Recevoir, de Dieu, ma vocation
Vincent de Paul qui a fondé en 1617 les Confréries de la Charité pour le soulagement des pauvres malades chez eux, engage sa nouvelle dirigée à participer à cette action caritative. Très pédagogue, Vincent propose des étapes successives. C’est d’abord la préparation de linge, de vêtements pour ceux qui en sont démunis. Louise est heureuse d’avoir pu réaliser ce travail avec l’une de ses cousines, Mademoiselle du Fay, tout en priant Dieu : « Le jour de la Pentecôte… nous demeurâmes dans l’attente et désir de faire la volonté de Dieu. L’ouvrage que sa charité m’a donné est fait. Si les membres de Jésus en ont besoin, et qu’il vous plaise, mon Père, que je vous l’envoie, je n’y manquerai pas, je n’ai pas voulu le faire sans votre commandement »1. Quelques mois plus tard, Monsieur Vincent la remercie d’avoir accueilli chez elle une jeune fille en détresse. Puis, peu à peu, Louise va visiter les pauvres chez eux.
Vincent de Paul qui découvre en Mademoiselle Le Gras une femme intuitive, toujours prête à aller de l’avant, une femme ayant le sens de l’organisation, très à l’aise au milieu des Dames de la Charité va, en quelques années, faire d’elle sa collaboratrice dans l’œuvre des Confréries de la Charité. Le 6 mai 1629, Louise entreprend son premier voyage missionnaire à travers la France. Elle part à Montmirail visiter les diverses Confréries de la région. Conscient de l’importance de cet événement, Vincent lui écrit très solennellement :
« Je vous envoie les lettres et le mémoire qu’il vous faut pour votre voyage. Allez donc, Mademoiselle, allez, au nom de Notre-Seigneur. Je prie sa divine bonté qu’elle vous accompagne, qu’elle soit votre soulas en votre chemin, votre ombre contre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre force en votre travail et qu’enfin il vous ramène en parfaite santé et pleine de bonnes œuvres.
Vous communierez le jour de votre départ, pour honorer la charité de Notre-Seigneur et les voyages qu’il a faits pour cette même et par la même charité, les peines, les contradictions, les lassitudes et les travaux qu’il y a soufferts, et afin qu’il lui plaise bénir votre voyage, vous donner son esprit et la grâce d’agir en ce même esprit et de supporter vos peines en la manière qu’il a supporté les siennes. « 2
Au cours de tous ces voyages, de ces visites dans les chaumières et les taudis, Louise voit de ses yeux l’immense pauvreté d’hommes, de femmes et d’enfants. Elle s’ingénie, avec les multiples Dames appartenant aux Confréries, à la soulager en leur procurant nourriture, soins, vêtements. Des quêtes sont organisées dans les églises, des maîtresses sont formées pour éduquer les petites filles pauvres. Confrontée à tant de détresse, Louise comprend que Dieu lui demande d’aider le prochain, non seulement sur le plan corporel, mais aussi sur le plan spirituel. Relatant sa visite de la confrérie d’Asnières, Louise constate que « tout au long du voyage, il me semblait agir sans aucune contribution de moi-même »3. Elle ressent » beaucoup de consolation que Dieu voulut que, indigne que je suis, j’aidasse à mon prochain à le connaître »4. Pour réaliser ce nouveau service, elle supplie Dieu de la rendre participante de « sa vraie et réelle humilité » et de l’aider à acquérir « charité et douceur envers le prochain »5.
A partir de 1630, les Confréries de la Charité se développent dans les différentes paroisses de Paris. Les Dames de la Noblesse désirent participer activement à ce grand élan de charité suscité par Vincent de Paul. Donner de l’argent, apporter les fonds nécessaires pour nourrir et soulager ceux qui souffrent, ne leur posent aucun problème, mais monter les étages des taudis, donner les soins concrets que requièrent les malades, tout cela se révèle rapidement au dessus de leurs forces (c’est tellement hors de leurs habitudes !). Alors elles envoient leurs servantes en leur place.
