VIII – Le Superieur et ses Confrères
Le P. Clet est secondé pour la mission par plusieurs confrères chinois, surtout les Pères Ho, Tchen, Tchang, Ngaï dont nous avons déjà parlé brièvement, et surtout le P. Paul Song. A partir de 1810 il aura aussi avec lui M. Dumazel, dont le zèle et la faible santé lui donneront bien du souci.
Les relations de travail avec Le P. Song
Mais celui avec lequel il a eu le plus de relations a été Paul Song. Les 37 lettres du P. Clet au P. Song, conservées pieusement par celui-ci, nous permettent de reconstituer ce qu’était la vie de nos missionnaires.
Ce confrère chinois est arrivé chez le P. Clet en 1804, à l’âge de 30 ans. Il va travailler sous sa direction pendant 16 ans. Il avait le P. Clet en une telle vénération qu’il conserva la plupart de ses lettres. Il nous en a laissé 37. Nous pouvons, en les lisant, nous faire une idée des soucis ordinaires des missionnaires, car Paul Song consulte le P. Clet à propos de tout : d’affaires matérielles, de cas de conscience, de problèmes de droit canon ou de liturgie. Et chaque fois le P. Clet lui donne avec patience une réponse claire, ou bien lui demande de juger par lui-même.
La première lettre adressée au P. Song est du 10 juin 1804 (Lettre n° 17). Il sait que le P. Song est en route et devrait arriver prochainement. Il lui donne des conseils de patience et de prudence et lui transmet les pouvoirs qu’il reçoit lui-même de l’administrateur apostolique.
C’est que le P. Song a commencé à missionner dans la région montagneuse dans laquelle il est arrivé. Mais le P. Clet trouve qu’il s’attarde beaucoup, car cela fait déjà huit mois qu’il est en route. Il le presse donc d’arriver sans chercher des prétextes pour se retarder encore, même si les chrétiens veulent le retenir plus longtemps. Il a écrit cette lettre et la suivante en latin, parce que dit-il, le sens de cette langue est plus précis. (Lettres n° 18-19) Le P. Song a dû arriver auprès du P. Clet dans la deuxième partie de l’année 1804, nous ne savons pas à quelle date exacte. Ils se sont alors réparti le travail des visites aux diverses chrétientés. Le P. Song a donc repris la route en 1805 pour aller dans la partie montagneuse du Honan. En novembre il n’est pas encore de retour, et il demande même au P. Clet de venir au devant de lui, partager son travail dans la montagne. Mais le P. Clet dont la patience est mise à l’épreuve s’en va visiter une autre chrétienté où il est attendu. Il lui fait remarquer qu’un délai de huit mois lui parait bien suffisant pour entendre 400 confessions. Il lui donne des conseils pratiques et lui recommande de modérer ses exigences vis à vis des chrétiens : « Il faut exhorter nos chrétiens à apprendre le Catéchisme intitulé » Catéchisme des sacrements « , mais ne pas les obliger ou forcer à l’apprendre. On doit seulement exiger qu’ils sachent ce qui est strictement requis pour la réception des sacrements… » (Lettre n° 19, en latin)
Dans la lettre n° 21 de septembre 1806, le P. Clet s’inquiète de la santé de son confrère : « J’apprends que votre santé s’altère ; vous vous obstinez à le nier, mais personne ne vous croit là dessus. J’aurais été bien aise de vous voir à la maison pour en juger par moi-même. »
A Pâques de l’année suivante 1807 son inquiétude demeure : « Je ne sais comment va votre santé, j’ai peur que votre application trop sérieuse et trop continue au travail ne l’altère. Soyez là dessus sur vos gardes. Pour moi je me porte bien. » (Lettre n° 22)
