Louise de Marillac1 fut, pendant près de 30 ans, la responsable et la formatrice des premières Filles de la Charité. Quelques mois après sa mort survenue le 15 mars 1660, Marguerite Chétif2 est nommée par Monsieur Vincent de Paul pour lui succéder comme Supérieure de la Compagnie des Filles de la Charité. Grande est sa surprise qui se transforme rapidement en profonde inquiétude, car le 27 septembre suivant, Monsieur Vincent entre dans la Lumière éternelle de Dieu. Comment pourra-t-elle poursuivre l’œuvre commencée, maintenir la Communauté dont elle a la charge dans le charisme des Fondateurs ?
Sur le conseil de Mathurine Guérin3, ancienne secrétaire de Louise de Marillac, la nouvelle Supérieure rassemble, avec beaucoup de soin, les lettres et les divers écrits de la fondatrice pour mieux s’inspirer de sa pensée, de sa spiritualité. Lorsque Monsieur Gobillon, curé de la paroisse Saint Laurent, entreprend d’écrire la Vie de Mademoiselle Le Gras4, elle met à sa disposition tous ces documents. Une première publication en est faite dès 1676. Au moment de la mise en route de la canonisation de Louise de Marillac, une nouvelle publication5 est entreprise : mais les textes sont incomplets, remis en français de l’époque. Ils seront très peu exploités.
Pourquoi toute la richesse de ces écrits a-t-elle été ignorée ? Pourquoi a-t-on laissé dans l’ombre la figure de cette femme du XVII ème, cette personnalité si admirable qui sut conduire une communauté sur des routes nouvelles, lui proposant de vivre en plein monde, au service des exclus, une vie totalement consacrée à Dieu ?
Le livre de Monseigneur Calvet6 paru en 1956, donne sans doute la réponse. Il révèle que Louise de Marillac est une enfant naturelle, ce qui avait été tenu caché pendant plus de deux siècles. Ceci expliquerait la mise en retrait de celle qui n’eut pas la chance de connaître sa mère et de vivre dans un foyer bien équilibré. L’Eglise, dans la Réforme qui suivit la Révolution française, semble bien avoir fait retomber sur les enfants la faute des parents : un enfant naturel ne pouvait être admis à la prêtrise.
Le Concile Vatican II, dans son document Perfectæ Caritatis sur l’adaptation et la rénovation de la vie religieuse, promulgué en 1965, a invité les Congrégations religieuses à « revenir aux sources », à « relire » leurs origines pour y mieux percevoir tout le souffle, tout le dynamisme de leur Charisme. « On mettra en pleine lumière… l’esprit des Fondateurs »7. En cette fin du XX ème siècle, les Filles de la Charité découvrent, avec une certaine joie et fierté, l’apport spécifique de leur fondatrice Louise de Marillac, apport complémentaire de celui de leur fondateur, Vincent de Paul.
Les écrits de Louise de Marillac ne sont pas très nombreux, mais ils sont assez denses pour y percevoir la densité de sa spiritualité, ses expériences mystiques, sa pédagogie. Les documents8 sont divers : lettres, notes de retraite, méditations sur des thèmes variés en lien avec la liturgie du jour, plans de conférences pour les Filles de la Charité. Parmi les quelques 800 lettres qui ont été conservées, 200 sont adressées à Vincent de Paul, 400 aux Filles de la Charité. 100 à l’abbé de Vaux, vicaire général d’Angers, qui assura pendant de longues années la direction spirituelle de la communauté établie en l’hôpital de cette ville.
L’écriture de Louise de Marillac se révèle très différente suivant le document. Dans ses premières lettres à Vincent de Paul, elle partage à son directeur spirituel ses craintes, ses joies, sa recherche spirituelle. Après la fondation de la Compagnie des Filles de la Charité, elle expose à celui qui est, pour elle, le Supérieur de la Compagnie des Filles de la Charité, les difficultés rencontrées au jour le jour, les appels reçus, et aussi parfois ses expériences mystiques. Lorsqu’elle écrit aux Filles de la Charité, elle utilise un langage très simple : ces Sœurs, d’origine paysanne, ont peu de culture, certaines sont illettrées. Louise de Marillac part des réalités vécues par les Sœurs et les aide à discerner, à travers les multiples problèmes qui se posent, les attitudes, les actions nécessaires pour vivre pleinement leur vocation de Servantes des Pauvres. Les méditations et les notes de retraite de Louise sont pour elle-même : son écriture révèle toute l’étendue de ses connaissances théologiques, la profondeur de sa pensée et de sa prière personnelle.
