L’Eucharistie, une admirable invention
En méditant sur l’Incarnation, Louise remarque avec beaucoup d’admiration et d’émotion que « le Fils de Dieu ne s’est pas contenté de prendre un corps humain »1 et d’habiter au milieu des hommes, « mais voulant une union inséparable de la nature divine à l’humaine, il l’a faite après l’Incarnation en l’admirable invention du très saint Sacrement de l’Autel, auquel habite continuellement la plénitude la Divinité en la seconde personne de la très Sainte Trinité. » 2
Il semble à Louise que Dieu veut dire et redire à l’homme toute la profondeur de son Amour. De crainte que celui-ci ne comprenne pas, Il en multiple les signes : Incarnation, Passion et mort sur la Croix, Eucharistie. Cette révélation est de plus en plus forte, car le dessein fondamental de Dieu est d’unir tous les hommes dans son Amour. L’Incarnation manifestait déjà ce profond désir d’union, l’Eucharistie la réalise d’une manière encore plus grande « par l’assurance que Notre Seigneur nous a donnée d’être toujours parmi nous.. (avec) dessein de sanctifier les âmes par cette présence continuelle quoiqu’invisible »3. Louise de Marillac ne s’arrête pas sur l’aspect « mémorial et sacrifice » de l’Eucharistie, mais elle parle longuement de la communion, « cette action si admirable et incompréhensible au sens humain »4. Dans des textes remarquables, elle explique aux Sœurs ce qu’est la communion et comment bien communier.
Elle propose, avant de communier, de se ressouvenir de ce que la Foi enseigne. La Sainte Communion, c’est « la seconde personne de la Sainte Trinité en l’unité de son essence, ce qui nous doit donner le respect que la créature doit à son Créateur… et produire en nous une connaissance de notre dépendance de Dieu, reconnaissance de notre néant sans son concours… »5. Puis, elle invite les Sœurs à considérer ce qui a pu déterminer Dieu à accomplir une action si admirable. « N’en pouvant connaître d’autre que son pur amour, nous devons, par des actes d’admiration, d’adoration et d’amour, rendre gloire et honneur à Dieu pour reconnaissance de cette invention amoureuse de s’unir à nous »6.
Méditant sur le texte de la multiplication des pains, Louise remarque que Jésus désire subvenir aux besoins de tous les hommes qui le suivent. C’est l’annonce de ce don de Lui-même qui viendra combler l’attente de ceux qui souhaite une union avec Lui. Reprenant les mots du psaume 41, Louise exprime sa soif de Dieu : « Comme le cerf désire les eaux, ainsi mon âme désire mon Dieu : je me préparerai par un grand désir d’être unie à Dieu, afin que comme la nourriture que prend le corps humain, lui donne les qualités qu’elle a, ainsi l’union de Dieu à mon âme, la rende conforme à lui, et la réception du précieux corps de mon Sauveur, me conduise à la pratique de sa très sainte vie. » 7 En réponse à un tel don de Dieu, Louise souhaite pour elle-même et pour celles qu’elle accompagne dans leur cheminement spirituel « une suave et amoureuse union à Dieu »8. Est-il vraiment possible à un être humain d’avoir une telle union avec son Dieu ?
La connaissance de la grandeur de ce don qui est offert à toute âme chrétienne ne peut que produire un sentiment de crainte, voire d’indignité devant tant de largesses. S’adressant à son Seigneur, Louise le supplie : « Vous voulez, ô mon Dieu ! m’enseigner le moyen d’avoir votre assistance à mes besoins :… je dois reconnaître la vérité de mon néant et de toutes mes misères pour attirer la grandeur de vos miséricordes »9. Louise semble comme écrasée devant tant de largesses. Elle cherche secours de tout coté. Elle s’adresse à l’Esprit et demande « à l’amour qui a fourni cette invention qui est le Saint Esprit, qu’il lui plaise venir en notre cœur et en être lui-même l’ornement, y mettant toutes les dispositions nécessaires pour honorer la présence d’un tel Seigneur « 10.
La réception de la Sainte Communion ne supprime pas la tâche personnelle, chacune est appelée à prendre conscience de son péché qui la détourne de Dieu et de son prochain. « Que chacun s’éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire à cette coupe »11 écrit Paul aux Corinthiens. Comme tous les grands spirituels, Louise parle de la mortification des sens et des passions, de l’abandon de la recherche de soi-même : »Comme un des effets de la sainte Communion et le principal, est de nous unir à Dieu, nous devons, tant que nous pouvons, ôter les empêchements à cette union ; et voyant que le plus dangereux est d’être trop à nous-mêmes par l’amour de notre propre volonté, il faut nécessairement que nous nous donnions à Dieu, pour n’avoir qu’une même volonté que Lui, pour participer aux fruits de la sainte Communion »12. Pour « être à Dieu et toute à Dieu », il faut, explique Louise, « nous arracher de nous-mêmes »13. L’ascèse est à vivre dans l’humble quotidien, sans recherche de grandes pénitences extraordinaires, à l’exemple de Jésus-Christ « Pour travailler utilement à l’œuvre de Dieu, car ce n’est pas assez d’aller et donner, mais il faut un cœur bien épuré de tout intérêt, et ne cesser jamais de travailler à la mortification générale de tous ses sens et passions et pour cela, mes chères Sœurs, il nous faut avoir, continuellement devant les yeux notre modèle, qui est la vie exemplaire de Jésus-Christ à l’imitation de laquelle nous sommes appelées. » 14 Cependant, Louise constate que « la dignité de ce très saint Sacrement entraîne une impuissance à nous disposer à le recevoir »15. Aussi s’abandonne-t-elle totalement à l’Amour de Jésus.