L’avenir de ces Confréries parait bien compromis, car la Charité ne peut se transformer en service commandé. C’est alors qu’au cours d’une mission à Suresnes, Vincent de Paul rencontre une paysanne désireuse de consacrer sa vie au service des pauvres. Depuis déjà plusieurs années, elle avait entrepris l’éducation des petites filles pauvres dans les villages de sa région. Marguerite Naseau vient servir les malades dans la Confrérie de la Charité de la paroisse Saint Sauveur et tout naturellement Vincent de Paul l’envoie trouver Louise de Marillac. Les deux femmes, sensiblement du même âge (Louise est née en 1591, Marguerite en 1594) partagent leur désir de vivre en chrétienne, d’aller vers ceux qui souffrent… L’enthousiasme de Marguerite attire d’autres paysannes : Louise les accueille, leur explique le travail près des malades, les encourage dans ce service souvent bien rude.
Dans sa méditation quotidienne, Louise s’interroge sur le devenir de ces « nouvelles servantes des pauvres ». Ne serait-il pas nécessaire de les réunir en une sorte de Confrérie pour assurer leur formation, soutenir leur fidélité ? N’est-ce pas là la petite communauté consacrée au service des pauvres qu’elle a entrevu à la Pentecôte 1623 ? Dieu ne lui demanderait-il pas de devenir la Servante de ces servantes ? Elle souhaite être toute disponible pour recevoir de Dieu la vocation qu’il lui présente. Elle note au soir d’une journée de retraite en 1632 : »Je me suis sentie pressée intérieurement que, très volontiers, je me mettrais dans la sainte indifférence pour avoir plus de disposition à recevoir la vocation de Dieu et effectuer sa très sainte volonté, m’estimant indigne que sa bonté veuille avoir desseins sur mon âme, que je désire être entièrement accomplis en moi et me veux toute ma vie offrir à Dieu pour cela. » 6 Mais aura-t-elle la force de vivre cet engagement avec ces paysannes, dont la culture, le mode de vie sont si différents des siens ? Comment sa famille, ses amies comprendront-ils une telle décision, un tel déclassement social ? Louise est consciente des difficultés qu’elle risque de rencontrer. Elle demande à Dieu de lui « donner un grand courage et confiance pour entreprendre tout ce qu’il demandera de moi, puisque ce que je ne pourrai, tant par mon impuissance que par les autres empêchements qui sont en moi, Dieu le fera par sa toute-puissance et bonté. » 7
Tout au long de sa retraite en mai 1632, Louise contemple le Fils de Dieu « dont les actions sont pour notre exemple et instruction »8. Elle désirerait pouvoir honorer Jésus en tous les états : sa vie à Nazareth, son séjour au désert, ses longues journées avec ses Apôtres, pour « l’accroissement de la gloire de Dieu en moi »9 Cependant, elle s’arrête longuement sur l’abaissement de Dieu, voulu pour faire connaître à toute créature son amour et lui apporter le salut. « Que l’abaissement de Dieu en ce qu’il veut que nous soyons parfaits comme lui, me doit donner un grand courage, provoquer à une grande pureté en mes intentions, et me donner assurance qu’il ne manquera pas de m’assister en ce qu’il demandera de moi des choses surpassant ma capacité. » 10
La crainte de Louise de Marillac, devant la vocation qui se présente à elle, demeure grande. Le choix de Dieu n’est-il pas au dessus de ses forces, au dessus de ce que, humainement, elle peut accomplir ? C’est pourquoi elle tourne son regard vers Jésus sur la Croix, cet infâme instrument du supplice du Fils de Dieu. « Puisque pour me donner le plus grand témoignage de son amour qu’il ait jamais fait, Jésus a voulu choisir le lieu le plus ignominieux, j’accepterai le choix qu’il veut que je fasse de la manière la plus abjecte que je pourrai, et au lieu où il n’y a plus de sujet de contentement pour le monde. »11
