Itinéraire spirituel de Louise de Marillac. Rencontre avec l’humanité du Fils de Dieu (5)

Francisco Javier Fernández ChentoLouise de MarillacLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Elisabeth Charpy, F.C. .
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Marie, chef d’œuvre de Dieu

Pour devenir homme parmi les hommes, Dieu, dans le conseil de la Trinité, fait appel à une femme et n’hésite pas à l’associer d’une manière très particulière à sa divinité. Louise de Marillac en est toute éblouie : « Toute ma vie, au temps, et en l’éternité, je la veux aimer et honorer, et tant que je pourrai par reconnaissance vers la Sainte Trinité, de l’élection qu’elle a faite de la Sainte Vierge pour être si étroitement unie à sa Divinité, je veux honorer les trois personnes distinctement et ensemblement dans l’Unité de l’essence divine »1. Louise de Marillac considère souvent la relation très intime de la Vierge Marie à la Sainte Trinité, souhaitant que chacun lui rende la gloire qu’elle mérite « comme Fille bien aimée du Père, Mère du Fils, Épouse du Saint Esprit »2. Elle situe Marie au cœur du grand Dessein d’amour de Dieu sur l’humanité. Toute sa spiritualité mariale en découle.

Louise se réjouit de voir une femme ainsi glorifiée par le choix divin : « Soyez béni à jamais, ô mon Dieu, du choix que vous avez fait de la Sainte Vierge,… Le diable ne méritait-il pas de votre divinité sa dernière perdition ? Il fallait que votre toute-puissance se servît du sexe le plus faible de la nature humaine pour lui écraser la tête, comme votre justice l’en avait menacé. Et pour cela vous vous serviez du sang de la Sainte Vierge pour en former un corps à votre cher Fils. »3 Par expérience personnelle, Louise de Marillac connaît la joie de donner la vie à un enfant, de lui fournir le plus intime d’elle-même, son sang. Elle voudrait exprimer à l’humble femme de Nazareth tout le bonheur qui est dans son cœur : « Très Sainte Vierge… recevez mes vœux et mes prières, avec mon cœur que je vous donne entièrement pour glorifier Dieu du choix que sa bonté a fait de vous pour être la Mère de son Fils. »4

C’est avec beaucoup d’émotion qu’elle s’agenouille devant la Crèche ; son regard va de Marie à Jésus, contemplant ce mystère inouï : « Très Sainte Vierge, vous savez ce que mon cœur a pensé aujourd’hui en la considération de votre très cher Fils à la Crèche, et combien grand m’a paru ce saint Mystère voyant que c’était la loi de Grâce donnée à toute la nature humaine »5. Louise voudrait pouvoir proclamer bien haut toute la splendeur de la femme Marie, de cette femme qui a engendré en son humanité le Fils de Dieu. « O mon Dieu, comment mon esprit n’est-il point capable de faire connaître au monde les beautés que vous m’avez fait voir et la grande dignité de la Sainte Vierge. C’est tout dire qu’elle est Mère de votre Fils, mais que ses opérations comme telles sont admirables ! Ce n’est pas sans raison que la Sainte Église la qualifie Mère de Miséricorde. Elle l’est en conséquence qu’elle est Mère de Grâce. »6 Pour Louise, Marie est toute grâce, puisqu’elle a engendré la Grâce même.

Rejoignant la pensée de Duns Scot, elle affirme fortement la nécessité de l’Immaculée Conception. « Plût à Dieu que je puisse écrire entièrement les pensées que sa bonté m’a fait la grâce d’avoir au sujet de la Conception Immaculée de la Sainte Vierge afin que la véritable connaissance que j’ai eue de ses mérites et l’honneur que je lui dois et la volonté de lui rendre, ne partent jamais de mon cœur. »7 Marie, quoique vraie fille d’Adam, ne peut porter la tare du péché originel qu’elle aurait transmis à son fils. C’est pourquoi Dieu, pour réaliser son Incarnation Rédemptrice, lui applique, d’une manière anticipée, les mérites de la mort de son Fils « Considérant donc cette Sainte Conception j’ai vu à même temps l’application du dessein de Dieu par l’Incarnation de son Fils à la matière qui devait former ce Corps virginal, afin que, quoique vraie fille d’Adam, il n’eût aucune tare du péché originel puisque, en lui, se devait former le divin Corps du Fils de Dieu qui n’eût pu par sa mort satisfaire à la divine justice s’il eût participé au péché originel. Ce Corps très pur de la Sainte Vierge, est le digne logement de l’âme que Dieu lui a créée, et l’un et l’autre toujours agréables à Dieu, toujours enrichis, outre sa Conception toute pure, des mérites de la mort de son Fils. »8

