La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Livre second, Chapitre I, Section III

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Louis Abelly · Année de la première publication : 1664.
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SECTION III : Autres relations des fruits des Missions faites en Italie

§ I. —En divers lieux aux environs de Rome.

Nous passerons de France en Italie, et nous accompagnerons les Missionnaires que M. Vincent, comme il a été dit en sa vie, envoya pour s’établir dans cette première ville de la chrétienté. Où ayant été favorablement reçus par le souverain pontife Urbain VIII, de très heureuse mémoire, ils ont trouvé occasion d’exercer leur zèle ordinaire, suivant les ordres qui leur en ont été donnés de la part de Sa Sainteté, non seulement dans l’enceinte de Rome par les ordinations, conférences spirituelles, retraites et autres charitables services qu’ils y rendent aux ecclésiastiques, mais aussi dans les missions qu’ils ont été conviés de faire en divers lieux, tant des environs de cette ville, que du reste de l’Italie.

Nous parlerons premièrement d’une espèce de mission fort extraordinaire et autant difficile que charitable, à laquelle ils ont commencé de travailler depuis plus de vingt ans, et continuent encore maintenant: C’est à l’égard des pâtres ou bergers de la campagne.

Et afin que ceux qui n’ont pas été à Rome conçoivent mieux ce que nous avons à dire sur ce sujet, il faut savoir que cette grande ville est comme au milieu d’un petit désert, c’est-à-dire que, quatre ou cinq lieues à l’entour, il n’y a ni bourgs ni villages: ce qui procède non du défaut du terroir qui est assez bon, mais de la qualité de l’air qui y est malsain, à raison de quoi on ne peut trouver que difficilement des gens de travail pour le cultiver, d’autant qu’ils n’y peuvent pas vivre. Ces terres demeurant incultes, il y a grande abondance de pâturages pour le bétail qu’on y amène de toutes parts pour y passer l’hiver; et au pintemps on le ramène dans le royaume de Naples et dans les autres lieux d’où on l’a amené. De sorte que les hommes qui les gardent demeurent cinq ou six mois dans ces campagnes désertes, sans entendre presque jamais la sainte messe ni recevoir les sacrements; de quoi même ils ne se mettent pas beaucoup en peine, étant pour la plupart gens grossiers et très peu instruits des devoirs du chrétien. Ils s’en vont tous les jours d’un côté et d’autre séparément, pour mener paître leurs troupeaux; Et la nuit ils les renferment dans des parcs, auprès desquels ils dressent des cabanes portatives où ils se retirent dix ou douze ensemble pour l’ordinaire, et quelquefois plus en chacune.

Or, M. Vincent qui a toujours fait une profession particulière de pourvoir aux besoins des âmes les plus délaissées, sachant l’état dans lequel ces pauvres pâtres passaient la plus grande partie de leur vie, recommanda particulièrement aux prêtres qu’il envoya en Italie de secourir et assister ces pauvres gens, et de leur donner la pâture spirituelle pendant qu’ils s’occupaient à donner la corporelle à leurs troupeaux. Il avait d’autant plus de compassion pour eux et de désir qu’ils fussent assistés, qu’il honorait avec plus de dévotion en leurs emplois, quoique bas et abjects selon les hommes, une des plus excellentes qualités du Sauveur du monde. En effet, il se nomme par excellence dans l’Evangile le bon Pasteur, et il a transmis cette qualité en tous ceux auxquels il a confié la conduite de son bercail qui est l’Eglise, et particulièrement en celui qui est le premier et le chef de tous les fidèles, c’est à savoir le Souverain Pontife.

