La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Livre troisième, Chapitre XIV

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

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Author: Louis Abelly · Year of first publication: 1664.
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Chapitre XIV : Son obéissance

Nous ne saurions mieux commencer ce chapitre de l’obéissance de M. Vincent qu’en rapportant les sentiments qu’il avait de cette vertu. Il les a déclarés en plusieurs rencontres, mais particulièrement dans les avis salutaires qu’il a donnés sur ce sujet à ses chères filles les religieuses du premier monastère de la Visitation de cette ville de Paris.

Elles ont témoigne que ce grand serviteur de Dieu, qui a été leur premier père spirituel, entre toutes les vertus, leur recommandait souvent celle de l’obéissance, et de l’exactitude à la régularité, jusques aux moindres observances, et qu’il avait une affection toute particulière pour bien établir ces vertus d’obéissance et d’exactitude dans leur Communauté. Il leur disait que ces deux vertus-là sont celles qui, étant pratiquées avec persévérance, font la religion; que pour s’y exciter, il est utile d’en conférer familièrement ensemble, et de s’entretenir sur leur excellence et leur beauté; qu’il est nécessaire de s’y affectionner, dans la vue du plaisir que Dieu prend dans les âmes religieuses qui s’y rendent fidèles, et parce que celui qui est leur divin Époux aime tellement ces vertus, que le moindre retardement à l’obéissance lui est désagréable; qu’une âme vraiment religieuse ayant voué cette vertu en face de l’Église, doit se rendre soigneuse d’accomplir ce qu’elle a promis, et que si on se relâche en une petite chose, on se relâchera bientôt en une plus grande. Il disait encore que tout le bien de la créature consiste en l’accomplissement de la volonté de Dieu, et que cette volonté se trouve particulièrement en la fidèle pratique de l’obéissance, et en l’exacte observance des règles de l’Institut; qu’on ne peut rendre un service plus véritable à Dieu qu’en pratiquant l’obéissance par laquelle il accomplit ses desseins sur nous; que sa pure gloire s’y trouve avec l’anéantissement de l’amour-propre et de tous ses intérêts, qui est ce à quoi nous devons principalement prétendre, et que cette pratique met l’âme dans la vraie et parfaite liberté des enfants de Dieu.

Il recommandait fort de renoncer à son propre jugement, et de le mortifier, pour le soumettre à celui des supérieurs, et disait que l’obéissance ne consiste pas seulement à faire présentement ce qu’on nous ordonne, mais à se tenir dans une entière disposition de faire tout ce qu’on nous pourrait commander en toutes sortes d’occasions. Il ajoutait qu’il faut regarder ses supérieurs comme tenant la place de Jésus-Christ sur la terre, et leur rendre en cette considération un très grand respect; que murmurer contre eux est une espèce d’apostasie intérieure: car comme l’apostasie extérieure se commet en quittant l’habit et la religion et se désunissant de son corps, aussi l’apostasie intérieure se fait quand on se désunit des supérieurs, leur contredisant en son esprit, et s’attachant à des sentiments particuliers et contraires aux leurs; ce qui est le plus grand de tous les maux qui arrivent dans les Communautés, et que l’âme religieuse évitait ce malheur quand elle se tient dans une sainte indifférence, et se laisse conduire par ses supérieurs.

«Il disait aussi, sur ce sujet de l’obéissance, qu’il faut, pour fondement de la vraie soumission qu’on doit avoir dans une Communauté, considérer attentivement les choses suivantes:

«1° La qualité des supérieurs, qui tiennent sur la terre la place de Jésus-Christ à notre égard;

«2° La peine qu’ils ont, et la sollicitude qu’ils prennent pour nous conduire à la perfection: ils passent quelquefois les nuits entières en veilles, et ont souvent le coeur plein d’angoisses, pendant que les inférieurs jouissent à leur aise de la paix et de la tranquillité que leur apporte le soin et le travail de ceux qui les conduisent; leur peine est d’autant plus grande qu’ils ont plus de sujet d’appréhender le compte qu’ils sont obligés d’en rendre à Dieu;

«3° La récompense promise aux âmes vraiment obéissantes, même dès cette vie; car outre les grâces que mérite cette vertu, Dieu se plaît à faire la volonté de ceux qui pour l’amour de lui soumettent leur volonté à leurs supérieurs;

«4° La punition que doivent appréhender ceux qui ne veulent pas obéir. Dieu en a fait voir un exemple bien terrible dans le châtiment que sa justice a exerce sur Coré, Dathan et Abiron, pour avoir méprisé Moïse leur supérieur, et pour avoir par ce mépris offensé grièvement Dieu, qui a dit, parlant aux supérieurs que sa Providence a établis dans son Église: «Celui qui vous écoute m’écoute, et celui qui vous méprise me méprise.»

