Louise de Marillac voyant son mari périlleusement malade en l’année mille six cent vingt trois, avait pris dessein, si Dieu disposait de lui, l’embrasser la viduité, que l’Apôtre inspiré de l’esprit de Dieu, conseille comme un état plus heureux que le mariage : et elle en avait fait voeu le 4 jour de mai qui est la fête de Sainte Monique. Lorsque la Providence divine lui en présenta l’occasion par la mort de son mari, elle se crut obligée d’accomplir son voeu, et elle en écrivit au Père Rebours en ces termes :N’est-il pas bien raisonnable que je sois toute à Dieu, après avoir été tant de temps au monde ? Je vous dis donc, mon cher cousin, que je le veux de tout mon cœur, et en la manière qu’il lui plaira. Mais j’ai grand sujet de me défier de moi-même pour la persévérance dans ce saint désir, à cause des continuels empêchements qui s’opposent aux desseins que Dieu a sur moi. Or sus, mon cher Père, aidez donc ma pauvre âme et, par vos prières, rompez ces liens qui m’attachent si fortement à tout ce qui n’est pas Dieu. Et pour son saint amour, continuez les prières que vous me promettez.
Elle eut tant d’estime et d’amour pour l’état qu’elle avait embrassé, que tous les ans le jour de Sainte Monique elle avait coutume de renouveler à Dieu cette première oblation qu’elle lui avait faite de sa personne, et ce jour lui était solennel pour la grâce qu’elle y avait reçue. Elle fit de sa viduité le même usage que Salvine, à qui, selon le témoignage de Saint Jérome. La mort de son mari fut une occasion favorable de s’appliquer avec plus de liberté et de zèle aux exercices de la religion. Elle redoubla pour lors ses dévotions et ses prières; elle se sanctifia de plus en plus par la fréquente participation des Sacrements, par les oeuvres de charité, par les lectures et les méditations, par les jeûnes et les austérités.
Monsieur l’Évêque de Belley la voyant dans le dessein de s’appliquer uniquement aux actions de piété, et ne pouvant être toujours présent pour lui donner une conduite particulière et continuelle, ne crut pas la pouvoir confier à un meilleur Directeur qu’au grand Vincent de Paul, et par une disposition secrète de la Sagesse éternelle, il fut heureusement l’auteur de cette liaison sainte qui a uni ces deux Chefs avec leurs Compagnies, pour les emplois de la charité.
Ce Serviteur de JESUS CHRIST jetait pour lors les fondements de sa Congrégation dans le Collège des Bons Enfants, qui lu fut donné en l’an 1625 par Messire Jean François de Gondi, Archevêque de Paris, et il y commençait une forme de Communauté avec quelques Prêtres qui s’étaient associés avec lui pour les Missions. Mademoiselle Le Gras dont il n’avait pu refuser la direction de la main de ce prélat, quoi qu’il ne fut pas en état de se charger de la conduite particulière des âmes, voulut s’approcher de lui pour recevoir plus facilement ses lumières; et en l’année 1626, elle alla loger près de ce Collège, ans la paroisse de Saint Nicolas du Chardonnet.
Si tôt qu’elle envisagea de plus près les actions de cet homme apostolique qui s’occupait incessamment avec sa Compagnie naissante, dans tous les exercices de la charité, elle se sentit encore plus fortement animée par ses exemples, et elle conçut le dessein de consacrer sa vie au service des pauvres, et de coopérer à ses saintes entreprises selon toute l’étendue de son pouvoir. Mais lui ayant communiqué ce dessein, il ne jugea pas à propos de donner à ses désirs une satisfaction si prompte. Il en voulut faire l’épreuve auparavant pendant quelques années, et il lui conseilla de faire des retraites, et principalement d’approcher la très sainte Eucharistie, l’Oracle du témoignage de la nouvelle Loi, pour y consulter la volonté de Dieu.
Ce retardement qui fut pour elle une manière de Noviciat, ne servit qu’à augmenter et affermir davantage sa résolution, et à lui faire embrasser pendant ce temps toutes les occasions de charité qui se purent présenter. Elle l’obligea enfin par la fidélité et par sa persévérance de recevoir ses offres, et de l’associer dans les emplois de ses missions pour l’assistance des pauvres : et ce sage directeur l’en jugea digne, après avoir trouvé en sa personne les dispositions que Saint Paul demande dans les veuves pour le ministère de la charité. Pour y admettre une veuve, il faut, dit cet Apôtre, qu’on puisse rendre témoignage de ses bonnes oeuvres, si elle a exercé l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints, si elle a secouru les affligés, si elle s’est appliquée à toutes sortes d’actions de piété.
