La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Livre troisième, Chapitre XI, Section 4

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Louis Abelly · Année de la première publication : 1664.
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Section IV : Son amour respectueux pour les Prélats de l’Eglise

Nous avons déjà vu au second livre, quelques-uns des services que M. Vincent a tâché de rendre à MM. les prélats en diverses rencontres; et nous avons encore touché quelque chose, au commencement de ce chapitre, du grand amour et du singulier respect qu’il a eus pour leurs personnes sacrées; mais il faut avouer que tout ce que nous en avons dit et tout ce que nous en pourrons dire est très peu de chose, en comparaison de ce qui est en effet; et nous n’avons point de paroles qui soient suffisantes pour exprimer quels étaient la vénération, le respect et l’amour que M. Vincent avait pour les prélats de l’Eglise, qu’il reconnaissait et honorait comme les lieutenants de Jésus-Christ sur la terre, et les successeurs de ses apôtres: c’est pourquoi nous avons jugé ne pouvoir mieux faire en cette section que de l’entendre parler lui-même, et nous expliquer ses sentiments sur ce sujet. Nous les tirerons de quelques lettres qui sont venues les premières sous la main, parmi un très grand nombre d’autres qu’il a écrites en divers temps à plusieurs prélats; et nous en produirons seulement quelques extraits .

Un évêque de grand mérite, qui est maintenant devant Dieu, et qui avait été élevé à cette dignité par l’entremise de Monsieur Vincent, lui ayant fait savoir les premiers fruits de ses travaux dans son Eglise, M. Vincent l’en congratula par ces paroles: «Qui est-ce qui ne reconnaîtra que c’est une bénédiction de Dieu bien manifeste sur le diocèse de N., de lui avoir donné un évêque qui porte la paix aux âmes en des lieux où depuis cent ans on n’avait point ouï parler ni d’évêques ni de visites: et après cela, Monseigneur, puis-je concevoir une estime assez grande de votre personne, et vous rendre des respects assez profonds? Mais ne dois-je pas dire que vous êtes vraiment un évêque Dieu-donné, un prélat de grâce, un homme tout apostolique, par qui Jésus-Christ s’est fait connaître aux peuples les plus désolés; que son saint Nom en soit à jamais béni, et vous conserve une longue suite d’années; puissiez-vous être enfin récompensé d’une éternité de gloire, et reconnu dans le ciel parmi un très grand nombre d’âmes bienheureuses, qui auront eu entrée en ce séjour de gloire par votre moyen, et qui vous y reconnaîtront pour leur second sauveur après Jésus-Christ! »

Un autre évêque voulant quitter son diocèse parce que, disait-il, il se reconnaissait incapable de le gouverner, pria M. Vincent par plusieurs fois de lui trouver un bon successeur. A quoi celui-ci répondit dans les termes suivants: «Vos lettres, Monseigneur, m’ont trouvé si plein de respect pour votre personne sacrée, et d’affection de vous obéir, que j’ose vous dire que j’ai presque sans cesse devant les yeux le commandement que vous m’avez fait; et je ne rencontre guère la personne que vous savez, que je ne lui en dise quelque mot. Je sais néanmoins, Monseigneur, que vous êtes autant au-dessus de ce que vous pensez être, que la montagne l’est de la vallée; mais ne pouvant vous servir à votre gré, qu’en faisant ce que vous désirez, je tâcherai de le faire en cela et en toute occasion. »