«5° L’exemple de l’obéissance que Jésus-Christ est venu donner aux hommes, ayant mieux aimé mourir que de manquer à obéir: et certes ce serait une dureté de cœur bien grande de voir un Dieu obéissant jusqu’à la mort pour notre salut, et nous, chétives et misérables créatures, refuser de nous assujettir pour l’amour de lui.

« Il ajoutait que, pour pratiquer parfaitement cette vertu, il fallait obéir:

«1° Volontairement, faisant ployer notre volonté sous la volonté des supérieurs;

«2° Simplement, pour l’amour de Dieu, et sans jamais permettre à notre entendement de rechercher ou examiner pourquoi nos supérieurs ordonnent telle ou telle chose;

«3° Promptement, sans user d’aucun retardement, quand il est question d’exécuter ce qui est commandé;

«4° Humblement, sans prétendre ni désirer tirer aucune louange ou estime de l’obéissance qu’on rend;

«5° Courageusement, ne désistant pas, et ne s’arrêtant pour les difficultés, mais les surmontant avec force et générosité;

«6° Gaiement, exécutant ce qui est commandé avec agrément, et sans témoigner aucune répugnance;

«7° Avec persévérance, à l’imitation de Jésus-Christ, qui s’est rendu obéissant jusques à la mort. »

Or il ne faut pas considérer ce que M. Vincent disait ou enseignait comme des leçons d’un maître ou des exhortations d’un prédicateur, qui ne fait pas quelquefois ce qu’il enseigne aux autres; mais comme de pures expressions des sentiments les plus sincères de son cœur, et comme de véritables témoignages de ce qu’il pratiquait lui-même touchant cette vertu, laquelle il persuadait aux autres aussi bien par ses exemples que par ses paroles.

Et premièrement, la grande vertu de M. Vincent était de se tenir continuellement dans une entière et absolue dépendance de Dieu, et de se soumettre fidèlement et parfaitement à tout ce qu’il voyait lui être agréable; de sorte que l’on peut véritablement dire que Dieu a trouvé en lui un homme selon son cœur, toujours prêt et disposé à faire toutes ses volontés, comme nous avons vu amplement dans les chapitres précédents.

Dans cette sainte disposition, lorsqu’il vint de Rome à Paris, une des premières choses qu’il y fit fut de prendre un directeur spirituel, afin qu’en suivant ses avis et conseils, il pût obéir à Dieu, et répondre à ses desseins. Ce directeur fut le R. P. de Bérulle, qui depuis a été cardinal de la sainte Église; et par la soumission qu’il rendait à sa conduite, il accepta quelque temps après la cure de Clichy; il entra ensuite dans la maison de Gondy, pour être aumônier de Monsieur le Général des Galères et de Madame sa femme, et précepteur de Messieurs ses enfants; enfin, Madame désirant le prendre pour son confesseur et pour directeur de son âme, il n’y voulut consentir que par obéissance; et il fallut que cette vertueuse dame eût recours à Monsieur de Bérulle pour le lui ordonner. C’est ainsi que, ne voulant rien faire par soi-même, il se tenait toujours soumis aux ordres de Dieu.

Mais non content d’obéir a Dieu, il s est encore assujetti, suivant la parole du saint Apôtre, à toute créature humaine pour l’amour de Dieu, principalement aux puissances spirituelles et temporelles, aussi bien dans les choses fâcheuses et humiliantes qu’en celles qui étaient faciles et honorables.

Il obéissait surtout à Notre Saint-Père le Pape, gaiement et sans réplique; car le considérant comme le vicaire de Jésus-Christ et le souverain pasteur de son Église, il lui était soumis de tout son jugement et de toute son affection.

Ce fut par le seul motif d’obéissance qu’il accepta la charge de supérieur général de sa Congrégation, le pape Urbain VIII la lui ayant imposée par la même bulle par laquelle Sa Sainteté avait approuvé l’Institut de la Mission.