Monsieur Vincent commença de l’employer dans ces fonctions saintes en l’année mille six cent vingt neuf, et il l’envoya visiter dans les villages les confréries de Charité qu’il y avait établies, dans lesquelles les femmes s’assemblaient pour secourir les pauvres malades.
Il avait institué la première à Châtillon en Bresse dès l’année mille six cent dix sept : et Dieu avait donné tant de bénédiction à cet ouvrage de piété, que depuis ce temps il s’était multiplié en beaucoup de lieux: et quoi que le premier dessein de ces confréries ne fût que pour la campagne, elle se répandaient dans les villes; et en cette même année mille six cent vingt neuf, il s’en établit une à paris dans la Paroisse de Saint Sauveur.
Cette âme fidèle et zélée reçut les ordres de Monsieur Vincent avec autant de joie que de soumission et de respect. Elle lui rendit une obéissance si parfaite, que depuis elle n’entreprit rien que par une entière dépendance de ses avis et de ses ordres, le regardant comme le ministre et l’interprète de la volonté de Dieu.
Avant que de faire ces voyages elle prenait une instruction écrite de sa main touchant la manière qu’elle y devait observer. Le jour du départ, elle communiait pour recevoir par la présence de JESUS CHRIST une communication plus abondante de sa charité, et un gage plus assuré de se protection, et de sa conduite.
Le premier voyage qu’elle fit, fut à Montmirail dans le diocèse de Soissons, où ce grand Missionnaire avait établi une Confrérie de Charité : et voici ce qu’il lui écrivit sur ce sujet, le sixième Mai, mille six cent vingt neuf. Allez donc, Mademoiselle, allez, au nom de Notre-Seigneur. Je prie sa divine bonté qu’elle vous accompagne, qu’elle soit votre consolation en votre chemin, votre force en votre travail et qu’enfin il vous ramène en parfaite santé et pleine de bonnes œuvres. Vous communierez le jour de votre départ, pour honorer la charité de Notre-Seigneur et les voyages qu’il a faits pour cette même et par la même charité, les peines, les contradictions, les lassitudes et les travaux qu’il y a soufferts, et afin qu’il lui plaise bénir votre voyage, vous donner son esprit et la grâce d’agir en ce même esprit et de supporter vos peines en la manière qu’il a supporté les siennes.1
Elle était accompagnée dans ces voyages de quelques Dames de piété, et elle les faisait dans des voitures pénibles, souffrant beaucoup d’incommodité, vivant et couchant fort pauvrement, pour prendre plus de part à la misère des pauvres. Elle portait grande provision de linges et de drogues, et elle faisait les aumônes et les voyages à ses dépens. Lorsqu’elle était arrivée dans le village, elle assemblait les femmes qui étaient associées dans la confrérie de la charité; leur donnait les instructions nécessaires pour se bien acquitter de cet emploi; les encourageait par la ferveur de ses discours ; travaillait à en augmenter le nombre ; animait ce qui était refroidi, relevait ce qui était tombé, affermissait et perfectionnait ce qui était établi.
Pour faire la charité dans toute sa plénitude, elle ne se contentait pas de faire servir les malades et de leur fournir des aumônes de ses biens : elle voulait faire plus que ces personnes riches et religieuses, dont parle Saint Jérôme Qui exercent la miséricorde par des ministères étrangers, et que ne sont bienfaisants et charitables que de leurs biens et non pas de leurs mains. Elle les visitait et leur présentait elle-même les aliments et les remèdes, à l’exemple de Fabiole, qui selon le témoignage de ce Père, en son Epitaphe, servait les viandes aux malades de sa propre main, et arrosait ces cadavres vivants par les bouillons et les breuvages.(Hieron. Epist. 30)
Après avoir pourvu au soulagement des infirmités du corps, elle travaillait à remédier aux maladies de l’âme; et comme l’ignorance en est le principe, elle employait tous ces soins pour la détruire, et elle assemblait les filles de la campagne dans des maisons particulières, où elle leur apprenait les articles de la Foi, et les devoirs de la vie chrétienne. S’il y avait une maîtresse dans le lieu, elle l’instruisait de son office; et s’il n’y en avait pas, elle tâchait d’une établir. On vit renouveler et revivre en sa personne le ministère et les fonctions de ces veuves des premiers siècles, lesquelles suivant l’ordonnance du quatrième Concile de Carthage, étaient choisies pour enseigner les femmes rustiques et ignorantes par un langage familier et proportionné à leur capacité, et pour leur apprendre les maximes de la saine doctrine, et les obligations qu’elles contractaient dans leur Baptême. (Concile de Carthage 4, cap.12)