IV – Les debuts en Chine
Le séjour à Macao
Les Portugais avaient été autorisés à s’établir sur la presqu’île rocheuse de Macao , après qu’une de leurs escadres eut débarrassé en 1557 la côte chinoise des pirates qui l’infestaient. C’est par Macao que les missionnaires passaient pour entrer en Chine. Il y avait à Macao un évêque portugais qui était suffragant de l’archevêque de Goa en Inde, et le petit territoire de Macao dépendait du vice-roi portugais de Goa.
Nos trois missionnaires, François-Régis et ses deux jeunes compagnons Messieurs Lamiot et Pesné, séjournèrent quelques mois à Macao pour se mettre l’étude du chinois, mais nous n’avons pas de détails sur leur séjour.
Nous savons seulement que c’est à Macao, et secrètement que nos deux jeunes diacres furent ordonnés prêtres. C’est aussi à Macao que nos trois missionnaires reçurent leur ordre de mission. M. Lamiot ira renforcer l’équipe des lazaristes de Pékin. M. Pesné rejoindra son confrère M. Aubin qui est, depuis l’année précédente, au Hou-kouang (cette province dont Ou-tchang-fou est la capitale). Quant à M. Clet il est destiné au Kiang-si, au nord du Kouangtoung. Chacun de nos missionnaires va donc s’habiller à la mode chinoise, se munir de quelques bagages et essayer de rejoindre clandestinement sa mission, en se faisant accompagner d’un guide chrétien. Une telle expédition n’est pas sans risque. L’année précédente le P. Aubin, pris par des malfaiteurs, ne put s’échapper de leurs mains que moyennant une forte rançon.
Le vieil empereur Kienlong par un décret du 9 novembre 1785 réitérait la défense aux étrangers de pénétrer sans autorisation expresse sur le territoire chinois et d’y prêcher une religion étrangère. Des missionnaires furent emprisonnés et cependant graciés à cause de leur ignorance des lois chinoises ; François-Régis, déguisé en chinois, portant même derrière la tête une natte postiche de cheveux, se mit donc en route vers le nord avec son guide. Décrivant son accoutrement à son frère le chartreux, il lui dit : » Nos habillements sont plus commodes que ceux des Européens, ils sont fort amples et par là plus frais en été, et pour nous garantir du froid, nous les appliquons au corps par une ceinture. Nous portons la barbe qui ne nous incommode point. Nous avons la tête rasée, excepté cette partie que les prêtres en Europe rasent pour former les tonsures… » Lettre n° 12
Le guide s’arrangeait pour que son compagnon ait le moins possible à parler. Il le fait même passer pour quelqu’un qui est en deuil, car les gens qui sont en deuil sont censés observer un mutisme rituel. Ils voyagent le plus souvent à pied, mais aussi en barque selon que leur itinéraire peut emprunter le cours d’une rivière. Ils s’arrêtent le soir dans des auberges dont le guide connaît les propriétaires.
Après un parcours de sept à huit cent km, ils arrivèrent à Nan-Tchang-Fou, la capitale de la province du Kiang-si, située sur le parcours inférieur du Kankiang qui se jette dans le grand lac Poyang, lequel a lui-même son déversoir dans le Yang-tse-kiang, cet immense fleuve qui n’a de bleu que le nom .
Au Kiang-Si
Le champ d’apostolat et les conditions de vie
Le P. Clet devait remplacer dans cette province le P. Yang, ancien jésuite qui avait été transféré à la prison de Pékin. Délivré grâce à l’intervention des Lazaristes, il avait dû rester à Pékin et travaillait avec le P. Raux.
Quelque temps après son arrivée à sa résidence principale, le P. Clet écrit à sa sœur Marie-Thérèse : « Ce bout de lettre pour vous donner avis que je suis arrivé au lieu de ma résidence à bon port. Je n’ai point été reconnu en route pendant 30 jours de voyage. Pendant ce temps-là je me suis bien porté, malgré une constipation opiniâtre… Je suis actuellement logé dans une maison assez vaste, mais toute délabrée. On va incessamment travailler à la réparer, et comme elle est toute en bois, elle ne sera pas malsaine pour l’hiver qui, au reste, n’est pas bien rude dans ce pays-ci. » (Lettre n° 5)
Cette résidence se trouvait à Tchéou-Tchang-Lu-Kia, non loin de la sous préfecture de Lin-Kiang à une centaine de kilomètres au sud de Nantchang.
C’était une grande maison chinoise comportant un vaste salon qui servait de chapelle, flanqué de trois chambres à droite et autant à gauche. Elle avait été édifiée avec beaucoup de soin par les chrétiens eux-mêmes vers les années 1700. Elle était entourée d’un petit jardin avec une clôture et au milieu du jardin un camphrier gigantesque, sur l’écorce duquel le P. Clet avait gravé une croix.