Il portait tous les Missionnaires soumis à sa conduite à rendre comme lui une parfaite obéissance au Saint-Siège, les mettant dans la pratique de cette règle qu’il leur a laissée par écrit en ces termes: «Nous obéirons exactement à tous nos supérieurs, et à chacun d’iceux, les regardant en Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur en eux; principalement à Notre Saint-Père le Pape, auquel nous obéirons avec tout le respect, la fidélité et la sincérité possible.»

Nous avons fait voir ailleurs la plénitude d’estime et de vénération que M. Vincent a eue pour les évêques: maintenant nous dirons un mot de la parfaite soumission qu’il a toujours eue pour eux, et de l’obéissance entière qu’il a voulu que ceux de sa Congrégation leur rendissent, en ce qui concerne les fonctions de leur Institut. Le Saint-Siège, sans doute, a jugé nécessaire d’ordonner, en approuvant la Congrégation de la Mission, que le supérieur général prît le soin et la direction des sujets qui la composent, tant pour l’intérieur, c’est-à-dire pour la conduite de leurs âmes et leur avancement en la pratique des vertus conformes à leur vocation, que pour l’extérieur, qui regarde l’observance des règles de la Congrégation, les ordres domestiques, l’administration du temporel et la disposition des personnes pour les lieux et pour les emplois: afin qu’étant membres d’un même corps, ils peuvent par ce moyen conserver dans la diversité des diocèses ou ils se trouvent le même esprit et la même conduite que Dieu a inspirés à leur instituteur; outre qu’il est très expédient que le Supérieur général, qui a une connaissance plus particulière des talents et des dispositions de ses inférieurs, puisse les envoyer en chaque maison, ou les en rappeler, et les appliquer aux emplois de l’Institut et aux autres choses qui touchent le bon ordre de la Congrégation. Néanmoins, quant aux mêmes fonctions qui regardent l’assistance du prochain, M. Vincent a désiré et procuré que le Saint-Siège ait tellement soumis sa Congrégation aux évêques, que les Missionnaires n’en pussent faire aucune de leur Institut, telles que sont les missions, les exercices de l’ordination, les conférences des ecclésiastiques, les retraites spirituelles, et la conduite des séminaires, que sous l’autorité et avec l’agrément et la permission des Ordinaires. C’est ce qu’il a toujours observé lui-même, et fait observer aux siens, à la satisfaction des évêques, dans les diocèses desquels ils ont travaillé et travaillent encore avec la même soumission et obéissance, de laquelle ils sont bien résolus de ne se départir jamais, avec la grâce de Dieu.

Il accepta, environ l’an 1622, longtemps avant l’érection de sa Congrégation, la direction des religieuses de la Visitation de Sainte-Marie de la ville de Paris, tant pour obéir au bienheureux François de Sales, leur fondateur et instituteur, qui l’en pria, qu’à Monseigneur de Paris, qui le lui ordonna. En quoi il a bien fait voir sa fidélité a l’obéissance: car, ayant été chargé de soins et de travaux extraordinaires depuis l’établissement de sa Compagnie et ses divers engagements dans les grandes affaires de piété, et le nombre de ces bonnes religieuses, qui remplissaient trois monastères dans Paris, et un dehors, s’étant fort accru, et demandant par conséquent beaucoup de temps et d’application, il tâcha plusieurs fois de se décharger de leur conduite, et la quitta entièrement une fois; quelque instance qu’on lui fît par lettres, et par l’entremise de personnes de grande condition, il ne put jamais se résoudre à la reprendre; il n’y acquiesça enfin que pour obéir à M. l’archevêque de Paris, qui l’y engagea derechef. Néanmoins, pour donner moyen à ceux de sa Compagnie de s’employer entièrement aux fonctions qui leur sont propres, il jugea qu’il était nécessaire de les éloigner de la conduite et fréquentation des religieuses; et, à cet effet, il leur a laissé pour règle de s’abstenir entièrement de les diriger, ayant reconnu par sa propre expérience combien cet emploi était incompatible avec leurs fonctions, et peu convenable à leur état.

Il voulait, outre cela, que tous les siens rendissent obéissance aux curés lorsqu’ils faisaient mission dans leurs paroisses, et leur recommandait expressément de n’y rien faire et, comme il disait, «ne pas même remuer une paille, qu’avec leur agrément.» Sur quoi, écrivant à une personne de dehors, il lui dit entre autres choses: « Nous avons pour maxime de travailler au service du public, sous le bon plaisir de MM. les curés et de n’aller jamais contre leurs sentiments. Et à l’entrée et sortie de chaque mission, nous prenons leur bénédiction en esprit de dépendance.»

