La situation de Vincent de Paul dans ce qui est appelé « ecole française » (I)

Francisco Javier Fernández ChentoFormation VincentienneLeave a Comment

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vincent_mission_socialeI. LE CONSTAT:

Lorsque nous prononçons ces deux mots « Ecole Française » pour désigner un mouvement de vie spirituelle, une question se pose, elle se prolonge en déception et elle se poursuit en une demande de pré­cision pour obtenir une définition somaire c.à.d., suivant les règles d’Aristote, une définition qui s’applique à tout le défini et au seul défini. Alors question: « Ecole Française »?

Le terme « école » autant que l’adjectif « français » surprend. Nor­malement, le terme « école » désigne matériellement un établissement où se donne un enseignement collectif. A partir de cette acception de ce sens, sept autres sens relatifs à un lieu ou à un espace sont nor­malement utilisés. Si, premier cas, le terme « école » se situe dans le domaine anthropologique, il désignera l’ensemble des disciples qui suivent l’enseignement d’un maître, en philosophie, en arts, en lit­térature, en médecine ou en sciences, et, en même temps, ceux qui dans ces domaines se réclament d’une même doctrine et d’un même mouvement. A partir de ce sens initial, le mot sera employé pour désigner, soit la doctrine elle-même, qui est ainsi suivie, soit la suite des artistes ou des disciples qui donnent à un pays, à une région, à une ville, une tradition artistique qui lui est propre (l’Ecole de Sienne, l’Ecole de Fontainebleau), soit enfin une source d’enseigne­ment et de réflexion.

Tout de suite nous nous demandons si le terme «Ecole Française» n’est pas un enfermement, une prison, une nationalisation abusive. Les hommes appartenant à cette Ecole seraient cantonnés dans les limites de la France et de la France du XVIIè siècle entre 1600 et 1660, territoire beaucoup plus restreint que notre France actuelle avec ses 550.000 km2. Il manquait la Franche-Comté, le Roussillon, les Flandres.

Comprenons que le terme «Ecole Française» désigne une spiritua­lité. Alors la perplexité s’accroît. Le nuages, la nébulosité s’épaissit jusqu’à l’opacité totale. Ceci pour deux raison:

  • la lre est que le mot «spiritualité», comportant un sens ou un élément religieux et chrétien souvent chargé d’un sens philosophi­que initial, n’apparaît qu’à la fin du XVIIè siècle, au moment où tous nos auteurs spirituels sont morts. Ils ont achevé leur carrière terres­tre et c’est tout;
  • le 2e rais9n est que le mot «spiritualité» depuis 1680, à une ou deux années près, a été depuis le début du XXè siècle utilisé dans des sens et des intentions diverses et divergentes. Ainsi on a parlé de la spiritualité de la route, de la spiritualité des anormaux. Dans le «Dictionnaire de spiritualité», Joseph de Tonquedec donne la caracté­ristique de la spiritualité des anormaux. Ils doivent se sanctifier dans, par et malgré leur anormalité. A même période, Monseigneur Emile Guerry donne la «spiritualité» de l’Action catholique». Comment les membres de l’Action catholique doivent-ils se sanctifier? Dans, par et malgré leur travail. Les trois termes, la trinité explicative est tou­jours présente. Or, l’usage a été poursuivi jusqu’à l’usure et l’exté­nuation. Le rattachement, c’est ce qui est le plus grave, du mot spi­ritualité à une expérience religieuse concrète et personnelle a été tota­lement oubliée. La spiritualité, alors, est définie par des thèmes. Voyez dans les différents mouvements au début de l’année, il est fourni le catalogue des thèmes, vous vous apercevez qu’ils sont de la même famille et qu’ils traitent à peu près des mêmes idées tant pour le fac­teur rural, la sage-femme ou le routier. Dans, par et malgré.

