Livre Second
1. Nouvelles tentatives de la Maison de Gondi, pour y faire rentrer Saint Vincent
Vincent était tout occupé du soin de son troupeau, et il recueillait déjà abondamment les fruits de ses travaux, lorsque Madame de Gondi, qui n’avait pas un seul instant perdu de vue le dessein de le faire rentrer dans la maison, fit, pour le déterminer enfin, un nouvel effort qui lui réussit. Elle lui envoya en Gentilhomme de sa maison, plein d’esprit et de sagesse, et qui de plus était son ami particulier. C’était ce même Dufresne, qui avait fait entrer Vincent au service de la Reine Marguerite, et que Vincent, à son tour, avait fait entrer dans la maison de Gondi, pour être Secrétaire du Général des Galères. Il était porteur d’un grand nombre de lettres. Il y en avait de Monsieur et de Madame de Gondi, de leurs enfants, du Cardinal de Rets, et même de M. de Bérulle. Vincent, quoique fort maître de lui-même, ne put cacher entièrement l’émotion, que lui causa cette dernière tentative. La tristesse et la douleur parurent peintes sur son visage. pour calmer ces premiers mouvements, et se mettre en état de suivre constamment la voix de Dieu, il alla à l’Eglise, et s’y jeta aux pieds de Notre-Seigneur. C’était sa coutume, et il ne se déterminait jamais, sans avoir consulté ce grand Maître.
Dufresne, qui craignit d’échouer, entra en conférence avec son ami ; il lui proposa des raisons si fortes, et des motifs si pressants, que Vincent en fut ébranlé, et commença à douter si Dieu voulait se servir de lui plus longtemps à Châtillon. Dufresne s’aperçut de ces premières incertitudes du S. prêtre, il s’efforça de les entretenir, et de les augmenter ; il lui représenta surtout, que dans une affaire si importante, il ne devait pas prendre sa dernière résolution de lui-même ; que si Dieu avait tiré sa gloire du séjour qu’il avait fait à Châtillon, il en pouvait tirer une plus abondante de son retour dans la maison de Gondi ; et qu’il était juste, qu’à l’exemple de S. Paul, qui s’était fait instruire par Ananie, il consultât des personnes sages, vertueuses et désintéressées.
Vincent y consentit ; et après avoir recommandé cette affaire à un grand nombre de personnes de piété, il se rendit à Lyon avec Dufresne. Ils s’adressèrent tous deux au P. Bence de l’Oratoire, qui, tout bien considéré, conseilla à notre saint de retourner à Paris, où, supposé qu’il lui resta encore quelque difficulté, il pourrait, avec le secours de ceux qui le connaissaient plus particulièrement, apprendre d’une manière plus sûre la volonté de Dieu. Le saint prêtre suivit ce conseil ; et soit qu’avant son départ de Châtillon, il eût eu de nouvelles lumières sur le parti qu’il devait prendre ; soit qu’après avoir consulté ses amis de Paris, il eût encore fait un voyage à Châtillon, pour arranger ses affaires, il dit le dernier adieu à ses chers Paroissiens. Il les assura, dans une exhortation qu’il fit à ce dessein, que, lorsque la providence l’avait conduit à Châtillon, il n’avait pas cru les devoir jamais quitter ; mais que, puisqu’elle en avait ordonné autrement, c’était à eux, comme à lui, à respecter et à suivre ses décisions. Il ne manqua pas de les assurer, qu’ils lui seraient toujours présents ; il les conjura à son tour de ne le pas oublier dans leurs prières ; et il répéta plusieurs fois qu’il en avait grand besoin.