La Prière Vincentienne (III)

Francisco Javier Fernández ChentoSpiritualitéLeave a Comment

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Author: Antoine K.Douaihy .
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D. LES CONDITIONS DE L’ORAISON

Vincent_de_Paul_and_Virgin_MaryNotre « pourparler » avec Dieu, expression de notre vie fi­liale, s’exprime dans l’union d’amour avec la prière du Fils. Puisque c’est l’Esprit Saint qui nous filialise, c’est lui aussi qui nous apprend à prier et met sur nos lèvres le mot même du Fils : « Abba ».

Mais, pour recevoir cet Esprit, il faut être dans les mêmes dispositions que le Fils : tout entier tourné vers le Père et vers ses frères, et dans celles de Marie qui sut accueillir dans le silence de la vie cachée la Parole féconde de Dieu.

Pour S. Vincent on ne peut se présenter devant le Seigneur que dans certaines dispositions intérieures qui attirent son attention et sa miséricorde. Ces dispositions sont : l’ascèse, l’humilité, le silence, le recueillement, la simplicité et la vie continuelle en la présence de Dieu.

I. L’ascèse

L’ascèse est un processus de libération. Elle induit la dis­ponibilité pour écouter Dieu, lui répondre, lui obéir et ac­complir en tout sa volonté. Car pour parler à Dieu, il faut se détacher intérieurement de soi-même et des créatures afin de ne jamais rien lui préférer (cf. SV. IX, 427) :

 «Qu’on lise ce que les plus habiles maîtres de la vie spirituelle ont écrit touchant l’oraison, dit S. Vincent, et on verra que tous unanimement, ont tenu que la pratique de la mortification était absolument nécessaire pour bien faire ses oraisons, et que, pour s’y bien disposer, il faut non seulement mortifier ses yeux, sa langue, ses oreilles et ses autres sens extérieurs, mais aussi les facultés de son âme, l’entendement, la mémoire et la volonté ; par ce moyen, la mortification disposera à bien faire l’oraison, et réciproquement l’oraison aidera à bien pratiquer la mor­tification» (SV. XI, 90).

2. L’humilité

L’humilité n’est ni la culture de l’échec, ni l’indifférence aux résultats. C’est la découverte de nos limites, de notre fini­tude, de notre indigence profonde et de notre besoin vital de Dieu. C’est plutôt la conviction que nous avons besoin de l’intervention de Dieu en tout car sans lui nous ne pouvons rien faire (Jean 15,5). Par l’humilité, nous consentons à tout attendre de lui : force, conseil, lumière… C’est à la fois, l’acceptation de notre fragilité et de la précarité de nos mo­yens propres (physiques, psychiques, intellectuels, spiri­tuels…) Et, en même temps, au-delà de toute insécurisation, c’est le règne de la confiance filiale mise dans le Père, seul capable d’opérer en nous le vouloir et le faire (cf. Philipiens 2,13 ; Actes 17,28).

En résumé, l’humilité «est la condition de vérité de notre relation à Dieu et aux autres. Elle est le fondement de la prière, tout comme de la rencontre fraternelle. L’humilité qui est la connaissance véritable de nous-mêmes, nous révèle en effet notre besoin d’être éclairé et soutenu, guidé et aimé. Plus encore que connaissance, l’humilité est l’acceptation de nous-mêmes. Dans la certitude que nous devons et pouvons tout attendre de Dieu. Elle nous vaut l’assurance véritable qui est fondée sur la fidélité du Père, car il ne cesse de nous soutenir de ses dons» (Jean-Claude Sagne).

Si notre oraison est à ce niveau, nous aurons réellement en nous les mêmes sentiments que le grand priant que fut Jésus :

«Nous devons toujours nous humilier profondément quand ces belles pensées nous viennent, dit S. Vincent, soit en faisant oraison, soit en prêchant, soit dans la conversation avec les autres. Hélas ! Le Fils de Dieu pou­vait ravir tous les hommes par son éloquence toute divine, et il ne l’a pas voulu faire ; mais, au contraire, en ensei­gnant les vérités de son Évangile, il s’est toujours servi des expressions et paroles communes et familières» (SV. XI, 86).

3. Le silence

Lieu de naissance de la parole, de son écoute et de sa pro­duction, le silence est non seulement absence de parole ou de bruit, mais surtout la garde des pensées, de l’imagination et du coeur qui rend l’homme capable d’être attentif à la pré­sence de Dieu en lui-même. Ce silence intérieur est une plage stable de disponibilité pour écouter Dieu se communiquer à nous. C’est se taire pour laisser parler Dieu.