La « réception de la sainte communion » est un moment inoubliable. Louise invite les Sœurs à recevoir « ce très auguste Sacrement, comme notre Dieu, notre roi et notre époux, lui faisant des actes d’adoration, de dépendance, de confiance et d’abandon entier de tout ce que nous sommes, le suppliant d’en prendre entière possession »16. Le Christ se donne en nourriture pour que l’homme puise en lui une énergie nouvelle et vraiment divine pour accomplir sa tâche dans le monde, comme Lui, par sa mort et sa Résurrection, a accompli l’œuvre de Salut. Louise essaie de comprendre ce qui se passe en l’âme au moment de la communion. Il est difficile de traduire en paroles la plénitude de l’Eucharistie. C’est en balbutiant qu’elle exprime ce don merveilleux de l’Amour : » il semble qu’Il se donne à nous en la sainte hostie pour notre sanctification, non seulement par l’application des mérites de son Incarnation et de sa mort, mais encore par la communication que sa bonté désire nous faire de toutes les actions de sa vie, et nous mettre dans la pratique de ses vertus, nous désirant semblables à Lui par son amour. » 17
En ce temps où Jésus est réellement présent en celui qui vient de le recevoir, Louise recommande « d’être attentives à ce qu’il lui plaît opérer en nous, quoique nous ne le voyions pas »18. Louise fait appel à son expérience personnelle. Ses communions ont souvent été vécues d’une manière très mystique. La première fois, ce fut le 5 février 1630, avant de partir visiter la Confrérie de la Charité de Saint Cloud. Elle le relate simplement : »A la Sainte Communion, il me sembla que Notre-Seigneur me donnait pensée de le recevoir comme l’époux de mon âme, et même que ce m’était une manière d’épousailles »19. Louise connaît les écrits de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix qui parlent du mariage mystique. Elle poursuit : » Je me sentis plus fortement unie à Dieu en cette considération, qui me fut extraordinaire »20. Il est difficile d’exprimer clairement ce qui se passe en l’âme en ces moments de profonde union avec le Seigneur de Charité.
Nombreuses sont ses méditations écrites après avoir reçu son Seigneur. « Le jour de Saint Bernard, ayant communié, sentant peine de connaître et aimer si peu Dieu.. j’ai eu fortement en l’esprit désir de l’occuper en Lui, comme étant le seul moyen de la vider (de tout ce qui n’était pas Dieu) et je suis demeurée dans ce désir »21. Qu’elle communie ou qu’elle soit en adoration devant le Saint Sacrement, Louise contemple sans cesse le désir que Dieu a de « l’union amoureuse de son Verbe avec l’homme »22 et elle souhaite fortement répondre à cet appel. Les toutes dernières années de sa vie, Louise notera encore ce qui se passe en elle au moment de la communion. Ainsi le 16 août 1658 : « Lundi en la Sainte Communion, tout sur le point, je sentis être avertie ou désirer que Notre-Seigneur vînt en moi accompagné de ses vertus pour me les communiquer »23
Le 3 janvier 1660, alors qu’elle est malade, Louise vit une rencontre extraordinaire qui la fait participer à tous les mystères du Christ : « allant à la Sainte Communion, je sentis une soif extraordinaire, voyant la Sainte Hostie, qui partait d’un sentiment qu’il voulait se donner à moi avec la simplicité de sa divine Enfance. Et… longtemps après, mon esprit fut occupé d’une communication intérieure qui me faisait entendre qu’il ne se donnait pas seulement, mais avec tous les mérites de ses mystères et cette communication dura tout le jour, non pas par voie d’occupation forcée et intérieure, mais par voie de présence »24. Les Sœurs, qui vivaient près d’elle, ont été très impressionnées par l’attitude de leur Supérieure au moment de ses communions, attitude qui laissait percevoir sa « grande tendresse et dévotion »25
Louise de Marillac, poursuivant ses explications aux Sœurs, leur présente les instants qui suivent la Communion comme un temps très précieux pour traiter avec Notre Seigneur. Dans un grand recueillement, il faut se tenir « attentives à cette divine présence »26, dans une attitude d’abandon face à ce Dieu d’Amour : ce n’est plus l’âme qui va vers son Dieu, c’est Dieu qui vient vers elle. Elle redit, avec ses propres mots, ce qu’expliquait Hilaire de Poitiers aux chrétiens de son diocèse : » Communier, c’est faire que nous soyons dans le Christ et que le Christ soit en nous… Le Christ est en nous par sa chair et nous sommes en Lui, tandis que, avec Lui, ce que nous sommes est en Dieu »27. L’action de grâces envers les trois Personnes de la Sainte Trinité va permettre de redire à Dieu toute sa joie, toute sa reconnaissance, car le Christ venant en nous, nous rend semblable à Lui ! Réjouissons-nous » en admirant cette admirable invention et amoureuse union par laquelle Dieu se voyant en nous, il nous rend tout de nouveau ses semblables par la communication, non seulement de sa grâce, mais de lui-même. » 28
Pour les Sœurs et les petites filles qu’elles instruisent, Louise de Marillac a rédigé une prière qui exprime tout son amour envers ce Sacrement de l’Amour.