Pour connaître véritablement si l’appel qu’elle entend est bien la volonté de Dieu, elle décide de recourir en toute confiance à son directeur, comme le recommande François de Sales dans la brève méthode pour connaître la volonté de Dieu12. « Je dois avoir une grande confiance en Dieu, et assurance que sa grâce me suffira pour effectuer sa sainte volonté quoiqu’elle paraisse en chose difficile, pourvu que ce soit véritablement le Saint-Esprit qui m’appelle, ce que je connaîtrai par l’avis qu’il m’en fera donner. »13 La réponse de Vincent de Paul semble plutôt la détourner de son projet. « Vous êtes à Notre Seigneur et à sa Sainte Mère ; tenez-vous à eux et à l’état auquel ils vous ont mise, en attendant qu’ils témoignent qu’ils désirent autre chose de vous »14. Rien, pour le moment, ne semble indiquer que la réunion des servantes des pauvres en une Confrérie distincte de celle des Dames soit désirable. Cependant, Vincent réfléchit, recherchant, lui aussi, la volonté de Dieu à travers tous ces événements. Quelques semaines plus tard, il envoie à sa collaboratrice une nouvelle lettre encore plus explicite : « Vous cherchez à devenir la servante de ces pauvres filles, et Dieu veut que vous soyez la sienne, et peut-être de plus de personnes que vous ne le seriez en cette façon ; et quand vous ne seriez que la sienne, n’est-ce pas assez pour Dieu que votre cœur honore la tranquillité de celui de Notre-Seigneur ?… Je vous prie une fois pour toutes de n’y point penser, jusques à ce que Notre-Seigneur fasse paraître qu’il le veut, qui donne maintenant les sentiments contraires à cela »15.
Louise ne se laisse pas abattre par ce refus. Son désir d’être toute à Dieu se fortifie au contraire malgré l’ignorance où elle se trouve. Elle note à la fin de sa retraite : » En acceptant cette ignorance des voies par lesquelles Dieu veut que je le serve, je me dois abandonner entièrement à sa disposition pour être entièrement à Lui ; et pour préparer mon âme, je dois volontairement renoncer à toute chose pour le suivre »16. Paisiblement, comme l’invite souvent Vincent de Paul, Louise poursuit son action charitable auprès des pauvres de sa paroisse Saint Nicolas du Chardonnet et près des paysannes en action dans les autres paroisses de Paris.
Un événement nouveau, en février 1633, bouleverse et Monsieur Vincent et Mademoiselle Le Gras. Marguerite Naseau, la toute première servante des Confréries, qui a recueilli dans sa chambre une pauvre femme atteinte de peste, est rapidement atteinte par la maladie. Elle se fait conduire à l’hôpital Saint Louis et se prépare à la mort. Louise de Marillac en avertit Monsieur Vincent et lui dit son intention d’aller visiter la malade. Vincent de Paul l’encourage, malgré le risque possible de contamination : » Non, Mademoiselle, ne craignez point ; Notre-Seigneur veut se servir de vous pour quelque chose qui regarde sa gloire, et j’estime qu’il vous conservera pour cela. Je célébrerai la sainte messe à votre intention. » 17
Patiemment, Louise de Marillac attend que Dieu se manifeste d’une façon plus explicite. Durant sa retraite de mai 1633, elle note son désir d’être totalement disponible pour accomplir la volonté de Dieu : « Je dois apprendre à me tenir cachée en Dieu, dans le désir de le servir sans plus rechercher le témoignage de créatures, et satisfaction en leur communication, me contentant que Dieu voie ce que je lui veux être, pour laquelle chose, il veut que je me donne à Lui afin qu’il opère en moi cette disposition, et je l’ai fait par sa grâce »18.