A la suite de cette lettre le P. Song est rentré à la résidence centrale, mais le P. Clet est parti en tournée missionnaire. Du lieu où il se trouve, il écrit en juin au P. Song pour lui donner des nouvelles de sa propre santé : « A mon retour de Tatchopa, où j’ai demeuré un mois, j’ai été attaqué de douleurs dans les reins, dans le ventre et dans les cuisses et enflure dans les jambes… La nuit, l’enflure remonte et j’ai alors une espèce d’oppression de poitrine… elle diminue pendant le jour en redescendant dans les jambes. J’ai éprouvé cette vicissitude pendant 7 à 8 jours, c’est à dire jusqu’à aujourd’hui… Ne soyez pas inquiet là dessus, les remèdes que je prends ont diminué le mal et m’annoncent une prochaine guérison. J’ai suspendu tout travail pour accélérer mon parfait rétablissement. Je suis plus inquiet sur votre compte parce que je sais la délicatesse de votre complexion… Je présume que vous êtes revenu au gîte, si vous êtes encore en visite, j’espère que, ma lettre reçue, vous vous rendrez à l’instante prière que je vous fais, pour ne pas dire à l’ordre que je vous donne de vous rendre à la résidence et de suspendre le travail au moins jusqu’à la fête de l’Assomption et au delà, si les chaleurs sont alors aussi vives qu’actuellement… » (Lettre n° 23)
Il donne son avis sur une série de cas de conscience : fiançailles rompues, prêt usuraire, brouilles entre voisins, mort de nourrissons dans le lit de leurs parents… (Lettre n° 23)
Au mois de juillet 1807 il remercie le P. Song de l’envoi de remèdes et lui annonce qu’il se sent complètement remis. (Lettre n° 24)
Le missionnaire est le conciliateur auquel les chrétiens s’adressent dans leurs différends. Ainsi le P. Clet s’est entremis pour l’achat d’un terrain par une certaine veuve Siu, mais l’affaire est hérissée de difficultés tant de la part de ladite veuve et de sa famille, que de la part des vendeurs potentiels. Il confie l’affaire au P. Song « afin que vous employiez votre prudence à empêcher qu’on offense Dieu… » (Lettre n° 27)
Le ton des lettres du P. Clet à son jeune confrère reflète une sincère et profonde affection. En novembre 1807, il lui écrit : « Je soupire après l’instant qui me réunira à vous et me fera goûter le plaisir de votre présence, dont je suis privé depuis une dizaine de mois. Je souhaiterais bien que votre santé fût aussi bonne que la mienne. J’apprends avec douleur que la multitude des extrêmes-onctions ne vous ont pas peu fatigué. En effet voyager la nuit avec la pluie sur le corps, passer les nuits sans dormir… tout cela n’est pas peu propre à altérer une santé aussi délicate que la vôtre. Je vous prie instamment de la ménager pour la gloire de Dieu et le bien de nos ouailles… » (Lettre n° 28)
Le P. Song doit être très habile de ses doigts, car notre vieux missionnaire lui avait envoyé sa montre à réparer, et il est content de l’avoir reçue en bon état. Il demande au P. Song « de le gratioser d’un peu de son tabac de Canton, tout autre me produit un éternuement fatigant. » Les missionnaires utilisaient donc du tabac à priser. Dans la lettre suivante il dit avoir reçu une pipe envoyée par son confrère, le P. Tchang. (Lettre n° 28)
Dans la lettre n° 29 du 19 novembre 1807, le P. Clet dit à son confrère qui est maintenant à la résidence centrale, sa perplexité. Il craint d’envoyer un courrier chercher de l’argent à Pékin, car « les routes de Chine ne sont jamais plus infestées de voleurs et de brigands que vers la fin de l’année, ce qui me fait craindre que les porteurs de notre argent ne soient dépouillés et ne reviennent à la maison les mains vides et peut-être le corps meurtri de coups… Voyez ce que vous en pensez… vous savez que je n’aime rien faire d’un peu intéressant sans l’avis de mes confrères, lorsque je suis à portée de les consulter… »
Le P. Song doit être quelque peu scrupuleux, il se croit obligé de recommencer la récitation de son bréviaire s’il a été distrait. Le P. Clet le rassure : « L’intention et l’attention actuelles ne sont de précepte qu’au commencement d’une action qui a Dieu pour objet. Cette attention actuelle, eu égard à la faiblesse humaine est moralement impossible…Prétendre faire une action de quelque durée sans distraction, c’est plutôt un effet de notre orgueil qu’une suite d’un vrai désir de plaire à Dieu. En conséquence, je vous ordonne de réciter votre bréviaire et autres prières tout rondement et sans répétition, après vous y être préparé par un instant de recueillement… » (Lettre n° 29)
Après lui avoir donné de bonnes raisons pour balayer ses scrupules, le P. Clet se sert de l’argument d’autorité, car c’est de la sorte qu’on doit procéder avec les scrupuleux.
