Ce que M. Vincent a fait pour le bien de ce royaume et pour le service du Roi, pendant les troubles qui commencèrent l’année 1652
Pour remédier efficacement à quelque mal, ce n’est pas assez d’en empêcher les effets, il faut si l’on peut en faire cesser la cause. Toutes les assistances charitables que M. Vincent procurait aux pauvres pendant la guerre, pouvaient bien les soulager d’une partie des misères que ce fléau leur faisait ressentir; mais pour les en délivrer entièrement, et pour faire cesser les autres désordres épouvantables, et les péchés énormes qui se commettaient de tous côtés pendant ce temps de trouble et de division, ce grand serviteur de Dieu qui en était vivement touché, et qui avait autant de prudence que de zèle, voyait bien que tout ce qu’on ferait aurait peu de succès, si l’on n’apportait le remède à la racine du mal, et si on n’en faisait cesser la cause qui était la division et la guerre, en rétablissant une paix assurée, par l’entière soumission, et obéissance que les sujets doivent à leur souverain: l’union et la juste correspondance des membres avec leur chef, étant établies de Dieu aussi bien dans le corps politique comme dans le naturel, pour y maintenir l’ordre, et par conséquent pour y mettre la paix, qui n’est autre chose, comme dit saint Augustin, que la tranquillité de l’ordre .
M. Vincent donc voyant que le feu de la guerre allait s’allumant de jour en jour en la plupart des provinces de ce royaume, et prévoyant les grands désastres et pour l’état, et pour la religion qui en arriveraient, si ce mal continuai; il se résolut de s’employer, autant qu’il serait en lui, pour y remédier et pour l’éteindre. La première et principale chose qu’il fit pour ce sujet, ce fut de recourir en Dieu, et d’inviter toutes les personnes vertueuses et bien intentionnées qu’il connaissait à faire de même, par prières, aumônes, jeunes, et autres œuvres de pénitence, pour apaiser sa justice, réparer les offenses commises contre sa Majesté, fléchir sa miséricorde, et obtenir la paix. Il établit pour cet effet en la maison de Saint-Lazare, que tous les jours trois Missionnaires jeûneraient à cette intention, un prêtre, un clerc, et un frère: que le prêtre célébrerait la messe ce jour-là, et que les deux autres communieraient pour la même intention; et lui-même ne manquait pas de s’acquitter exactement de ce devoir à son tour, quoiqu’il fût plus que septuagénaire.
Et une fois entre les autres, étant extraordinairement touché des misères que le fléau des guerres causait non seulement en France, mais aussi en plusieurs autres royaumes chrétiens, au sortir de l’oraison mentale, dont le sujet était de l’utilité des souffrances, il parla à toute sa communauté en ces termes
« Je renouvelle la recommandation que j’ai tant de fois faite, et qu’on ne saurait assez faire, de prier Dieu pour la paix, afin qu’il plaise à Dieu réunir les cœurs des princes chrétiens. Hélas ! nous voyons la guerre de tous côtés, et en tous lieux: guerre en France, guerre en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Suède, en Pologne attaquée par trois endroits, en Hibernie dont les pauvres habitants sont transportés de leurs pays en des lieux stériles, en des montagnes et des rochers presque inaccessibles, et inhabitables: l’Écosse n’est guère mieux; pour l’Angleterre on sait l’état déplorable où elle est; guerre enfin par tous les royaumes, et misère partout. En France tant de personnes qui sont dans la souffrance O Sauveur ! ô Sauveur ! combien y en a-t-il ? Si pour quatre mois que nous avons eu ici la guerre, nous avons vu tant de misères au cœur de la France où les vivres abondent de toutes parts, que peuvent faire ces pauvres gens des frontières, qui sont exposés à toutes ces misères, et qui ressentent ces fléaux depuis vingt ans ? S’ils ont semé, ils ne savent s’ils pourront recueillir: les armées viennent qui moissonnent, pillent, et enlèvent tout; et ce que le soldat n’a pas pris, les sergents le prennent et l’emportent; après cela, que faire ? Il faut mourir. S’il y a des vraies vertus, c’est particulièrement parmi ces pauvres gens