Section III : Effets très remarquables des assistances rendues a ces deux provinces
Après avoir représenté les misères extrêmes de ces deux pauvres provinces et l’état déplorable ou les peuples étaient réduits, il est raisonnable que nous voyions maintenant les bénédictions dont Dieu a favorisé les charitables assistances que M. Vincent leur a procurées, les fruits qu’ont produits les aumônes de ces dames et de toutes les autres personnes vertueuses qui y ont contribué, et les travaux incroyables de ces bons Missionnaires qui en ont été les dispensateurs. Il n’est pas possible de les rapporter tous, mais le peu que nous en allons dire sera suffisant pour faire juger de tout le reste.
Un mois après qu’on eut commencé ces charitables assistances, l’on écrivit à M. Vincent ce qui suit: « Les potages donnés par les aumônes de Paris aux malades refugiés à Guise, Riblemont, la Fère et Ham, ont sauvé la vie à plus de deux mille pauvres, qui sans ce secours eussent été jetés hors de ces villes, où ils s’étaient réfugiés, et qui fussent morts au milieu des champs sans aucune assistance, ni spirituelle ni corporelle.
« Les religieuses de la Fère et des autres villes, pour la plupart, reconnaissent qu’on leur a sauvé la vie par les assistances qu’on leur a données; elles prient Dieu sans cesse pour les personnes qui leur en ont envoyé ou procuré ces bienfaits »
Voici quelques extraits des lettres écrites de Laon, Soissons, etc.: « Nous avons distribué les ornements pour les églises, et les couvertures et habits pour nos malades. Il ne se peut dire quel effet cela a produit en toutes ces frontières, où l’on ne parle presque d’autre chose que de ces charités. Nos ouvriers ont eu un tel soin des malades, que par la grâce de Dieu, dans la seule ville de Guise, de cinq cents malades qu’il y avait, il y en a plus de trois cents de guéris; et dans quarante villages des environs de Laon, il y en a un si grand nombre remis en parfaite santé, qu’à grand’peine y trouverait-on six pauvres qui ne soient en état de gagner leur vie. Et nous avons cru être obligés de leur en donner le moyen, en leur distribuant des haches, des serpes et des rouets à filer, pour faire travailler les hommes et les femmes, qui ne seront plus à charge à personne s’il n’arrive quelque autre accident qui les réduise en la même misère.
« Nous avons aussi distribué les grains qu’on a envoyés de Paris en ces quartiers; ils ont été semés, et Dieu y donne grande bénédiction; ce qui fait que le pauvre peuple supporte ses maux avec plus de patience, dans l’espérance que la récolte qui en proviendra leur donnera un grand soulagement.
Nous donnons deux cents livres par mois pour faire subsister plusieurs autres curés, et par le moyen de cette assistance, toutes les paroisses des doyennés de Guise, Marle et Vervins sont desservies, ou au moins en chacune d’icelle la sainte messe se célèbre une fois la semaine, et les sacrenents y sont administrés.»
Voici d’autres extraits de quelques lettres écrites de Reims, Fismes, Basoches et autres lieux circonvoisins:
« Nous n’avons point de paroles pour vous exprimer nos reconnaissances. Nous voyons bien que la main de Dieu a frappé cette province; son abondance est changée en stérilité et sa joie en larmes. Ses villages, autrefois peuplés, ne sont plus que des masures désertes, et l’on peut dire que, sans le secours des personnes charitables que Dieu a suscitées dans Paris, il n’y aurait pas le moindre reste du débris de ce triste naufrage, et que tous ceux qui en ont été sauvés sont redevables de la vie à leurs libéralités.
« Les trente-cinq villages de cette vallée et des environs rendent un million d’actions de grâce à leurs bienfaiteurs. Nous avons distribué les ornements pour les églises et les habits pour les pauvres; plusieurs de nos malades sont rétablis en santé et en état de gagner leur vie.
« Nous avons tenu une assemblée des curés des environs, où nous y avons distribué à vingt-trois des plus pauvres les quatre cents livres qu’on nous a envoyées, ce qui les aidera à vivre et à désservir leurs paroisses; sans quoi il aurait été impossible d’y subsister. »
On écrivit aussi de Saint-Quentin et des lieux circonvoisins diverses lettres sur ce même sujet. En voici quelques extraits:
« Nous ne pouvons vous exprimer combien de malades sont guéris, combien d’affligés sont consolés, quel nombre de pauvres honteux sont tirés du désespoir par vos assistances, sans lesquelles tout aurait péri, et aux champs et à la ville.