Louise revient sans cesse sur cette pensée : elle doit se contenter que Dieu seul voie ce qu’elle veut être, son désir de totale disponibilité en réponse à son appel, sans se tourmenter de ce que dira le monde par rapport au choix de vie qu’elle envisage. Pour elle, seul compte son don sans réserve à Dieu qu’elle veut servir en son prochain, à l’imitation de Jésus Christ : « Je dois encore me donner à Dieu pour servir le prochain dans une condition sujette à blâme aux yeux du monde, imitant Notre-Seigneur en sa conversation parmi les pécheurs, et en toute sa vie méprisant son intérêt temporel, pour l’utilité de ses créatures, ce que je désire faire si c’est sa sainte volonté. »19
Une autre inquiétude se fait jour au fond du cœur de Louise. Réunir les servantes des pauvres en une Confrérie, devenir leur servante, c’est s’engager à mener avec elles une vie commune. Est-elle capable, elle, née dans une famille noble, de vivre en communauté avec les filles des champs ? C’est encore l’exemple du Fils de Dieu parmi les hommes qui vient réconforter Louise : « Que je dois consacrer le reste de mes jours, pour honorer la sainte vie cachée de Jésus en terre, lequel y étant venu pour accomplir la volonté de Dieu son Père l’a faite toute sa vie ; et voyant que la vie commune avait plus besoin d’exemples, il y a plus donné de temps,… en quoi je le supplie de tout mon cœur me faire la grâce de l’imiter, bien que j’en sois indigne, espérant de sa bonté, qu’après me l’avoir si longtemps donné en désir, il me l’octroiera en effet. »20
La recherche de la volonté de Dieu manifeste le désir de l’accomplissement de l’œuvre de l’Amour de Dieu. Vincent de Paul a appris de François de Sales qu’il faut « être bien humble et ne point penser de trouver la volonté de Dieu à force d’examen et subtilité de discours »21. Il attend donc que les événements lui manifestent l’orientation à prendre, et enseigne à Louise, toujours pressée d’aboutir, « à ne pas enjamber sur la Providence »22.
En mai 1633, une lettre de Vincent de Paul laisse percevoir une progression dans sa réflexion : « Pour le regard de l’affaire de votre emploi, je n’ai pas encore le cœur assez éclairci devant Dieu touchant une difficulté qui m’empêche de voir si c’est la volonté de sa divine Majesté. Je vous supplie, Mademoiselle, de lui recommander cet affaire pendant ces jours auxquels il communique plus abondamment les grâces du Saint-Esprit, ains le Saint-Esprit même. Insistons donc aux prières et tenez-vous bien gaie »23.
Durant plusieurs mois encore, Louise demeure en attente et patiemment, se prépare à accueillir cette vocation toute nouvelle. Ce qui domine, c’est l’ardent désir d’entrer dans ce que Dieu désire d’elle : « Il m’a semblé que notre bon Dieu m’a demandé et je lui ai donné entièrement mon consentement pour opérer, par lui-même, ce qu’il veut voir en moi »24. Louise a appris dans son oraison que Dieu ne se refuse pas à celui qui le cherche en vérité.
En août, Vincent de Paul qui termine sa retraite annuelle à Saint Lazare, avertit sa collaboratrice qu’il a longuement pensé à son projet : « Je pense que votre bon ange a fait ce que vous me mandez par celle que vous m’écrivîtes. Il y a quatre ou cinq jours qu’il a communiqué avec le mien touchant la Charité de vos filles ; car il est vrai qu’il m’en a suggéré souvent le ressouvenir et que j’ai pensé sérieusement à ce bon œuvre ; nous en parlerons, Dieu aidant, vendredi ou samedi. »25
Quelques semaines plus tard, Louise peut, à son tour, en parler aux servantes des Confréries. Et le 29 novembre 1633, Louise a la joie « d’accueillir en sa maison pour les faire en communauté »26 quelques unes de ces Filles des Charités. « C’est ainsi que prît naissance la Compagnie des Filles de la Charité, servantes des pauvres malades « 27.
