La situation de Vincent de Paul dans ce qui est appelé ecole française (III)

Francisco Javier Fernández ChentoFormation VincentienneLeave a Comment

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vincent_mission_socialeLES APPLICATIONS

Ces précisions concernant les principes fondamentaux de tout ensei­gnement de la vie spirituelle, le rappel de l’expérience de l’inspira­teur nous permettent d’écarter rapidement certaines erreurs.

L’erreur courante d’abord qui est à écarter: la structure d’une Ecole, d’une compagnie au d’une association ainsi que la forme et le dyna­misme des différentes compagnies ne dépendent pas des principes théologi­ques. Ceux-ci n’engendrent aucun mouvement durable. C’est un fait, par exemple, que Saint Dominique a lancé les dominicains et que la structure des dominicains a été donnée par Saint Thomas d’Aquin après. C’est un fait aussi que Saint François d’Assise a lancé les fran­ciscains qui sont mutés en capucins et que c’est Saint Bonaventure ensuite qui a écrit, avec quelle difficulté, la vie de Saint François d’As­sise. C’est un fait aussi que Saint Ignace de Loyola a été suivi par Molina et c’est Molina qui a donné le molinisme. C’est un ensei­gnement sur la grâce dont on ne peut pas dire que Ignace de Loyola ait été imprégné. Molina 1582, Lisbonne. Et Jean Duvergier de Hau­ranne, abbé de St. Cyran, a précédé Bérulle et ce dernier a mon­nayé le théocentrisme de Jean Duvergier de Hauranne. Comme vous voyez, les mouvements dépendent de l’inspiration des instituteurs et non pas des principes théologiques qui apparaissent plutôt comme des poutres de soutènement mises après coup, et dont ils peuvent d’ailleurs se débarrasser.

Esquisse alors, à partir de ces principes, d’une méthode. Si en tou­tes choses il faut commencer par le commencement, l’étude d’un mouvement spirituel requiert l’examen patient de l’expérience reli­gieuse du fondateur, expérience qui peut être marquée par une con­version, reste à bien définir ce que nous mettons dans le terme con­version. Mais cette expérience, comme celle des philosophes fonda­teurs d’Ecole, se rattachera toujours à une intuition initiale sans cesse perçue, sans cesse reconsidérée, sans cesse tendue vers une plus par­faite expression. Comme le disait Henri Bergson: «Un philosophe n’a qu’une idée et pendant toute sa vie, il essaie de la mieux expo­ser». L’expérience religieuse de l’inspirateur sera de mieux en mieux connue et explicitée dans l’effort des disciples pour la conserver, de trouver de nouvelles formes d’expression. Le vrai fils n’est pas celui qui copie son père, mais celui qui réalise les rêves de son père. Vin­cent de Paul n’est pas mort en 1660, Vincent de Paul continue et nos arrière-petits neveux pourront dire qu’ils constituent le Vincent de Paul invisible, qui a émergé pendant 79 ans, mais Vincent de Paul n’est pas encore achevé.

L’originalité de ces chefs de file, la connaissance élémentaire des quatre grands noms nous contraint de constater qu’ils sont parfaite­ment différents et surtout qu’ils ne sont pas interchangeables. Vous ne voyez pas Bérulle à Saint-Sulpice; vous ne voyez pas Jean Eudes à l’Oratoire puisqu’il l’a quitté. Est-ce que vous voyez Vincent de Paul à l’Oratoire? Vous allez voir, à la fin de sa vie, que non, il n’en veut pas. Ils ne sont pas interchangeables et sans aborder la quintes­sence des quatre traditions, nous pouvons, même de l’extérieur, remarquer que la tradition, comme l’enseignement de Bérulle restaient et restent dans des principes généraux. Regarder Dieu dans les cho­ses qui surviennent et pour les faire souffrir en sa vue. «Cela est très subtil», dit Monsieur Vincent. Et subtil, pour Monsieur Vincent, cela veut dire: n’en tenons aucun compte. (Entretien du 7 mars 1659, page 569).

L’orientation olérienne de Jean-Jacques Olier, en raison de la tâche paroissiale des sulpiciens, a été particulièrement marquée par la liturgie. Je vous signalais les remarques pertinentes de Mgr Jean Leflon. Le terrain d’exercice des eudistes et le recrutement normand les a dotés d’un je ne sais quoi perceptible, mais indéfinissable. J’ait des amis parmi les eudistes. Je n’ignore pas leur maison de la rue Jean Dolent n. 1. J’ai enseigné dans le séminaire interdiocésain dirigé par le Père Jacques Vénard pendant six mois. Nous étions en rela­tions amicales. Mais nous n’avions pas les même réflexes sur le fond.

