa gloire.

Fin

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