Alors, en raison de cette usure, il faut rappeler que ce que l’on appelle un enseignement spirituel dépend surtout de l’Esprit de Dieu reçu dans l’esprit de l’homme puisque 164 fois dans les épîtres de Saint Paul, il est rappelé que nous sommes «dans le Christ Jésus». Il faut, pour la clarté, définir un mouvement spirituel:

par l’expérience religieuse du fondateur, inspirateur et institu­teur (les trois termes sont extrêmement différents). Preuve: quel est le fondateur de la Congrégation de la Mission? Spontanément, vous diriez:- c’est Vincent de Paul. Erreur. Il n’est en rien dans la fonda­tion. C’est Monsieur et Madame de Gondi et Jean François Paul de Gondi. L’inspirateur, c’est Vincent de Paul, ensuite l’instituteur qui, pendant 35 ans a surveillé l’évolution religieuse de ses disciples. Cet instituteur est un instituteur chevronné, rare dans l’Histoire de l’Eglise. Le fondateur, instituteur ou inspirateur qui a suivi ses dis­ciples pendant 35 ans. Prenez le cas de François de Sales. Il a pu suivre au maximun pendans huit ans la Visitation. Le temps de l’ins­tituteur est capital comme aussi l’expérience religieuse de cet insti­tuteur. Car il y a des instituteurs qui ne sont pas du tout inspirés, qui ont prévu le nombre de plats qu’il faudra donner à table, matin, midi et soir et qui ont comme disciples, je vous donne un cas très précis, je ne puis pas vous donner le nom pour cause de charité, une personne. Il y a un fondateur, un instituteur, et, d’autre part, un disciple. Cela dure depuis quelques années, mais on ne voit pas com­ment cette congrégation, non reconnue d’ailleurs, pourra se déve­lopper.

Ecartons donc le mot spiritualité qui est à la source de multi­ples perplexités.

Mais, si nous parlons de l’Ecole Française, la déception nous attend. Si vous consultez les manuels élémentaires dits l’Histoire de l’Eglise et ceux qui se sont spécialément intéressés aux familles religieuses (vous avez trois cents familles de bénédictins) nous nous apercevons que les effectifs des chefs de l’Ecole Française sont variables.

Est-ce que François de Sales fait partie de l’Ecole Française? Je dirai, pour deux raisons minimes, non. Premièrement, c’est un savoyard et la Savoie n’est pas une province française. Deuxième raison: Henri Brémond, traitant de la doctrine et de l’influence de François de Sales, le met dans une autre catégorie. Il le met dans l’humanisme dévot. Pour ces deux raisons, François de Sales ne sem­ble pas devoir être mis dans les rangs des chefs.

Restent Bérulle, Jean-Jacques Olier et Saint Jean Eudes. Est- ce que ces trois personnages voient l’avenir dans un même sens, exer­cent les mêmes fonctions, ont quelque chose de commun? Or, nous nous apercevons vite que chacun a une perspective différente. Sur­tout, si nous n’arrivons pas au XVII’ siècle à rassembler des gens qui ne pourraient pas prendre leur repas ensemble, car Bérulle, à partir de 1614, n’aurait pas déjeuné avec Vincent de Paul et inverse­ment — Jean Eudes est sorti de l’Oratoire, probablement parce qu’il ne se sentait pas la force d’y rester — Jean-Jacques Olier a fondé la Compagnie des Messieurs de Saint-Sulpice qui était une commu­nauté paroissiale et faite pour être en ville avec une bonne liturgie. Les sulpiciens ont toujours gardé une sorte d’esprit paroissial. Sans doute, avec le temps, ils se sont occupés des séminaires, mais fonda­mentalement, comme l’avait très bien remarqué Monseigneur Jean Leflon, ils ont une perspective assez étroite. Vincent de Paul était de l’avis de Mgr Leflon.

Poussant plus avant notre examen et ne considérant plus que les quatre grands toujours cités: Bérulle, Vincent de Paul, Jean- Jacques Olier, Jean Eudes, nous nous apercevons que nous ne pou­vons pas les mettre en communauté. Si nous disons qu’il faut don­ner un sens plus large — c’est ce que d’ailleurs Henri Brémond fait dans «L’Histoire du sentiment religieux». Il dit: ils font partie de – 559 –

l’Ecole Française, mais enfin Mgr Gay, au XIX’ siècle, Dom Colomba Marmion dans «Le Christ dans ses mystères», tout ceci c’est de l’Ecole Française — alors nous nous apercevons que l’organisa­tion interne des quatre communautés religieuses et l’enseignement de ses maîtres inspirateurs et instituteurs ne s’accordent pas. La pers­pective est différente et quelques jours avant sa mort, Vincent de Paul le réaffirmera.

André DODIN C. M.

Vincentiana, 1984

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