Section VI : Les memes exercices des ordinands ayant éte pratiqués en Italie, y ont aussi produit de tres grands fruits
Comme c’est le propre du bien de se communiquer et de se répandre, il ne faut pas s’étonner si cette pratique des exercices de l’ordination qui était si bonne et si utile, s’est répandue hors de France et a été introduite avec facilité en Italie et en d’autres pays, où elle a eu un même succès et une même bénédiction. Nous ne rapporterons ici que ce que l’on a mandé de deux grandes villes, dont on pourra juger ce qui est arrivé en d’autres.
La première est la ville de Gênes, où M. le cardinal Durazzo, qui en est archevêque, ayant fait un établissement des prêtres de la Congrégation de la Mission, pour s’en servir non seulement à l’instruction de son peuple, mais aussi à la réformation de son clergé, il a désiré, toutes les fois qu’il tenait les ordres dans son diocèse, que ces Messieurs fissent les exercices aux ordinands; d’où s’en est suivi un merveilleux fruit dans les ecclésiastiques qui ont participé à cette grâce. Voici ce que le supérieur de la Mission de Gênes écrivit à M. Vincent sur le sujet d’une ordination, d’où l’on pourra inférer ce qui est arrivé en toutes les autres .
« Notre ordination, lui dit-il, a été médiocre en nombre, mais abondante en bénédictions, Dieu y ayant communiqué ses grâces avec plénitude. Le règlement a été observé exactement; un grand silence dans tous les exercices, et une telle modestie, principalement pendant le temps de la réfection, qu’il semblait que les ordinands eussent été toute leur vie élevés dans notre maison. Mais la grâce de Dieu s’est encore davantage manifestée dans l’oraison et les conférences qui se faisaient ensuite: je ne sais si l’on peut vaquer à ce saint exercice avec plus de ferveur.qu’ils faisaient: on en voyait qui pendant le temps de l’oraison fondaient en larmes, et même pendant la conférence de l’oraison; d’autres remerciaient hautement Dieu et de leur avoir fait la grâce d’entrer dans les exercices, et d’y recevoir une nouvelle lumière pour bien connaître l’état qu’ils embrassaient, et ce qu’ils devaient faire pour correspondre aux desseins de Dieu et pour vivre en véritables ecclésiastiques. Il y en eut un entre autres qui, prenant congé de moi à la fin des exercices, me dit avec une voix entrecoupée de sanglots, qui ne l’empêchaient point de se bien exprimer, qu’il priait Dieu de lui envoyer plutôt mille morts que de permettre qu’il vînt jamais à l’offenser. Ce qu’ayant rapporté hier à M. le cardinal Durazzo, archevêque, il se mit à pleurer de joie et de satisfaction, son cœur ne pouvant contenir les sentiments qu’il avait des bénédictions que Dieu avait versées sur cette ordination. »
La seconde ville est celle de Rome, en laquelle les prêtres de la Congrégation de la Mission ayant été reçus par le Souverain Pontife Urbain VIII, d’heureuse mémoire, et établis en l’année 1642, ils commencèrent dès l’année suivante à recevoir en leur maison ceux qui y venaient de leur propre mouvement pour se disposer à recevoir les saints ordres, en quoi ayant réussi avec bénédiction pendant plusieurs années, et le fruit qu’ils y faisaient ayant été rapporté à Sa Sainteté, on y publia au mois de novembre 1659 un mandement de M. le cardinal-vicaire, par lequel il obligeait tous ceux qui aspiraient aux ordres sacrés de se retirer chez les prêtres de la Mission, pour se préparer à les recevoir, en assistant à ces exercices;.ce qui s’exécuta par l’ordre même de notre Saint-Père le pape Alexandre VII.
Lorsque la première publication de ce mandement fut faite, le supérieur de la maison de la Mission de Rome en écrivit à M. Vincent en ces termes: « Nous allons, dit-il, nous préparer selon notre chétivité à servir Messieurs les ordinands: notre confiance est en Dieu, qui se montre d’autant plus l’auteur de cette œuvre, que l’on ne sait comment cette résolution a été prise, ni qui en est le promoteur. De sorte que je puis dire que à Domino factum est istud, et ainsi il y a lieu d’espérer que, qui cœpit, ipse perficiet »
Si M. Vincent fut consolé de voir de son vivant l’usage de ces saints exercices, auquel Dieu avait voulu qu’il donnât le premier commencement, établi dans cette maîtresse ville de toute la chrétienté, il le fut encore davantage de ce que ceux de sa Compagnie étaient choisis pour y servir, sans qu’ils eussent non plus recherché cet emploi en Italie qu’on ne l’avait fait en France.