Après la fondation de la Compagnie des Filles de la Charité, Louise souhaite vivre pleinement cette vocation reçue de Dieu. C’est pourquoi la recherche et l’accomplissement de la volonté de Dieu continuent à orienter la vie de Louise de Marillac. Lorsque, vers 1645, elle prépare les divers règlements, ce qu’elle écrit pour la Supérieure montre comment elle envisage la charge qui lui est confiée : « Elle doit être entièrement détachée du soin d’elle-même après s’être toute donnée à Dieu pour exécuter la Sainte Volonté en cet emploi si important. »28. Son rôle d’autorité se situe nettement en lien avec la volonté de Dieu
Louise de Marillac a, par son expérience personnelle, appris que la volonté de Dieu est toujours à découvrir, qu’elle n’est pas une volonté toute faite que l’on n’aurait qu’à accepter. Les Filles de la Charité, en s’engageant dans cette Compagnie nouvelle, ont accueilli l’appel de Dieu et y ont répondu librement. Par ses conseils, ses directives, Louise leur apprend à vivre dans la foi l’adhésion à la volonté de Dieu. Au début de l’année 1659, Louise de Marillac envoie ses vœux de bonne année aux Sœurs de Nantes : » Je supplie Notre-Seigneur vous éclairer toutes, en vous donnant sa sainte bénédiction au commencement de l’année, en laquelle je vous souhaite la fidélité à accomplir la très sainte volonté de Dieu. »29
Mais Dieu se manifeste habituellement par des intermédiaires. La Règle de vie, que Louise nomme « règlements », a un rôle important dans la vie quotidienne : elle est là pour baliser la route. Elle n’est pas entrave à la liberté, mais joue plutôt le rôle de tuteur pour permettre une croissance harmonieuse : « Pensez à votre perfection, en observant vos petits règlements, autant ou plus pour les actes intérieurs que les extérieurs, comme sont le support, la cordialité et douceur, la réformation de nos passions…, à quoi vous servira beaucoup la conformité à la volonté de Dieu, prenant de la conduite de sa Providence tout ce qui vous arrive contre vos sentiments ».30 Pour Louise de Marillac, la volonté de Dieu n’est pas quelque chose d’abstrait. Dieu désire que chaque homme puisse découvrir, rencontrer son amour, au delà de ses imperfections, de son péché. » Tout votre soin doit être de plaire à Dieu par votre fidélité à son service en l’exactitude de vos règles »31, aime répéter Louise aux différentes communautés implantées loin de Paris.
Les Filles de la Charité vivent en communauté fraternelle. Si cette vie commune a été voulue pour mieux assurer le service des pauvres, Louise de Marillac n’ignore pas qu’il est parfois très difficile de s’accepter différentes, de supporter les manies ou les défauts des autres. Pourtant, témoigner ensemble de la Charité de Jésus-Christ, n’est-ce pas entrer dans le plan de Dieu ? « Je souhaite de tout mon cœur, mes chères Sœurs, que vous ayez fait entre vous un renouvellement de résolution d’être parfaitement unies ensemble, pour la pratique exacte de votre règlement, non tant pour les choses extérieures que de pratiques intérieures, qui consistent à recevoir tous les événements et contradictions de la part de la divine Providence, à avoir grand support les unes des autres et intelligence entière. Cela fera, mes chères Sœurs, que les personnes de dehors seront édifiées »32. Vivre ensemble en charité, dans le respect et la bienveillance, ne peut se concevoir que si est accueillie, librement et joyeusement, la vocation reçue de Dieu. Chaque Sœur est invitée à imprimer à sa vie le