Or, le terrain d’exercise est différent et, d’autre part, il faut se recon­naître fidèle à Monsieur Vincent et au Christ Jésus, mais diversifiés sans opposition comme étaient les martyrs des missions lointaines et les bons et savants scientifiques, comme Monsieur Guillaume Pou­get, Fernand Portal et Charles-François Jean. Car ces gens-là, je pense à Portal, eh bien, Portal nous révèle Saint Vincent après trois siècles de séparation, un seul homme, Fernando Portal considéré comme marginal.

Aujourd’hui où on ne sait plus très bien écrire, on fait beau­coup de marges. Or Portal est le seul à avoir pu rénuir autour de la même table des anglicans sous le patronage du cardinal Mercier. Et actuellement, que ce soit au Canada, ou que ce soit en Extrême- Orient, on parle et on admire, on se réfère à cet aveugle qui avait des yeux de lumière et on vient à la chambre 104 pour voir où Pou­get éclairait ceux qui avaient des yeux mais qui ne voyaient pas. Qu’ils s’appellent le cardinal Garonne ou même Paul VI qui avait continuellement sur sa table le masque de Guillaume Pouget. S’il s’agit de Charles-François Jean, lui qui n’avait jamais parlé de ses travaux en récréation — il me disait ça en particulier — ses travaux sont encore édités et son «Milieu biblique» très recherché, son «Voca­bulaire des langues sémitique» aussi. Demandez à l’éditeur Brill ce qu’il pense de l’oeuvre de Charles-François Jean, décédé en 1955 et nous sommes en 1984. Ce sont eux qui nous ouvrent les portes. Nous avons la Congrégation à présenter. Voilà les trois témoins. D’autre part, dans leur regard, nous saisissons celui de Vincent de Paul. Ils découvrent, ils éclairent Vincent de Paul et en eux Vincent de Paul se retrouve et se perpétue.

La bibliographie de cet exposé comprendrait une cinquantaine de numéros.

Je pense qu’il est opportun pour terminer de vous lire l’appré­ciation de Monsieur Vincent concernant les autres compagnies. Vous trouvez ceci au tome 13é et à la page 183 dans le journal des der­niers jours, au jeudi 16 septembre 1660 c. à d. onze jours avant sa mort. On lui parle de Monsieur…, second prédicateur… «qui vien­nent de finir cette fameuse et éclatante mission du faubourg Saint- Germain». Alors Vincent de Paul dit: «J’avoue que les esprits de ces bons messieurs me semblent empressés et animés. (Il s’agit des eudistes). Dieu soit notre tout et nous garde de tels esprit dans la Compagnie». Et puis, il reprend, le 18 septembre:

«Voilà en Paris quatre maisons qui font la même chose: l’Oratoire, Saint- Sulpice, Saint Nicolas du Chardonnet et la gueuserie, la Compagnie aux Bons enfants. Ceux de Saint-Sulpice tendent et font tout viser à déterrer les esprits, les dégager des affections de la terre, les porter aux grandes lumières, sentiments relevés. Et nous voyons que tous ceux qui y ont passé tiennent beaucoup de cela. Et en plusieurs, cela diminue et augmente. Je ne sais s’ils font de scolastique. Ceux de Saint-Nicolas avec Mon­sieur Bourdoise et Monsieur Ferret n’élèvent pas tant mais tendent au travail de la vigne à faire des hommes laborieux dans les fonctions ecclé­siatiques et pour cela tiennent, premièrement, toujours dans la pratique, toujours bas, balayer, laver les cuillers, récurer, et le reste, Passons Et ils en ont les moyens pource que la plupart y sont gratis et ainsi autant qu’ils font bien. L’Oratoire, laissons-le là et n’en parlons pas. De tou­tes ces quatre maisons, celle qui réussit mieux sans contredit c’est Saint Nicolas où sont autant de petits soleils partout et on je n’ai vu s’en plain­dre, mais partout édification. Voilà donc la plus utile et nous y devons tendre, à tout le moins tâcher de les imiter. Vous savez qu’ils ne firent jamais de scolastique, mais seulement morale et conférences pratiques, étant donné le temps d’études. Et aussi, je pense beaucoup à ce qu’il plaise à Dieu nous faire la grâce de les suivre». (Tome 13, p. 184 à 186).

Voilà, je pense, ce que je pouvais vous dire de plus utile.

André DODIN C. M.

Vincentiana 1984

 

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