Cette première ordination se fit en décembre 1659,. et la providence de Dieu voulut que MM. les abbés de Chandenier, neveux de M. le cardinal de la Rochefoucauld, étant allés à Rome en ce temps-là, se trouvèrent logés chez les prêtres de la Mission lorsque les ordinands y furent reçus; Dieu en ayant ainsi disposé, afin que ces deux vertueux ecclésiastiques contribuassent par leurs saints exemples à l’édification de tous ceux qui étaient présents en ce lieu, comme ils firent d’une façon excellente; étant véritable que l’on n’eût pu choisir deux modèles de modestie plus accomplis, pour faire voir à ceux qui aspiraient aux ordres comment ils devaient être composés extérieurement. L’aîné célébrait tous les jours la grand’messe dans la chapelle de la Mission, en la présence de tous les ordinands, avec la gravité, la dévotion et le recueillement qui lui étaient ordinaires, et M. son frère avait l’humilité d’y faire les offices d’acolyte et de thuriféraire. Deux prêtres italiens de la Congrégation de la Mission firent les entretiens du soir et du matin; et tout se passa si bien, que le rapport en ayant été fait à notre Saint-Père le Pape, Sa Sainteté témoigna, dans un consistoire qui fut tenu bientôt après, qu’il était extrêmement content des exercices de l’ordination: de quoi le supérieur de la Mission ayant été averti par M. le cardinal de Sainte-Croix, il en donna avis à M. Vincent, lequel sur cela lui fit quelques demandes dont voici la réponse, du 16 février 1660:
« Vous m’ordonnez, Monsieur, de vous mander comment l’ordination dernière s’est passée, et si on a reconnu du profit dans les ordinations depuis les exercices. Pour ce qui est des exercices, et de toutes les parties du règlement qu’on y observe en France, nous avons tâché et tâchons de les faire observer en la même manière qu’à Paris, nous réglant jour pour jour, et heure pour heure, sur les Mémoires que nous en avons reçus de Saint-Lazare. Messieurs les ordinands ont témoigné en être fort contents; et non seulement nous, mais aussi diverses personnes du dehors, ont reconnu le fruit que plusieurs d’entre eux, par la miséricorde de Dieu, ont remporté de ces exercices. Nous en avons de ceux-là mêmes en cette seconde ordination, en laquelle nous travaillons maintenant et qui est la première de ce carême, lesquels y donnent grand exemple aux autres; et il semble que Dieu, par son infinie bonté, veuille donner bénédiction à ces exercices et communiquer ses grâces par cette voie aux ecclésiastiques de ce pays, comme il a fait ailleurs. »
Ce supérieur mandait toujours à M. Vincent, à la fin de chaque ordination, de quelle façon elle avait réussi; nous rapporterons ici seulement quelques petits extraits de ses lettres,.par l’une desquelles il parle en ces termes:
« Pour ce qui est du fruit des ordinations passées, il y en paraît par la miséricorde de Dieu. Plusieurs de ces messieurs qui ont fait céans les exercices nous viennent voir de fois à autres, pour nous témoigner qu’ils persistent toujours dans les bons sentiments qu’ils en ont remportés; et l’un d’entre eux, qui est une personne de condition, lequel a assisté aux exercices de trois ordinations, vint hier céans célébrer sa première messe, ayant encore fait auparavant quelques jours de retraite pour s’y mieux disposer.»
Dans une autre lettre, le même supérieur parlant à M. Vincent d’une autre ordination, lui mande que « quelques-uns de MM. les cardinaux et autres prélats étaient venus entendre les entretiens, et qu’entre les ordinands il y avait diverses personnes de qualité et de mérite, et entre autres un chanoine de Saint-Jean de Latran, neveu de M. le cardinal Mancini, et un autre de Saint-Pierre, nommé le comte Marescotti, et d’autres personnes de marque; le pape tenant ferme, et ne voulant exempter aucun d’assister à ces exercices. »
Il dit dans une autre: « Les ordinands que nous eûmes au commencement du carême, et ceux que nous avons présentement, sont si exacts à tous les exercices, et les font avec tant de dévotion, que nous en sommes étonnés. Je puis dire que, pour ce qui regarde la modestie et le silence, il me semble qu’il n’y a rien, ou bien peu à désirer davantage; et par cela Notre-Seigneur veut nous faire connaître sensiblement que c’est lui seul qui est l’auteur de tous ces biens-là. »
Par une autre lettre il dit: « Nous eûmes dans l’ordination dernière un gentilhomme espagnol qui est du diocèse de Placentia, dont l’évêque est présentement en cette cour ambassadeur extraordinaire du roi d’Espagne. Ce bon gentilhomme, ayant eu dessein de recevoir les saints ordres, vint avec grande affection pour assister aux exercices; mais ayant entendu les entretiens, et reconnu de quelle importance il était de ne se pas ingérer dans les ordres sacrés si on n’y était bien appelé de Dieu, et d’ailleurs ayant aussi considéré les grandes obligations que l’on contractait en recevant les saints ordres, il fut touché d’une grande crainte, et ressentit beaucoup de difficulté à se résoudre de les embrasser: ce qu’il fit néanmoins enfin avec de très bonnes dispositions, dont la marque assurée a été le grand changement qui a paru en lui, aussi bien qu’en beaucoup d’autres, après l’ordination.