Nous sommes, de nos jours, matraqués par le bruit des machines, des médias, des informations… Il peut arriver que certains consacrés fassent de la télévision leur tabernacle et du journal télévisé leur heure sainte…

Nous avons donc une bataille à gagner pour acquérir l’habitude – la vertu – du silence et du recueillement. Sinon, nous ne ferons jamais oraison et nous ne pourrons jamais va­quer à nos études ou à notre travail apostolique.

«Celui qui n’a pas cette vertu de silence, dit S. Vincent, s’il ne travaille point de tout son pouvoir à le pratiquer, ne fera que perdre le temps ; car cela va là, à perdre le temps, à aller là, à venir ici, à parler à celui-là, à s’entretenir avec celui-ci, en la chambre, hors de la chambre, à parler de celui-ci et puis de celui-là, des nou­velles du temps, de la guerre, et ainsi du reste, bref à per­dre le temps, à s’entretenir et à parler de choses inutiles et préjudiciables bien souvent à notre Cime» (SV. XII, 58).

4. La simplicité

C’est une forme d’authenticité, c’est aussi « l’Évangile » de S. Vincent, parce qu’elle rend l’homme semblable à Dieu :

«Dieu est un être simple, dit S. Vincent, qui ne reçoit aucun autre être, une essence souveraine et infinie qui n’admet aucune agrégation avec elle. C’est un être pur qui jamais ne souffre d’altération. Or, cette vertu du créa­teur se trouve en quelques créatures par communication» (SV. XII, 172).

La simplicité, poursuit S. Vincent ailleurs, consiste à faire toutes les choses pour l’amour de Dieu, et n’avoir point d’autre but, dans toutes ses actions, que sa gloire… Tous les actes de cette vertu consistent à dire les choses simplement, sans duplicité ni finesse ; aller tout droit de­vant soi sans biaiser, ni chercher aucun détour… C’est re­jeter tout mélange, parce que la simplicité dit négation de toute composition… Il faut donc bannir tout mélange pour n’avoir en vue que Dieu seul» (SV .XII, 302).

C’est cette droiture, cette pureté qui rend l’homme per­méable à Dieu qui se donne. Voilà pourquoi, dit S. Vincent, Dieu «Ôte la pénétration des vérités chrétiennes» à ceux qui «affectent l’intelligence des affaires, de passer pour des gens de mise et de négociation au dehors, aux savants et aux en­tendus du monde». «À qui la donne-t-il ? Au simple peuple, aux bonnes gens. Nous voyons cela vérifié dans la différence qu’on remarque en la foi des paysans et la nôtre. Ce qui me reste de l’expérience que j’en ai est le jugement que j’ai tou­jours fait que la vraie religion, la vraie religion, Messieurs, la vraie religion est parmi les pauvres. Dieu les enrichit d’une foi vive ; ils croient, ils touchent, ils goûtent les paroles de vie. Vous ne les voyez jamais, en leurs maladies, afflic­tions et disettes, s’emporter d’impatience, murmurer et se plaindre ; point du tout, ou rarement» (SV. XII, 170).

5. La vie en la présence de Dieu

C’est l’esprit d’oraison ou le commandement du Seigneur de prier sans cesse (Luc 21, 36).

«Marche en ma présence et sois intègre», dit Dieu à Abra­ham (Genèse 17,1). «Si quelqu’un m’aime, dit Jésus, il obser­vera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure» (Jean 14,23).

Prier c’est reconnaître la présence continuelle de Dieu dans sa vie. C’est se décentrer pour faire attention à ce que Dieu est pour soi : le‘ Père. Cela suppose que nous menions l’existence filiale sous la conduite de l’Esprit Saint. Une fois en la présence de Dieu, celui-ci peut nous donner ce qu’il veut, se communiquer et établir ce « pourparler » avec nous.

Il dépend de nous d’acquérir cette habitude, car sans elle, nous vivrons à la surface de nous-mêmes et nous n’atteindrons jamais cette intériorité, ce « coeur », lieu de notre rencontre amoureuse et intime avec Dieu et de nos décisions les plus existentielles.