qu’elles se trouvent. Ils ont une vive foi, ils croient simplement; ils sont soumis aux ordres de Dieu; ils ont patience dans l’extrémité de leurs maux; ils souffrent tout ce qu’il plaît à Dieu, et autant qu’il plaît à Dieu, tantôt par les violences de la guerre, et puis par l’âpreté du travail; ils sont tous les jours dans les fatigues, exposés tantôt aux ardeurs du soleil et tantôt aux autres injures de l’air; ces pauvres laboureurs et vignerons qui ne vivent qu’à la sueur de leurs fronts, nous donnent leurs travaux, et ils s’attendent aussi qu’au moins nous prierons Dieu pour eux. Hélas ! mes frères, tandis qu’ils se fatiguent ainsi pour nous nourrir, nous cherchons l’ombre, et nous prenons du repos ! Dans les missions même où nous travaillons, nous sommes au moins à l’abri des injures de l’air dans les églises, et non pas exposés aux vents, aux pluies, et aux rigueurs des saisons. Certes vivant ainsi de la sueur de ces pauvres gens et du patrimoine de Jésus-Christ, nous devrions toujours penser quand nous allons au réfectoire, si nous avons bien gagné la nourriture que nous y allons prendre. Pour moi, j’ai souvent cette pensée qui me donne bien de la confusion, et je me dis à moi-même; Misérable as-tu, gagné le pain que tu vas manger ? le pain qui te vient du travail des pauvres ? Au moins, mes frères, si nous ne le gagnons pas comme ils le font, prions Dieu pour eux; et qu’il ne se passe aucun jour que nous ne les offrions à Notre-Seigneur, afin qu’il lui plaise leur donner la grâce de faire un bon usage de leurs souffrances. Nous disions ces jours passés, que Dieu s’attend particulièrement aux prêtres pour arrêter le cours de son indignation; il s’attend qu’ils feront comme Aaron, et qu’ils se mettront l’encensoir en main entre lui et ses pauvres gens; ou bien qu’ils se rendront entremetteurs comme Moïse pour obtenir la cessation des maux qu’ils souffrent pour leur ignorance, et pour leurs péchés, et que peut-être ils ne souffriraient pas s’ils avaient été instruits, et si on avait travaillé à leur conversion. C’est donc à ces pauvres, auxquels nous-devons rendre ces offices de charité; tant pour satisfaire au devoir de notre caractère que pour leur rendre quelque sorte de reconnaissance pour les biens que nous recevons de leurs labeurs. Tandis qu’ils souffrent, et qu’ils combattent contre la nécessité, et contre toutes les misères qui les attaquent, il faut que nous fassions comme Moïse, et qu’à son exemple nous levions continuellement les mains au Ciel pour eux; et s’ils souffrent pour leurs péchés et pour leurs ignorances, nous devons être leurs intercesseurs envers la divine miséricorde, et la charité nous oblige de leur tendre les mains pour les en retirer; et si nous ne nous employons même aux dépens de nos vies, pour les instruire et pour les aider à se convertir parfaitement à Dieu, nous sommes en quelque façon les causes de tous les maux qu’ils endurent.»
Voilà comme M. Vincent excitait les siens à prier, à travailler et à souffrir pour bannir l’ignorance et les péchés des peuples, comme étant les principales causes de tous les fléaux qu’ils ressentaient, et pour obtenir de la bonté de Dieu une paix véritable et assurée, qui était le plus souverain remède de tous les désordres qu’on voyait alors. Il ne se pouvait lasser de recommander aux siens de persévérer à demander à Dieu cette paix par leurs prières; et ayant coutume de réciter tous les matins publiquement dans l’église de Saint-Lazare, avec ceux de sa maison les litanies du sacré nom de Jésus, quand il venait à ces paroles, Jesu Deus pacis, il les prononçait d’un ton plus grave et plus dévot, et les répétait toujours par deux fois: outre cela il faisait en toutes occasions la même recommandation à toutes les personnes vertueuses qu’il connaissait, les exhortant d’offrir à Dieu des prières, et faire des aumônes, des pélerinages, des jeûnes, des mortifications et actions de pénitence, pour tâcher d’obtenir de Dieu cette paix si nécessaire, et si désirée. Voici ce qu’en a témoigné un très vertueux ecclésiastique des plus anciens de la Conférence de Saint-Lazare .