« Au sortir des exercices, il en fit le récit à Mgr son évêque, qui a désiré nous parler; il nous en fit avertir, nous avons été ce matin chez lui, où nous avons trouvé un prélat plein de zèle, qui a fait quantité de missions dans son diocèse presque en la même manière que la Compagnie, si ce n’est qu’il les fait un peu plus courtes. Il prêche, il confesse et fait lui-même le catéchisme; mais cette invention de travailler à faire de bons ecclésiastiques le ravit; il veut venir céans durant la prochaine ordination, et demande si, lorsqu’il s’en retournera en Espagne, nous ne lui pourrons pas donner quelqu’un des nôtres, et toujours, en attendant, il veut envoyer en son diocèse une instruction de ce que nous faisons en l’ordination, pour commencer à le faire pratiquer. »
Ce bon prélat ne manqua pas d’aller en la maison au commencement des exercices de l’ordination suivante; et non content d’en savoir la théorie, il en voulut voir la pratique, et se trouver à toutes les actions des exercices, pour faire exercer le même en son diocèse.
M. Vincent ayant reçu cette nouvelle eut appréhension que ses prêtres de Rome ne s’avançassent trop envers ce bon prélat espagnol touchant l’envoi de quelque prêtre de sa Compagnie en Espagne, ayant toujours été fort éloigné de la pensée d’étendre par aucuns moyens humains sa Congrégation et ses emplois; il leur en fit un avertissement par lettres: ce qu’on apprend par la réponse que lui fit le supérieur de la maison de Rome, en ces termes:
« Pour Mgr l’évêque de Placentia, ambassadeur d’Espagne, Dieu nous a fait la grâce, selon votre désir, Monsieur, de ne point retourner chez lui depuis qu’il nous fit prier d’y aller pour avoir les mémoires de l’ordination; et selon votre ordre, nous ne ferons rien en cela, ni en aucune autre chose, Dieu aidant, pour chercher de l’emploi ou pour nous pousser de nous-mêmes; et même si on nous en pressait, nous remettrions toujours le tout à votre réponse et résolution, comme nous ne pouvons point faire autrement. »
Or, comme les meilleures et les plus saintes entreprises sont ordinairement les plus exposées à la jalousie et à la contradiction, il arriva que les grands fruits que ces exercices produisaient, et les bruits avantageux qui s’en répandaient dans la ville de Rome, donnèrent de l’émulation à quelques personnes religieuses, qui crurent faire service à Dieu d’attirer ces exercices en leur Compagnie, et de les ôter aux prêtres de la Mission. Voici ce que le même supérieur en écrivit à M. Vincent au mois de mai 1660:
«Je crois vous devoir donner avis, Monsieur, de quelque opposition qui s’est faite depuis peu de temps à la continuation des exercices de l’ordination. Premièrement, il y a quelque temps que Mgr le cardinal-vicaire me fit l’honneur de me dire qu’une autre communauté avait demandé de faire ces exercices, et qu’on lui envoyât les ordinands, et non point à nous; ce que Son Eminence leur avait absolument refusé. J’avais déjà été averti par quelque autre personne de cette sollicitation, qui m’avait aussi déclaré quelle était cette communauté. En second lieu, on m’a encore donné avis que, dans le dernier examen qui se fit pour les ordres sacrés, le révérend père N. avait dit que, puisqu’il se présentait quantité de personnes de condition pour recevoir les ordres à Rome, l’on ne pouvait pas continuer à les obliger d’aller aux exercices de la Mission, et qu’on en parlerait au pape. Or, j’ai su qu’on lui en a parlé et qu’on a fait ce qu’on a pu pour lui persuader de ne plus obliger les ordinands à venir céans, et que Sa Sainteté, qui était fort bien informée de ce qui se faisait dans les exercices des ordinands, n’avait point voulu avoir égard à toutes ces remontrances et était demeurée ferme dans ses premières résolutions. Voilà, Monsieur, comme nous avons la grâce de dépendre visiblement de la protection de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère. »