Ces bons Missionnaires ayant reçu une telle recommandation de la part de leur Père, et y étant d’ailleurs assez portés par leur propre zèle, pensèrent par quel moyen ils pourraient travailler à l’instruction de ces pauvres pâtres. Ils reconnurent bien d’abord qu’il n’y avait pas moyen de les assembler dans aucune église pour les prêcher et catéchiser, comme l’on fait dans les autres missions; attendu qu’ils ne pourraient jamais se résoudre de quitter leurs troupeaux, et qu’il ne serait pas même raisonnable de l’exiger d’eux, à cause des inconvénients qui en auraient pu arriver. Mais la charité leur suggéra en cette rencontre le meilleur expédient, qui fut d’aller attendre tous les jours sur le soir ces pauvres pâtres lorsqu’ils retourneraient en leurs cabanes, et de passer la nuit avec eux pour prendre occasion de leur parler et de les instruire; à quoi le temps du carême leur sembla aussi le plus propre pour obtenir d’eux une plus facile audience. Suivant donc cette résolution, s’étant partagés pour faire plus de fruit, ils s’en allèrent un en chaque cabane où ils les attendaient le soir à leur retour, et là ils tâchaient de s’insinuer doucement dans leurs esprits, leur disant d’abord qu’ils ne venaient pas pour leur rien demander, mais plutôt pour leur faire du bien, et les priaient à cet effet d’agréer qu’ils passassent la nuit avec eux; pendant qu’ils apprêtaient leur souper, ils les entretenaient des choses nécessaires et utiles à leur salut, les instruisant des principales vérités de la foi et des dispositions requises pour recevoir dignement les sacrements, particulièrement ceux de la pénitence et de l’eucharistie, comme aussi de la manière de bien vivre et de s’acquitter de toutes les obligations d’un chrétien. Et quand l’heure de prendre le repos était venue, ils les faisaient prier Dieu; et ensuite ils se couchaient auprès d’eux sur quelques peaux de brebis, et souvent à plate terre. Après avoir continué à diverses reprises ces instructions, les voyant suffisamment préparés, ils les recevaient au sacrement de pénitence et leur faisaient faire de bonnes confessions générales de nuit ou de jour, selon leur commodité. Et lorsqu’ils avaient rendu le même office de charité dans toutes les cabanes des environs, ils les assemblaient tous un jour de fête ou de dimanche, en la plus prochaine chapelle, y en ayant quelques-unes dans ces vastes campagnes; et là, ils célébraient la sainte messe, leur faisaient une exhortation et leur donnaient à tous la sainte communion. après quoi ces pauvres pâtres, à l’imitation de ceux qui vinrent adorer Jésus-Christ dans la crèche, s’en retournaient louant et glorifiant Dieu, et le remerciant des grâces que sa miséricorde leur avait faites par l’entremise de ces bons Missionnaires qui continuent encore de temps en temps à leur rendre cette charitable assistance.

Quoique ces exercices de charité envers ces pauvres pâtres, joints à tous les autres emplois que la ville de Rome fournit aux Missionnaires, emportent une grande partie de leur temps, cela pourtant ne les a pas empêchés d’étendre leur zèle en tous les lieux de la campagne de Rome et des diocèses voisins, et même en plusieurs diocèses plus éloignés, où ils ont fait des missions qui n’ont pas produit de moindres fruits que celles de France. Nous ne prétendons pas ici parler de toutes, ni même de la vingtième partie de celles qui s’y sont faites; mais seulement de quelques-unes des plus remarquables, pour donner au lecteur quelques légères idées des avantages spirituels que les peuples de ces provinces ont reçus et reçoivent encore tous les jours, avec le secours de la grâce divine, du zèle de M. Vincent et des travaux de ses enfants spirituels.