Ecrivant à un autre prélat qui était dans le même dessein de quitter son évêché, à cause de quelque incommodité, et voulant l’en détourner, voici en quels termes il lui parle: «Je ne puis, Monseigneur, vous exprimer la douleur que je sens de votre indisposition; Dieu, qui m’a donné à vous, vous fera, s’il lui plaît, connaître la tendresse qu’il a mise en moi pour tout ce qui vous touche. Ce qui me console est que votre maladie n’est pas sans remède, ni sans espérance de guérison. J’en ai ressenti quelque atteinte autrefois, ayant eu un doigt de la main tout a fait insensible, mais cela s’en alla dans quelque temps. Plaise à Dieu, Monseigneur, de vous conserver pour le bien de votre diocèse, au sujet duquel j’ai appris que vous aviez quelque pensée de le quitter; mais si j’étais digne d’être écouté en vous exposant la mienne, je prendrais la liberté, Monseigneur, de vous dire qu’il me semble que vous feriez bien de laisser les choses comme elles sont, de peur que Dieu ne trouve pas son compte dans votre décharge. Car où rencontrerez-vous un homme qui marche sur vos pas, et qui approche de votre conduite? S’il s’en pouvait trouver quelqu’un, à la bonne heure; mais je ne vois pas que cela soit à espérer, dans le temps où nous sommes. Et puis, Monseigneur, vous n’avez pas plus de difficultés en votre épiscopat que saint Paul n’en a trouvé dans le sien, et néanmoins il en a soutenu le poids jusqu’à la mort; et aucun des apôtres ne s’est dépouillé de son apostolat et n’en a quitté l’exercice et les fatigues, que pour en aller recevoir la couronne au ciel. Je serais un téméraire, Monseigneur, de vous proposer leurs exemples, si Dieu, qui vous a élevé a leur dignité suprême, ne vous invitait lui-même à les suivre, et si la liberté que je prends ne procédait du grand respect et de l’incomparable affection que Notre-Seigneur m’a donnée pour votre personne sacrée.»

Un très bon prélat lui ayant proposé par lettres une vingtaine de difficultés notables, sur lesquelles il lui demandait son avis, il commença la réponse qu’il lui fit en ces termes: «Hélas! Monseigneur, que faites-vous? De communiquer tant d’affaires importantes à un pauvre ignorant comme je suis, abominable devant Dieu et devant les hommes, pour les innombrables péchés de ma vie passée, et pour tant de misères présentes, qui me rendent indigne de l’honneur que votre humilité me fait, et qui certes m’obligeraient de me taire si vous ne m’obligiez de parler. Voici donc mes chétives pensées, sur les points de vos deux lettres, que je vous propose avec tout le respect que je vous dois, et dans la simplicité de mon cœur. Je ne puis mieux commencer que par le remerciement que je présente à Dieu de toutes les grâces qu’il vous fait, le priant qu’il se glorifie lui-même des heureux succès de vos fonctions, auxquelles vous vaquez avec tant de zèle et d’assiduité, qu’il ne se peut rien davantage, etc.

«Je pense que vous n’aurez pas désagréable de savoir que Monsieur l’abbé votre frère est allé faire une petite retraite chez nos prêtres de Richelieu. Le supérieur m’a mandé qu’il a fort édifié cette petite communauté par sa dévotion, sagesse et modestie, et que même il a trouvé tant de goût en ses exercices, qu’il leur a fait espérer d’aller passer les fêtes de Noël avec eux. Comme je sais, Monseigneur, que vous ne désirez rien tant que de voir vos proches se porter à Dieu, j’ai voulu vous faire part de cette consolation, qui n’a pas été petite pour moi, voyant qu’en même temps que vous travaillez à établir son service en votre diocèse, lui-même l’affermit et le perfectionne dans votre famille.»

Répondant à un autre prélat qui lui avait proposé de semblables difficultés: « J’ai reçu la lettre, lui dit-il, que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je l’ai lue et relue, Monseigneur, non pour examiner les questions que vous me proposez, mais pour admirer le jugement que vous en faites, où il paraît quelque chose de plus que de l’esprit humain ; car il n’y a que l’esprit de Dieu, résidant en votre personne sacrée, qui puisse joindre la justice et la charité au point que vous vous proposez de les observer en cette affaire. Je n’ai donc qu’à remercier Dieu, comme je fais, Monseigneur, des saintes lumières qu’il vous a données, et de la confiance dont vous daignez honorer votre serviteur inutile. Les choses que vous me proposez sont si élevées au-dessus de moi, que je ne puis sans une grande confusion penser aux avis que vous me demandez: je ne laisse pas, Monseigneur, de vous obéir, en vous disant, etc.»