« Si sa charité (dit-il, parlant de M. Vincent) a été grande pour le secours et pour le soulagement des pauvres ruinés par les guerres, son zèle n’a pas été moindre pour en faire cesser la cause: Pendant que les dames de la Charité et autres personnes vertueuses s’employaient à recueillir les aumônes et contributions nécessaires pour le soutien des provinces désolées, nous savons avec quelle ardeur et quelle tendresse de cœur il leur recommandait de joindre à ces œuvres de miséricorde, les vœux, les prières, les jeûnes, les mortifications et autres exercices de pénitence, les dévotions, les pèlerinages à Notre-Dame, à sainte Geneviève et autres saints tutélaires de Paris et de la France, les confessions et communions fréquentes, les messes, et sacrifices pour essayer de fléchir la miséricorde de Dieu, et d’apaiser sa colère. Nous savons ce qu’ont fait par ses avis plusieurs bonnes âmes durant plusieurs années pour cela; combien de dames fort délicates ont fait de très rudes austérités en leurs corps, qui n’y ont pas épargné les haires, disciplines, et autres macérations, pour les joindre aux siennes propres, et à celles de sa Compagnie, afin d’obtenir cette paix tant désirée, dont nous jouissons maintenant. Qui pourrait exprimer sa douleur sur les désordres des armées ? Combien il était sensiblement et vivement touché des violences qui se commettaient en tous lieux, et contre toutes sortes de personnes? des sacrilèges et des profanations du très Saint-Sacrement et des églises; et de tous les autres désordres causés par les gens de guerre ! Combien de fois a-t-il dit, parlant aux ecclésiastiques, Ah Messieurs ! si notre maître est près de recevoir cinquante coups de bâton, tâchons d’en diminuer le nombre, et de lui en épargner quelques uns Faisons quelque chose pour réparer ces outrages: qu’il y ait du moins quelqu’un qui le console dans ses persécutions et ses souffrances.»
Outre ces prières, et exercices de pénitence, M. Vincent crut qu’il était de son devoir de s’employer autant qu’il pourrait envers ceux qui avaient quelque crédit, pour les porter à procurer la paix, et à faire en sorte que l’autorité du roi fût reconnue de tous ses sujets, et qu’on lui rendît en tous lieux de son royaume une entière et parfaite soumission, ce qui était l’unique moyen de faire cesser les guerres civiles et les divisions intestines. Et quoiqu’il se fût toujours abstenu des affaires publiques, soit par humilité s’en jugeant incapable, soit aussi par une prudence chrétienne, pour ne se détourner de ses autres emplois qui concernaient le service de Dieu, et le bien spirituel des âmes: néanmoins voyant la France menacée de sa dernière ruine si ces guerres intestines duraient encore quelque temps, et connaissant bien que l’amour de la patrie est un devoir de charité et que le service qu’on rend au roi fait une partie de celui qu’on doit à Dieu; il prit résolution de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour secourir sa patrie, et pour servir son prince, dans une occasion si pressante et si importante .
Les premiers auxquels il crut devoir s’adresser pour cet effet, furent MM. les évêques, plusieurs desquels ayant quelque créance en lui, il s’en servit fort à propos pour les exhorter et encourager de résider en leurs diocèses pendant ces troubles; afin que par leur présence et par leur autorité ils pussent contenir les peuples en leur devoir, et s’opposer aux desseins de ceux qui les voulaient soustraire de l’obéissance du roi Il écrivit diverses lettres sur ce sujet à plusieurs de ces prélats, aux uns pour les congratuler d’avoir empêché que les villes de leurs diocèses n’eussent reçu ni favorisé le parti contraire, aux autres pour les dissuader de venir à la cour se plaindre des dommages qu’ils souffraient par les armées, ne jugeant pas que le temps y fût propre pour lors; mais les exhortant plutôt de demeurer dans leurs diocèses pour y consoler leurs peuples, et pour y rendre tous les services qu’ils pourraient au roi, qui saurait bien un jour les reconnaître, et réparer tous ces dommages. Nous rapporterons ici seulement les extraits de deux ou trois de ces lettres; en l’une qui s’adressait à feu M. l’évêque de Dax du diocèse duquel il était originaire, il parle en ces termes:
« J’avoue, Monseigneur, que j’aurais une grande joie de vous voir à Paris, mais j’aurais un égal regret que vous y vinssiez inutilement, ne croyant pas que votre présence ici dût avoir aucun bon succès en ce temps misérable, auquel le mal dont vous avez à vous plaindre, est quasi universel dans tout le royaume: partout où les armées ont passé, elles y ont commis les sacrilèges, les vols, et les impiétés que votre diocèse a soufferts: et non seulement dans la Guienne et le Périgord, mais aussi en Saintonge, Poitou, Bourgogne, Champagne, Picardie, et en beaucoup d’autres, et même aux environs de Paris: et généralement partout les ecclésiastiques aussi bien que le peuple sont fort affligés et dépourvus: en sorte que de Paris on leur envoie dans les provinces plus proches du linge et des habits pour les couvrir, et quelques aumônes pour les aider à vivre: autrement il en demeurerait fort peu pour administrer les sacrements aux malades. De s’adresser à messieurs du Clergé pour la diminution des décimes, ils disent que la plupart des diocèses demandant la même chose, et que tous se ressentant de l’affliction de la guerre, ils ne savent sur qui rejeter cette diminution. C’est un fléau général, dont il plaît à Dieu exercer ce royaume: Et ainsi, Monseigneur, nous ne saurions mieux faire que de nous soumettre à sa justice, en attendant que sa miséricorde remédie à tant de misères. Si vous êtes député pour l’Assemblée générale de 1655, ce sera alors que vous pourrez plus justement prétendre quelque soulagement pour votre clergé. Il sera cependant consolé de jouir de votre chère présence de delà, où elle fait tant de bien, même pour le service du roi. »
Cette lettre marque, d’une part, l’état déplorable où la France était réduite, et l’assistance qu’on donnait aux ecclésiastiques ruinés, afin que le service de Dieu ne demeurât pas abandonné, pendant que le diable s’efforçait de le détruire: et d’autre part elle fait voir comme M. Vincent détournait prudemment ce bon prélat du dessein qu’il avait de venir à Paris, pour l’obliger à demeurer en son diocèse, où il pouvait plus avantageusement s’employer pour le bien de son Église et pour le service du roi.
Il y a une autre lettre qu’il écrivit à M. Jacques Raoul, évêque de la Rochelle, sur le même sujet, où il lui parle en ces termes:
« J’ai reçu comme une bénédiction de Dieu la lettre dont vous m’avez honoré: elle m’a fort consolé dans les afflictions communes de ce pays. Si celles qui ont menacé votre diocèse ne l’ont pas tant incommodé, je crois qu’après Dieu il en a l’obligation à vos sages conduites qui ont détourné l’orage en servant le roi: et c’est de quoi je rends grâce à Dieu, aussi bien que de tant d’autres biens que vous faites en dedans et dehors votre ville, par lesquels les peuples sont maintenus en leur devoir envers Dieu, envers l’Église, et envers leur prince. Les hérétiques mêmes qui voient cela, voient aussi l’excellence de notre sainte religion, l’importance et la grâce de la prélature, et ce qu’elle peut quand elle est saintement administrée, comme elle l’est par votre sacrée personne. Je prie Dieu, Monseigneur, qu’il nous donne quantité de prélats semblables à vous, qui travaillent à l’avancement spirituel et temporel du peuple, etc. »
C’était une pratique assez ordinaire à M. Vincent, quand il écrivait ou parlait aux personnes constituées en dignité, de les porter aux actions dignes de leur état, plutôt par manière de congratulation que d’exhortation: ce qu’il faisait, et pour témoigner le respect qu’il leur portait, et aussi pour s’insinuer plus efficacement et plus doucement dans leur esprit.
Voici un extrait d’une troisième lettre qu’il écrivit à un autre prélat encore vivant, qui exprime mieux que les deux précédentes l’affection de ce grand serviteur de Dieu pour le service du roi, et la prudence avec laquelle il l’inspirait aux personnes de cette qualité.
« Je suis bien marri, Monseigneur, lui dit-il, de ce que le malheur du temps vous prive des fruits de votre abbaye: je me trouve bien empêché de vous dire mon sentiment là-dessus, tant parce que je ne suis pas en lieux de vous servir, qu’à cause des brouilleries du royaume: néanmoins, Monseigneur, il me semble que l’état présent des affaires vous doit divertir du voyage de la cour jusqu’à ce que les choses soient un peu éclaircies. Plusieurs de nosseigneurs les évêques se trouvent en la même peine. M. de N. n’a pas seulement perdu tout son revenu courant, mais encore toutes les provisions qu’il avait faites pour longtemps: Et bien qu’il soit en grande réputation à la cour, et cela avec sujet; toutefois ayant fait un voyage ici pensant se réparer, il n’y a pas eu satisfaction. M. de N.qui a tenu ferme en son diocèse, a fait revenir la ville sous l’obéissance du roi, lorsque dans les premiers mouvements elle s’était déclarée pour le parti contraire; de quoi il a reçu de grandes louanges à la cour, et s’est ouvert la voie à une reconnaissance. Et quoique vous n’ayez pas occasion de rendre un pareil service à Sa Majesté, votre présence néanmoins peut notablement aider à contenir la province, étant estimé et considéré au point que vous êtes. C’est une chose qui est maintenant fort à désirer et qui sera aussi fort bien remarquée. Je vous supplie très humblement d’agréer ma simplicité,et les offres de mon obéissance, etc ».