Louise souhaite que la Conception Immaculée de Marie soit reconnue et célébrée car : « elle est l’unique pure créature qui ait toujours été agréable à Dieu, ce qui la fait être l’étonnement de toute la Cour Céleste, et admirée de tous les humains « 9. Mais, connaissant les disputes qui agitent si fortement les théologiens sur ce sujet et les multiples interventions du Pape en ce début du XVII ème siècle, Louise garde sa pensée pour elle-même, n’en parle pas aux Sœurs dans ses lettres. De plus, elle soumet son opinion à la décision de l’Eglise. « (Dieu a voulu) faire un acte de sa volonté spécifiée pour la création de l’âme de la Sainte Vierge, et ce pourrait aussi avoir été un acte effectif, que je soumets entièrement à la Sainte Eglise, ne m’en servant que pour en honorer davantage la Sainte Vierge »10.

Dans sa méditation, dans sa prière, Louise associe intimement Marie à tous les mystères de son Fils.  » Dieu a tant voulu honorer la Sainte Vierge, que nous pouvons dire qu’elle a quelque part de contribution à tous les mystères que Notre-Seigneur a opérés ; elle a contribué à son humanité par son sang et son lait virginal »11. Chaque fois qu’elle contemple le Christ, Louise rencontre sa Mère, accueillante à tous les hommes rachetés par le sang de son Fils et le sien. Louise, peut-être marquée par les écrits de Catherine de Sienne, parle souvent du sang du Christ, le sang de Marie. Il est répandu au Calvaire pour le salut des hommes : « Ayez compassion, sainte Vierge, de toutes les âmes rachetées du Fils de Dieu et le vôtre. Représentez à la justice divine les pures mamelles qui lui ont fourni le sacré sang répandu en la mort de votre divin Fils pour notre Rédemption »12. Le sang du Christ est là sur l’Autel, source de vie pour tous les hommes « Je l’ai congratulée de l’excellente dignité qu’elle a par ce moyen à ce grand et divin sacrifice perpétuel de la Croix, représenté et offert sur nos autels »13 La célébration eucharistique met en évidence la maternité de Marie car comme le dit Jean-Paul II, « le Christ se rend présent en son vrai corps, né de la Vierge Marie »14.

Pour honorer ce « chef d’œuvre de la toute puissance de Dieu dans la nature purement humaine »15, « le commencement de la Lumière que le Fils de Dieu devait apporter au monde »16, Louise propose de regarder l’efflorescence de vertus qui jaillissent du cœur de cette femme, devenue Mère de Dieu.

Ce qui retient l’attention de Louise de Marillac, c’est tout d’abord l’adhésion plénière de Marie aux desseins de Dieu.  » Que glorieuse soit éternellement cette belle âme, élue entre les mille millions pour l’adhérence qu’elle a donnée aux desseins de Dieu. »17 Louise, dans son acte d’Oblation à Marie, lui adresse la prière suivante :

« Je suis à vous, Sainte Vierge, pour être plus parfaitement à Dieu.
Vous appartenant, apprenez-moi à imiter votre sainte vie,
par l’exécution de ce que Dieu demande de moi.
Je requiers en tout humilité votre assistance ;
vous connaissez ma faiblesse, vous voyez mon cœur,
faites s’il vous plaît, par vos prières, ce que je laisse par mon impuissance et négligence,
et puisque c’est de votre cher Fils, mon Rédempteur,
que vous avez pris les héroïques vertus que vous avez pratiquées sur la terre,
unissez l’esprit de mes actions à sa sainte présence pour la gloire de son saint Amour. « 
18

Le dessein de Dieu, manifesté en l’Incarnation du Fils, est vraiment au centre des pensées de Louise de Marillac. La consécration de la Compagnie des Filles de la Charité à Marie apparaît comme la synthèse de toute sa méditation. Relatant son pèlerinage à Chartres, en octobre 1644, Louise écrit : « Et voyant en la Sainte Vierge, l’accomplissement des promesses de Dieu aux hommes,… je lui ai demandé, pour la Compagnie, cette fidélité par les mérites du sang du Fils de Dieu et de Marie « 19 Par son Oui, Marie accueille l’Incarnation du Verbe de Dieu. Le dessein d’Amour de Dieu sur l’humanité peut se réaliser. Toute la vie de Marie montre sa participation à l’œuvre de la Rédemption : au pied de la Croix, elle est établie, par son Fils mourant, Mère de tous les hommes. De plus, Louise de Marillac ne craint pas d’établir un parallèle entre la vie de Marie et celle de la Fille de la Charité. Femme, appelée par Dieu, la Fille de la Charité s’engage, par son service corporel et spirituel, à rejoindre l’homme dans toutes les dimensions de son être, à lui dire la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Elle participe à l’œuvre de la Rédemption en aidant le pauvre, défiguré par toutes sortes de mal, à s’en libérer et à retrouver sa dignité d’homme.