« Une aumône que vous nous avez envoyée de Paris la semaine sainte a tiré plusieurs filles du danger .imminent de perdre leur honneur. Notre carême s’est passé à la campagne pour assister et faire assister spirituellement et corporellement les pauvres habitants de cent trente villages. Quarante curés ont eu un secours de dix livres par mois chacun, et par ce moyen ont été mis en état de résider en leurs paroisses, et d’y faire toutes les fonctions pastorales.
« Nous avons acheté de vos aumônes pour sept cents livres de faucilles, de fléaux, de vans et d’autres outils pour aider les pauvres a gagner leur vie par le travail de la moisson. Nos orges viennent fort bien, grâce à Dieu, et, par le moyen des semences que vous nous avez envoyées, nous espérons grand soulagement pour l’hiver prochain.»
Les lettres d’où on a tiré ce qui précède furent écrites en l’année 1651; les suivantes furent écrites en 1654; de Saint-Quentin, Laon, Reims et autres lieux:
« Nous nous sommes exposés à la merci des coureurs, et avons visité plus de cent villages; nous y avons trouvé des vieillards et des enfants presque tout nus et tout gelés, et des femmes dans le désespoir, toutes transies de froid; nous en avons revêtu plus de quatre cents, et nous avons distribué aux femmes des rouets et du chanvre pour les occuper. L’assistance qu’on a commencé à rendre aux curés a toujours continué;. et les ayant assemblés par doyennés, nous en avons trouvé qui étaient presque tout dépouillés, auxquels nous avons donné des habits et des soutanes. Nous avons aussi fourni leurs églises d’ornements et de missels; nous avons fait faire les réparations nécessaires à la couverture et aux fenêtres, afin d’empêcher que la pluie ne tombât sur la sainte hostie et que le vent ne l’emportât pendant la célébration de la messe: cela est cause qu’il y a un grand nombre d’églises et de paroisses où l’on célèbre le saint sacrifice de la messe et où les peuples reçoivent les sacrements, et qui sans ce secours seraient entièrement désertes et abandonnées.
« Outre les quatre cents pauvres que l’on a revêtus, nous avons encore trouvé, aux environs de la ville de Laon, près de six cents orphelins au-dessous de l’âge de douze ans dans une pitoyable nudité et nécessité. Les aumônes de Paris nous ont donné moyen de les revêtir et assister.
« Le désespoir ayant porté en d’étranges extrémités plusieurs filles de condition, qui se sont trouvées en divers lieux sur les frontières de la Champagne, l’on a cru que le remède le plus assuré était de les éloigner du péril; et l’on a commencé à les retirer dans la communauté des Filles de Sainte-Marthe de la ville de Reims, où elles sont instruites à la crainte de Dieu, et dressées à s’occuper à quelque petit travail. Il y a déjà dans cette charitable retraite trente filles de gentilshommes de ces quartiers, dont quelques unes ont passé plusieurs jours en des cavernes, pour éviter l’insolence des soldats. La dépense qu’il faudra faire pour cette œuvre de charité, et pour retirer et mettre en sûreté toutes les autres que nous trouverons en semblable péril, est très grande, parce que, outre la pension qu’il faut payer pour la nourriture, il faut encore les revêtir; mais nous espérons que la charité des personnes qui ont si bien commencé continuera, et augmentera plutôt que de diminuer.»
Les Missionnaires pourvoyaient aux plus pressants besoins des prêtres et des églises, donnaient le soulagement nécessaire aux pauvres, retiraient les filles en lieux d’assurance, procuraient la nourriture des orphelins, et donnaient aux personnes valides le moyen de gagner leur vie, pour ne pas abandonner ceux qui restaient malades, ou qui le pouvaient devenir, ils établissaient en chaque lieu, avant de se retirer, quelque secours pour les faire nourrir et panser, commettant à cet effet des personnes vertueuses et fidèles, auxquelles ils laissaient de l’argent et des remèdes, et en envoyaient d’autres de temps en temps. Et dans toutes les villes où il y avait des hôpitaux abandonnés ou mal réglés, ils procuraient qu’ils fussent remis en bon état, etconvenaient avec les administrateurs d’y recevoir une certaine quantité de malades, moyennant six ou sept sous par jour pour chacun: cet argent leur était exactement payé par les ordres de M. Vincent et par les libéralités de l’assemblée des Dames de la Charité de Paris.
