La vie de Saint Vincent de Paul, instituteur de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité (026)

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

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Author: Pierre Collet, cm · Year of first publication: 1748.
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Livre Second

11. Mort de la Générale des Galères ; son éloge. Vincent va en Provence pour consoler M. de Gondi ; il sort de sa Maison, et se retire au Collège des Bons-Enfans

colletQuelque temps après que ce Contrat eût été passé, M. de Gondi s’en alla en Provence, où de nouveaux mouvements de la part des rebelles demandaient sa présence. Vincent l’y suivit plutôt qu’il n’aurait crû, pour lui porter la plus fâcheuse nouvelle, qu’il eût reçue jusqu’alors. La Comtesse de Joigni était encore dans la fleur de l’âge, mais elle était déja un fruit mûr pour le Ciel. Il n’y avait pas deux mois que l’affaire de la Fondation de la Mission était consommée, lorsqu’elle tomba malade. le mal parut dangereux presqu’aussitôt qu’il se déclara. La délicatesse de la complexion de la pieuse Générale, ses infirmités précédentes, les mouvements qu’elle s’était donnés, pour établir le Royaume de Dieu et sa justice dans toutes ses Terres, firent juger qu’elle aurait peine à tenir contre la violence de la maladie qui l’attaquait. Elle le sentit elle-même, mais elle le sentit en femme solidement chrétienne. Plus forte, plus attentive, à mesure que son corps s’affaiblissait, elle mit à profit tous les instants qui lui restaient. Animée par son directeur, qu’elle s’était principalement ménagé pour ces derniers moments, elle attendit avec cette sorte d’impatience, qui ne convient qu’aux Elus, le coup qui la devait immoler. Il ne tarda pas longtemps ; et pendant que sa famille abîmée dans la douleur, pleurait à haut cris la perte qu’elle allait faire, la pieuse Général ferma les yeux aux grandeurs du siècle, qui ne l’avait jamais éblouie, pour ne les ouvrir qu’à cette Couronne immortelle, qui avait toujours été le centre et le terme de ses désirs.

Ainsi mourut dans sa quarante deuxième année, l’illustre et vertueuse Françoise-Marguerite de Silly, Comtesse de Joigni, Marquise des Isles-d’or, Générale des Galères de France, etc. Les larmes dont les gens de bien, et les pauvres en particulier, arrosèrent son tombeau, suffiraient presque pour faire son éloge. Grande par la dignité de son origine et par ses alliances, qui l’unissaient aux maisons les plus distinguées de l’Europe ; elle fut plus grande encore par sa tendre piété envers Dieu, sa compassion pour les malheureux, sa vigilance sur sa famille, son zèle pour le salut de tous ceux à qui elle put se rendre utile, et enfin par le plus parfait assemblage de ces rares vertus, que les Grands du siècle connaissent peu, et qu’ils pratiquent encore moins. Son nom aura par lui-même de quoi se soûtenir dans nos Histoires : il y subsistera aussi longtemps, que ceux de Luxembourg, de Laval, de Montmorency, de la Rocheguyon, et de tant de Héros, dont elle était descendue : mais on peut assurer qu’elle doit les plus beaux rayons de sa gloire au saint, dont nous écrivons la vie. Formée par lui à la plus sublime perfection, elle vivra par lui dans toutes les Eglises ; ses vertus, comme celles de Vincent de Paul, y seront tracées en caractères éternels ; et les Climats les plus éloignés n’annonceront jamais le mérite et les travaux de ce grand homme, sans annoncer celle qui a si généreusement coopéré à ses glorieuses entreprises.

Vincent, après lui avoir rendu les derniers devoirs (k) , partit aussitôt pour faire part de cette triste nouvelle au Général, qui était encore en Provence. Il s’y prit avec la précaution d’un homme, qui sait qu’il faut ménager la nature. Il disposa par degrés le Comte de Joigni à adorer toutes les dispositions de la providence. Il lui parla d’abord des grâces dont le Ciel l’avait comblé lui et sa famille ; il ajouta ensuite que plus Dieu avait signalé sa miséricorde à son égard, plus il lui devait d’amour et de reconnaissance ; que l’homme ne témoigne jamais mieux cette reconnaissance, que lorsqu’il sait conformer sa volonté à celle du Seigneur ; et qu’une parfaite soumission est le sacrifice le plus agréable à ses yeux. Enfin il lâcha le mot, et il apprit à M. de Gondi la perte qu’il avait faite. Après avoir laissé à la nature ces premiers mouvements, que la vertu ne désavoue pas, il se servit, pour adoucir la douleur et l’amertume du Général, de tout ce que son grand jugement, et l’onction du S. Esprit, qui l’accompagnait partout, lui purent suggérer.