En l’année 1642, le supérieur des Missionnaires de Rome écrivant à M. Vincent sur ce sujet: «Nous avons fait, lui dit-il, une mission en un lieu, dont nous supprimerons le nom, qui est un bourg fermé, composé de trois mille âmes, ou environ, sur le passage de Rome à Naples. Pendant un mois que la mission a duré, nous avons trouvé des misères et des désordres épouvantables. La plupart des hommes et des femmes ne savaient point ni le Pater ni le Credo,  et encore moins les autres choses nécessaires à leur salut; il y avait quantité d’inimitiés invétérées; les blasphèmes y étaient très communs, mais c’étaient des blasphèmes qui faisaient horreur. Plusieurs personnes de toute sorte d’états vivaient en concubinage; il y avait plusieurs femmes publiques et débauchées qui corrompaient la jeunesse, et avec tout cela nous avons trouvé de grandes oppositions et résistances, et le malin esprit nous a donné de violentes attaques du côté même de ceux qui devaient davantage nous appuyer. Enfin, cette mission a été une souffrance presque continuelle pour nous: il n’y avait point d’humilité qui pût gagner le coeur de ces gens-là, car ils estimaient qu’il y allait de leur honneur de se laisser instruire et de se convertir; et il n’y avait point moyen de faire paix avec eux qu’en cessant de prêcher et de confesser. Néanmoins, après quinze jours de patience et de persévérance dans nos exercices et fonctions ordinaires de missions, ces peuples ont commencé d ouvrir les yeux et de connaître leurs désordres; et sur la fin la grâce de Dieu y a produit de grands bien,  il s’y est fait quantité de réconciliations, les inimitiés ont été éteintes et les blasphèmes ont cessé. Quatre filles débauchées se sont converties; et entre les concubinaires un des plus obstinés, qui vivait depuis douze ans dans son adultère public, et causait beaucoup de désordre en sa famille et de scandale dans le bourg, s’est converti, a quitté le péché, et en a retranché l’occasion.

«Un autre grand fruit, entre tous les autres qui se recueillent ordinairement aux missions, est de leur avoir fait quitter un péché abominable qui ne se nomme point auquel ils étaient extraordinairement sujets. La communion générale s’est faite avec de grandes dispositions, et tous ont été fort touchés d’entendre les pleurs et les gémissements, et de voir les larmes des âmes converties. Et enfin, malgré tous les efforts du malin esprit, cette mission s’est achevée avec grande bénédiction. »

Un autre prêtre de la même mission de Rome écrivit a M. Vincent, en l’année 1654, une lettre en laquelle, après avoir parlé de plusieurs missions faites au diocèse de Sarsina en la Romagne et de tout ce qui s’y était passé de plus notable, il ajoute ce qui suit:

«Dans la dernière mission, dit-il, laquelle fut sur les plus hautes montagnes de l’Apennin, nous trouvâmes un désordre général, lequel, bien qu’il soit commun à la Romagne, est néanmoins beaucoup plus grand en ces lieux écartés. C’est que toute la jeunesse, garçons et filles, s’entretiennent en de vaines et folles amourettes, et cela souvent sans aucun dessein de se marier: de quoi pour l’ordinaire ils ne se confessent point, et beaucoup moins des mauvais effets qui s’ensuivent, qui sont des entretiens dangereux, à quoi ils passent souvent une partie des nuits; ce qui arrive particulièrement les veilles des fêtes. Ayant ces mauvaises attaches les uns envers les autres, ils ne portent aucun respect aux églises où ils ne vont que pour se voir et s’entretenir d’œillades et de gestes immodestes. outre les mauvaises pensées et autres désordres intérieurs, cela est quelquefois suivi de grandes chutes fort scandaleuses, qui pourtant ne rendent pas les autres plus retenus, ni les parents plus avisés pour en éviter de pareilles.

«Ayant donc par occasion appris cet abus et toutes ces fâcheuses et dangereuses suites, nous parlâmes dans nos prédications le plus fortement qu’il nous fut possible pour l’abolir; mais le mal semblait incurable, et on ne manquait point de raisons pour s’y flatter: ce qui nous donna beaucoup de peine. Enfin, avec la grâce de Dieu, nous y apportâmes remède en déniant l’absolution a tous ceux que nous ne voyions pas bien résolus de renoncer absolument à toutes ces folles amourettes: ce qui les toucha grandement et fut cause que presque tous se rendirent. Je leur fis lecture publiquement en italien d’un chapitre du livre de Philothée qui traite de ce défaut, et qui leur découvrit évidemment les fautes qu’ils commettaient comme si l’auteur l’avait fait exprès pour eux. Plusieurs témoignèrent avec larmes le regret du passé et leurs bonnes dispositions pour l’avenir. Dieu veuille leur donner la persévérance.»