Comme elle avait longuement contemplé l’humilité de Dieu en l’Incarnation du Verbe, Louise de Marillac s’arrête aussi sur l’humilité de Marie : » ô Sainte Vierge, que votre vertu est admirable. Vous voilà Mère d’un Dieu, et néanmoins, vous ne vous tirez point de la bassesse et pauvreté. « 20. C’est de Marie, la femme choisie de Dieu, pour donner la Vie au monde que la Fille de la Charité, femme appelée par Dieu pour porter la vie aux pauvres, pourra apprendre l’humilité, cette vertu fondamentale pour tous ceux qui s’engagent dans le service du prochain : « Dans la conduite de nos actions, jetons les yeux sur celles de la sainte Vierge, et pensons que le plus grand honneur que nous lui saurions rendre est d’imiter ses vertus, particulièrement… son humilité, puisque par elle Dieu a fait en sa personne des choses si grandes »21. L’humilité demande une grande lucidité sur soi : elle n’est pas ignorance de ce que l’on est. Marie reconnaît les dons reçus de Dieu et en rend grâces : « Votre grande humilité vous rendait continuellement présent ce que Dieu faisait en vous et ce que vous étiez en Lui »22. Louise invite les Sœurs à entrer dans cette démarche de vérité, qui permet aussi de percevoir ses limites, la distance entre ce que nous sommes et ce que Dieu attend de nous. L’humilité est une vertu contradictoire, car elle demande tout à la fois de respecter en soi la dignité de tout homme et exige que le moi n’occupe pas toute la place.

En regardant la Vierge Marie, Louise comprend que l’humilité conduit à une réelle liberté dans l’action, car elle permet de s’engager dans les tâches à faire sans prétendre savoir à l’avance la mesure et les résultats. Marie donne son consentement et accepte de marcher dans la Foi. Ce ne sont pas la petitesse et l’étroitesse des tâches qui définissent l’humilité, mais l’acte de ne pas s’appuyer sur sa propre assurance. L’humble, parce qu’il ne porte pas témoignage de lui-même, devient le vrai témoin de Dieu. Ce serait dénaturer le service des pauvres, si les servantes y recherchaient leur seul intérêt : » Oh ! mes chères Sœurs, ce n’est pas assez d’être Fille de la Charité de nom, ce n’est pas assez d’être au service des Pauvres dans un hôpital quoique ce vous soit un bien que jamais vous ne saurez assez estimer, mais il faut avoir les vraies et solides vertus que vous savez devoir avoir pour bien faire l’œuvre en laquelle vous êtes si heureuse d’être employées ; sans cela, mes Sœurs, votre travail vous sera presque inutile »23. Seule l’humilité permet d’allier, en toute vérité et authenticité, l’amour de Dieu, des autres et soi-même. Louise de Marillac a fait sien l’enseignement de François de Sales : « L’humble est d’autant plus courageux qu’il se reconnaît plus impuissant. Et à mesure qu’il s’estime chétif, il devient plus hardi parce qu’il a toute sa confiance en Dieu ».

Pour que les Sœurs puissent manifester tout l’amour envers la Mère de Dieu, Louise les convie à célébrer  » les fêtes que la Sainte Eglise a ordonnées en son honneur »24, à regarder comment Marie a accueilli la volonté de Dieu et « la prier chaque jour de nous aider à faire sa sainte volonté dans la même soumission qu’elle avait pour elle »25

La fête de Noël est le moment où la maternité divine de Marie est mise en évidence. Louise, « très touchée des grâces reçues de Dieu, par le moyen de l’Incarnation »26 sait, en son être de femme, que Marie est « comme le canal par lequel tout ce bien nous est communiqué »27. Mais son regard ne quitte pas l’Enfant Jésus qui vient au monde « en une innocence plus parfaite que celle du premier homme »28.