M. Vincent, voyant un très bon prélat dans quelque procès, en avait beaucoup de peine, à cause de l’affection qu’il lui portait; et ayant un jour essayé de le tirer de cette affaire par voie d’accommodement, il lui en écrivit et termina sa lettre par ces paroles: « Au nom de Dieu, Monseigneur, pardonnez-moi si je m’entremets en ces affaires ici, sans savoir si les ouvertures que j’ai faites vous agréeront. Il arrivera peut-être que vous en serez mal satisfait; mais il n’y a remède, puisque ce que j’en fais n’est que par un excès d’affection, de vous voir déchargé des soins et distractions que ces fâcheuses affaires vous peuvent causer, et afin que vous puissiez vaquer avec plus de tranquillité d’esprit à la conduite et sanctification de votre diocèse; et pour cela j’offre souvent à Dieu mes chétives prières, etc. Mais il y a une chose, Monseigneur, qui m’afflige grandement, c’est que l’on vous a dépeint au Conseil comme un prélat qui a grande facilité à plaider, en sorte que cette impression y est entrée fort avant dans les esprits. Pour moi, j’admire NotreSeigneur Jésus-Christ qui a improuvé les procès, et qui néanmoins a bien voulu en avoir un et le perdre. Je ne doute pas, Monseigneur, que si vous en avez quelques-uns, ce n’est que pour soutenir et défendre sa cause; et de là vient que vous conservez une grande paix intérieure parmi toutes les contradictions du dehors, parce que vous ne regardez que Dieu et non pas le monde; vous cherchez uniquement à plaire à sa divine Majesté, sans vous soucier de ce que les hommes diront; ce dont je remercie sa divine bonté, parce que c’est une grâce qui ne se trouve que dans les âmes qui lui sont intimement unies. Mais je vous dois dire aussi, Monseigneur, que cette fâcheuse opinion du Conseil pourra vous nuire en l’instance présente, et empêcher qu’on ne vous accorde ce que vous demandez. »

La proposition d’accommodement contenue en cette lettre n’ayant pas été agréable à ce bon prélat, M. Vincent ne se rebuta pas pour cela; mais il lui en écrivit derechef dans les termes suivants: «Je vous supplie très humblement, Monseigneur, de me supporter encore cette fois, si j’ose vous faire l’ouverture d’un accommodement. Je sais bien que vous ne doutez pas que c’est l’affection de mon pauvre cœur pour votre service qui me le fait désirer; mais vous pourriez trouver mauvais qu’étant si peu intelligent que je suis, et connaissant que vous n’avez pas agréé la première proposition que je vous en ai faite, j’entreprenne de vous en faire une seconde: aussi ne le fais-je pas de moi-même, mais par l’ordre de Monsieur votre Rapporteur, lequel je suis allé voir depuis deux jours pour lui recommander votre cause, et lui déclarer les conduites admirables que Notre-Seigneur tient sur vous, Monseigneur, et par vous sur votre diocèse. A quoi il m’a répondu qu’il était votre très humble serviteur, et une des personnes du monde qui vous estime et qui vous honore le plus; et que dans cet esprit il me priait de vous mander que, si vous le croyez, vous sortirez amiablement de tous ces différends. Il m’a apporté plusieurs raisons pour cela, et entre autres celle-ci, qu’il est de la bienséance, pour un si grand prélat que vous, de terminer les affaires par cette voie, surtout ayant affaire à votre clergé, où les esprits sont disposés à la révolte, et dans le dessein de vous tracasser toute votre vie. Et comme il voit l’air du Conseil, il appréhende l’événement des poursuites, parce que plusieurs de ceux qui le composent, ne sachant pas la sainte vie que vous menez, ni les droites intentions qui vous font agir de la sorte, pourront penser qu’il y a quelque chose de contraire au support et à la douceur convenable a votre dignité. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, d’excuser ma hardiesse, et de ne pas considérer ce que je vous représente comme venant de moi, mais de Monsieur votre Rapporteur, qui est l’un des plus sages du siècle et l’un des meilleurs juges du monde. Il y a plus de personnes chez lui que chez les premiers chefs de la justice, parce que chacun s’estime heureux de l’avoir pour Rapporteur. Je prie Dieu qu’il ait agréable de redonner la paix à votre Eglise, et le repos à votre esprit. Vous savez le pouvoir que vous avez sur moi et l’affection singulière que Dieu m’a donnée pour votre service: si donc vous me jugez digne d’y contribuer quelque chose, sa divine bonté sait que je m’y emploierai de tout mon cœur.»