«Enfin, Monsieur, quoique du commencement les curés de ces lieux-là nous tinssent pour des espions et qu’ils nous eussent fait passer dans l’esprit des peuples pour des gens suspects, voyant néanmoins la simplicité de notre procédé, l’honneur que nous leur déférions, la façon que nous tenions en nos missions, et principalement que nous étions sans aucun intérêt, ils nous sont restés tous affectionnés, et je puis dire que nous avons emporte leurs coeurs: ce que plusieurs même ont témoigné avec larmes.»

«Je ne puis ici omettre une chose arrivée dans un lieu de ces environs, ou il y avait un prêtre fort débordé en sa vie, lequel s’était vanté publiquement de n’être point venu à aucune de nos prédications; et peu après il arriva par un juste jugement de Dieu, qu’il fut misérablement tué au même lieu où il avait fait cette vanterie, par un autre méchant prêtre qui m’avait donné de belles paroles pour me faire croire qu’il voulait changer de vie, mais sans aucun effet.»

§ II.— Missions dans les évêchés de Viterbe, de Palestrine et autres lieux.

Un prêtre de la mission de Rome, écrivant à M. Vincent, au mois de décembre de l’année 1655, touchant ce qui s’était passé en une mission faite dans l’évêché de Viterbe: « M. le Cardinal Brancanio, dit-il, nous ayant fait l’honneur de nous appeler à Viterbe dont il est évêque, il nous envoya à Vetralle qui est un gros bourg de son diocèse a deux journées de Rome. Y étant arrivés, quoique plusieurs difficultés aient traversé nos petites fonctions, nous y avons pourtant entendu dix-sept cents personnes de confession générale, qui nous ont témoigné être bien touchées et bien pénitentes.

«Ce qui me semble avoir plus contribué a émouvoir ce peuple est ce qui en apparence devait avoir moins d’effet; c’est à savoir, 1° l’explication de l’Exercice du chrétien que nous faisions tous les matins à l’issue de la première messe; 2° l’instruction familière qui se faisait ensuite sur les principaux mystères de la foi et sur la manière de se confesser; 3° l’examen général que nous faisions tour haut avec les prières ordinaires, le soir immédiatement après notre prédication. Mais ce que je crois qui fît la plus forte impression sur leurs esprits fut une puissante semonce que leur esprit, fut une puissante semonce que leur fit notre prédicateur à la fin de son exhortation à la préparation à la communion, leur disant de la part de Dieu que personne ne fût si hardi que de s’approcher de la sainte table sans auparavant s’être réconcilié avec ses ennemis. Et je crois que cette dénonciation, animée comme elle l’était de l’esprit de Notre Seigneur, a plus opéré que tout le reste, particulièrement à l’égard des réconciliations entre ceux qui se haïssaient a mort et des restitutions notables qui se sont faites; car, depuis cette prédication on n’a vu et on n’a entendu presque autre chose que des accords qui se faisaient et des pardons qu’on se demandait les uns aux autres les larmes aux yeux, non seulement dans les maisons mais encore dans les rues, et particulièrement dans l’église devant tout le monde. On en faisait de même pour ce qui est de restituer le bien mal acquis et de payer les vieilles dettes abandonnées, et cela publiquement et courageusement, sans se soucier de sa propre réputation.

« Si je rapportais ici tous les cas particuliers que nous avons vus et entendus sur ce sujet, j’aurais trop de choses a dire; j’en toucherai seulement trois ou quatre des principaux. Le premier arriva pendant la procession, en laquelle un de nos prêtres rangeant les hommes deux à deux pour les faire marcher avec ordre, la Providence divine disposa les choses en telle sorte, que deux habitants du lieu qui avaient une haine fort enracinée l’un contre l’autre depuis plusieurs années se trouvèrent fortuitement rangés ensemble; ils cheminèrent même quelque temps à côté l’un de l’autre sans qu’aucun d’eux deux s’en aperçut. Mais s’étant enfin reconnus, Dieu leur toucha le cœur si fortement qu’en un instant leur grande haine se trouva changée en une sincère amitié, et leurs cœurs se trouvèrent en telle disposition que, fondant en larmes, ils s’embrassèrent et s’entre-demandèrent pardon l’un à l’autre devant toute l’assistance; mais avec des paroles si cordiales, que chacun en fut ravi d’admiration et de consolation.