Enfin revenant sur les hésitations à envoyer un courrier à Pékin, il demande son avis au P. Song en lui disant : « Prenez votre prudence à deux mains et dites moi ce que vous en pensez… »
Dans la lettre du 7 décembre 1807, l’éventuel départ d’un courrier pour Pékin est toujours en question, car les pauvres Pères sont vraiment à court d’argent. Le P. Clet envisage de faire vendre le surplus de la récolte de maïs. Le P. Song répond quelques jours plus tard pour rassurer le P. Clet. Il prépare le départ des courriers et il ne sera pas nécessaire de vendre du grain pour cela. Et il lui donne quelques explications sur des décisions qu’il a dû prendre. C’est la seule lettre que nous ayons du P. Song à son supérieur. Par cette lettre nous savons que les missionnaires sont propriétaires de rizières et d’un terrain qu’exploite un fermier pas très consciencieux Dans la lettre n° 32 de ce même mois de décembre, le P. Clet donne son accord pour la vente de grain, mais confirme sa méfiance à l’égard du fermier.
La lettre n° 33 est écrite de la résidence de Lao-ho-keou. Le P. Clet ressent de la peine à l’idée que le P. Song risque d’être appelé à Pékin. Il comptait sur lui pour le décharger d’une bonne partie du ministère et du rôle de supérieur. Lui-même se contenterait de former des séminaristes, mais à la volonté de Dieu ! Un courrier de Pékin est arrivé apportant divers objets. Le P. Song a envoyé à M. Clet un onguent mais il n’est pas fameux, juste bon pour les cors aux pieds.
Le lettre n° 34 du 3 janvier 1808 est écrite à 11h. du soir, à la chandelle. Le P. Clet rassure son correspondant sur le contenu d’une lettre jugeant sévèrement un jeune homme qu’on a dû renvoyer à cause de sa paresse ; le P. Song avait cru qu’on parlait de lui, or il n’en est rien.
Après un trou de 10 mois, la correspondance reprend en novembre 1808. Dans la lettre n° 35, le P. Clet dit au P. Song : « Donnez moi au plus tôt de vos nouvelles dont je suis très avide », et il ajoute « Conservez-vous toujours dans la piété, mais la vraie piété n’est pas scrupuleuse… »
Il lui annonce l’arrivée de Pékin de deux confrères M.M. Chen et Ho, et d’un homme de 40 ans qui a reçu les ordres mineurs et dont le vieux missionnaire est chargé de poursuivre la formation. Mais point de nouvelles de notre cheval européen ; c’est que le P. Dumazel est attendu, et son nom chinois est Ma, qui veut dire cheval.
Le lendemain de Noël, 26 décembre 1808, (Lettre n° 36), le P. Clet se méfie des scrupules du P. Song, il lui écrit « Je soupçonne que vous scrupulisez un peu avec les chrétiens. Vous devriez peut-être dans le tribunal (de la pénitence) aller un peu plus bonnement et rondement. Vos ne réussirez certainement pas à faire des chinois des chrétiens parfaits, travaillez à les faire passablement bons…et n’allez pas trop vous chiffonner la tête de leur résistance… »
Il se dit tout à fait à court d’argent ; le peu qu’il a servira à envoyer le P. Chen missionner dans la plaine. « Dans 13 jours il ne restera plus aucune sapèque à la maison. je ne vois personne qui puisse nous prêter ou de qui je veuille emprunter : les riches me déplaisent trop pour que je veuille leur avoir obligation… »
Dans cette lettre n° 37 comme dans d’autres, le P. Clet donne son avis à propos de ménages de chrétiens dont le comportement donne du scandale : une femme dont le mari est absent reçoit chez elle des païens qui cohabitent avec elle ; il serait temps que le mari, qui est au service du P. Song, revienne pour mettre de l’ordre chez lui. Il intervient aussi pour donner son avis à propos de projets de mariages qui présentent quelque difficultés. C’est qu’il connaît bien ses chrétiens et sait sur qui on peut compter ou non.
