La vie de Saint Vincent de Paul, instituteur de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité (036)

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

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Author: Pierre Collet, cm · Year of first publication: 1748.
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Livre Second

21. Il l’emploie à la visite des Çonfrairies de la Charité ; succès do Ces visites ; événement qui tient du miracle

colletMademoiselle le Gras partageait son temps entre l’exercice de la prière, et celui de la charité : elle donnait au soulegement de l’indigence tout le temps qu’elle ne donnait pas à la méditation, et aux autres devoirs semblables, qui regardent Dieu plus immédiatement que le prochain. Mais son zèle redoubla à la vue d’un directeur, qui ne savait pas se ménager, quand il était question d’être utile à ses frères. A son exemple, elle conçut le dessein de consacrer sa vie au service des pauvres, et de coopérer de tout son pouvoir à l’exécution des grands projets, que le saint prêtre formait tous les jours en faveur des misérables. Vincent, à qui elle communiqua la résolution, et qui était en garde contre les démarches précipitées, voulut l’éprouver, et l’épreuve dura près de quatre ans. Il lui prescrivit pendant ce temps de consulter Dieu dans la retraite, et de puiser fréquemment dans la réception du Corps et du Sang de J.C. l’esprit de lumière et de force dont elle avait besoin

Ce délai, qui, comme l’a remarqué M. Gobillon dans son Histoire de Mademoiselle le Gras, fut pour elle une espèce de Noviciat, ne servit qu’à l’affermir dans son premier dessein. L’activité, avec laquelle elle embrassa pendant cet intervalle, toutes les occasions de charité, qui se présentèrent à elle, fit enfin connaître à son directeur, qu’il était temps de la mettre en oeuvre ; et qu’ayant toutes les vertus, que S. Paul demande dans les veuves, la charité n’avait point de ministère, quelque difficile, quelque rebutant qu’il pût être, dont cette jeune femme forte ne fût capable. Il lui proposa donc en 1629 d’entreprendre la visite d’une partie des endroits, où les Assemblées de charité avaient été établies ; pour honorer, autant qu’il se pourrait faire, les voyages, que la charité du Fils de Dieu lui a fait entreprendre, et participer aux peines, aux lassitudes et aux contradictions que ce divin Sauveur y a essuyées.

La pieuse veuve obéit à la voix du saint, comme elle eut obéi à celle de Dieu même. Comme les voyages portent naturellement à la dissipation, et qu’ils ne sanctifient pas toujours ceux qui les font même par de bons motifs, le sage directeur prit des mesures si justes, que les courses de Mademoiselle le Gras contribuèrent toujours à la rendre plus recueillie et plus fervente. Dans ses voyages elle était toujours accompagnée de quelques dames de piété. Les voitures les plus incommodes étaient préférées aux autres. On devait vivre et être couché fort pauvrement, pour prendre plus de part à la misère des pauvres. Les exercices de piété se faisaient en campagne aussi régulièrement qu’à la maison. Le jour du départ on communiait, pour recevoir par la présence de J.C. une communication plus abondante de sa charité, et un gage plus assuré de sa protection. Dans le cours des voyages on élevait souvent les yeux vers les saintes montagnes, pour en faire descendre les secours nécessaires. Avec de telles précautions, on marche longtemps sans souffrir de diminution. Aussi, loin d’en appercevoir jamais aucune dans Mademoisellle le Gras, on la vit toujours revenir à Paris plus vertueuse qu’elle n’en était sortie.

Elle s’appliqua pendant plusieurs années à ces exercices de charité : elle parcourut avec beaucoup de fruit les diocèses de Soissons, de Paris, de Beauvais, de Meaux, de Senlis, de Chartres, et de Châlons en Champagne. Lorsqu’elle était arrivée dans un Village, elle assemblait les femmes qui composaient l’Association de la Charité ; elle leur donnait les instructions dont elles avaient besoin pour se bien acquitter de cet emploi ; elle leur en faisait sentir la grandeur et le prix devant Dieu. Quand elles étaient trop peu pour en porter la charge, elle multipliait leur nombre ; elle leur apprenait par son exemple à servir les malades les plus désespérés ; elle rétablissait par ses aumônes leurs petits fonds, qui souvent étaient bien épuisés ; et pour les mettre en état de continuer plus aisément, ce qu’elles avaient si bien commencé, elle leur distribuait à ses frais le linge, et les drogues nécessaires au soulagement et à la santé des pauvres.

Comme son directeur avait beaucoup moins en vue le rétablissement des forces du corps, que le salut de l’âme ; Mademoiselle le Gras exacte à suivre toutes ses intentions, ne travaillait à l’un que pour arriver à l’autre. Aussi ne se bornait elle pas à appaiser les douleurs, ou la faim du malade et de l’indigent. Elle plantait le Royaume de Dieu dans le coeur de jeunes personnes de son sexe. Avec l’agrément des Curés, sans lequel il lui était défendu de rien entreprendre, elle rassemblait dans quelque maison commode les filles qui n’étaient pas assez instruites ; elle les catéchisait, et leur enseignait les devoirs de la vie chrétienne. S’il y avait une maîtresse d’école, elle lui apprenait, presque sans qu’il y parût, à bien faire son office ; s’il n’y en avait pas, elle tâchait d’en mettre une, qui eût les dispositions nécessaires pour ce saint emploi ; et pour la dresser, elle commençait elle-même à donner les premières leçons.