On a fait encore depuis ce temps-là de nouveaux efforts pour abolir ces exercices. On s’est plaint au pape et aux cardinaux de ce qu’on les faisait plutôt chez les prêtres de la Mission qu’ailleurs, et qu’il semblait que ceux qui les appuyaient ne faisaient estime que des exercices qui se font chez eux, au mépris des autres: mais tout cela n’a fait aucune impression sur l’esprit du pape et n’a pas empêché qu’il ne soit encore rendu plus inflexible pour faire observer le contenu de son premier bref; en a fait publier un second en l’an 1662, par lequel de son propre mouvement il approuve et confirme tout ce qui a été fait sur ce sujet, et oblige non seulement tous ceux qui recevront les ordres en la ville de Rome, de quelque nation et diocèse qu’ils soient, mais aussi ceux des six évêchés suffragants qui voudront être ordonnés en leur diocèse, d’assister à ces exercices avant que d’être promus aux saints ordres. En quoi il témoigne tant de zèle pour procurer par ce moyen la pertection des ecclésiastiques, qu’il se réserve à lui seul le pouvoir d’en dispenser; et il tient si ferme pour n’en exempter personne, qu’il oblige même ceux à qui il donne dispense de recevoir les ordres extra tempora, de faire auparavant une retraite spirituelle chez les prêtres de la Mission.
On peut avec raison attribuer toutes ces faveurs et ces grâces à la grande confiance que M. Vincent a toujours témoigné avoir en la protection de Dieu et à cette pureté d’intention toute singulière qui animait tous ses bons desseins: ce qui faisait qu’il ne se mettait pas fort en peine de tous les orages qui s’élevaient contre; reconnaissait que cet emploi leur ayant été donné de Dieu, il était assez puissant et assez bon pour les y maintenir autant de temps qu’ils seraient fidèles à leurs règles: ce qui n’empêchait pas qu’il ne jugeât que si sa Compagnie venait à négliger les dons de Dieu, il était juste qu’elle en fût dépouillée.
Mais tant s’en faut que toutes ces émulations et entreprises aient apporté aucune diminution ou aucun déchet aux fruits de ces exercices de l’ordination, qu’au contraire il semble que cela ait attiré de nouvelles bénédictions pour les étendre encore davantage; car on a su qu’un seul ordinand du royaume de Naples ayant assisté à ces exercices, et étant retourné chez lui, a persuadé à son archevêque de faire passer par les mêmes exercices tous ceux de son diocèse qui .désireront recevoir les ordres sacrés.
Et Mgr le cardinal Barbarigo, avant ouï parler des grands fruits de ces exercices de l’ordination, a appelé des prêtres de la Mission de Rome en la ville de Bergame, qui est dans l’État de Venise et dont il était pour lors évêque, où il a commencé à y faire par eux ces exercices des ordinands, avec résolution d’en procurer la continuation, en ayant reconnu l’importance et l’utilité. Et étant retourné de Bergame à Rome en l’année dernière, 1663, il a eu dévotion d’y faire lui-même quelqu’un des entretiens des ordinands, où assistèrent plusieurs cardinaux; en quoi il réussit avec tant de bénédiction, que non seulement les ordinands en furent sensiblement touchés, mais encore les cardinaux présents en furent grandement édifiés. Quelques-uns d’entre eux en ont fait aussi à son exemple aux ordinations suivantes, à savoir, Mgr le cardinal Albici, et depuis Mgr le cardinal de Sainte-Croix, l’un et l’autre avec l’applaudissement d’un bon nombre de cardinaux, d’évêques, de prélats, de généraux d’ordres, et d’autres personnes considérables qui s’y trouvèrent.
Le même supérieur a encore remarqué en plusieurs de ses lettres écrites depuis cette année, que, par la grâce de Dieu, l’on voit de bons effets de ces exercices pour la perfection du clergé, et que même les fruits s’en répandent hors de Rome, parce qu’entre les ordinands il y en a, outre ceux d’Italie, plusieurs autres de diverses nations.
Voilà quelques petits exemples des suites très heureuses de cet ouvrage commencé et établi dans l’Église par le zèle universel de M. Vincent, et par la bénédiction singulière que Dieu y a donnée pour sa plus grande gloire.