La Lettre n° 38 est écrite en latin, car le P. Clet se rend compte que son confrère n’a pas bien compris sa lettre en français. Loin de lui avoir fait des reproches de négligence ou d’oisiveté, il lui recommande au contraire de modérer ses activités afin de ne pas altérer sa santé. « Je ne me suis jamais plaint que mes collaborateurs se laissaient aller à l’oisiveté, mais plutôt de ce qu’ils travaillaient trop. »
Il traite ensuite de plusieurs cas de prêt à intérêt, de loyer, de vente de grains, de prêt gratuit et de fiançailles. Ses conseils sont marqués par le bon sens, mais aussi par sa longue pratique de l’enseignement de la théologie morale. Enfin il va user de son autorité pour obliger son confrère à prendre du repos. « Je vous prie d’obéir au médecin, car peut-être ne m’avez vous pas obéi. Maintenant faites pénitence de votre excès de travail, car qui vit de médecines vit de misères. N’entreprenez aucun travail jusqu’à ce que vous ayez recouvré vos forces. »
Dans la lettre n° 39, le P. Clet signale au P. Song l’arrivée du frère Wang qui sera pratiquement l’économe de la résidence. Par le courrier Yuen, il lui envoie un peu d’argent et une bouteille de tabac (tabac à priser). Il lui apprend la guérison miraculeuse du P. Dumazel en date du 27 septembre 1808. Il espère le voir arriver bientôt.
En juin 1809, la lettre n° 40 fait encore état de l’extrême pauvreté de la mission : « Ici nous sommes fort pauvres. Nous avons reçu peu d’argent de Pékin ; nous avons une maison à bâtir, nous avons à faire incessamment un envoi de deux hommes dans le lointain… La dépense de la résidence est grande et les pauvres sont sans nombre… jugez par là de notre détresse… »
Il lui demande aussi, et cela à plusieurs reprises, de lui envoyer de la cire . « Nous avons un besoin absolu de cire et comme j’ai oui dire par je ne sais qui que vous en avez, je vous prie de nous en envoyer tout ce que vous pourrez… »
Il lui en reparle dans la lettre suivante n° 41.
Les lettres 42 et 43 de septembre et octobre 1809 demandent au P. Song de rédiger un compte-rendu un peu précis de ses activités apostoliques comme doivent le faire tous les missionnaires pour l’envoyer au Vicaire apostolique « comme il se pratique dans tous les Vicariats apostoliques de Chine. »
Il est question d’envoyer deux courriers au Setchouen pour aller y chercher le P. Dumazel, et d’accueillir un nouveau confrère envoyé de Pékin. Un jeune homme qui pense se consacrer à Dieu est confié au catéchiste Quon pour qu’il l’instruise, mais celui-ci est bien malade.
En novembre, dans la lettre n° 44, les courriers pour le Setchouen sont partis et on attend le P. Dumazel pour mars 1810. Il se plaint d’avoir bâti, poussé par les chrétiens, une maison dont la construction n’était pas nécessaire, une cuisine aurait suffi, mais elle est bâtie et le P. Song en profitera. Le P. Clet se fait du souci pour une terre qui est en vente au milieu des terres des chrétiens, il faut tout faire pour qu’elle ne soit pas achetée par des païens, même s’il faut la payer un peu plus que sa valeur.
Dans la lettre n° 45, le P. Clet trouve que son confrère a fait une bien grosse dépense pour l’enterrement de Laurent Yuen, homme de confiance dont le fils sert parfois de courrier aux missionnaires. 14.000 deniers c’est beaucoup alors que 12.000 ont suffi pour les funérailles de trois missionnaires.
Le Père fait ensuite de longues considérations sur la vente des grains et leur juste prix, compte tenu des frais de transport et de conservation.
La Lettre n° 46 traite d’un mariage secret que le P. Song devra rendre public en organisant une cérémonie de bénédiction nuptiale.
Dans la longue lettre n° 47 du 3 mai 1810, le P. Clet raconte à son confrère qu’il faillit « mourir d’une fièvre typhoïde au point que les médecins désespérèrent de ma vie, mais une sueur très abondante me sauva. M. Ho que j’avais envoyé chercher pour me donner les derniers sacrements me trouva à son arrivée hors de danger … Il m’en est resté une faiblesse et une enflure de jambes qui ne me permet plus de faire de longues courses à pied… Enfin M. Dumazel est arrivé à notre château de paille le 3 de la 3ème lune (en mars, comme prévu) … Il me parait d’une santé fort délicate et avoir besoin de beaucoup de ménagements. Cependant il est fort ardent et a bien plus besoin de bride que d’éperons. Il voudrait aller toujours au galop ; s’il est arrêté dans sa course, il s’attriste et tomberait aisément dans la mélancolie. Je lui ai fait des remontrances là dessus… Il sera toutefois bientôt au fait de la langue parce qu’il parle beaucoup, car ce ne sont pas les livres qui forment à cette langue qui n’a point de grammaire… »
Voilà donc le P. Clet bien réconforté par l’arrivée du P. Dumazel dont l’ardeur apostolique le comble d’admiration,
Au P. Song qui a quelques dons pour l’horlogerie, le P. Clet dit qu’il a fait venir de Canton une montre qui, à en juger par la mine, lui paraît bonne, « la mienne ne pouvant se corriger d’aller au galop, jusqu’à prévenir le soleil de deux heures par jour… »
Il lui dit la nécessité d’ouvrir un collège dans la province car dans quelque temps il sera trop tard, il met le P. Lamiot dans le projet. Il espère bien être enfin déchargé de la charge de supérieur de la mission,.. mais ce vœu ne sera jamais exaucé.