Et la ville de Rethel se trouvant remplie d’un si grand nombre de soldats et paysans malades, que l’hôpital du lieu ne les pouvait plus contenir, on en fit passer en divers temps jusqu’à sept cents à l’hôpital de Reims: et comme le nombre de ces malades allait toujours croissant et que la dépense devenait excessive, on s’avisa de faire porter de Paris, par les Frères de la Mission qu’on envoyait avec les prêtres missionnaires, divers remèdes pour plusieurs sortes de maux, et particulièrement certaines poudres très spécifiques pour dyssenteries, fièvres et autres maux invétéres, et que l’infirmier de la maison de Saint-Lazare composait, auxquelles Qieu donna une telle bénédiction, qu’ils produisirent des effets que ces bonnes gens estimaient comme miraculeux: ayant guéri une infinité de malades qui étaient réduits à l’extrémité par des maladies presque désespérées, et dont plusieurs se trouvaient délivrés en vingt-quatre heures ou environ.
M. Vincent, non content de faire assister les vivants, voulut encore exercer la charité envers les morts. Nous nous contenterons d’en rapporter l’exemple suivant. Après le combat qui fut livré en Champagne, en l’an 1651 auprès de Saint-Étienne et de Saint-Souplet, plus de quinze cents des ennemis demeurèrent sur la place, servant de pâture aux chiens et aux loups; ce que M. Vincent ayant su, il manda à l’un des prêtres de la Mission, qui assistait les pauvres de ce quartier-là, de prendre des hommes à la journée et de faire enterrer ces corps à demi pourris.: ce qu’il exécuta avec telle diligence et un si bon ménage, que, moyennant trois cents livres de dépense qu’il fit, il donna la sépulture à tous ces morts, et délivra les vivants d’un spectacle d’horreur qui remplissait l’air d’infection. de quoi ce bon prêtre lui écrivant: « Nous avons, dit-il, aujourd’hui accompli à la lettre. ce que Jésus-Christ a dit dans l’Évangile, d’aimer et de bien faire à ses ennemis, ayant fait enterrer ceux qui avaient ravi les biens et causé la ruine de nos pauvres habitants, et qui les avaient battus et outragés. Je me tiens trop heureux d’avoir eu le bien de vous obéir en une chose qui est particulièrement recommandée dans l’Écriture-Sainte. Je dirai pourtant que ces corps étant épars çà et là dans une grande campagne, nous avons eu beaucoup de peine à les ramasser, à cause que le dégel qui est venu sur la fin nous a un peu incommodés; en quoi nous voyons que Dieu a favorisé cette pieuse entreprise, par le grand froid qui l’a accompagnée: car si c’était à recommencer, à présent que le dégel est venu, il n’y a personne qui voulût s’y engager pour mille écus, et cependant il ne nous a coûté que trois cents livres; et par ce moyen, ces pauvres corps, qui doivent tous un jour ressusciter, sont maintenant ensevelis dans le sein de leur mère; et toute la province en a une obligation particulière aux personnes charitables qui ont contribué à cette bonne œuvre, outre la couronne que Dieu leur prépare dans le ciel pour récompense de leur vertu.»