sens que Dieu, dans son amour, veut pour elle, qu’il lui a signifié par son baptême, et par l’appel à une vie consacrée. La réponse est totalement libre : adhérer à la volonté de Dieu, c’est aller sur un chemin de salut et de bonheur, pour soi et pour les autres. » Courage donc, mes chères Sœurs, ne songeons qu’à plaire à Dieu en la pratique exacte de ses saints commandements et conseils évangéliques, puisque la bonté de Dieu a daigné nous y appeler, à quoi nous doit servir l’exacte observance de nos règles, mais cela gaiement et diligemment. »33
Mais la route est remplie d’embûches. La principale vient souvent de soi-même, d’une recherche anxieuse et excessive de perfection. Louise connaît ce danger, et apprend aux Sœurs à se méfier de leur imaginaire et à vivre en paix et en charité avec elles-mêmes » Je vous prie de renouveler votre courage pour servir Dieu et les pauvres avec plus de ferveur, d’humilité et charité que jamais ; travaillant à la récollection intérieure parmi vos occupations, particulièrement à celle de soumission au bon plaisir de Dieu, d’abandon à la Providence, et non pas à une étude chagrine de la connaissance de tout ce qui passe en votre esprit, qui souvent se termine en vertu imaginaire, rend de mauvaise humeur, et travaillant trop, se porte à la fin au dégoût de la solide vertu… La perfection ne consiste pas en cela, mais bien en la solide charité. »34
Dans leur vie spirituelle, les Sœurs rencontrent des doutes, des inquiétudes, Louise les oriente vers leur directeur spirituel, leurs Supérieurs. Ils sont, pour elles, l’interprète de la volonté de Dieu. Le recours à un intermédiaire humain est une manière d’honorer l’attitude de Jésus-Christ envers son Père « Notre-Seigneur déférait toujours à la volonté de Dieu son Père, et en quelque façon, vous honorerez cette déférence quand, pour son amour, vous quitterez votre opinion pour suivre celle de la sœur Servante35, comme aussi elle le pourra faire dans les rencontres auxquelles Dieu ne sera point offensé, ni le prochain « 36. Cette démarche envers la supérieure, le directeur spirituel ou le confesseur implique toujours une attitude d’humilité : c’est ce qu’indique Louise par le terme « déférence ».
Les changements de lieux, les insertions nouvelles sont pour Louise de Marillac de nouveaux appels de Dieu La rupture du départ, la crainte de l’inconnu sont à offrir librement. Dans la conférence sur la nécessité d’agréer les changements, Louise exprime les raisons qui permettent de garder la paix intérieure. Son regard se tourne toujours vers le Fils de Dieu, modèle de toute vie : »La première raison pour laquelle les Sœurs de la Charité doivent agréer les changements de lieux, de personnes et d’emplois, est le respect que l’on doit à la soumission du Fils de Dieu qui en a usé de la sorte. La seconde est que tous ces changements peuvent et doivent arriver ; souvent l’on n’aurait jamais la paix intérieure tant nécessaire pour plaire à Dieu et faire sa sainte volonté »37. En 1655, trois Filles de la Charité s’apprêtent à partir en Pologne rejoindre les premières missionnaires envoyées dans ce pays trois ans plus tôt. Louise exprime toute son émotion à l’approche de ce nouveau départ et sa joie d’entrer plus avant dans le Dessein de Dieu : »Voici le temps que la divine Providence a choisi pour le partement de nos chères Sœurs, que nous laissons partir avec douleur, nous séparant d’elles, et avec joie pour l’assurance que nous avons qu’elles vont faire la volonté de