Il redit enfin son affection pour le P. Song : Je ne laisse passer aucun jour sans penser à vous et à toute votre famille…
Le 11 juin 1810, lettre n° 48, le P. Clet se réjouit de voir bientôt toute la communauté des missionnaires réunie. « M. Dumazel vous salue très amicalement en attendant avec une sorte d’impatience, et moi aussi, que nous ayons le plaisir de vous voir à notre résidence, où nous proposions de nous voir tous réunis pour passer le temps des grosses chaleurs. Car M. Chen est de retour, M. Ho arrivera du Fang-hien au plus tard dans dix jours et moi je me rendrai au gîte après avoir fini la visite du Chang-pé-Yu-Kéou. Combien n’augmenteriez-vous pas notre joie si vous faisiez le cinquième de notre communauté… J’ai bien su que vous aviez été indisposé, mais j’ai ignoré que votre maladie ait été dangereuse et de longue durée… Je me borne à vous prier de revenir dès que vous pourrez, sans nuire à votre santé. »
Le 25 juillet 1810, la lettre n° 49 dit au P. Song : « Nous sommes depuis quelques jours 4 missionnaires à la maison, qui tous vous saluent très amicalement, qui soupirent après votre retour et sont attristés que votre faible santé mette obstacle à votre prompt retour. »
Le P. Clet demande à son confrère de rapporter à la résidence centrale la malle de messe dont il se sert, « si vous revenez ici. Sans cette malle de messe, vous vous trouverez sans cet article inséparable d’un missionnaire… »
C’était une mallette contenant tout le nécessaire pour célébrer la messe, les missionnaires actuellement se servent encore de cette mallette, analogue à celle qu’utilisaient les aumôniers militaires, pendant la guerre. Le 3 septembre 1810, dans la lettre n° 51, le P. Clet s’étonne de ce que son confrère ne soit pas encore revenu : « Je présume que votre santé est rétablie et je m’en réjouis. J’aurais bien désiré que vous puissiez revenir à la résidence avant la fin de la 8ème lune, car votre retour retardé jusqu’à cette époque sera cause que vous ne trouverez à la maison que M. Dumazel … Je vous dirai à basse voix que tout le monde ici est fort étonné de votre longue absence et je vous excuse sur la faiblesse de votre santé… je présume volontiers que vous avez fait ce que vous avez pu et dû, parce que je connais la délicatesse de votre conscience… »
Presque six mois plus tard, le P. Song n’est toujours pas revenu à la résidence centrale, aussi le P. Clet lui écrit le 12 février 1811, en mettant comme adresse » Pour le malade M. Song « . Il va lui donner des nouvelles et l’encourager : « Je commence cette lettre à 11h. du soir, devant partir demain dans un beau carrosse traîné par deux bœufs. Ainsi pendant que votre santé se repose, ma santé se promène et parcourt les vastes plaines du Honan. Pour vous, travaillez à rappeler votre santé en vous soumettant en tout à la volonté de Dieu… Désirez la santé, mais modérément et sans impatience.. Rien de mieux que ce que Dieu veut… Vous êtes à Hoang-chan-ya, je souhaite que la proximité des médecins accélère votre rétablissement. Pour moi je suis d’un goût différent, quand je suis malade, j’aime mieux être chez moi que chez les autres. Si votre mal empirait, je vous conseille de vous rendre à notre résidence où vous trouverez des secours spirituels que vous n’aurez pas là-bas. » (Lettre n° 54)
Dans la correspondance que nous avons parcourue jusqu’en février 1811, il n’a jamais été question de persécutions ou tracasseries administratives, mais au cours de cette année 1811, le P. Clet semble craindre que ses lettres ne soient interceptées, aussi ce n’est qu’à mots couverts qu’il donne au P. Song dans une lettre écrite en décembre (Lettre n° 55) des nouvelles des diverses missions. Il parle de la mission en général comme d’une entreprise de commerce. « Le mandarin n’a point publié le décret impérial contre les pasteurs et leurs brebis, ainsi chez nous tout va son train ordinaire. On n’est toutefois pas sans crainte. Le négoce de la Babylone s’en va chancelant (Il s’agit de la mission de Pékin). La boutique occidentale (l’Eglise du Sitang) est fermée, les facteurs (les missionnaires) ont tout vendu et se sont retirés de leur propre mouvement. La boutique de l’Est, (l’église du Tongtang) et la boutique du sud (l’église du Nantang) ont aussi vendu tous leurs effets et les facteurs