C’est ce qu’il pratiquait lui-même avec une merveilleuse humilité: et quoiqu’il fût envoyé avec les siens par les évêques, avec plein pouvoir pour travailler dans les paroisses de leurs diocèses, il ne voulait toutefois rien faire qu’avec le consentement, et sous le bon plaisir des curés: ce qu’il observait inviolablement, aussi bien dans le plus petit village, comme dans les autres lieux plus considérables. C’est ce qu’il a toujours fait pratiquer aux siens, et c’est aussi ce qu’ils continuent de faire.

Quant à l’obéissance qui est due aux rois et aux princes souverains, il déclara un jour aux siens les sentiments qu’il en avait: après leur avoir représenté de quelle façon les premiers chrétiens se soumettaient aux empereurs, et révéraient leur puissance temporelle, il ajouta les paroles suivantes: «Nous devons, mes Frères, à leur exemple, rendre toujours une fidèle et simple obéissance aux rois, sans jamais nous plaindre d’eux, ni murmurer pour quelque sujet que ce puisse être: et quand bien il serait question de perdre nos biens et nos vies, donnons-les dans cet esprit d’obéissance, plutôt que de contrevenir à leurs volontés, quand la volonté de Dieu ne s’y oppose pas: car les rois nous représentent sur la terre la puissance souveraine de Dieu.»

Et pour faire voir quelle était l’exactitude de M. Vincent à obéir au roi, même dans les choses les plus petites, nous en rapporterons ici un exemple, qui est d’autant plus considérable, que le sujet en est moins important, et qu’il se trouve peu de personnes qui voulussent s’assujettir jusqu’à un tel point. Un frère de la maison de Saint-Lazare, ayant trouvé dans l’enclos de cette maison des œufs de perdrix, les prit et les fit couver à une poule; et les perdreaux étant éclos et devenus plus grands, il les porta dans une cage à M. Vincent, pensant lui donner quelque sujet de divertissement. Mais lui, faisant quelque réflexion sur les ordonnances du roi qui défendaient la chasse, dit à ce bon frère, sans lui déclarer son intention: « Allons voir si ces petits oiseaux savent bien marcher.» Étant sorti de la chambre, et ayant traversé avec ce frère la basse-cour, il entra dans le clos où sont les terres de labour; là, il fit ouvrir la cage, et mit en liberté ces petits perdreaux, prenant plaisir de les voir courir pour se sauver. Puis, ayant remarqué que le frère était un peu mortifié d’avoir perdu toute sa peine, il lui dit: «Sachez, mon frère, que nous devons obéir au roi, lequel ayant défendu la chasse, n’entend pas qu’on prenne les œufs non plus que le gibier; et nous ne saurions désobéir au prince en ces choses temporelles sans déplaire à Dieu.»

Mais ce n’était pas assez à M. Vincent de pratiquer l’obéissance envers ceux qui lui étaient supérieurs, il l’étendait encore envers toutes sortes de personnes, et portait les siens à faire le semblable: « Notre obéissance, leur disait-il, ne doit pas se borner seulement à ceux qui ont droit de nous commander, mais elle doit passer plus avant; car nous nous garderons bien de manquer à l’obéissance qui est d’obligation, si, comme saint Pierre le recommande, nous nous soumettons à toute créature humaine pour l’amour de Dieu. Faisons-le donc, et considérons tous les autres comme nos supérieurs, et pour cela mettons-nous au-dessous d’eux, et plus bas même que les plus petits, et les prévenons par déférence, par condescendance, et par toutes sortes de services. O que ce serait une belle chose, s’il plaisait à Dieu nous bien établir dans cette pratique !»

