Jesus missionnaire (II)

Francisco Javier Fernández ChentoFormation VincentienneLeave a Comment

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Author: Antoine Douaihy .
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B. Contenu de l’evangelisation

I. Du temps de Saint Vincent

missioDepuis l’expérience de Gannes, la hantise de Saint Vincent était «que le pauvre peuple se damne faute de savoir les choses nécessaires à salut et faute de se confesser» (I, 115). Pour la calmer, «il aurait semblé (aux signataires du contrat de fondation de la Congrégation de la Mission) qu’on pourrait aucunement remédier par la pieuse association de quelques ecclésiastiques de doctrine, piété et capacité connues… pour… s’appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple allant de village en village… prêcher, instruire, exhorter et catéchiser ces pauvres gens et les porter à faire tous une bonne confession générale de toute leur vie passée» (SV. XIII, 198).

Pour Saint Vincent, le contenu de l’évangélisation était : travailler au salut du pauvre et ignorant peuple des campagnes, en l’instruisant des Mystères de la religion :

«C’est là le capital de notre vocation, et tout le reste n’est qu’accessoire» (SV. XI, 133).

Cette instruction qui se faisait gratuitement et selon la petite méthode, comportait :

Une grande prédication, faite le matin avant que les paysans ne se rendent aux champs, par le plus expérimenté de l’équipe missionnaire. Elle traitait les grands sujets : la miséricorde, la réconciliation, le salut…

Un catéchisme qu’ affectionnait beaucoup Saint Vincent. C’était un dialogue familier et adapté aux circonstances et à l’auditoire. Le grand catéchisme s’adressait, le soir, aux adultes et le petit catéchisme aux enfants, l’après-midi.

Parfois, les missionnaires utilisaient des panneaux illustrès, balbutiement de l’audiovisuel.

La confession générale qui était le baromètre du succès de la mission avait lieu, généralement, vers la fin de la mission.

La réconciliation et le règlement des conflits et des différends :

«Nous sommes choisis de Dieu, dit-il à ses missionnaires, comme instruments de son immense et paternelle charité… Il est donc vrai que je suis envoyé, non seulement pour aimer Dieu, mais pour le faire aimer. Il ne me suffit pas d’aimer Dieu si mon prochain ne l’aime. Je dois… faire en sorte que… d’une charité mutuelle (les hommes) s’entr’aiment pour l’amour de Dieu» (SV. XII 262- 263).

La fondation de la Confrérie de la Charité avait pour objectif de prendre en charge les pauvres, spirituellement et corporellement. C’était là l’impact social de la mission qui donnait à l’Église un autre visage et à la mission sa crédibilité.

Enfin, l’aide au clergé des paroisses. C’est Abelly qui le souligne :

«En plus de toutes ces fonctions pour les laïcs, Vincent demande aussi à ses missionnaires de travailler, pendant le temps de la mission, et il y insiste, à rendre tous les services possibles aux ecclésiastiques qui se trouvent aux lieux où se font les missions, et ceci, spécialement au moyen des conférences spirituelles dans lesquelles on traite avec eux des obligations de leur état, des défauts à éviter, des vertus que l’on doit pratiquer parce qu’elles sont propres et convenantes au sacerdoce, et d’autres points semblables» (Abelly, T. 2, p. 22-23).

Je ne vais pas m’étendre sur la mission «ad gentes» chez Saint Vincent. Il la classait dans la catégorie «des plus pauvres» et des «plus éloignés». À ce titre, elle faisait partie du projet missionnaire de la Congrégation de la Mission et était même le signe de son origine divine :

«Chacun pense dans le monde, dit-il à ses missionnaires, que cette Compagnie est de Dieu parce qu’on voit qu’elle accourt aux besoins plus pressants et plus délaissés» (SV. XII, 90).

2. L’évangélisation de nos jours

Depuis le premier envoi officiel des Apôtres par Jésus (Mt. 28) jusqu’à nos jours, l’Église a toujours été et ne peut être qu’évangélisatrice. Car elle n’est pas un «pour-soi» et ne se justifie pas en elle-même :

«Malheur à moi si je n’évangélise», s’écrie S. Paul.

Mais ce qui a changé au long des siècles, c’est la méthode, le langage de l’évangélisation et les points d’insistance.