Un saint prélat ayant pris la peine, pendant les exercices des Ordinands, de leur faire lui-même un entretien tous les jours, M. Vincent l’en congratula dans ces termes: «Je vous remercie très humblement, Monseigneur, de l’honneur que vous avez fait à votre séminaire de le consoler de votre chère présence et de vos instructions paternelles pendant l’ordination; et je rends grâces à Dieu de la faveur qu’il a faite à ceux qui ont eu le bonheur de vous entendre, de voir en sa source l’esprit ecclésiastique; j’espère qu’ils s’en souviendront toute leur vie et que le fruit en durera plusieurs siècles. Au reste, Monseigneur, j’ai reçu la lettre, dont vous m’avez honoré avec joie, parce que c’est votre lettre; et avec douleur, voyant ce qui s’est passé en votre synode: en quoi, Monseigneur, j’admire d’un côté la conduite de Dieu, qui exerce de la sorte la vertu d’un de ses plus grands serviteurs, et de l’autre le bon usage que votre Grandeur fait de cet exercice. Je prie sa divine bonté qu’il vous fortifie de plus en plus dans cette épreuve, afin que par votre patience vous parveniez au but de vos saintes intentions, à la honte de ceux qui ont osé vous traverser.»

Quelques personnes avaient rendu un mauvais office auprès du roi à un évêque, comme s’il eût été peu soigneux de s’acquitter de sa charge; ce qui avait même obligé sa Majesté de lui en faire plainte par une « lettre de cachet » qu’elle lui écrivit. M. Vincent ayant su cela, et combien ce prélat en était affligé, il tâcha de le consoler par une de ses lettres, dans laquelle il lui parle en ces termes: «J’ai un sensible déplaisir, Monseigneur, de celui que vous avez reçu de la lettre qui vous a été écrite de la Cour, ainsi que l’on me l’a fait entendre, dont j’ai été grandement surpris. Je souhaiterais être en lieu où je puisse dire mes raisons pour votre justification: je vous prie de croire que je m’efforcerai de le faire lorsque Dieu m’en donnera les moyens; de même que j’ai toujours tâché d’insinuer en toutes rencontres et en tous lieux la plénitude de l’estime et de la révérence que j’ai pour votre personne sacrée, qui fait de nouvelles impressions en moi toutes les fois que je considère la grâce que vous faites à vos pauvres Missionnaires de les employer à l’instruction et au salut de vos peuples, et comme ils sont heureux et contents de travailler sous votre douce conduite.»

«Je rougis de honte, Monseigneur (dit-il, écrivant à un archevêque sur un autre sujet) toutes les fois que je lis la dernière lettre que vous m’avez fait ]’honneur de m’écrire, et même toutes les fois que j’y pense, voyant à quel point votre Grandeur s’abaisse devant un pauvre porcher de naissance, et un misérable vieillard rempli de péchés; et en même temps je ressens une grande peine de vous avoir donné sujet d’en venir là, quand j’ai pris la confiance de représenter à votre Grandeur que nous étions hors d’état de lui donner les hommes qu’elle demande. Elle peut bien penser que ce n’a pas été par aucun défaut de respect ni de soumission pour toutes ses volontés, mais par une pure impuissance de lui obéir en cette occasion. Je la supplie très humblement de nous donner six mois de terme: nous serions grandement consolés de vous donner plus tôt cette satisfaction, mais il ne plaît pas à Dieu que nous le puissions faire. Au nom de Dieu, Monseigneur, ayez la bonté d’excuser notre pauvreté, et réservez, s’il vous plaît, votre voyage de Paris pour une occasion plus importante. Ce me serait une bénédiction de Dieu de recevoir encore une fois celle de votre Grandeur; mais j’aurais un regret inconcevable qu’elle vînt se fatiguer ici pour une affaire qui n’en serait pas plus avancée. Vous savez bien, Monseigneur, qu’il n’y a gens au monde plus disposés à recevoir vos commandements que nous le sommes, et moi particulièrement sur qui Dieu vous a donné un pouvoir souverain. »

En écrivant à un autre archevêque sur le sujet de quelques-uns de ses diocésains qui avaient été menés esclaves en Barbarie: «J’ai reçu votre lettre, Monseigneur, lui dit-il, avec le respect et la révérence que je dois à l’un des plus grands et des meilleurs prélats de ce royaume, et avec un très grand désir d’obéir à tout ce qu’il vous plaira me commander. Je rends grâces à Dieu de la dévotion qu’il vous donne de délivrer vos pauvres diocésains qui sont en esclavage. Vous ferez une très grande charité et une œuvre très agréable à Dieu de les tirer d’un péril imminent de se perdre, et vous donnerez un bel exemple aux autres prélats, pour faire revenir en leur bercail leurs pauvres brebis égarées qui sont en grand nombre dans ce même danger; et pour y coopérer de notre part et obéir à ce que vous désirez, nous enverrons très volontiers quelques-uns de nos prêtres pour faire cette rédemption. J’écris au jourd’hui aux consuls de Tunis et d’Alger, et leur mande qu’ils nous envoient des passeports, afin qu’ils y puissent aller en sûreté, selon votre commandement.»