M. Vincent écrivit plusieurs autres semblables lettres à divers prélats sur le même sujet.
Après cela se ressouvenant que saint Bernard et plusieurs autres saints personnages qui menaient une vie encore plus retirée que lui, avaient néanmoins quitté leurs solitudes, et leurs retraites, pour venir à la cour des empereurs et des princes, quand il était question de pacifier les divisions et les troubles, et de procurer la paix et la tranquillité publique, il crut les devoir imiter. Fermant les yeux à toutes les raisons humaines qui l’en pouvaient détourner, et préférant le service du roi et le bien de la France à toute considération de propre intérêt, il se résolut de s’entremettre et de faire tous ses efforts pour procurer la réunion des princes avec Sa Majesté. On n’a pas su en particulier tout ce qu’il fit pour réussir dans ce dessein, parce qu’il l’a tenu fort secret; mais il est certain qu’il alla plusieurs fois à la cour, et vers MM. les princes, auxquels il parla en diverses rencontres par ordre de Sa Majesté, et lui rapporta leurs réponses. On a trouvé après sa mort la minute de la lettre suivante écrite de sa main sur ce sujet à M. le Cardinal Mazarin, pendant que la cour était à Saint-Denis où l’on peut voir quelque chose de cette entreprise.
« Je supplie très humblement Votre Éminence de me pardonner de ce que je m’en revins hier au soir, sans avoir eu l’honneur de recevoir ses commandements: je fus contraint à cela, parce que je me trouvai mal. Monsieur le duc d’Orléans vient de me mander qu’il m’enverra aujourd’hui M. d’Ornano pour me faire réponse, laquelle il a désiré concerter avec M. le Prince . Je dis hier à la Reine l’entretien que j’avais eu l’honneur d’avoir avec tous les deux séparément, qui fut bien respectueux et gracieux. J’ai dit à Son Altesse royale, que si l’on rétablissait le roi dans son autorité, et que l’on donnât un arrêt de justification, que Votre Éminence donnerait la satisfaction que l’on désire; que difficilement pouvait-on accommoder cette grande affaire par des députés; et qu’il fallait des personnes de réciproque confiance, qui traitassent les choses de gré à gré. Il me témoigna de parole et de geste que cela lui revenait, et me répondit qu’il en conférerait avec son conseil. Demain au matin j’espère être en état d’aller porter sa réponse à Votre Eminence, Dieu aidant. »
On n’a pas trouvé dans les papiers de M. Vincent quelle fut la suite de ces entremises qu’il tenait, comme nous avons dit, fort secrètes; mais le succès a fait voir que Dieu y avait donné bénédiction, puisque peu de temps après, cet accommodement si important se traita et s’accomplit.
Les troubles du royaume étant ainsi terminés au dedans par la divine miséricorde; M Vincent ne laissa pas de faire toujours continuer en sa maison de Saint-Lazare les prières, les messes, les communions, les jeûnes, et autres exercices de pénitence, qu’il y avait établis. Et comme on voulut lui persuader de les faire cesser, attendu que ces pratiques de pénitence étaient beaucoup à charge à la communauté, et que les divisions publiques et guerres civiles pour lesquelles on les faisait étaient finies: il répondit; non, non, il n’en faut pas demeurer là, il les faut continuer pour demander à Dieu la paix générale. Et en effet elles furent toujours continuées jusqu’au temps que cette paix tant désirée fut enfin heureusement conclue en l’année 1660. C’est-à-dire huit ans après que ces pratiques de pénitence furent commencées, et six ou sept mois avant son décès; Dieu lui ayant voulu donner avant sa mort la consolation de voir le fruit de ses prières, de ses jeûnes et de sa persévérance .