Pour S. Vincent, Dieu prend plaisir à habiter le coeur des hommes et il se réjouit de les voir évoluer sous ses yeux, comme un père qui prend plaisir à regarder les ébats de ses enfants: «Quand une personne sert Dieu par la voie d’amour, dit S. Vincent, tout ce qu’elle fait, ce qu’elle pense et ce qu’elle dit donne un plaisir si grand à Dieu qu’il n’y a point de père qui prenne plus de plaisir à voir ce que fait son fils, que Dieu en prend à voir une Fille de la Charité qui lui offre tout ce qu’elle fait dès le matin» (SV. X, 588).

E. LES DIFFICULTÉS DE L’ORAISON

L’on peut se demander : ce face à face avec le Tout-Autre est-il possible ? Comment établir un dialogue «je-tu» entre le sensible et le non-sensible ? Le visible et le non visible ? Se­rions-nous, en priant, en train de soliloquer ?…

Non. Heureusement ! Car ce mouvement est animé par la présence interne de Dieu, puisque c’est «l’Esprit qui prie en nous».

La difficulté demeure cependant. Nos limites de créatures finies, l’opacité de notre chair et le poids de notre péché pè­sent parfois de toute leur force afin d’empêcher cette ren­contre ou de la faire avorter.

1. La difficulté de concentration

Il n’est pas aisé de s’abstraire du monde sensible pour se concentrer immédiatement sur Dieu. La concentration est l’aboutissement d’un long et méthodique entraînement.

Nous ne pouvons cependant faire oraison sans faire abs­traction de ce qui nous entoure afin de nous concentrer sur la présence de Dieu en nous.

Pour palier cette difficulté, S. Vincent recommande cer­tains moyens. Par exemple :

Se servir de la lecture d’un livre avec de fréquents arrêts pour la prière ; sinon on transformerait l’oraison en lecture spirituelle :

«Un autre moyen encore est de prendre chacune son li­vre, recommande-t-il aux Filles de la Charité. Il est bon que vous en ayez chacune un, ou que celle qui lira lise par période, s’arrête à la première période le temps néces­saire, puis passe à la seconde et s’y arrête encore à la troisième ; ainsi de suite. Ainsi s’écoulera fort aisément le temps de votre oraison. Si vous ne trouvez de quoi vous arrêter à la première, passez à la seconde, ou à une au­tre» (SV. IX, 427).

Se servir de la Sainte Écriture, surtout de l’Évangile: «Il serait à désirer, dit-il aux Filles de la Charité, que vous méditiez les jours de fêtes sur les Évangiles qui s’y disent» (SV. IX, 32).

Fixer son attention sur le programme de la journée en uti­lisant ce qu’il appelle «la méthode du président» afin de pré­voir sa conduite et y prévenir les difficultés qu’on pourrait rencontrer. S. Vincent raconte ce qu’un Président de tribunal lui dit :

«Savez-vous, Monsieur, comme je fais mon oraison ? Je prévois ce que je dois faire dans la journée, et de là décou­lent mes résolutions. Je m’en irai au palais ; j’ai telle cause à plaider ; je trouverai peut-être quelque personne de condi­tion qui, par sa recommandation, pensera me corrompre ; moyennant la grâce de Dieu, je m’en garderai bien. Peut-être que l’on me fera quelque présent qui m’agréerait bien ; oh ! Je ne le prendrai pas. Si j’ai disposition à rebuter quelque partie, je lui parlerai doucement et cordialement» (SV. IX, 29).

S’habituer à vivre dans un certain recueillement intérieur même au milieu de nos occupations journalières.

2. L’aridité spirituelle

La vie d’oraison est ordinairement traversée de périodes de consolation et de périodes de désolation. Et cela sans rai­son apparente. Notre Père du ciel, en bon pédagogue, cherche à nous apprendre notre pauvreté, notre besoin de lui et notre fidélité au Dieu des consolations plutôt qu’aux consolations de Dieu, selon le mot de Mgr. de Genève :

«Dieu permet quelquefois qu’on perde le goût qu’on ressentait et l’attrait qu’on avait pour l’oraison, et même qu’on s’y déplaise dit S. Vincent. Mais c’est ordinaire­ment un exercice qu’il nous envoie, et une épreuve qu’il veut faire de nous, pour laquelle il ne faut pas se désoler, ni se laisser aller au découragement» (SV. XI, 91).