«Le second cas fut d’un certain habitant du même lieu, qui depuis longtemps devait quatre cents écus a un autre et n’avait jamais voulu le payer quoiqu’il en eût été souvent pressé par la voie de la justice et même par sentences d’excommunication; en sorte que son créancier ne s’y attendait plus. Il fut néanmoins tellement changé tout à coup, qu’a l’heure même il lui paya les quatre cents écus, et depuis ce temps-là ils ont été bons amis.»

«Le troisième fut d’un riche avaricieux. Depuis fort longtemps il était redevable de cent écus à un pauvre homme qui avait enfin perdu toute espérance d’en pouvoir jamais être payé; néanmoins étant touché de Dieu, et sans être requis d’aucune personne, il fit presque comme Zachée, car il rendit a ce pauvre homme trois ou quatre fois plus qu’il ne lui devait lui donnant une maison et une pièce de vigne qui accommoda grandement sa petite famille.»

«Enfin le quatrième fut d’un père, lequel avait conçu et retenu en son cœur depuis environ trois ans une haine mortelle contre un certain qui avait voulu tuer son fils, et l’avait en effet blessé à un bras, dont il était demeuré estropié; il avait outre tout cela déboursé une somme d’argent assez considérable pour le faire panser. Il fit, nonobstant le ressentiment qu’il en avait, deux actions dignes d’un vrai chrétien: l’une est qu’il pardonna de bon cœur à cet ennemi qui avait assassine son fils; et l’autre qu’il lui quitta et remit volontairement tous les frais et dépens qu’il pouvait prétendre, quoique, avant cette mission, plusieurs se fussent souvent employés pour les réconcilier et accommoder sans y avoir pu réussir.

«Voilà une partie des fruits de cette mission, que l’on peut bien dire avec vérité être des effets de la main toute-puissante de Dieu: les ouvriers qui y travaillaient n’étant pas capables d’opérer ces merveilles par des moyens si faibles que ceux qui ont été ci-dessus rapportés. Et c’est ce qui me donne sujet de dire, comme autrefois ceux qui voyaient les merveilles que Moïse faisait en présence de Pharaon :Digitus Dei est hic, c’est le doigt de Dieu qui opère des choses si admirables, et non pas l’éloquence, ni la science, ni la sagesse, ni la puissance des hommes. Et c’est peut-être pour cela que la Providence divine n’a pas voulu que notre grand prélat et éminentissime cardinal ait assisté à notre mission ainsi qu’il nous l’avait fait espérer, une roue de son carrosse s’étant rompue lorsqu’il se fut mis en chemin pour y venir; car s’il nous eût fait cet honneur, on eût peut-être attribué à sa présence et à son autorité la gloire de ces merveilles, que Dieu s’est voulu réserver à lui seul.»

Le même prêtre missionnaire raconte le succès d’une autre mission faite au mois de janvier de l’année suivante, dans une de ses lettres où il parle en ces termes:

«En la mission que nous venons de faire à Breda, nous avons remarqué une grande assiduité du peuple à nos sermons et catéchismes. Ils assistaient avec un si grand désir d’en profiter que ce qu’ils y entendaient faisait une vive impression dans leurs cœurs; en sorte qu’on les voyait après s’instruire et s’exhorter les uns les autres. Toute la matinée du jour de la communion se passa en réconciliations et embrassements qu’ils se faisaient les uns aux autres; en quoi l’on voyait manifestement la force de la grâce de Dieu. Car les plus apparents du lieu, tant hommes que femmes, mettant bas tous les respects humains, ne faisaient point difficulté de s’humilier devant les plus pauvres et leur demander pardon des fautes qu’ils avaient commises à leur égard. Mais quand ce vint a la prédication qui se fit immédiatement devant la communion, les cœurs s’attendrirent de telle sorte que peu s’en fallut que plusieurs ne tombassent évanouis. Et celui qui prêcha fut contraint d’interrompre par deux fois son discours, et de cesser de parler, pour arrêter le cours des larmes et des soupirs de ce bon peuple. La prédication étant achevée, un prêtre du pays s’avança vers le grand autel; là s’étant prosterné en terre il demanda hautement pardon de la vie scandaleuse qu’il avait menée, premièrement à Dieu, et ensuite au peuple, lequel étant extraordinairement touché d un tel exemple, se mit à crier tout haut: Miséricorde !