« … De tout mon cœur je vous désire, ô pain des Anges !
ne regardez point à mon indignité qui m’éloigne de vous,
mais à votre amour qui tant de fois m’a invitée de m’en approcher :
donnez-vous tout à moi s’il vous plaît, ô mon Dieu,
et que votre précieux corps, votre âme sainte, et votre glorieuse Divinité
que j’adore en ce très-saint Sacrement,
prennent entière possession de moi-même.
O doux Jésus ! ô bon Jésus ! mon tout et mon Dieu,
ayez pitié de toutes les âmes rachetées de votre précieux sang,
et les touchez fortement d’un trait de votre amour,
pour les rendre reconnaissantes de l’amour
qui vous a fait vous donner à nous en ce très-Saint Sacrement… » 29
Si le Christ se donne en nourriture, c’est pour partager aux hommes sa Vie. Recevoir le Corps du Christ, c’est pour Louise devenir directement participante de cette Vie de Dieu : c’est, pour elle un nouveau motif à porter cette Vie à tous, en particulier ceux qui ont du mal à surmonter les multiples difficultés quotidiennes. En effet, « pour être fidèle à correspondre à l’amour qu’il a pour nous en ce très-Saint Sacrement, nous devons porter beaucoup d’amour à l’humanité sainte et divine de Jésus-Christ »30. Nous retrouvons ici toute la méditation de Louise de Marillac sur l’humanité du Christ, humanité sainte et divine, présente en son corps et son sang. A l’imitation du Christ, le chrétien est appelé à faire don de tout son être s’il veut apporter vie et amour à son prochain. La réception de la communion apporte une force exceptionnelle puisqu’elle donne « capacité de vivre en Jésus Christ, l’ayant vivant en nous »31
Louise ne sait comment remercier son Seigneur et son Dieu d’avoir voulu demeurer ainsi sur terre pour que tous les hommes puissent lui offrir toute la gloire que son Humanité Sainte reçoit déjà dans le ciel. Cette invention admirable de l’Amour de Dieu est une nouvelle preuve du désir de Dieu de conduire l’homme vers sa divinisation. En effet, si Notre Seigneur nous a donné l’assurance d’être toujours parmi nous et en nous, c’est « afin que les hommes ne fussent point séparés de Lui »32. Devant tant de largesses, tant d’amour de l’humanité, Louise n’a qu’un seul mot, un seul cri : « O Amour infini »33.
- E. 776 – A. 14 – Pensées sur l’Incarnation et l’Eucharistie
- ibid.
- ibid.
- E. 810 – M. 72 – De la sainte Communion
- E. 811 – ibid.
- ibid.
- E. 771 – A. 42 – Sur la multiplication des pains au désert
- E. 674 – A une dame – sans date
- E. 771 – A. 42 – Sur la multiplication des pains au désert
- E. 811 – M. 72 – De la sainte communion
- 1 Corinthiens. 11, 28
- E. 772 – A. 71 – Sur la sainte communion
- E. 196 – Aux Soeurs de l’hôpital de Nantes – 8 mai 1647
- E. 260 – A Anne Hardemont – 29 août 1648
- E. 811 – M. 72 – De la sainte communion
- E. 811 – M. 72 – De la sainte communion
- E. 772 – A.71 – Sur la Sainte Communion
- E. 811 – M. 72 – De la sainte communion
- E. 702 – A. 50 – Visites des Confréries d’Asnières et de Saint Cloud
- ibid.
- E. 721 – A. 43 – Du bon usage de la souffrance
- E. 728 – A. 21 bis – Méditations
- E. 813 – A. 18 – Désir d’imitation de Notre Seigneur en sa mort
- E. 819 – M. 8 bis – De la Communion
- Coste X.729 – Conférence du 24 juillet 1660
- E. 811 – M. 72 – de la Sainte Communion
- HILAIRE DE POITIERS – De Trinitate
- E. 811 – M. 72 – De la Sainte Communion
- E. 822 – A. 49 – Oraison devant la Sainte Communion
- E. 772 – A. 71 – Sur la sainte communion
- E. 811 – M. 72 – De la sainte communion
- E. 709 – A. 15 – Conformité à la volonté divine
- ibid.