Dieu pourrait viser à travers ses sécheresses une plus grande purification et intériorisation de notre prière :

«Ne vous étonnez pas, dit S. Vincent, vous qui êtes nouvelles, de vous voir un mois, deux mois, trois mois, six mois sans rien faire ; oh ! non, non, pas même pour une année, ni deux, ni trois. Mais ne laissez pas de vous y ren­dre comme si vous y faisiez beaucoup». (SV. IX, 424). Et après avoir donné l’exemple de Sainte Thérèse qui est res­tée 20 ans sans pouvoir faire oraison, S. Vincent conclut : «Dieu, récompensant sa persévérance, lui départit un éminent don d’oraison que, depuis les Apôtres, jamais personne n’a atteint sainte Thérèse» (SV. IX, 424).

Ces sécheresses pourraient être, enfin, un signe de sainteté plus grande. Dieu, voulant ainsi montrer qu’il est l’Éternel Insaisissable.

Face à toutes ces difficultés. S. Vincent recommandait tou­jours le même remède : s’humilier devant Dieu, reconnaître sa dépendance à son égard et persévérer coûte que coûte dans l’oraison  :

«Chacun peut se tenir au pied de la croix, en présence de Dieu ; et si elle n’a rien à lui dire, elle attendra qu’il lui parle ; et s’il la laisse là, elle s’y tiendra volontiers, at­ tendant de sa bonté la grâce de l’entendre ou de lui par­ler» (SV. IX, 50).

3. Le manque de culture

S. Vincent ne met pas en doute «Que les personnes savan­tes aient plus de dispositions à faire oraison et que beaucoup y réussissent». Cependant il maintient que «Les entretiens de Dieu avec les gens simples sont tout autres» (SV. IX, 421).

Mais que ceux (les Frères de la Mission) et celles (les Fil­les de la Charité) qui ne savent pas lire ne se découragent pas : Dieu sera leur pédagogue :

«Mes filles, ne vous découragez point, vous qui ne sa­vez point lire ; pourvu que vous ayez bonne volonté, Dieu vous donnera le don d’oraison, et d’autant plus que vous aurez moins de spéculation, pourvu que vous ayez désir de lui plaire» (SV. X 568)… «Oui, mes soeurs, ce que Dieu cache aux savants, il le fait connaître aux ignorants. Pourquoi cela ? C’est que Dieu se plaît avec les petits et avec les pauvres gens ; en sorte que bien souvent, ils sont plus savants en l’oraison que les personnes doctes. Ne vous découragez donc pas pour n’avoir point d’esprit ; Notre Seigneur sera votre pédagogue» (SV. X 568).

Ceux qui ne savent pas lire pourraient utiliser les images pieuses comme support de leur méditation en remplacement de la lecture :

«Ayez des images un peu grandes des mystères princi­paux de la vie et de la passion de Notre Seigneur… Que la supérieure montre une de ces images à sa soeur et lui dise ; « Ma Soeur, voilà demain le sujet de notre oraison ».

Puis, qu’elle la place au lieu où elles doivent se réunir le lendemain matin. Si les pensées vous manquent, regardez votre image» (SV. IX 33).

S. Vincent recommande enfin la méthode utilisée par Jeanne de Chantal :

«Une dame s’est servie longtemps du regard de la Sainte Vierge pour faire ses oraisons. Elle regardait pre­mièrement ses yeux, puis disait en son esprit ; Ô beaux yeux, que vous êtes purs !…

«Quelle différence avec les miens, par lesquels j’ai tant offensé mon Dieu. Je ne veux plus leur donner tant de li­berté, mais, au contraire, Je les habituerai à la modestie.

«Une autre fois elle regardait sa bouche et disait :

«Ô sainte bouche, combien de fois vous vous êtes ou­verte pour donner louange à Dieu, pour instruire le pro­chain et pour l’édifier !…

«Quelle différence avec la mienne qui a toujours fait le contraire !

«Je veux, moyennant la grâce de Dieu et de votre cha­rité, sainte Vierge, veiller de plus près sur mes paroles et particulièrement m’abstenir de telles ou telles, qui sont de mauvaise édification et qui contristent le prochain» (SV. IX 31).

Homme d’expérience et de terrain d’abord, S. Vincent était ferme pour le but, mais souple pour les moyens (SV. II, 355).

La visée dernière de l’oraison était, pour lui, rien moins que la sainteté qui consistait à se vider de soi-même afin que

Dieu nous remplisse. C’était là qu’il voulait arriver et qu’il voulait que ses disciples arrivent eux aussi. Les moyens pour y arriver étaient donc seconds mais non secondaires.

