Cette femme chrétienne, pendant son mariage s’acquitta pleinement de toutes les obligations de son état. Elle ne rendit pas seulement à Dieu tous les devoirs de la religion, et aux pauvres toutes sortes d’offices de charité, mais elle satisfit parfaitement à ce qu’elle devait à son mari et à sa famille. Dieu bénit son mariage par la naissance d’un fils, qu’elle éleva avec un soin particulier, et qu’elle fit pourvoir par la suite du temps d’une charge de Conseiller du Roi en la Cour des Monnaies. Elle entra dans les sentiments que Saint Chrysostome conseille aux mères chrétiennes d’avoir pour leurs enfants. « Nous avons, dit ce Père, dans leur personne un précieux dépôt qui nous est confié : nous sommes obligés de le conserver avec beaucoup de précaution ; et il faut bien prendre garde que le Démon ne nous l’enlève par ses surprises. Il n’y a point de biens qui doivent être si chers et si considérables, puisque c’est pour eux que l’on tâche de les acquérir. C’est un très grand désordre et une extrême imprudence d’avoir moins d’attache pour leur éducation, que pour les richesses que l’on n’amasse que pour eux. Il faut avant toutes choses leur imprimer l’amour de la vertu dans la tendresse de leur âge, et ne regarder les biens extérieurs que comme des accessoires, dont la possession sans la vertu leur sera inutile, et dont la privation ne leur sera pas préjudiciable s’ils sont vertueux. (Hom. 9, Chap. 3,1 à Timod.) » Comme les Chrétiens sont chargés de prendre soin de leurs domestiques, à moins que de renoncer à la Foi, selon le sentiment de l’Apôtre, on n’en peut voir l’obligation acquittée avec plus de fidélité et avec plus de succès, que dans cette pieuse famille. Tous ceux qui furent assez heureux de s’engager à son service, profitèrent de ses instructions et de ses exemples. Il y eût entr’autres deux Commis de son mari, à qui la vie d’une Maîtresse si sainte inspira la résolution de quitter le monde, dont l’un entra dans l’Ordre des Minimes, et l’autre dans la Congrégation de Saint Maur.
La Providence divine qui la voulait sanctifier par les épreuves, permit que son mari, trois ou quatre ans avant sa mort, tombât en de fréquentes maladies qui le rendirent d’une humeur fâcheuse et chagrine. Cette épouse charitable et fidèle témoigna à son époux dans cet état une affection plus tendre, une bonté plus compatissante, et un amour plus condescendant, pour tâcher de calmer son esprit et d’adoucir ses peines et ses douleurs. Le grand soin qu’elle eut pendant ce temps de l’assister et de le servir fut un apprentissage pour sa charité qui lui fit connaître les malades et les moyens nécessaires pour les soulager, et qui lui donna tant d’expérience et de capacité pour cet exercice, qu’elle en fit ensuite des leçons et des règles aux filles qu’elle établit pour leur secours.
Ce fut par ses soins et par les marques sensibles de son amour, aussi bien que par son exemple, qu’elle gagna le coeur de son mari, et qu’elle le rendit capable des dispositions chrétiennes avec lesquelles il mourut. On ne peut mieux les apprendre que par la lettre qu’elle en écrivit au Révérend Père Hilarion Rebours, Chartreux, cousin germain de son mari.
Mon très Révérend Père, puisque vous voulez savoir les grâces que notre bon Dieu a faites à feu mon mari, après vous avoir dit qu’il m’est impossible de les faire toutes connaître, je vous dirai que, dès il y a longtemps, par la miséricorde de Dieu, il n’avait plus aucune affection pour les sujets qui peuvent porter au péché mortel, et avait un très grand désir de vivre dévotement-
Six semaines avant sa mort, il eut une fièvre chaude qui mit son esprit en grand danger ; mais Dieu faisant paraître sa puissance au-dessus de la nature y mit le calme. Et en reconnaissance de cette grâce, il se résolut entièrement de servir Dieu toute sa vie. Il ne dormait presque point toutes les nuits ; mais il avait une telle patience, que les personnes qui étaient auprès de lui, n’en recevaient point d’incommodités. Je crois, qu’en cette dernière maladie, Dieu l’a voulu faire participant de l’imitation des peines de sa mort ; car il a souffert en tout son corps et a entièrement perdu son sang. Et son esprit a été presque toujours occupé dans la méditation de sa Passion.