se tiennent prêts à partir au premier signal. La boutique septentrionale (l’église du Pétang) va son train ordinaire … elle a même envoyé quelque argent pour soutenir son commerce intérieur (c’est-à-dire les missions de l’intérieur) qui, sans secours, n’auraient guère pu subsister. Je vous enverrais actuellement un petit subside pour soutenir votre commerce, mais la famine qui règne ici fait que les routes ne sont pas sûres… Le commerce de M. Ho ne va pas, sa boutique est fermée depuis trois mois. Je viens de lui écrire que, si son commerce continue à ne pas aller, il revienne nous aider à faire le nôtre qui toutefois n’est pas bien florissant… »
Il déconseille formellement au P. Song de s’exposer à être arrêté. « Vous n’êtes pas obligé d’aller vous présenter devant le mandarin inutilement pour fortifier dans la foi quelques chrétiens faibles … à peine auriez-vous prononcé un ou deux mots que vous seriez arrêté, au grand détriment du très grand nombre de vos brebis privées, par là, de leur pasteur. Cachez-vous plutôt pour reparaître en temps calme… »
Le P. Clet a été victime de ragots auprès du supérieur des missions, le P. Ghislain à Pékin : on l’a accusé « d’imposer à ses confrères un travail au dessus de leurs forces… et de ne leur accorder point de repos … mais j’examine ma conscience et il me semble n’avoir jamais eu l’intention de ruiner la santé de mes confrères par un travail au dessus de leurs forces… Je vous prie donc de ménager votre santé… en Chine surtout où les prêtres sont rares, il vaut mieux vivre que mourir pour la gloire de Dieu… »
Ces conseils pleins de sagesse, le P. Clet les appliquera à lui-même lors de la persécution qui entraînera plus tard son arrestation et sa mort.
Le 6 septembre 1812, dans la Lettre n° 56, le P. Clet informe son confrère des commencements de persécution survenus dans la région. Des bruits accusaient les chrétiens de vouloir organiser une révolte le 15 août. Une démarche, auprès du mandarin, d’un représentant des chrétiens et de deux catéchistes prouva que c’était pure calomnie. Mais le représentant des chrétiens reçut cependant 50 soufflets parce qu’il ne voulait pas renoncer à sa foi.
Dans cette même lettre, le P. Clet dit : « Vous comprenez bien que, dans la crise où nous sommes, nous sommes tous cachés et les effets de la maison mis en sûreté. Nous nous portons, je pense, tous assez bien. Dans le cours de la 4ème lune, j’ai eu une terrible hémorragie qui m’a fait perdre par le nez au moins cinq livres de sang. Je suis actuellement rétabli… »
Le P. Clet donne des conseils pratiques à M. Song pour faire du vin à partir d’une récolte de raisins , car le vin venu d’Europe est à peu près épuisé. « Point de nouvelles de la Babylone (Pékin). Je pense que si vers la fin de la lune nous n’en recevons point il faudra y envoyer pour en donner des nôtres et savoir des leurs et leur demander quelque subside d’argent, car la famine qui s’est fait sentir ici pendant 5 à 6 mois nous a grandement appauvris… »
La lettre n° 57 de la fin de 1812, raconte au P. Song un fait divers dramatique. Un garçon malhonnête François Lo était au service de M. Tchen qui, d’abord trompé, finit par le renvoyer. Il se présente à M. Ho, puis vient à la résidence centrale. Bientôt il en vient à vouloir tout régenter et même met le feu à la maison. Le P. Clet lui donne 40 taëls et le fait partir. Il va dépenser cet argent en 2 mois auprès des prostituées de Lao-He-kou. Puis réduit à la mendicité il revient avec un compagnon de débauche et prétend à nouveau se mêler de tout. Il menace de dénoncer les chrétiens. Plusieurs d’entre eux, 6 ou 7, viennent se saisir de l’énergumène et vont l’emmener garrotté au tribunal de la ville. Il continue à faire des menaces, aussi pendant la route parcourue de nuit, ses gardiens l’étranglent et l’enterrent. Certains ont accusé le frère Wang de cette disparition, mais c’est une pure calomnie. D’ailleurs l’affaire n’a pas eu de suite car « l’occis étant d’un pays éloigné, personne ne s’intéresse à son sort… »
Le Père donne ensuite son avis sur des affaires de succession, de procès et de taux abusif de prêt à intérêt. Puis il déconseille au P. Song d’aller passer un examen qui lui vaudra un bouton, c’est à dire un titre de lettré du premier degré. La dépense serait trop grande.