En appelant l’Église à une «Nouvelle Évangélisation», Jean – Paul Il appelle plutôt à une «évangélisation nouvelle», c’est-à-dire renouvelée non dans son essence, mais dans ses méthodes, son langage et sa façon d’insertion.

Dans l’esprit de Saint Vincent, je m’attarderai sur trois modalités de cette évangélisation nouvelle – qui sont autant de langages qui expriment l’annonce de Jésus Christ aux hommes de notre temps :

  1. La solidarité avec le pauvre.
  2. L’engagement dans la lutte pour la justice.
  3. La libération de l’homme.

La solidarité avec le pauvre est une forme de l’imitation de Jésus Christ Incarné. En effet, comme le Christ s’est fait solidaire de l’Homme qu’il a assumé dans toutes ses dimensions, ainsi le missionnaire, homme pris parmi les hommes, doit vivre dans le monde et l’histoire, en solidarité complète avec ses frères humains (G.S., 1).

Il doit commencer par les aimer, d’un amour effectif, à la façon du Seigneur. Car on ne peut évangéliser que ceux qu’on aime. Et comme l’amour tend de soi à l’union, ainsi le missionnaire se doit de partager la vie de ceux qu’il évangélise : juif avec les juifs, grec avec les grecs…

«La solidarité, écrit Jean-Paul II dans son encyclique « Sollicitudo Rei Socialis », n’est pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous» (n° 38).

Pour le missionnaire, cette solidarité est une réelle communion avec le pauvre en Jésus Christ. Beaucoup plus qu’une vertu humaine, la communion est l’aboutissement de la charité plénière. Il s’agit donc, pour le missionnaire «d’être-avec» le pauvre, parce que, malgré toute sa bonne volonté, il ne pourra jamais «être comme» le pauvre. Il se doit d’être dans le monde du pauvre à la manière du levain dans la pâte et du sel dans les aliments.

La communion avec le pauvre s’exprime par le fait qu’on assume son destin avec tous les risques de marginalisation et de persécution et par le fait de devenir la voix des sans voix, de cette masse silencieuse qu’on a réduit au silence.

Déjà et à plusieurs reprises, Saint Vincent avait insisté auprès de ses Fils, comme de ses Filles, de ménager les biens mis à leur disposition, car ils sont les biens des pauvres «qui nous nourrissent», de vivre pauvrement quant à la nourriture, les vêtements, les maisons, les églises et de n’avoir rien de superflu.

En outre, non content de cela, Saint Vincent veut – et cela pourrait nous être spécifique – que nous allions vers les plus pauvres. C’est, 300 ans avant Puebla, «l’option fondamentale pour le pauvre» :

«Allons donc, mes frères, dit-il à ses missionnaires, et nous employons avec un nouvel amour à servir les pauvres, et même cherchons les plus pauvres et les plus abandonnés» (SV. XI, 393).

3. L’engagement dans la lutte pour la justice

Notre planète Terre vit de nos jours une situation endémique d’injustice. En effet, une minorité est en train d’en exploiter – parfois d’une façon irréversible – les richesses à son propre profit, alors que la majorité de ses habitants se voit refusée même la satisfaction de ses besoins les plus primaires. Ce partage inégal des biens de la terre – originairement créés pour tous – exacerbé de nos jours par le phénomène de la mondialisation, établit un désordre économique et social hégémonique et uniformisant, qui – et c’est un comble – se prétend être le champion mondial de l’application des droits de l’homme et se présente comme le parangon et le gendarme de la moralité internationale.

C’est ce cynisme pharisaïque qui est en train d’affamer le tiers de l’humanité, de freiner irréversiblement le développement de Continents entiers (Afrique, Amérique Latine) et de noyer irrémédiablement dans les dettes des économies nationales de plus en plus dépendantes de la loi du marché.

Les Églises ne sont pas toutes, au moins à cause de leur silence, innocentes de cet assassinat collectif. Leur complicité se fait au moins par omission, sinon par leur double langage.

Comment pourraient-elles alors vivre pour leur part, le mystère de la solidarité de Dieu avec les hommes ?

Dans quel langage pourraient-elles annoncer l’Incarnation du Verbe de Dieu ?

Leur message serait-il crédible ?

Où est leur rôle prophétique ? Le message du prophète est triple : il conteste, il atteste et il pose des actes prophétiques. Ordinairement, les Églises sont persécutées. Nos Églises sont-elles persécutées comme les bons prophètes ? Pourquoi pas ?