Il répandit sept fois du sang abondamment par la bouche, et la septième lui ôta la vie à l’instant. J’étais seule avec lui pour l’assister en ce passage si important. Et il témoigna tant de dévotion qu’il fit connaître jusqu’au dernier soupir que son esprit était attaché à Dieu. Il ne put jamais me rien dire, sinon : « Priez Dieu pour moi, je n’en puis plus », paroles qui seront à jamais gravées dans mon cœur.
Je vous prie de vous souvenir de lui quand vous direz Complies, il y avait une si particulière dévotion qu’il ne manquait guère à les dire tous les jours.
On ne peut rien ajouter au témoignage que cette épouse rend elle-même, par cette lettre, des dispositions chrétiennes de son époux à la mort; et on ne peut aussi parquer avec les caractères plus pénibles, l’amour et le courage avec lequel elle lui rendit les derniers devoirs.
Il mourut la nuit du vingt et un de décembre de l’année 1625, dans la Paroisse de Saint Sauveur, après avoir reçu tous les sacrements. Je ne puis mieux exprimer les sentiments qu’elle eut dans cet état, que par l’exemple d’une Dame vertueuse nommée Salvine, dont parle Saint Jérome. Cette veuve, dit ce Père, pleura tellement la mort de Nebridius son mari, quelle donna des marques de sa tendresse et de son amitié conjugale; mais en même temps elle la supporta avec tant de vertu qu’elle la regarda plutôt comme un voyage que comme une perte et une privation.
Mademoiselle Le Gras quelques heures après que son mari fut mort, alla trouver Monsieur Hollandre, docteur de la Maison de Sorbonne, son pasteur, pour en recevoir la consolation dans son déplaisir, et elle se confessa et communia, non seulement pour se fortifier par la présence de JESUS CHRIST, mais pour se consacrer à lui comme à son unique époux.Le Prélat qui la dirigeait et qui s’intéressait dans tous les événements de se vie, lui écrivit sur la mort de son mari, et lui apprit l’usage qu’elle devait faire de sa viduité. Voici la manière touchante avec laquelle il s’en expliqua par sa lettre:
Enfin, ma très chère Sœur, le Sauveur de nos âmes après avoir mis votre époux en son sein s’est mis dans le vôtre. O céleste Époux, soyez à jamais celui de ma Sœur qui vous a choisi pour tel lorsqu’elle était encore divisée ; mais demeurez sur son sein, Seigneur comme un bouquet de myrrhe douce au sentir mais amère au goût. Donnez-lui quelque douce consolation dans les amertumes inséparables de son veuvage. O Dieu ! ma très chère âme, c’est à cette heure qu’il se faut serrer et presser auprès de la croix, puisque vous n’avez plus que cet appui en terre. C’est maintenant qu’il faut dire à Dieu qu’il se souvienne de sa parole ; et quelle est cette parole, ma très chère fille, c’est qu’il sera le Père de l’orphelin et le Juge de la veuve. Juge, ma chère Sœur, pour prendre sa cause en main pour juger ses adversaires ; c’est à cette heure que nous verrons si vous avez aimé Dieu comme il faut puisqu’il vous a ôté ce que vous aimiez beaucoup. Paix éternelle et repos soit à cette chère âme pour laquelle nous prions et consolation à la vôtre par le Père de toute consolation et le Dieu des miséricordes.1