«Le diable envieux de tant de bons succès s’efforça de les traverser, en troublant le bon ordre et la bonne disposition de ce peuple dans la procession qui se fit après les vêpres, au sujet de la préséance qui était réciproquement prétendue par quelques confréries de pénitents établies en la paroisse. Mais Dieu par sa bonté empêcha ce désordre, en ce que pendant la contestation quelqu’un ayant avancé que le prédicateur avait dit que la préséance appartenait aux pénitents vêtus de blanc, le grand respect qu’un chacun avait pour tout ce qui venait de cette part fit que tous acquiescèrent à cette parole, sans en faire une plus grande discussion; et par ce moyen la procession se fit avec grande piété, et avec une singulière édification d’un chacun.

«Je crois ne devoir pas ici omettre une chose, qui est qu’ayant exhorté le peuple d’acheter une croix d’argent pour servir à leur église, il n’y en eut aucun qui ne voulût avoir part a cette bonne œuvre; en sorte que chacun ayant fait ses petits efforts pour y contribuer, la somme qui fut recueillie se trouva monter à cent écus, qui était plus qu’il ne fallait.»

Pour ce qui est de l’évêché de Palestrine, la relation des missions qui s’y sont faites en l’année 1657 porte que la première fut dans un gros bourg de douze cents communiants, tous remplis d’inimitiés, et s’il faut dire ainsi, tous ensanglantés des fréquents homicides qui s’y commettaient; on les comptait jusqu’au nombre de soixante-dix depuis trois ans. Ce peuple, bien que cruel et adonné à ces crimes, goûta néanmoins la parole de Dieu, se rendit exact aux actions de la mission qui dura un mois, et en fit un si bon usage que presque tous firent leurs confessions générales et se réconcilièrent parfaitement avec Dieu et avec leurs ennemis. On en a vu plusieurs qui avaient demeuré dix et quinze ans sans se vouloir parler, qui l’ont fait de bon cœur en cette occasion. Une veuve dont le mari avait été tué, et qui avait refuse la paix a ses ennemis, quelque instance qui lui eût été faite de la leur accorder, même par M. le Cardinal Colonne, seigneur dudit lieu, fut tellement touchée par une prédication, que sans autre semonce elle fit appeler M. le curé et le notaire, et fit cet accord en donnant le pardon avec grande joie.

Une autre veuve, qui s’était montrée aussi fort difficile a pardonner à un homme qui avait tué son mari, lui pardonna de même fort volontiers en cette occasion, disant qu’elle n’avait jamais ressenti une telle consolation en tout le temps de sa vie. Après quoi quelques-uns de ses parents lui ayant voulu remontrer qu’elle ne devait pas si facilement ni si promptement pardonner, pour témoigner davantage son amour vers son défunt mari; elle leur répondit qu’elle voulait sauver son âme, et que si la chose n’était point faite, elle la ferait encore très volontiers.

Un jeune homme qui avait eu un bras coupé par un sien ennemi qu’il ne voulait point voir, l’ayant rencontré à l’issue d’une prédication dans la place publique, se mit à genoux devant lui, et puis, s’étant levé, l’embrassa avec tant d’affection et de cordialité que son exemple et sa parole servirent grandement pour en exciter plusieurs autres à pardonner les injures qu’ils avaient reçues.