Dieu, et s’unir avec vous pour l’accomplissement de ses saints desseins dans le royaume de Pologne »38. Cet envoi en mission est une invitation pour toutes à faire l’expérience de l’Amour de Dieu qui agrée et la donation de chacune et le service rendu aux pauvres. » Il faut que nous fassions entièrement mourir nos passions et inclinations par la mortification de nos sens aussi, que nos cœurs en soient avides pour être remplis d’amour, par la grâce de Dieu, en sorte que sa bonté puisse avoir agréable les sacrifices de vous-mêmes, que vous offrez souvent à Sa Majesté, et les services que vous rendez aux pauvres « 39
Louise qui a médité l’Évangile, les Épîtres de Paul, sait que la volonté de Dieu n’est pas une aliénation de la volonté de l’homme. Lorsque le Christ apprend aux disciples à dire à Dieu le Père : « Que ta volonté soit faite », il ne leur apprend pas une prière de résignation. C’est un appel à Dieu pour que sa Volonté puisse se réaliser sur la terre, pour que son œuvre d’amour puisse être effective. Accomplir la volonté de Dieu est pour Louise de Marillac l’expression d’un très pur amour : « Notre vie doit donc, après un entier acquiescement de notre volonté à la pureté du très saint amour, être continuellement dans l’observance de la Règle que notre Amant nous a donnée. »40 L’existence de Louise est marquée par la recherche et l’accomplissement de la volonté de Dieu. Loin de l’amoindrir, cette recherche a construit sa personnalité et l’a menée sur un chemin de liberté. » Tu n’es donc plus esclave, mais fils ; et comme fils, tu es aussi héritier ; c’est là l’œuvre de Dieu »41. A sa suite, les Filles de la Charité sont invitées à accueillir pleinement leur vocation et à la vivre en toute liberté, annonçant par leur vie toute la richesse de l’amour de Dieu.
- E. 8 – A Monsieur Vincent – 5 juin 1627
- Doc. 26 – De Monsieur Vincent – 6 mai 1629
- E. 702 – A. 50 – Visite des Confréries d’Asnières et de Saint Cloud
- E. 702 – A. 50 – Visite des Confréries d’Asnières et de Saint Cloud
- E. 699 – A. 7 – Pensées de retraite – 7ème journée
- E. 711 – A. 5 – Retraite 1632
- ibid.
- E. 712 – ibid.
- E. 711 – ibid.
- E. 712 – ibid.
- ibid.
- FRANCOIS DE SALES – Traité de l’Amour de Dieu – Livre huitième, chapitre XIV
- E. 712 – A.5 – Retraite de 1632
- Doc. 86 – de Vincent de Paul – vers 1632
- Doc. 87 – de Vincent de Paul – 1632
- E.713 – A.5 – Retraite vers 1632
- Doc. 90 – de Vincent de Paul – février 1633
- E. 714 – A. 8 – Retraite 1633 – Dimanche matin
- E. 715 – ibid. – Dimanche à 5 heures
- ibid. – Lundi matin
- FRANCOIS DE SALES – Traité de l’Amour de Dieu – Livre huitième – chapitre XIV
- Doc. 22 – de Monsieur Vincent – avant 1629
- Doc. 96 – de Vincent de Paul – mai 1633
- E. 716 – A. 12 – Renoncement à elle-même
- Doc. 100 – De Monsieur Vincent – août 1633
- GOBILLON – op.cit. – p. 52
- ibid.
- E. 748 – A. 91 bis – Règlement pour la Maison Principale
- E. 623 – A Nicole Haran – 4 janvier 1659
- E. 231 – A Elisabeth Martin – novembre 1647
- E. 501 – A Nicole Haran – avril 1656
- E. 326 – A Jeanne Lepintre – 13 juillet 1650
- E. 76 – A Madeleine Mongert – juin 1642
- E. 597 – Aux Soeurs de l’Hôtel-Dieu de Nantes – 13 juillet 1658
- nom donné aux Supérieures locales ches les Filles de la Charité
- E. 351 – A Anne Hardemont – mai 1651
- E. 803 – A. 66 – Sur la nécessité d’agréer les changements
- E. 476 – A Marguerite, Madeleine et Françoise à Varsovie – 19 août 1655
- ibid.
- E. 816 – A.27 – Le pur amour voué à Dieu
- Galates 4, 5-6