La fête de l’Annonciation qui glorifie tout à la fois l’Incarnation du Fils de Dieu et le don total de Marie au Seigneur, est la grande fête de la Compagnie des Filles de la Charité. C’est le jour où chacune d’elles, en tous pays, renouvelle son engagement au Seigneur, puisque, depuis les origines, les vœux sont des vœux annuels. Librement, Marie a assumé la vocation reçue de Dieu et s’est engagée dans la mission qui lui était confiée : donner le Verbe de Vie au monde. Marie est, par sa maternité, intimement liée au dessein divin de Salut de l’homme. Louise ose dire aux Sœurs au cours de l’une de ses conférences : »N’est-il pas glorieux aux âmes de coopérer avec Dieu à l’accomplissement de ses desseins »29 !

Honorer l’Immaculée Conception de Marie, c’est admirer la limpidité de tout son être, la vérité de son amour pour Dieu. C’est, pour la Fille de la Charité, essayer de vivre cette même pureté en toutes ses pensées, paroles et actions : » Que les amants de cette sainte et toute pure Vierge soient attentifs à la considération de ses actions qui, jamais, n’ont su être le moins du monde désagréables à Dieu, étant toujours faites selon sa très sainte Volonté. »30

L’Assomption de Marie glorifie la femme, Mère de Dieu. C’est une nouvelle invitation à découvrir la dignité de tout homme, de toute femme, quelles que soient leur misère, leur pauvreté, leur déchéance. Honorer Marie, ce sera, pour la Fille de la Charité, s’engager avec encore plus d’amour dans son service, ce qui implique une profonde vie spirituelle, comme l’explique Louise de Marillac aux Sœurs de la communauté d’Angers : « Je supplie Notre Seigneur… que vous ayez aujourd’hui bien accompagné la Sainte Vierge en sa mort par le sacrifice volontaire que vous pouvez lui avoir fait de mourir à vous même pour bien vivre en Dieu, faisant tout le reste de vos jours sa très sainte volonté. »31

Louise de Marillac souhaite que « toutes les âmes vraiment chrétiennes aient un grand amour à la Sainte Vierge et l’honore beaucoup pour sa qualité de Mère de Dieu »32. Honorer, louer, prier Marie, c’est glorifier son Fils. Marie ne détourne pas de Jésus, elle y conduit. Elle qui a donné la Lumière au monde, n’hésite pas à demander à son Fils, les lumières nécessaires à chacun et chacune pour vivre, à la suite du Christ, dans l’Amour de Dieu et des hommes.

  1. ibid.
  2. E. 819 – A. 31 bis – Pensées sur l’Immaculée Conception de la Vierge Marie
  3. E. 694 – A. 4 – Oblation à laVierge
  4. E. 792 – A. 13 bis – Sur le mystère de l’Incarnation
  5. E. 693 – A.4 – Oblation à la Vierge
  6. E. 767 – A. 14 bis – de la Sainte Vierge
  7. ibid.
  8. E. 818 – A. 31 bis – Pensées sur l’Immaculée Conception de la Vierge Marie
  9. ibid.
  10. ibid.
  11. E. 730 – M. 35 bis – Songe, la veille du 8 décembre
  12. E. 820 – M. 5 bis – La Vierge Co-rédemptrice
  13. E. 694 – A. 4 – Oblation à la Vierge
  14. E. 820 – M. 5 bis – La Vierge Co-Rédemptrice
  15. JEAN PAUL II – La mèredu Rédempteur – n° 44
  16. E. 819 – A. 31 bis – Pensées sur l’Immaculée Conception
  17. E. 730 – M. 35 bis – Songe, la veille du 8 décembre
  18. E. 693 – A.4 – Oblation à la Vierge
  19. ibid.
  20. E. 120 – L. 111 – Récit du pélerinage à Chartres – octobre 1644
  21. E. 767 – A. 14 bis – De la Vierge Marie
  22. E. 777 – M. 33 – La dévotion à la Vierge
  23. E. 693 – A. 4 – Oblation à la Vierge
  24. E. 127 – A Soeur Madeleine à Angers – 27 juin 1645
  25. E. 778 – M. 33 – La dévotion à la Vierge Marie
  26. ibid.
  27. E. 777 – ibid.
  28. ibid.
  29. E. 776 – A. 14 – Pensées sur l’Incarnation et l’Eucharistie
  30. E. 816 – A. 27 – Le pur amour voué à Dieu
  31. E. 819 – A. 31 bis – Pensées sur l’Immaculée Conception
  32. E. 445 – A Cécile Angiboust – 15 août 1654

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