Il exhortait les siens à la pratique de cette condescendance mutuelle, qui est une espèce d’obéissance, par la comparaison des membres d’un corps, qui s’accommodent et condescendent les uns aux autres pour leur bien et conservation commune, en sorte que ce que l’un fait, l’autre l’approuve et y coopère autant qu’il peut. «Ainsi, disait-il, dans une communauté il faut que tous ceux qui la composent et qui en sont comme les membres usent de condescendance les uns envers les autres; et dans cette disposition, les savants doivent condescendre à l’infirmité des ignorants, aux choses où il n’y a point d’erreur et de péché; les prudents et les sages doivent condescendre aux humbles et aux simples: Non alta sapientes, sed humilibus consentientes. Et par cette même condescendance nous devons non seulement approuver les sentiments des autres dans les choses bonnes et indifférentes, mais même les préférer aux nôtres, croyant que les autres ont des lumières et qualités naturelles ou surnaturelles plus grandes et plus excellentes que nous. Mais il faut se donner bien de garde d’user de condescendance dans les choses mauvaises, parce que ce ne serait pas une vertu, mais un grand défaut, qui proviendrait, ou du libertinage d’esprit, ou bien de quelque lâcheté et pusillanimité. »

Il pratiquait en effet ce qu’il disait, car on a remarqué qu’il se rendait fort condescendant aux volontés d’un chacun dans les choses indifférentes, et même à ceux qui avaient quelque faiblesse d’esprit. Il tenait pour maxime qu’il était plus expédient de s’accommoder à la volonté des autres que de suivre ses propres sentiments; et il en était venu jusque-là, comme témoigne un vertueux ecclésiastique qui l’a connu et observé pendant plusieurs années, que de condescendre aux désirs de toutes sortes de personnes, et suivre les avis des moindres dans les choses indifférentes. Ce n’est pas qu’il ne sût connaître les affaires beaucoup mieux qu’un autre, sa longue expérience en toutes choses, jointe aux lumières qu’il recevait de Dieu, lui donnant moyen de pénétrer et de discerner en toutes sortes de rencontres ce qui était le plus expédient de faire; mais il en usait ainsi pour ne pas perdre le mérite de la soumission et de l’obéissance lorsqu’il se présentait occasion de la pratiquer.

Il exerçait encore cette même vertu en cédant volontiers aux opinions des autres, lorsqu’il le pouvait faire sans préjudice de la vérité et de la charité. On n’a jamais remarqué qu’il ait contredit ou contesté, bien que souvent on traitât avec lui des questions difficiles, et sur lesquelles il y avait matière de dispute; mais il déférait aux avis des autres, ou bien il se taisait après avoir humblement allégué ses raisons. Il est bien vrai que lorsqu’il y allait de l’intérêt du service ou de la gloire de Dieu, il était ferme et inébranlable jusqu’à un tel point, qu’on l’a vu persister des années entières à refuser certaines choses qu’on lui demandait, parce qu’il ne jugeait pas les pouvoir accorder selon Dieu; et sa grande maxime sur ce sujet était celle-ci: «Tant de condescendance que vous voudrez, pourvu que Dieu n’y soit point offensé.» Mais quand l’intérêt de la gloire de Dieu, ou de la charité du prochain, ou de la prudence chrétienne, l’obligeait à refuser quelque chose, il le faisait de si bonne grâce, et avec tant de douceur et d’humilité, qu’un de ses refus était mieux reçu que n’eût été quelquefois la faveur ou le bienfait qu’on eût obtenu d’un autre.

Dans cet esprit d’obéissance et de condescendance, il écrivit un jour sur le sujet de quelque difficulté arrivée dans une mission, à celui qui en était le directeur, de suivre plutôt l’avis d’un autre que le sien propre, l’exhortant d’acquiescer toujours volontiers aux avis d’autrui: sur quoi il lui allégua saint Vincent Ferrier, qui met cette pratique comme un moyen de perfection et de sainteté.

Ce fut dans ce même esprit de condescendance qu’il consentit à traiter d’une ferme qu’on offrit à la Communauté de Saint-Lazare, mais sous une pension viagère si grosse, qu’il ne jugeait pas devoir accepter cette offre, ni s’y engager; et en effet il y résista deux ans durant. Ceux néanmoins à qui cette ferme appartenait, ayant un grand désir d’être assurés pour toute leur vie de cette grosse pension, firent en sorte qu’ils gagnèrent l’esprit de feu M. le prieur de Saint-Lazare, pour lequel M. Vincent avait une condescendance merveilleuse; et ce bon prieur, pensant bien faire, le pria et pressa tellement, que, par pure condescendance à sa volonté, il souscrivit au contrat, de l’avis néanmoins de son conseil, qui l’assura qu’il le pouvait faire sans aucun risque; et s’étant obligé à cette pension, il la paya fidèlement à ces personnes jusqu’à leur mort; après laquelle on intenta procès, et l’on fit perdre cette ferme aux prêtres de la Mission, et presque tout l’argent qu’ils avaient avancé; sans que M. Vincent voulut se servir des moyens qu’on lui fournissait pour se pourvoir contre l’arrêt, de peur de manquer tant soit peu à la soumission qu’il estimait devoir rendre à ses juges, aimant mieux perdre la ferme et l’argent que le mérite de l’obéissance.