Mais la plus importante de toutes les réconciliations faites en cette mission et où l’on reconnut plus manifestement l’effet particulier, de la grâce de Dieu, fut celle que l’on procura entre deux des principales familles du bourg. Les personnes de l’une d’elles en avaient tué un de l’autre famille, et blessé grièvement son frère; ce qui avait tellement animé les autres frères qui restaient et qui étaient gens fort cruels, qu’ils avaient résolu d’exterminer cette famille, dont quelques-uns avaient commis ce meurtre; et l’un de ces frères, pour venger la mort d’un autre, avait tué depuis trois ans dix personnes innocentes. Cette réconciliation était fort difficile à faire, tant à cause que les offenses étaient récentes, que parce que ceux qui voulaient commettre ce meurtre, battant tout le long du jour la campagne de peur d’être pris par la justice, ne retournaient chez eux qu’à la nuit; de sorte que très difficilement pouvait-on leur parler; étant d’ailleurs tellement animés qu’il n’y avait pas apparence de pouvoir fléchir leurs cœurs. L’un d’entre eux même disait, qu’il ne serait point content jusqu’à ce qu’il eût tué tous ceux de l’autre famille. Néanmoins, nonobstant toutes ces difficultés et après diverses tentatives, il plut à Dieu faire réussir cette bonne œuvre par un effet tout singulier de sa grâce. Le prédicateur de la mission étant allé trouvé en un lieu écarté ceux qui voulaient faire ces meurtres, et leur ayant parlé pendant un demi-quart d’heure, les supplia au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en les embrassant cordialement, de pardonner et de faire la paix; et aussitôt le principal d’entre eux étant vivement touché par ses paroles ôta son chapeau, et, levant au ciel les yeux tout baignés de larmes, lui dit: « Je promets à Dieu et à votre révérence la paix, et je la veux faire.» Et ayant dit cela, il se retira pour pleurer avec plus de liberté. Ensuite de quoi on demeura d’accord de la conclure le lendemain; il y survint néanmoins de nouveaux obstacles et si grands que l’on croyait l’affaire rompue; mais l’on s’avisa d’avoir recours à la très sainte Vierge, par les puissantes intercessions de laquelle tous ces empêchements furent surmontés. Cette paix fut conclue avec tant de bénédiction, que la plupart des habitants étant venus à l’église pour admirer une si belle action, pleuraient de joie, bénissant Dieu de ce qu’ils voyaient les offensés et les offenseurs s’embrasser avec tant de d’affection. Un vieillard d’entre eux dit a un jeune homme du parti contraire, qu’il haïssait auparavant à mort: Je veux dorénavant vous tenir pour mon fils; à quoi l’autre répondit: et moi je vous tiendrai pour mon père.

Il serait trop long de raconter par le menu tous les accommodements et toutes les réconciliations qui se firent en cette mission: la division des cœurs étant presque générale en ce lieu-là, à cause que l’offense faite à un particulier s’étend a tous ses parents, et leur inimitié réciproquement vers toute la parenté de celui qui a offensé, en sorte qu’ils ne se parlent, ni ne se saluent plus les uns les autres. Néanmoins par la miséricorde de Dieu on n’a point su, lorsqu’on a fini la mission, qu’il fût resté aucune personne en inimitié; tous s’étant vraiment et sincèrement réconciliés les uns avec les autres.

Une autre bande de Missionnaires étant allée travailler dans les paroisses dépendantes de l’abbaye de Subiaco, on y fit quatre missions auxquelles Dieu donna de très grandes bénédictions, tant a raison des réconciliations par lesquelles plusieurs inimitiés furent éteintes, que par les remèdes qu’on apporta aux mauvaises amitiés et à plusieurs scandales publics. Pour n’user de redites, nous rapporterons seulement ici ce qui arriva en l’une de ces paroisses, en laquelle trois femmes débauchées demandèrent publiquement pardon dans l’église a tout le peuple du scandale qu’elles avaient donne par le passé. Pour le blasphème qui régnait beaucoup dans ce même lieu, tous se résolurent fortement d’éviter ce malheureux péché, et plusieurs s’accordèrent entre eux que quiconque proférerait quelques blasphèmes dans le jeu perdrait la partie ou bien payerait une certaine somme qui serait distribuée aux pauvres. Mais d’autres se résolurent de quitter entièrement le jeu, ce qui est le meilleur et le plus sûr. Et parce que les jours de fêtes le peuple demeurait la plupart du temps oisif sans savoir à quoi s’appliquer, ils acceptèrent avec beaucoup de docilité et d’affection le conseil qui leur fut donné, de faire acheter un grand psautier et un antiphonaire pour chanter les vêpres dans leurs églises les jours de fêtes et dimanches; et de plus quelques livres spirituels, à savoir la Vie des Saints, les Œuvres de Grenade, et autres semblables, pour faire en ces jours-là, étant assemblés dans l’église, une heure de lecture spirituelle.