Malgré la parcimonie recommandée par le P. Clet pour l’usage des Saintes Huiles, leur réserve a été épuisée : « Je n’en ai point, malgré mes instances auprès des habitants de Babylone pour m’en envoyer… »
La dernière lettre adressée au P. Song (lettre n° 60) a été écrite en décembre 1815, soit plus de deux ans et demi après l’avant dernière.
Le P. Clet a envoyé au P. Song des Saintes Huiles. Cette lettre donne l’occasion au P. Clet de parler de ses confrères dispersés : M. Chen est au Kiang-si, M. Tchang est au Kiangnan, M. Tchin au Honan et M. Song au Chan-tsing-hien. Les Pères Ho et Dumazel semblent être sur place avec le P. Clet. Il dit à leur sujet : « M. Ho n’est pas en assez bonne santé pour raccommoder si promptement votre montre, M. Dumazel et M. Chen se plaignent aussi de la maladie de leur montre, aussi prenez patience. On vous envoie deux bouteilles de vin, des mouchoirs et du papier aluminé. Mon projet était d’aller moi-même au printemps prochain vous visiter et après quelque jours de repos, de revenir à notre résidence. Mais M. Dumazel prétend que je suis trop vieux et trop nécessaire ici pour entreprendre ce voyage. Il est d’avis de vous envoyer notre nouveau venu M. Chen… je vous félicite de la croix que le Bon Dieu vous a envoyée et de ce que pour notre consolation, il vous a délivré de la gueule du lion qui semblait devoir vous dévorer… »
Cette dernière phrase semble faire allusion à des épreuves dont le P. Song a été victime, peut-être des épreuves de santé, mais aussi à une période où il a subi un commencement de persécution.
Remarques sur cette correspondance
L’ensemble de ces 37 lettres conservées par le P. Song couvre une période allant du 10 juin 1804 au 28 décembre 1815, soit un peu plus de onze années.
Les intervalles entre ces lettres varient de quelques jours à plus de deux ans Certaines ont sûrement été perdues, mais leur fréquence dépendait aussi des occasions de courriers qui faisaient le trajet d’une mission à l’autre. Souvent un courrier apportait une lettre du P. Song qui posait à son supérieur une série de cas de conscience et le même courrier emportait ensuite la réponse du P. Clet. Cette manière de faire nous fait penser à Mgr. Camus, jeune évêque de Belley, qui entretenait un domestique pour porter jusqu’à Annecy les lettres par lesquelles il demandait des conseils pratiques à l’évêque voisin, François de Sales qu’il avait en vénération. Ledit domestique attendait la réponse du saint évêque de Genève et la rapportait à son maître à Belley.
Bien que nous n’ayons pas les lettres du P. Song, l’ensemble des lettres du P. Clet nous décrivent, presque au jour le jour, la vie de la Mission avec ses préoccupations apostoliques, les soucis de santé des missionnaires, les menaces de persécution, les cas pratiques où le missionnaire devait jouer un rôle de quasi juge de paix entre les chrétiens, les cas de fiançailles ou de mariage où les vieilles coutumes païennes étaient confrontées aux exigences chrétiennes, les cas d’héritages, de prêts ou d’achats à des taux excessifs. La longue expérience théorique de l’ancien professeur et pratique du vieux missionnaire l’aide à donner des réponses pleines de mesure et de sagesse.