Comme M. Vincent était ravi de voir l’Église pourvue de bons et vertueux prélats, il craignait aussi que le zèle de quelques-uns n’avançât leur mort, et ne privât l’Eglise des services qu’ils lui rendaient; c’est pourquoi il les exhortait dans les occasions à se ménager. Mais un vertueux évêque lui ayant fait réponse qu’il ne se voulait point épargner, et qu’il désirait mourir dans le travail, voici en quels termes ce saint prêtre se donne le tort de l’avoir prié de se conserver, et le congratule de son zèle et de sa ferveur dans les emplois de son ministère:

«Il est vrai, Monseigneur, que j’ai désiré votre modération, mais c’est afin que votre travail dure, et que l’excès dans lequel vous êtes continuellement ne prive si tôt votre diocèse et toute l’Église des biens incomparables que vous leur faites. Si ce désir n’est pas conforme aux mouvements que vous inspire votre zèle, je ne m’en étonne pas parce que les sentiments humains dans lesquels je suis m’éloignent trop de cet état éminent où l’amour de Dieu vous élève. Je suis encore tout sensuel, et vous êtes au-dessus de la nature: et je n’ai pas moins de sujet de me confondre de mes défauts que de rendre grâces à Dieu, comme je fais, des saintes dispositions qu’il vous donne. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, de lui en demander pour moi, non pas de semblables, mais une petite portion, ou seulement les miettes qui tombent de votre table.»

Avant que de finir ce chapitre, nous insérerons ici une autre lettre très digne de remarque que M. Vincent écrivit à un très vertueux prélat, lequel, voyant la maladie contagieuse s’échauffer en divers endroits de son diocèse, avait eu mouvement d’aller lui-même en personne assister les pestiférés; et néanmoins, avant que de s’y engager, il en avait voulu demander conseil à M. Vincent, duquel il reçut la réponse suivante, qui contient divers avis, lesquels peuvent être fort utiles en pareilles occasions: « Je ne saurais, Monseigneur, lui dit-il, vous exprimer l’affliction que j’ai de la maladie dont la ville est menacée, ni la confusion que me donne la confiance dont il vous plaît m’honorer; je prie Dieu de tout mon cœur qu’il détourne ce fléau des peuples de votre diocèse, et qu’il me fasse digne de répondre en son esprit à votre commandement. « Ma petite pensée donc, Monseigneur, est qu’un prélat qui se trouve en ce rencontre se doit tenir en état de pourvoir aux besoins spirituels et temporels de tout son diocèse pendant cette affliction publique, et ne pas s’enfermer en un lieu, ni s’occuper en quelque emploi qui lui ôte le moyen de pourvoir aux autres; d’autant qu’il n’est pas l’évêque de ce lieu-là seulement, mais il l’est de tout son diocèse, à la conduite duquel il doit si bien partager ses soins, qu’il ne les arrête pas à un lieu particulier, si ce n’est qu’il ne puisse pourvoir au salut des âmes de ce lieu-là par les curés ou par d’autres ecclésiastiques; car en ce cas, je pense qu’il est obligé d’exposer sa vie pour leur salut, et de commettre à l’adorable Providence de Dieu le soin du reste. C’est ainsi, Monseigneur, qu’un des plus grands prélats de ce royaume en use, c’est Monseigneur N., lequel a disposé ses curés à s’exposer pour le salut de leurs paroissiens; et quand la maladie prend en un lieu, il s’y transporte pour voir si le curé est ferme en sa demeure, pour l’encourager en sa résolution, et enfin pour lui donner les conseils et les moyens convenables pour assister ses paroissiens; il fait cette visite sans s’exposer à celle des malades, et puis il s’en retourne chez lui dans la disposition de s’exposer, s’il ne pouvait pourvoir par d’autres aux besoins d’une paroisse. Que si saint Charles Borromée en a usé autrement, il y a apparence que ce fut par quelque inspiration particulière de Dieu, ou que la contagion n’était que dans la seule ville de Milan.