Il fit encore paraître une autre fois son exactitude et son zèle pour cette même vertu, dans une occasion en laquelle il semblait pouvoir facilement s’en dispenser. Ayant reçu commandement de la Reine-Mère de faire la mission à Fontainebleau, il y envoya des prêtres de sa Communauté, lesquels contre leur attente y trouvèrent un religieux qui y prêchait en ce même temps. Ils ne laissèrent pas pour cela de commencer la mission, pour obéir à Sa Majesté, cessant néanmoins leurs exercices aux heures que ce bon religieux devait prêcher, afin que le peuple eût toute liberté de se trouver à ses sermons; mais les habitants de ce lieu ayant ouï les instructions familières de la mission et y prenant plus de goût qu’aux prédications de ce bon Père, cela fut cause qu’il n’avait qu’un fort petit nombre d’auditeurs à ses prédications; l’église au contraire se trouvait toute remplie de peuple, lorsque les Missionnaires faisaient les prédications et les instructions du catéchisme; de quoi ce prédicateur eut quelque jalousie, en sorte qu’il ne put s’empêcher d’en témoigner sa peine. Cela mit les prêtres de la Mission en doute de ce qu’ils devaient faire, considérant d’un côté la maxime de M. Vincent, qui était de condescendre et de céder en telles occasions, et craignant aussi, d’un autre, de manquer aux ordres que la Reine avait donnés de faire la mission. C’est pourquoi ils en écrivirent à M. Vincent pour savoir ce qu’ils devaient faire; mais lui, voyant qu’il s’agissait d’un point d’obéissance, il le jugea d’une telle conséquence, qu’il envoya en diligence un homme exprès vers Sa Majesté qui était pour lors allée par dévotion à Notre-Dame de Chartres, avec une lettre par laquelle il lui exposait la rencontre du prédicateur stationnaire, et l’usage des prêtres de la Mission en tel cas, qui était de se retirer. Il suppliait très humblement Sa Majesté d’agréer qu’il les rappelât; ce que la Reine lui ayant accordé, il envoya les Missionnaires travailler en d’autres lieux, pour ne pas interrompre ce bon religieux et pour lui condescendre.

Or, comme M. Vincent était exact à la pratique de l’obéissance, il exigeait aussi une semblable exactitude de la part des siens, et ne pouvait supporter en eux le moindre défaut contre cette vertu; car il voulait qu’elle fût en vigueur dans toute sa Compagnie, comme une des plus importantes pour son bien; et quand quelqu’un y manquait, il savait fort bien l’en relever. Voici ce qu’il fit un jour sur ce sujet à l’égard d’un des plus anciens et des plus réguliers de ses prêtres, auquel il  avait recommandé un soir de reposer le lendemain, parce qu’il l’avait fait veiller fort tard, et croyait qu’il avait besoin de ce soulagement. Ce bon Missionnaire néanmoins, qui était fort exact à faire tous les jours son oraison à l’heure ordinaire de la Communauté, se leva pour se trouver avec les autres à cet exercice, ne s’étant point persuadé que la recommandation qui lui avait été faite par M. Vincent le dût engager si étroitement qu’il ne lui fût pas permis de se lever à son ordinaire. Mais M. Vincent, qui faisait grand cas de l’obéissance, lui en fit la correction dans l’église en présence de tous les autres, au sortir de l’oraison, le faisant tenir fort longtemps à genoux, quoiqu’il fût des plus anciens, et même celui qui tenait sa place dans la maison en son absence, et bien que M. Vincent eût avoué que c’était la première faute contre l’obéissance en laquelle il le surprenait. Il loua à la vérité son zèle et son exactitude d’un côté, mais il blâma de l’autre sa ferveur inconsidérée en ce qu’il avait fait. Il dit ensuite de très belles choses de la vertu d’obéissance, et rapporta, outre l’exemple de Saul et de Jonathas, quelque point remarquable de l’histoire de France qui venait fort à propos, pour faire mieux voir aux siens importance de cette vertu.

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