Enfin dans une autre relation envoyée par le supérieur des prêtres de la Congrégation de la Mission de Rome, il est dit en parlant des dernières missions qu’ils avaient faites en des lieux qu’il ne nomme point, que Dieu y a répandu ses bénédictions ordinaires: que les scandales ont cessé, les concubinages ont été ôtes, les femmes publiques se sont converties, les occasions des péchés déshonnêtes qui étaient très fréquents en ces lieux-là ont été retranchées; et qu’il s’y est fait une telle quantité d’accommodements de différends et de procès tant civils que criminels, qu’en une seule de ces missions, un notaire fort intelligent fut occupe six jours durant a écrire les accords qui s’y étaient faits. On y a fait aussi cesser certains contrats usuraires, et révoquer quelques aliénations du bien de l’Église qui avaient été faites injustement. Et non seulement les vices et les désordres ont été retranchés, mais aussi l affection de la vertu y a été plantée dans les cœurs, et toutes sortes de bonnes œuvres, particulièrement celles de la charité, y ont été mises en usage. En voici deux ou trois exemples:

A la fin de l’une de ces missions, le médecin d’un des lieux où elles s’étaient faites, porte d’un mouvement de charité, s’offrit de ne rien prendre durant trois ans de toutes ses vacations; cela à condition que le boisseau de blé que chaque maison du bourg était obligée de lui donner tous les ans serait mis ensemble durant lesdites trois années, pour en faire un Mont-de-Piété d’environ cent setiers de blé qui serviraient pour prêter aux pauvres, ce qui fut arrêté du consentement des habitants.

Dans le même lieu, un officier voyant que les enfants étaient mal instruits, faute d’une personne capable de leur faire l’instruction, s’obligea de donner tous les ans une bonne partie de ses gages, qui servirait de salaire pour un bon maître.

La communauté des habitants du même lieu fit élection de deux protecteurs des pauvres, dont l’office devait être d’empêcher que lesdits pauvres ne fussent taxés injustement pour certains dommages que les fermiers du seigneur prétendent quelquefois leur être faits. Et outre cela, on députa encore un dépositaire des meubles des pauvres que les sergents emportent dans leurs exécutions, lesquels meubles par le défaut de ce dépositaire étaient presque tous perdus pour les pauvres.

Voilà un petit échantillon des excellents fruits que M. Vincent a fait éclore dans l’Italie par le ministère des prêtres de sa Congrégation établis a Rome. Nous n’avons parlé que de ce qui est arrivé en huit ou neuf missions, quoiqu’il y en ait eu plus de deux cents qui s’y sont faites depuis vingt-deux ans qu’ils sont établis en cette ville capitale de toute la chrétienté. Mais nous avons jugé que cela suffisait pour faire connaître l’abondante grâce que Dieu se plaisait de répandre sur tous les desseins de son fidèle serviteur, et sur les travaux et emplois de ceux que Dieu avait mis sous sa conduite. Nous conclurons ce chapitre par l’extrait d’une lettre que M. le cardinal Spada écrivit de Rome à M. Vincent en l’année 1651, où il lui parle en ces termes:

«L’institut de la Congrégation de la Mission dont vous êtes le fondateur et le chef, acquiert tous les jours de plus en plus du crédit et de la réputation en ces quartiers; j’en ai reçu grand service dans ma ville et dans tout le diocèse d’Albano, où j’ai vu des fruits extraordinaires sur ces peuples, envers lesquels ces bons prêtres ont travaillé avec tant d’application, de charité, de désintéressement et de prudence, que chacun en est demeuré extrêmement édifié. C’est à moi de vous en remercier, comme je fais, en vous assurant que j’en ai un ressentiment très particulier, et que je ne manquerai de le publier pour le bien et propagation de ce saint Institut toutes les fois que l’occasion s’en présentera, etc…

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