Pour cela, on ne peut pas dire qu’il y ait une méthode pro­prement vincentienne d’oraison. Selon son habitude. S. Vin­cent, comme l’abeille, butine chez Thérèse de Jésus, Ignace de Loyola, François de Sales, Benoît de Canfield, dans les Maîtres de l’École Française et il adapte tout à fait librement sa méthode à ses dirigés selon leurs situations. Par exemple, il recommande :

«L’offrande d’une présence ; l’action en la vue et la présence de Dieu ; l’élévation à Dieu ; se détourner des hommes et se tourner vers Dieu : s’offrir en hostie comme les malades ,. imaginer la Vierge Marie, son regard et son expression ; s’efforcer de voir au-delà des personnes, le Christ et la Vierge Marie ; s’inspirer des images pour fixer son attention et capter son imagination ; passer de la beauté de la création à la splendeur du créateur ; remon­ter de la bonté des créatures et des serviteurs de Dieu, à la bonté indescriptible de Dieu ; observer les moeurs et les attitudes des animaux qui peuvent instruire notre sagesse ; discerner dans tous les états des hommes ce qui rappelle une disposition et une ordonnance de Dieu ; considérer les personnes et surtout les pauvres avec le regard de Dieu et du Christ»1.

Aussi me contenterais-je de schématiser seulement la mé­thode que S Vincent faisait appliquer à Saint-Lazare, comme chez les Filles de la Charité. Elle est largement exposée par le P. Dodin dans son livre «En prière avec Monsieur Vincent»

p. 46 à 64. Et que je me contente de transcrire :

F. MÉTHODE D’ORAISON

  1. Préparation prochaine
    1. Le soir
      • Lecture du sujet de l’oraison.
      • Le grand silence.
      • En dormant, position du corps dans l’attitude de la prière.
    2. Le matin
      • Lever matinal.
      • Offrande à Dieu de la première pensée de la journée.
      • Acte d’adoration.
      • Acte de remerciement.
      • Offrande à Dieu des actions de la journée.
  2. Préparation immédiate
    • Se mettre en présence de Dieu.
    • Présent au Tabernacle.
    • Présent en soi-même.
    • Le Christ présent au ciel.
    • Invocation de l’assistance de Dieu,
    • Présentation du sujet de l’oraison.
  3. Le corps de l’oraison
    • Considération du sujet de l’oraison.
    • Les affections.
    • Leur excellence.
    • Explication.
    • Méditation de la Passion du Christ.
    • Résolutions
    • Supériorité de l’amour effectif
    • Utiliser les grâces de l’affection.
    • Protéger les résolutions.
    • Pour cela s’appuyer sur Dieu.
  4. Conclusion de l’oraison
    • Remerciement pour les grâces obtenues.
    • Offrande des résolutions.
    • Demande de persévérance

G. LE SUIVI DE L’ORAISON

L’esprit qui anime l’oraison n’est pas mis en congé quand elle prend fin. Il faut qu’il passe dans la vie de tous les jours. Pour cela. S. Vincent se montre plus indépendant et plus ori­ginal en donnant à ses disciples des exercices pour alimenter et compléter leur oraison.

Pour faire court, je me contenterai de les citer sans trop m’y appesantir.

Il recommandait à ses missionnaires de se tenir sans cesse en la présence de Dieu :

«Notre Seigneur veut que nous fassions notre capital de la vie intérieure, de la foi, de la confiance, de l’amour, des exercices de religion, de l’oraison, de la confusion, des humiliations, des travaux et des peines, en la vue de Dieu, notre Souverain Seigneur ; que nous lui présentions des oblations continuelles de services et de souhaits pour procurer des royaumes à sa bonté, des grâces à son Église et des vertus à la Compagnie» (SV. XII, 132).

Il recommandait la pratique de faire en tout la Volonté de Dieu. Moyen qu’il préférait au précédent :

«La pratique de la présence de Dieu est fort bonne, mais je trouve que se mettre dans la pratique de faire la volonté de Dieu en toutes ses actions l’est encore plus ; car celle-ci embrasse l’autre» (SV. XI, 319).

L’examen de conscience particulier avant les repas de midi et du soir et l’examen de conscience général qui se fait immédiatement avant le coucher, afin de dresser le bilan de la journée écoulée.

La lecture spirituelle qui se fait dans la journée, sert à amorcer la réflexion et à favoriser l’oraison :

«Chacun (des missionnaires) aura grand soin de ne laisser passer aucun jour, s’il se peut, sans faire lecture de quelque livre de piété» (RC. X 8).