Nous ne devons pas omettre ici l’assistance que M. Vincent a procurée aux pauvres Irlandais catholiques, qui, ayant été chassés de leur pays par Cromwel, ont été obligés par la nécessite de s’enrôler dans les armées; deux régiments composés de leurs pauvres familles ayant beaucoup souffert en la guerre de Bordeaux, et l’année suivante ayant été envoyés aux environs d’Arras, eurent pour retraite au retour de ces deux campagnes la ville de Troyes, où ils arrivèrent dans un triste équipage, menant avec eux plus de cent cinquante orphelins et un grand nombre de pauvres veuves qui avaient les pieds nus et n’étaient couverts que des baillons de ceux qui étaient morts à la guerre: l’on voyait cette pauvre troupe désolée marcher par les rues de Troyes, ramassant pour leur nourriture ce que les chiens ne voulaient pas manger. De quoi M. Vincent en ayant été informé par les prêtres de sa congrégation établis en cette ville-là, il en donna avis aux Dames de la Charité de Paris, et fit partir en même temps un prêtre de sa maison qui était Hibernois, pour aller au secours de ses pauvres compatriotes; et, par les ordres de ce père des pauvres, l’on fit retirer les filles et les veuves dans l’hôpital de Saint-Nicolas, où elles apprenaient à filer et à coudre; l’on prit un soin particulier des enfants orphelins; et enfin tous furent logés, revêtus et assistés. Pour cet effet on envoya de Paris la première fois six cents livres d’argent, et quantité d’habits et autres choses nécessaires pour remédier aux plus pressants besoins; ce que l’on continua de faire de temps en temps, selon qu’on le voyait nécessaire. Une assistance donnée si à propos à ces pauvres exilés releva leurs esprits tout abattus de tristesse, et les disposa pour écouter plus volontiers les exhortations et instructions que ce prêtre Missionnaire leur faisait en leur langue deux fois la semaine pendant le carême, afin de les disposer à la communion de Pâques. Et comme il n’y a rien de plus fort que le bon exemple, la vue de ces assistances charitables réveilla la charité des bourgeois de cette ville, non seulement à l’égard de ces pauvres étrangers, mais aussi de tous les autres qui se trouvèrent parmi eux
Après les trois ou quatre premières années d’assistances rendues dans les deux provinces de Picardie et de Champagne, et dont la dépense revenait à près de trois mille livres, les habitants se trouvèrent en meilleur état, tant par l’éloignement des armées que par les charités qu’ils avaient recues. M. Vincent rappela alors ses Missionnaires, à la réserve de quelques-uns, qui continuèrent par son ordre, jusqu’à la publication de la paix générale, à assister les pauvres et à procurer aux églises des ornements et les réparations nécessaires, ainsi qu’aux prêtres et aux curés la subsistance dont ils avaient besoin. Et de plus, un des Missionnaires qui étaient restés, suivant les avis qu’il reçut de lui, associa en forme de Confrérie de la Charité un certain nombre de bourgeoises des plus charitables et des mieux accommodées, pour avoir soin des malades, des orphelins et des pauvres abandonnés, sous la conduite de quelques vertueux ecclésiastiques; ce qu’il exécuta cela avec bénédiction en plusieurs villes; particulièrement à Reims, à Rethel, à Château-Porcien, à la Fère, à Ham, à Saint-Quentin, à Rocroy, à Mézières, à Charleville, à Donchéry et ailleurs. Il mit partout ces charités en exercice; et, par le moyen des avis et règlements qu’il leur laissa, elles continuent encore cette bonne œuvre, au grand soulagement des pauvres
Nous ajouterons seulement à tout ce que nous avons dit, quelques témoignages de reconnaissance que des personnes considérables des lieux où se firent ces charitables assistances rendirent par lettres à M. Vincent. Nous nous contenterons d’en produire quelques-unes, pour confirmer de plus en plus la vérité des choses qui ont été ci-dessus rapportées.