Il est constant, et on l’a remarqué dans une infinité d’occasions, que personne ne possèdait mieux que lui le don de consoler les affligés ; et ceux qui l’ont particulièrement connu, ont publié dans tous les temps, que le Fils de Dieu lui avait appris non seulement à évangéliser les pauvres, mais encore à guérir les blessures du coeur les plus profondes. Le Comte de Joigni l’éprouva, et il reconnut par lui-même qu’une sage simplicité offre des ressources, qu’on ne trouve point ailleurs. Madame de Gondi l’avait aussi souvent expérimenté ; et dans le violent accès de peines intérieures, par lesquelles il plaisait à Dieu de l’exercer, elle ne trouvait jamais de plus solide consolation, que celle qui lui venait de la part du saint prêtre. C’est de là en partie qu’était venue l’estime singulière, qu’elle avait pour lui. Elle lui en donna des preuves sensibles dans son testament, moins par un Legs qu’elle lui fit, qu’en le conjurant, de la manière la plus touchante, de ne quitter jamais ni M. le Général des Galères, ni ses enfants après sa mort. Elle priait aussi M. de Gondi, non seulement de retenir Vincent dans sa maison, mais encore d’ordonner à ses enfants de ne pas souffrir qu’il en sortît jamais. Elle les exhortait à suivre ses saintes instructions ; persuadée, que leur docilité en ce point, serait pour eux, et pour leur famille, une source de grâces et de bénédictions ; ce sont à peu près les termes de son testament.

Dieu ne le voulut pas ainsi. Vincent, qui n’était rentré chez la Générale, que parce qu’il n’avait pû s’en défendre, et qui d’ailleurs avait une horreur infinie pour le grand monde, supplia M. de Gondi d’agréer qu’il se retirât. Ce vertueux Seigneur fut affligé de cette proposition : mais comme il était accoutumé à examiner les choses devant Dieu, il conçut aisément, que la Compagnie, que Vincent de Paul commençait à former, avait besoin de sa présence ; que les choses ne vont jamais mieux, que lorsque ceux qui leur ont donné le premier mouvement, continuent à le leur communiquer ; et qu’enfin le séjour de ce digne prêtre dans la maison de Gondi, retarderait au moins l’oeuvre de Dieu, s’il ne la ruinait pas absolument. Il est vrai, et nous l’avons déja dit ailleurs, que la maison du Général était très règlée : mais quelque pur que fût l’air qu’on y respirait, il ne laissait pas d’être différent de celui, qu’on trouve dans la solitude. M. de Gondi en était si persuadé, qu’il crut devoir s’en éloigner lui-même. Il s’en éloigna en effet assez peu de temps après la mort de son Epouse ; et ayant renoncé à toutes les grandeurs humaines, il entra dans la Congrégation de l’Oratoire, où pendant plus de trente cinq ans, qu’il y vécut, il s’est autant distingué par sa piété, sa mortification, et son invincible patience, qu’il s’était rendu recommandable dans le siècle par son courage, et son zèle pour le service du Roi.

Ce fut la même année 1625 que Vincent de Paul se retira au Collège des Bons-enfants. Cet asile fut à ses yeux ce qu’est un bon port à un Pilote, qui fort d’une mer aussi dangereuse dans le grand calme que pendant la tempête. il renonça pour toujours aux honneurs, aux dignités, aux espérances du siècle. Il se regarda comme un homme, qui avait besoin de commencer une vie nouvelle en J.C. Il vit, ou il crut voir dans la vie, qu’il avait menée jusqu’alors, des imperfections et des défauts, que l’agitation et l’espèce d’accablement, dans lequel il avait été obligé de vivre ; depuis qu’il s’était séparé de M. de Bérulle, ne lui avaient pas permis d’envisager ; et, pour y remédier, il fit une profession particulière de travailler à sa propre perfection, et au salut des peuples, dans la plus exacte pratique des vertus, que le Fils de Dieu nous a enseignées, et dont il nous a laissé l’exemple. Comme c’est ici le lieu, où ses premiers Historiens nous ont tracé son portrait, nous le donnerons d’après eux, pour ne nous pas trop éloigner de la méthode qu’ils ont suivie.

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