S. Vincent fait la même recommandation aux Filles de la Charité. «Prendre son temps pour lire un chapitre de quelque livre de dévotion… Cela est bien facile et c’est chose bien nécessaire ; car, le matin, vous parlez à Dieu en l’oraison, et par la lecture Dieu vous parle à vous» (SV .X,116).

La lecture journalière du Nouveau Testament est d’obligation chez les missionnaires afin de bien entrer dans les sentiments de Jésus Christ (SV. XI, 112).

Les Missionnaires, comme les Filles de la Charité, tien­nent chapitre tous les vendredis : chacun s’y accuse de ses manquements et reçoit la pénitence que le Supérieur lui impose (SV. I, 565 ; SV. X, 610). Cette pratique est remplacée de nos jours par la révision de vie, le discernement commu­nautaire, surtout, ou par l’exercice de la correction fraternelle.

Une conférence tous les vendredis aussi est faite aux Missionnaires sur les « Règles » et sur «La pratique des ver­tus». Ceux-ci sont invités à s’exprimer sur le sujet proposé. Le même exercice est fait chez les Filles de la Charité, mais pas aussi régulièrement que S. Vincent l’aurait souhaité (SV. I, 565 ; SV. IX, 15).

Les Missionnaires font une retraite mensuelle (SV. VIII, 70) et les Filles de la Charité rendent compte de leur conduite à leur supérieure et recueillent ses avis (SV. X, 634).

Missionnaires et Filles de la Charité font leur retraite an­nuelle de huit jours :

«Nous faisons nos solitudes tous les ans» (SV. I, 565 ; SV. X 634).

La répétition d’oraison, «qui était auparavant une chose Maudite en l’Église de Dieu» (SV. XII, 9).

«Nous avons sujet de remercier Dieu d’avoir donné cette grâce à la Compagnie, et nous pouvons dire que cette pratique n’a jamais été en usage dans aucune com­munauté, sinon dans la nôtre» (SV. XII, 288).

Le P. Dodin soutient cependant que, pour mettre sur pied cet exercice, S. Vincent s’est inspiré de Bérulle, du «Bon M. Duval» et de la Bienheureuse Marie de l’Incarnation.

La répétition d’oraison est un moyen pédagogique entre les mains de S. Vincent, soutient le P. Dodin :

«En guidant la répétition d’oraison, S. Vincent atteint un triple but il oblige à faire oraison, il éprouve et adapte les méthodes personnelles de prière mentale, enfin, il stimule dans les voies de Dieu en créant une atmosphère de simplicité, de réalisme confiant qui conditionne favora­blement le développement d’une spiritualité communau­taire».

Au-delà de l’aspect pédagogique donné par S. Vincent à la répétition d’oraison, l’art. 46 de nos Constitutions voit dans cette prière partagée «une excellente manière d’animer et de renouveler notre vie». Il élargit cet exercice au «partage d’expériences spirituelles et apostoliques».

Cet article vise d’abord cette « mutualité » dont parle S. Vincent au Conseil des Filles de la Charité du 20 juin 1647. À la question de Louise de Marillac :

«Votre charité ne trouve-t-elle pas à propos que tous les jours (les soeurs) prissent quelque temps ensemble, pour se rapporter les choses qu’elles auront faites, les dif: ficultés qu’elles auront rencontrées, et aviser ensemble de ce qu’elles auront à faire ?», S. Vincent répond : «Il faut cela grande communication l’une à l’autre, s’entre-dire tout. Il n’y a rien de plus nécessaire. Cela lie les coeurs et Dieu bénit le conseil que l’on prend… Qu’il ne se passe rien, qu’il ne se fasse rien et qu’il ne se dise rien que vous ne le sachiez l’une et l’autre. Il faut avoir cette mutualité» (SV. XIII , 641-642).

Mais cet article de nos Constitutions cherche aussi à faire prendre conscience à la communauté qu’elle «fait Commu­nauté», qu’ «elle fait Église» et qu’elle «fait corps», puisqu’elle est assemblée au nom de Jésus, qu’elle est « convo­quée » par le Père, « assemblée » par le Fils afin d’être « en­voyée » (Marc 3,13).

De même, cet article cherche à ce que les missionnaires s’édifient et s’évangélisent mutuellement:

«La répétition d’oraison est un moyen des plus néces­saires que nous ayons pour nous enflammer les uns les au­tres à la dévotion» (SV. XII, 288).