Y aurait-il un évangile chimiquement spirituel ou spirituellement pur ? L’Évangile de Jésus Christ serait-il neutre ?

Dans le langage de son temps, Saint Vincent tonnait déjà contre certains prêtres de S. Lazare, tentés par cet angélisme, en affirmant avec véhémence qu’il faut assister les pauvres ET spirituellement ET corporellement. De plus, le discours officiel de l’Église, surtout depuis le Concile Vatican II, met un lien constitutif entre évangélisation et développement de l’homme. Le Synode Romain de 1971 le dit expressément :

«Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Église pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive».

Qu’en est-il, en fait, de sa praxis ?

Mais c’est surtout l’irremplaçable charte de l’Évangélisation qu’est «Evangelii Nuntiandi» de Paul VI qui l’exprime clairement : «Entre évangélisation et promotion humaine – développement, libération – il y a des liens profonds. Liens d’ordre anthropologique, parce que l’homme à évangéliser n’est pas un être abstrait, mais qu’il est sujet aux questions sociales et économiques. Liens d’ordre théologique, puisqu’on ne peut pas dissocier le plan de la création du plan de la Rédemption qui, lui, atteint les situations très concrètes de l’injustice à combattre et de la justice à restaurer. Liens de cet ordre éminemment évangélique qui est celui de la charité : comment en effet proclamer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et la paix la véritable, l’authentique croissance de l’homme ?» (n° 3).

Pour nous, évangéliser aujourd’hui c’est travailler avec tous les hommes de bonne volonté à réaliser, «à la sueur de nos fronts et à la force de nos bras», ce que Jean-Paul préconise dans le discours d’ouverture des travaux de la 3e.

Conférence de l’Épiscopat Latino-américain à Puebla, le 28 juillet 1979 :

«L’Église a appris que sa mission évangélisatrice comporte, pour une part indispensable, l’action pour la justice et la tâche de promotion de l’homme».

Seuls le travail commun de toutes les Églises, leur unité visible et tous les hommes de bonne volonté, peuvent freiner quelque peu les retombées négatives de la mondialisation sur les pauvres et les plus pauvres.

4. La libération de l’homme

Je n’entrerai pas dans la polémique épineuse qui entoure la Théologie de la libération, pourtant si éminemment biblique.

Cependant, et Jésus et l’église ont mis un lien étroit entre évangélisation et libération de l’homme. Saint Vincent, quant à lui, ne séparait jamais l’annonce du salut en Jésus Christ des réalisations concrètes de la charité qui la rendaient crédible. Il a donc multiplié les actes prophétiques « inaudits » jusqu’alors. Il a surtout aidé le pauvre à devenir lui-même auteur de sa libération en lui apprenant à sortir de sa situation d’assisté, rapporte Abelly :

«Saint Vincent fit aussi acheter et dresser des métiers, des outils et autre choses convenables pour occuper (les pauvres) selon leurs petites forces et industries, afin d’éviter l’oisiveté» (Livre I, ch. 45, p. 213).

Les multiples aliénations économiques, sociales et culturelles dont souffre l’homme aujourd’hui doivent être prises en compte dans notre vision et nos projets missionnaires. Il ne suffit plus de sauver les âmes. Il faut surtout sauver l’homme dans la multiplicité de ses dimensions.

Annoncer l’Évangile aujourd’hui au pauvre, c’est surtout l’aider à devenir lui-même l’auteur de sa propre promotion humaine, comme l’écrit Paul VI dans «Evangelii Nuntiandi»

«L’évangélisation comporte un message explicite, adapté aux diverses situations, constamment actualisé, sur les droits et les devoirs de toute personne humaine, sur la vie familiale…, sur la vie en commun dans la société, sur la vie internationale, la paix, la justice, le développement ; un message particulièrement vigoureux sur la libération» (n° 29).

Mais pouvons-nous prétendre libérer les hommes si nous ne sommes pas libres nous-mêmes ?

L’oeuvre de libération est si immense qu’elle ne peut se faire qu’en commun : soit à l’intérieur de la Congrégation de la Mission, (utiliser les médias: Internet, médias audiovisuels, travailler en équipe…), soit à l’intérieur de la Famille Vicentienne, soit dans une étroite collaboration avec les organismes d’aide humanitaire et avec tous les hommes de bonne volonté.

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