Enfant, Louise a été éduquée par les Religieuse Dominicaines de Poissy qui, certainement, lui ont fait connaître Sainte Catherine de Sienne. dont les Dialogues ont été publiés en français en 1585. A son adolescence, Louise est placée dans un foyer de jeunes filles à Paris. En 1606, elle entre en contact avec les Religieuses Capucines qui viennent de s’établir au Faubourg Saint Honoré. Elle se rend souvent à leur monastère pour prier : elle admire leur vie de travail et d’austérité. Quelle relation a-t-elle, alors, avec son oncle et tuteur, Michel de Marillac ? Celui-ci, un dévot assidu des salons de Madame Acarie, est l’un des artisans de la venue des Carmélites en France. Est-ce par lui ou par d’autres que Louise a connu et lu les œuvres de Thérèse d’Avila, de Jean de la Croix et les écrits de Bérulle ?
Grâce à son directeur spirituel, Jean Pierre Camus, Louise fait la connaissance de François de Sales, et de sa spiritualité à travers ses ouvrages : l’Introduction à la vie dévote et le Traité de l’amour de Dieu. Elle obtient de son directeur la permission de lire la Bible, chose assez rare au XVII ème siècle et s’imprègne particulièrement de la pensée de Saint Jean et de Saint Paul.
Son biographe signale, de plus, qu’elle « avait un amour particulier pour l’Imitation de Jésus, pour le Combat spirituel, et pour les œuvres de Louis de Grenade »9.
Pendant près de 35 ans, Louise de Marillac travaille avec Vincent de Paul Dès 1625, elle s’engage dans le service des Confréries de la Charité, rencontre personnellement les pauvres. Elle accueille les filles des champs qui viennent se mettre au service des Confréries de Paris et en 1633 les réunit en un groupe distinct : la Compagnie des Filles de la Charité. Avec Vincent de Paul, elle assure la formation des Sœurs, et les envoie servir ceux qui sont délaissés, sans secours.
Toutes ces influences modèlent peu à peu Louise de Marillac. Au long des années, elle est amenée à faire une synthèse spirituelle entre sa réflexion théologique et le service accompli auprès des pauvres, synthèse qui se résume dans la phrase célèbre de Saint Irénée : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », pensée que Louise ré-exprime avec ses mots : « Que les âmes rachetées du Fils de Dieu le louent et le glorifient éternellement »10.
Parcourir l’itinéraire spirituel de Louise de Marillac, c’est découvrir les différentes étapes qui ont marqué sa route :
La première période (environ 1613- 1633) 11 est comme un temps de recherche, recherche souvent anxieuse, de la volonté de Dieu, puis acceptation de la vocation que les événements lui font comprendre peu à peu.
Après la fondation de la Compagnie des Filles de la Charité12, sa spiritualité se structure autour de l’axe central du christianisme : l’Incarnation du Fils de Dieu. Elle saisit toute la splendeur du projet de Dieu, elle est attirée par l’Humanité du Christ, en déduit toute la grandeur de l’homme et de la femme qui fut choisie pour sa Mère. Pour elle, l’Eucharistie est comme la récapitulation de cet immense amour du Dieu Trinité.
A la fin de sa vie, vers les années 1657, Louise de Marillac pénètre le mystère de l’Esprit Saint, et souhaite pouvoir répondre à un tel Amour divin par ce qu’elle appelle « la perfection du pur amour ».
- de MARILLAC Louise ( 1591-1660) ; en 1633 , elle fonde avec Vincent de Paul la Compagnie des Filles de la Charité, connues sous le nom de Soeurs de saint Vincent de Paul
- CHETIF Marguerite ( 1621-1694), Supérieure générale de 1660 à 1667
- GUERIN Mathurine (1631- 1704) , secrétaire de 1652 à 1659. Elle sera par la suite Supérieure Générale pendant 21 ans, en quatre mandats différents.
- GOBILLON – Vie de Mademoiselle Le Gras, fondatrice et première Supérieure de la compagnie des Filles de la Charité, Servantes des pauvres malades – Pralard PARIS – 1676
- Louise de Marillac, veuve Melle Le Gras – sa vie, ses vertus, son esprit. – Société Saint Augustin Bruges – 1886
- CALVET – Louise de Marillac par elle-même – Aubier 1956
- Perfectae caritatis n° 2
- La plupart de ses écrits sont conservés aux Archives de la Maison Mère des Filles de la Charité, 140 rue du Bac. Paris VII éme
- GOBILLON – op. cit. p.13
- E. 419 – A Jeanne à Etampes – 1 septembre 1651
- Le 5 février 1613, Louise de Marillac épouse Antoine Le Gras. Elle devient veuve le 21 décembre 1625.
- Le 29 novembre 1633, Louise accueille chez elle quelques paysannes, déjà engagées dans le service des Confréries de la Charité, pour les faire vivre en communauté.