Ainsi, ils s’encouragent l’un l’autre à s’adonner avec plus d’enthousiasme à la mission, qui n’est plus la leur seuls, mais qui devient ainsi celle de tous ceux qui l’ont portée dans leur prière.

Enfin, cet article 46 range «le dialogue fraternel» parmi les formes de la prière partagée, n’est-ce pas parce que la charité est le ciment de la vie fraternelle dont le dialogue est le moyen privilégié ?

La prière a donc pour effet de souder la communauté à travers un dialogue simple et authentique où, dans le respect des différences, l’unité se structure par l’écoute et l’attention aux autres.

H. LA DÉVOTION MARIALE DE SAINT VINCENT.

On ne connaît pas à Saint Vincent une dévotion spéciale à un saint en particulier, comme il ne semblait pas très chaud pour de semblables dévotions. Il honorait cependant les saints et les comparait à des miroirs qui reflètent les perfections de Dieu (SV. XI, 409).

S’il cite certains d’entre eux dans ses lettres ou ses confé­rences, c’est pour les donner en exemple ou pour s’appuyer sur leur enseignement (S. Augustin, S. Benoît, Sainte Thé­rèse, Sainte Geneviève…).

Par contre sa dévotion à la Vierge Marie était aussi théo­logiquement fondée que sobre et vigoureuse, car il n’aimait pas les dévotions voyantes, bruyantes ou trop sentimentales.

La dévotion mariale de S. Vincent s’enracine, en effet, dans sa dévotion au Mystère de l’Incarnation du Verbe. Ma­rie n’est-elle pas celle qui, tout en demeurant Vierge et Im­maculée, a donné chair au Fils de Dieu ?

Il avait aussi une dévotion au Mystère de l’Annonciation qui va lui inspirer ses exhortations aux Dames de la Charité. Le Mystère de la Visitation sera, lui, le support théologique de la vocation de la Fille de la Charité qui va visiter les pau­vres à domicile au lieu de les soigner à l’hôpital, comme les Filles de l’Hôtel-Dieu (SV. X, 113).

En outre, S. Vincent a présenté Marie comme modèle de pureté (SV. X, 479), d’amour de Dieu (SV. IX, 20), d’acquiescement à sa volonté (SV. VII, 419), d’humilité (SV. X, 495), de persévérance, d’amour de la retraite (SV. IX, 340), de modestie (SV. IX, 87), de travail (SV. IX, 484), de soumission (SV. X, 520)…

1. Les Missionnaires

La Bulle d’érection de la Congrégation de la Mission «Salvatoris Nostri» déclare que les membres de la Congréga­tion de la Mission doivent «vénérer la Bienheureuse Vierge

Marie». S. Vincent concrétise cette obligation en l’insérant dans les Règles Communes:

«Et pour ce que ,la même Bulle nous recommande de plus, en termes exprès, d’honorer semblablement d’un culte particulier la Bienheureuse Vierge Marie, et que nous sommes d’ailleurs et à divers titres obligés à cela, nous tâcherons tous et un chacun, de nous acquitter par­faitement, Dieu aidant, de ce devoir, premièrement : en rendant tous les jours, et avec une dévotion particulière, quelque service à cette très digne Mère de Dieu et la nô­tre ; 2e en imitant, autant que nous le pourrons, ses vertus, particulièrement son humilité et sa chasteté ; 3e en exhor­tant ardemment les autres, toutes les fois que nous en au­rons la commodité et le pouvoir, à ce qu’ils lui rendent toujours un grand honneur, et le service qu’elle mérite» (RC. X, 4).

Les Missionnaires, à leur tour, répandaient de fait cette dévotion en encourageant les fidèles à honorer la Vierge, à réciter le chapelet, (chapelet qu’ils portaient à la ceinture comme les Filles de la Charité d’ailleurs) (SV. III, 389 ; SV. IX, 27).

2. Les Confréries de la Charité

La première fondation de S. Vincent est d’emblée mise sous le patronage de Marie qui est donnée en exemple aux membres de cette Association :

«Pour ce que la Mère de Dieu étant invoquée et prise pour patronne aux choses d’importance, il ne se peut que tout n’aille à bien et ne redonde à la gloire du bon Jésus, son Fils, les dites Dames de la Confrérie de la Charité la prennent pour patronne et protectrice de l’oeuvre et la supplient très humblement d’en prendre soin spécial» (SV. XIV, 126).