Le Révérend Père Rainssant, chanoine régulier de l’ordre de Saint-Augustin et curé de la ville de Ham, lui écrivit en ces termes:
« Le Missionnaire que vous avez envoyé en ces quartiers, m’a laissé le soin de faire subsister l’assemblée de nos pieuses bourgeoises, et m’a laissé aussi du blé et de l’argent, pour nourrir et entretenir les filles orphelines, à qui on apprend un métier qui, dans peu de mois sera capable de leur faire gagner leur vie. Je leur fais le catéchisme, et une bonne religieuse de l’hôpital les fait prier Dieu et assister à la messe tous les jours; elles demeurent toutes ensemble dans une même maison. tous les malades de la ville sont bien assistés; il y a un bon médecin qui les visite et qui ordonne tout ce qui leur est nécessaire; nous avons soin que rien ne leur manque; nos bonnes dames s’y appliquent avec affection. Je n’aurais jamais osé espérer de voir dans cette pauvre ville de Ham ce que j’y vois présentement, avec consolation et admiration tout ensemble, par un effet de la divine et toute céleste providence de Notre-Seigneur. Nous avons depuis peu retiré des mains de nos hérétiques une pauvre fille, laquelle fait fort bien; ce qui a excité une servante huguenote de me venir trouver pour se convertir, voyant le soin qu’on a des pauvres et la charité qu’on exerce envers les malades. Nous l’avons déjà suffisamment instruite, et dans peu de jours elle fera son abjuration. Le même Missionnaire m’a laissé de quoi pour assister les pauvres orphelins et orphelines, et les pauvres malades du gouvernement de Ham, et il a disposé deux bons et vertueux curés pour m’assister en cet emploi jusqu’à son retour. C’est vous, Monsieur, qui êtes la cause de tous ces biens, et le premier moteur après Dieu, etc. »
M. de La Font, lieutenant-général de Saint-Quentin, écrivit à M. Vincent la lettre suivante sur ce même sujet
« Les charités qui sont, par la grâce de Dieu et par vos soins, envoyées en cette province, et si justement distribuées par ceux qu’il vous a plu y commettre, ont donné la vie à des millions de personnes réduites par le malheur des guerres à la dernière extrémité, et je suis obligé de vous témoigner les très humbles reconnaissances que tous ces peuples en ont. Nous avons vu la semaine passée jusqu’à quatorze cents pauvres refugiés en cette ville, durant le passage des troupes, qui ont été nourris chaque jour de vos aumônes; et il y en a encore dans la ville plus de mille, outre ceux de la campagne qui ne peuvent avoir d’autre nourriture que celle qui leur est donnée par votre charité. La misère est si grande qu’il ne reste plus dans les villages d’habitants qui aient seulement de la paille pour se coucher; et les plus qualifiés du pays n’ont pas de quoi subsister. Il y en a même qui possèdent pour plus de vingt mille écus de bien, et qui à présent n’ont pas un morceau de pain, et ont été deux jours sans manger. C’est ce qui m’oblige, dans le rang que je tiens et la connaissance que j’en ai, de vous supplier très humblement d’être encore le père de cette patrie, pour conserver la vie à tant et à tant de pauvres moribonds et languissants, que vos prêtres assistent, s’en acquittant très dignement. »
M. Simonnet, président et lieutenant-général de Rethel, lui témoigna sa reconnaissance en ces termes:
« Nous pouvons, sans contredit, trouver dans les charités que vous exercez la première forme de la dévotion chrétienne, puisque dans la primitive Église les chrétiens n’avaient qu’un cœur, et ne souffraient pas qu’il y eût aucun pauvre parmi eux, sans être secouru et assisté: vous ne le souffrez pas non plus, Monsieur; mais vous pourvoyez à leurs besoins avec tant d’ordre et tant de zèle, par les prêtres de votre Congrégation, que vous employez dans tous les lieux circonvoisins où les pauvres sont réduits à la pâture des bêtes, jusqu’à manger les chiens, ainsi que j’en ai vu les preuves: ils ont sauvé la vie à un nombre innombrable de personnes, et ont consolé et assisté les autres jusqu’à la mort. Ce sont là les effets de votre charité, etc. »
M. de Y, chanoine et depuis.archidiacre de Reims, lui écrivit la lettre suivante: « C’est avec joie que je me suis chargé de vous rendre des actions de grâces, au nom des pauvres de notre campagne, pour toutes vos libéralités envers eux, sans lesquelles ils seraient morts de faim. Je voudrais pouvoir vous exprimer la gratitude qu’ils en ont, je vous ferais connaître que ces pauvres gens emploient le peu de forces qui leur restent à lever les mains au ciel pour attirer sur leur bienfaiteur les grâces du Dieu des miséricordes. On ne saurait vous exprimer comme il faudrait la pauvreté de cette province; car tout ce qu’on en dit est au-dessous de la vérité; aussi aurez-vous plus de créance aux avis que vous en donnent MM. les prêtres de votre Congrégation, desquels le zèle et l’équité paraissent si manifestement en la distribution des aumônes qu’un chacun en est grandement édifié; et, pour moi, je vous rends grâces en mon particulier de nous les avoir envoyés pour le bon exemple qu’ils nous ont donné. »
