Livre Second
13. Premiers Compagnons de Vincent de Paul. Son Institut approuvé par M. l’Archevêque de Paris ; le Roi y met le sceau de son autorité
Lorsque le serviteur de Dieu se retira au Collège des Bons-enfants, il y fut suivi par M. Antoine Portail, prêtre du diocèse d’Arles, qui depuis près de quinze ans était son Disciple déclaré. Ce premier Compagnon de Vincent n’eut pas plutôt goûté la pureté et l’élévation de ses maximes, qu’il s’attacha à lui, et la mort seule fut capable de l’en séparer. Il avait beaucoup de rapport avec son Père spirituel, et il l’imitait principalement dans son humilité. Il fit de si grand progrès dans cette vertu, que, quoiqu’il eût beaucoup de mérite, qu’il eût fait de fort bonnes études en Sorbonne, et qu’il écrivît parfaitement bien, il ne cherchait qu’à être inconnu, ou méprisé.
Comme il était impossible que nos deux prêtres soutinssent longtemps la fatigue des missions, et qu’ils pussent contenter la dévotion des peuples, ils en prièrent un troisième de se joindre à eux, au moins pour un temps ; c’est à dire, jusqu’à ce que la providence leur eût envoyé quelqu’un, qui voulût embrasser pour toujours leur Institut. Ils allaient tous trois de village en village, catéchiser, exhorter, confesser, et faire les autres exercices de la mission. Ils le faisaient avec simplicité, humilité, et une charité, qui leur gagnait les coeurs. Non seulement ils ne demandaient rien à personne, mais ils avaient grand soin de ne rien recevoir de qui que ce fût. Ils ont toujours suivi cette maxime ; et on ne permettra jamais à leurs successeurs de s’en écarter. Ils commençaient d’abord par faire la mission dans les lieux, pour lesquels elle était fondée ; ils la faisaient ensuite dans d’autres paroisses, et particulièrement en celles du diocèse de Paris. Ils portaient assez souvent eux-mêmes leur petit équipage, comme les premiers Apôtres ; et parce qu’ils n’avaient pas le moyen d’entretenir des serviteurs, qui gardassent le Collège pendant leur absence, ils en laissaient les clefs à quelque-un des voisins.
De si faibles commencements n’annonçaient pas le progrès, qui les a suivis. Aussi Vincent, qui en jugeait mieux que tout autre, n’en parlait plus de vingt ans après, que dans des termes, qui marquaient également et sa surprise, et sa reconnaissance. Nous allions, disait-il une fois dans une conférence faite à S. Lazare ; nous allions tout bonnement et simplement, à l’exemple du Fils de Dieu, évangéliser les pauvres, dans les lieux où Nosseigneurs les évêques nous envoyaient. Voilà ce que nous faisions, et Dieu faisait de son côté ce qu’il avait prévu de toute éternité. Il donna quelque bénédiction à nos travaux. De bons ecclésiastiques, qui en furent témoins, se joignirent à nous en différents temps, et demandèrent à nous être associés. C’était par-là que Dieu voulait donner naissance à la Compagnie. O Sauveur! qui jamais eût pû croire, que cela fût venu en l’état, où nous le voyons à présent ? Hé bien! continuait-il, appellerez-vous humain, ce à quoi nul homme n’avait jamais pensé ? car ni moi, ni le pauvre M. Portail n’y pensions pas, nous en étions bien éloignés.
M. l’Archevêque de Paris, qui se faisait un vrai plaisir de donner à Vincent de Paul des marques de son estime, confirma son Institut le 24 d’Avril de l’année suivante ; et il l’approuva autentiquement sous les clauses et les conditions portées par le Contract de Fondation. Quelques mois après Messieurs François du Coudray, et Jean de la Salle, tous deux originaires de Picardie, vinrent s’offrir au serviteur de Dieu, pour vivre et pour travailler sous sa conduite. Il reçut avec bien de la joie ces deux excellents prêtres ; et, pour s’engager envers eux, comme il s’engageaient envers lui, il se les associa par un Acte passé le 4 de Septembre, par devant deux Notaires du Châtelet.
Un si petit nombre de ministres Evangéliques, était bien peu proportionné à l’étendue des besoins spirituels des peuples de la campagne. La moisson était abondante, on demanda de nouveaux ouvriers au Père de famille. La providence, qui avait fait naître la Congrégation, se chargea de la multiplier. Quatre nouveaux prêtres s’offrirent à Vincent, pour partager avec lui ses travaux. Leurs noms étaient Jean Bécu du Village de Brache d’Amiens ; Antoine Lucas de la ville de Paris ; Jean Brunet de Riom en Auvergne, au diocèse de Clermont ; et Jean d’Horgny du Village d’Estrée, au diocèse de Noyon. Ces sept prêtres, ausquels Dieu communiqua une partie de l’Esprit Sacerdotal, dont Vincent paraissait de jour en jour plus rempli, furent comme les sept colomnes, sur lesquelles Dieu voulut établir le nouvel Edifice. Ils étaient presque tous ou Docteurs en Théologie, ou Elèves de l’Ecole de Sorbonne ; mais quoique le saint Instituteur estimât beaucoup leurs talents, il estima bien plus leur humilité, et leur zèle pour le salut des âmes.
Louis XIII à qui M. le Général des Galères rendit compte de ces heureux commencements, confirma le contrat de Fondation. Il autorisa par ses lettres Patentes du mois de Mai de l’année 1627 l’Association des prêtres de la Mission ; il leur permit de s’établir en tels lieux de son Royaume, que bon leur semblait, et de recevoir tous Legs, aumônes, et autres dons qui pourraient leur être faits.
Un établissement, qui commençait à porter le sçeau de l’autorité publique, déplut à plusieurs prêtres, et vraisemblablement, à ceux qui n’ont ni assez de force pour faire le bien, ni assez de grandeur d’âme pour le voir faire aux autres. Vincent ne crut pas, pour leur plaire, devoir abandonner une entreprise, qui s’était presque exécutée sans sa participation. La voix publique le soûtint. Les plus sages Magistrats l’appuyèrent, et le Parlement de Paris vérifia en 1631 les lettres Patentes, qui lui avaient été accordées par le Roi.
Urbain VIII charmé, que, sous son Pontificat, les brebis les plus négligées du troupeau de J.C. trouvassent des Pasteurs fidèles et désintéressés, dont la première occupation devait être de les conduire dans de bons pâturages, érigea l’année suivante en Congrégation, la Compagnie qui s’était associée à notre S. prêtre. Sa Bulle est du 12 de Janvier 1632. Elle met Vincent à la tête de tous ceux qui doivent travailler avec lui, et elle lui donne le pouvoir de dresser des Règlements pour le bon ordre de sa Congrégation. Ceux qui y sont déjà, ou qui y entreront dans la suite, doivent porter le nom de prêtres de la Mission ; et ce nom leur est tellement affecté par le S. Siège, que c’est par-là que le Souverain Pontife prétend les distinguer de ceux mêmes des autres ministres de la parole, qui s’appliquent aux missions. Ainsi les missionnaires, et les enfants de Vincent de Paul, seront dans la suite de cet Ouvrage, des termes synonymes ; c’est de quoi nous avons cru devoir avertir le Lecteur, pour ôter toute équivoque.