Mais parce qu’il est difficile de faire en un grand diocèse ce qui se fait aisément dans un petit, il semble, Monseigneur, qu’il serait bon que vous eussiez agréable de visiter les quartiers ou la maladie est présentement, pour encourager vos curés; ou si quelque incommodité ou le danger d’être pris prisonnier en ce temps de guerre vous en empêchait, d’envoyer des archidiacres, ou à leur défaut quelques autres ecclésiastiques en ces quartiers-là pour la même fin; et dès que vous saurez que la maladie a pris en quelque lieu, que vous envoyiez quelque ecclésiastique pour fortifier le curé et pour donner quelque assistance corporelle aux pestiférés. La reine de Pologne ayant appris que la contagion avait pris à Cracovie, et que les maisons des pestiférés étaient fermées aussitôt qu’il y avait quelqu’un frappé de la maladie, et qu’ainsi les sains et les malades y souffraient la faim et le froid, elle se résolut d’y envoyer une somme notable par deux Missionnaires, qui avaient ordre de pourvoir de nourriture aux maisons pestiférées, sans pourtant s’exposer. Il y avait quelques religieux qui s’exposaient pour l’administration des sacrements; et par ce moyen, cette bonne reine a, sinon arrêté, pour le moins diminué de beaucoup les ravages que faisait cette maladie, et infiniment consolé cette ville-là, qui est même la capitale du royaume. Et pour ce que la ville de Varsovie, qui est maintenant le séjour des rois, a été frappée de la même maladie. un de nos prêtres me manda qu’elle donna le même ordre et la même assistance à cette ville-là par un prêtre et par un frère de la Mission.

Les pauvres gens de la campagne affligés de peste sont pour l’ordinaire abandonnés et en grande disette de nourriture: et ce sera une chose digne de votre piété, Monseigneur, de pourvoir à cela, en envoyant des aumônes en tous ces lieux-là, et de les faire mettre entre les mains de bons curés, qui leur feront apporter du pain, du vin et quelque peu de viande, que ces pauvres gens iront prendre aux lieux et aux heures qui leur seront marqués: que si l’on n’est pas assuré de la probité du curé, il faudra donner cet ordre à quelqu’autre curé ou vicaire proche de là, ou a quelques bonnes gens laïques de la paroisse qui pourront faire cela; il s’en trouve quelqu’un pour l’ordinaire en chaque lieu, capable de cette charité, principalement quand il ne s’agit point de converser avec les pestiférés. J’espère, Monseigneur, que s il plaît à Dieu de bénir cette bonne œuvre, Notre-Seigneur en retirera bien de la gloire; vous, Monseigneur, de la consolation en votre vie et en votre mort; et vos diocésains, une grande édification: mais pour faire cela il est absolument nécessaire de ne se pas enfermer.

Vos Missionnaires, Monseigneur, m’ont mande que Notre-Seigneur leur fait la grâce de leur donner la disposition de s’exposer aux pestiférés les uns après les autres, soit à l’égard des malades de leur quartier, soit a l’égard du reste de la ville, selon que l’obéissance et les nécessités le requerront. Or je leur écris Monseigneur, qu’ils prennent cet ordre de vous; et je vous supplie très humblement de disposer de nous, selon que votre incomparable bonté le jugera à propos.

Il y a quantité de religieux qui s’offrent pour l’ordinaire à assister les pestiférés; je ne doute point qu’il ne s’en trouve en votre ville, et peut-être, Monseigneur, en trouverez-vous assez pour cette bonne œuvre tant pour la ville que pour envoyer aux champs, au lieu de MM. les archidiacres et des prêtres dont j’ai parlé ci-dessus. Vous verrez, Monseigneur, par cet imprimé que je vous envoie, l’ordre que Monseigneur l’archevêque de Paris a mis dans ce diocèse pour remédier aux misères indicibles qui s’y trouvent; cela vous pourra donner quelque vue pour la manière de secourir vos pauvres diocésains.»

Ce bon prélat, ayant reçu cette lettre, écrivit ces mots à M. Vincent: « Après vous avoir remercié de l’offre qu’il vous plaît me faire de vos prêtres, pour s’exposer en cas de besoin pour le service des pestiférés, je vous dirai que, comme ils travaillent utilement pour tout mon diocèse, je ne voudrais pas les exposer sans une extrême nécessité. Je suivrai vos avis en tout: je ne m’étais résolu de m’exposer qu’en tant que je connusse que c’était la volonté de Dieu. J’ai tout suspendu jusqu’à ce que j’ai vu dans votre lettre votre sentiment, et ainsi je n’y penserai plus, et ferai ce que vous m’écrivez avec grand plaisir. »

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