Des entreprises si saintes,et qui auraient fait honneur aux Paules et aux Fabioles, furent souvent traversées ; mais elles furent plus souvent et plus universellement applaudies. On a vu des villes entières, s’empresser à témoigner leur reconnaissance, et leur respect pour une femme si accomplie, lui donner mille bénédictions, ne la voir partir qu’avec douleur, la suivre bien loin lorsqu’elle s’en retournait. Dieu même parut vouloir justifier l’estime, que les hommes faisaient de sa Servante. Un jour qu’elle sortait de Beauvais, où l’on avait établi dix-huit confréries de la Charité, comme une foule de peuple désespérer de la perdre si tôt, la suivait avec empressement, un enfant tomba si près d’une espèce de cariole, qui lui servait de voiture ordinaire, qu’une des roues lui passa au milieu du corps. Ce fâcheux accident, qui fit jetter un grand cri à tous ceux qui en furent témoins, la toucha sensiblement. Elle se recueillit un moment, et fit quelques prières ; à l’instant même l’enfant se releva sans aucune blessure, et il marcha avec une entière liberté. je ne décide point sur la nature de cet évènement : qu’il tienne, ou non, du prodige, Mademoiselle le Gras n’en aura pas moins de mérite ; puisqu’au jugement de S. Chrysostome , l’exercice d’une charité qui ne s’est jamais rebutée, vaut mieux que le don des miracles, et que l’on doit moins admirer S. Paul, quand il ressuscite les morts, que quand il est faible avec les faibles, et infirme avec les malades. C’est donc la charité de notre illustre veuve, qui doit faire et son éloge, et celui du S. prêtre, qui dirigea tous ses pas.

Pour la précautionner contre les plus faibles impressions de l’orgueil, qu’une estime générale aurait pû enfanter, Vincent lui donna pour règle de conduite dans les honneurs qui lui seraient rendus, d’élever son coeur à J.C. rassasié d’opprobres, de s’unir aux mauvais traitements, que l’homme-Dieu a soufferts ; de n’oublier pas qu’un coeur vraiment humble ne l’est pas moins dans l’applaudissement, que dans le mépris ; et que, comme l’abeille, il fait son miel de la rosée qui tombe sur l’absynthe, aussi bien que de celle qui tombe sur les roses.

Comme les travaux continuels de Mademoiselle le Gras avaient déja plus d’une fois exposé sa santé, et que ni sa complexion, qui était fort délicate, ni son tempérament, qui était sujet à beaucoup d’infirmités, ne l’empêchaient pas de se livrer aux plus durs exercices de la charité, Vincent lui donna à ce sujet des avis, ausquels un directeur qui se trouvait dans de semblables conjonctures, ne peut faire trop d’attention. Il l’exhorta à se ménager pour l’amour de Notre-Seigneur, et des pauvres qui sont ses membres, il l’avertit de se donner bien de garde d’en vouloir trop faire ; il lui dit en propres termes, qu’une des ruses, dont le démon se sert avec plus de succès, pour tromper ceux qui aiment Dieu, c’est de les porter à faire plus qu’ils ne peuvent, afin qu’ils se mettent bientôt hors d’état de faire ce qu’ils auraient pu ; au lieu, ajoutait-il, que l’Esprit de Dieu engage avec douceur à faire raisonnablement le bien que l’on peut faire, afin qu’on le fasse avec persévérance.

Cependant comme les personnes qui sont toutes à Dieu, comptent pour rien ce qu’elles font pour son service, le saint prêtre fut obligé plus d’une fois d’arrêter le zèle de sa pénitente. Et en effet, lorsqu’elle était de retour à Paris, on eût dit, à voir l’empressement, avec lequel elle se portait à toute sorte de bien, qu’elle avait passé le reste du temps sans rien faire, et qu’elle voulait réparer sa perte. Elle s’appliquait surtout à enflammer du beau feu, dont elle était consumée, celles de ses amis qu’elle en trouvait susceptibles. c’est par ce moyen qu’ayant réuni cinq ou six dames de la paroisse, qui était celle de S. Nicolas du Chardonnet, elle leur apprit à servir les pauvres malades. Vincent, qu’elle consulta sur ce dessein, comme elle le consultait sur tous les autres, lui recommanda de suivre le règlement, qu’il avait dressé pour les Confréries de la Charité ; et d’y joindre les avis, qu’il y avait lui-même ajoutés l’année précédente, lorqu’à la prière du curé de S. Sauveur, il l’avait pour la première fois établie dans la capitale du Royaume.

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