En outre, le nom de la Vierge Marie est toujours invoqué par les membres avec celui de Jésus au début et à la fin de la journée et avant d’entreprendre leurs activités charitables.

Quand l’ardeur des Dames de ces Confréries diminuait, S. Vincent comparait leur rôle à celui de Marie lors de l’Annonciation :

«Dieu vous a prédestinées, leur dit-il, sans doute et jus­tifiées, à dessein de vous glorifier un jour, et il a fait comme en la Sainte Vierge, à laquelle il a fait connaître par l’ange et elle y a correspondu… et incontinent après, le Saint-Esprit est descendu en elle et a formé le corps de notre Seigneur… Et pour ce qu’elle persévéra parmi tou­tes !es difficultés qui se présentèrent pendant la vie et jus­qu’à la mort de Notre Seigneur, elle a été glorifiée par dessus les anges»…

3. Les Filles de la Charité

Dès 1638, S. Vincent voulut que ses Filles aient le même esprit que la Vierge Marie et que Marie soit le modèle de leurs vertus et de leurs actions. Aux Soeurs qui partaient pour Richelieu, S. Vincent écrivait :

«Il ne reste qu’à aviser qu’elles se comportent dans l’esprit de la Sainte Vierge dans leur voyage et en leur ac­tion, qu’elles la voient souvent comme devant leurs yeux, devant ou à côté d’elles ; qu’elles fassent comme elles s’imagineront que pourrait faire la sainte Vierge : qu’elles considèrent sa charité et son humilité» (SV. I, 513).

Bientôt, il ne tardera pas à mettre cette Compagnie elle- même qu’il voit si digne d’éloge (SV. X, 115 ; SV. X, 114 ; 113, 109) sous le patronage de Marie :

«Recourons, leur dit-il, à la Mère de Miséricorde, la Sainte Vierge notre grande patronne. Dites-lui : «Puisque c’est sous l’étendard de votre protection que la Compa­gnie de la Charité est établie, si autrefois nous vous avons appelée notre mère, nous vous supplions maintenant d’agréer l’offrande que nous vous faisons de cette Com­pagnie en général et de chacune en particulier… Et parce que vous avez obtenu de Dieu l’établissement de cette Compagnie, ayez agréable de la prendre sous votre pro­tection» (SV. IX, 623).

S. Vincent a voulu sa piété mariale aussi vigoureuse et so­bre que théologiquement fondée, ai-je dit. Il avait, dans la théologie mariale, surtout privilégié les trois Mystères de l’Immaculée Conception, motivation de la chasteté qui rend apte à recevoir l’Eucharistie ; l’Annonciation, lieu de l’humanité de Dieu qu’il faut assister dans le pauvre «spiri­tuellement et corporellement» ; la Visitation comme stimu­lant à sortir de soi et de la maison pour «courir au pauvre comme au feu».

Quant à Sainte Louise de Marillac, elle écrit ce qu’elle a vu en songe la veille d’un 8 décembre : «Dieu a voulu faire un acte de sa volonté spécifiée pour la création de l’âme de la Sainte Vierge ce que je soumets entièrement à la Sainte Église, ne m’en servant que pour en honorer davantage la Sainte Vierge, et lui renouveler notre dépendance, en géné­ral, de la compagnie, comme ses plus chétives filles, mais la regardant aussi comme notre très digne et unique Mère»2.

De fait, sur son lit de mort, Louise de Marillac recom­mande à ses Filles : «Priez bien la Sainte Vierge, qu’elle soit votre unique Mère».

La Congrégation de la Mission et la Compagnie des Filles de la Charité ont fidèlement continué cette tradition et suivi cet enséignement qui ont été couronnés par ce «Catéchisme des pauvres» qu’est la Médaille Miraculeuse. À l’image de Catherine Labouré, humble et silencieuse, la Médaille, l’une de nos plus grandes richesses, est un enseignement par l’image, complet et parlant, des principaux Mystères de la foi chrétienne et une application fidèle de la dévotion vincen­tienne.

Pour cela, comme dit le P. Dodin «Tourner la médaille, et l’homme le plus simple, comme le plus savant, comprendra combien grand est l’Amour du Père pour nous, lui qui nous donne : la Grâce, l’Incarnation et la Rédemption».

  1. André DODIN, En prière avec Monsieur Vincent (Paris : Desclée de Brouwer, 1982), p. 191.
  2. Écrits de Louise de Marillac, p. 730.

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