Feu M. Souyn, bailli de la ville de Reims, homme de grande probité, écrivait à M. Vincent sur le même sujet: « Je crois que l’on vous aura fait voir le mémoire que j’ai envoyé à Paris, de l’état auquel j’ai trouvé ici l’ouvrage de votre charité, et les assistances corporelles et spirituelles que vous procurez aux pauvres de la campagne, à l’imitation de notre divin Maître et Sauveur, dont vous vous rendez de plus en plus le parfait imitateur. Deux de vos prêtres sont venus en cette ville, l’un pour prendre l’argent de l’aumône, pour n’en pouvant trouver dans les lieux de sa résidence, qui sont dénués de tout; et l’autre pour enlever partie d’une quantité de grains qu’il a achetés ici et les faire conduire à Saint-Souplet pour la nourriture de ses pauvres. Ainsi, chacun travaille heureusement sous vos auspices au soulagement des misérables, tandis que vous vous employez de delà à enflammer ce feu divin, qui produit cet or qu’on répand dans la Picardie et dans la Champagne pour le secours des pauvres affligés. J’attends ici M. N. à qui vous avez donné la direction générale d’un si grand oeuvre, pour l’établissement de nos quartiers d’hiver, j’entends des hôpitaux et de la subsistance des pauvres curés. Notre magasin d’orge, qui provient de vos aumônes, s’emplit toujours pour faire quelques distributions pendant le mauvais temps. Continuez, Monsieur, ces soins charitables qui conservent la vie mortelle à tant de pauvres gens et qui leur procurent le bonheur de l’éternelle, par toutes les assistances spirituelles qu’on leur rend, et particulièrement par l’administration des sacrements, qui cesserait sans doute en beaucoup de lieux de notre diocèse sans votre secours. »
Nous omettons quantité d’autres lettres qui contiennent plusieurs semblables témoignages de reconnaissance; il suffira de dire, pour conclusion de ce chapitre, que depuis qu’on a commencé à visiter ces deux provinces jusqu’après la publication de la paix générale, on a envoyé de Paris pour plus de cinq cent mille livres d’aumônes, tant en argent qu’en habits, ornements, etc. Ces aumônes ont été, par la direction de M. Vincent, distribuées avec tant d’ordre et de prudence, qu’elles ont suffi, non seulement pour sauver la vie du corps à un nombre infini de pauvres peuples, mais aussi pour entretenir un grand nombre de curés dans leurs paroisses, lesquels ils auraient été contraints de les abandonner, n’y pouvant pas vivre sans cette assistance; pour remettre plusieurs églises, qui avaient été pillées et ruinées, en état d’y pouvoir célébrer la sainte Messe; pour retirer un grand nombre de filles, même de naissance, du péril imminent ou elles étaient de perdre ce qu’elles devaient tenir plus cher que la vie; pour procurer une retraite à une quantité innombrable de pauvres petits enfants orphelins qui étaient dans le dernier abandon; enfin pour procurer le salut éternel à un très grand nombre d’âmes, par les sacrements et par les autres secours spirituels qui leur ont été conférées dans leur plus grande nécessité par les prêtres de la Mission.
« Certes, disait un jour M. Vincent, faisant réflexion sur toutes ces choses, on ne peut penser qu’avec admiration à ces grandes aumônes que Dieu a inspiré de faire, et au grand nombre de vêtements, draps, couvertures, chemises, chaussures, etc., qu’on a fournis pour toutes sortes de personnes, hommes, femmes, enfants, et même pour des prêtres; non plus qu’a la quantité d’aubes, chasubles, missels, ciboires, calices et autres ornements qu’on a envoyés pour les églises, qui étaient dépouillées à tel point, que sans ces secours la célébration des saints Mystères et les exercices de la religion chrétienne en étaient bannis, et ces lieux sacrés n’auraient. servi qu’à des usages profanes. C’était véritablement un spectacle qui donnait de l’édification, de voir les maisons des Dames de la Charité de Paris remplies de toutes ces hardes, et devenues comme des magasins et boutiques de marchands en gros. Ces dames-là sans doute auront dans le ciel la couronne des prêtres, pour le zèle et la charité qu’elles ont eus de revêtir Jésus-Christ en ses autels, en ses prêtres, et en ses pauvres membres. »