Notre missionnaire devait reprendre en mains les chrétientés très dispersées de cette province. Dans la même lettre à sa sœur le P. Clet ajoute : « Une nouvelle carrière s’ouvre pour moi. Il s’agit de renouveler l’esprit de religion dans d’anciens chrétiens qui sont abandonnés à eux-mêmes depuis plusieurs années et de convertir des infidèles. Voilà j’espère mon occupation jusqu’à la mort. » (Lettre n° 5)
Le Père Clet va donc visiter ces petits groupes de chrétiens isolés, il parcourt à pied les mauvais chemins de cette grande province. Il est chaussé à la chinoise : « Nos souliers sont faits de telle manière que sans boucle ni cordons ils tiennent au pied sans toutefois le fatiguer. Ils sont de toile, même la semelle, qui est toutefois si ferme et si dure qu’une paire suffit pendant trois mois pour parcourir et gravir nos montagnes qui sont extrêmement pierreuses. » (Lettre n° 12)
Il loge le soir dans une maison chrétienne, mais de manière spartiate : « Notre manière de coucher passerait pour austère en Europe. Nous ne connaissons pas cette molle épaisseur de matelas : une planche sur laquelle est étendue une légère couche de paille, couverte d’une natte et d’un tapis, ensuite une couverture plus ou moins chaude dans la quelle nous nous enveloppons, voilà notre lit sur lequel nous dormons aussi bien et plus sainement que dans les lits les plus mollets… dans les barques, nous couchons sur les planches recouvertes d’un simple tapis… » (Lettre n° 12)
Il ne se plaint pas de l’alimentation : « La nourriture est à peu près la même qu’en Europe à part le vin qui est trop rare pour en boire, le peu que nous en avons est réservé au Saint sacrifice. Nous mangeons du pain de froment à moins que nous n’aimions mieux du riz qui est la nourriture habituelle des chinois ; nous avons de la volaille, de la chair de porc et des plantes potagères pour assaisonner notre pain… » (Lettre n° 12)
La province du Kiang-si où s’exerce le ministère de François-Régis est très peuplée, mais la population est assez pauvre. Les habitants du Kiang-si ont l’habitude d’économiser et se sont fait ainsi, auprès des autres chinois, une réputation de ladrerie. La principale industrie de cette province, industrie renommée dans toute la Chine, est la fabrication de la porcelaine , de la plus commune à la plus fine. Il y en a d’immenses entrepôts à Nan-chang-fou, et le bourg où cette industrie est la plus répandue, Kinchetchin, compte plus de cinq cent fours à porcelaine. François-Régis écrit à ce propos : « Kinchetchin est un lieu célèbre pour ses manufactures de porcelaine, c’est à peu près de ce seul endroit que ce genre de poterie se distribue dans toute la Chine et dans le monde entier. » (Lettre n° 7)
Cinquante ans plus tard le P. Huc qui traversera la province de Nantchang à Canton décrit cette industrie et ses produits. (L’empire chinois p. 493) Le P. Clet profite d’un passage à Kinchetchin pour acheter 10 bols de porcelaine qu’il envoie, comme cadeau de reconnaissance, au P. Letondal, procureur des Missions étrangères à Macao.
Au temps où le P. Huc parcourait la province, vers le milieu du XIXe, il évalue le nombre des chrétiens à environ 10.000.
Les difficultés de la langue
Mais ce à quoi François-Régis trouve l’accoutumance plus difficile, c’est la langue chinoise elle même. Lorsqu’il arrive en Chine il a déjà 43 ans, et il est un peu tard pour se mettre à l’étude d’une nouvelle langue.
Notre missionnaire s’en prend à son ingrate mémoire, mais d’après ce qu’il écrit en 1798 à son frère chartreux, donc au bout de six années déjà de Chine : « La langue chinoise est indécrottable. Les caractères qui la forment ne sont pas destinés à exprimer les sons mais les pensées, de là vient ce nombre prodigieux de caractères. Je suis arrivé trop âgé en Chine pour en avoir une connaissance passable… »
Il écrit encore à son frère en 1802, soit 4 ans plus tard : « Les caractères sont multipliés jusqu’à soixante mille au moins, j’en sais seulement assez pour les besoins journaliers et pour faire de petites instructions aux chrétiens ; ainsi est-il beaucoup meilleur pour eux de me posséder, tout ignorant que je suis, que de n’avoir point de prêtre pour les secourir en santé et en maladie …(Lettre n° 16) Dans ma patrie je pouvais me croire bon à quelque chose, au lieu qu’ici, je ne suis presque bon à rien… toutefois, comme dit le proverbe, il vaut mieux que la terre soit labourée par des ânes que si elle demeurait absolument sans culture… » (Lettre n° 12)
Son travail dans cette province où il ne demeura qu’un an, il le résume ainsi à son frère : « J’ai travaillé une année dans le Kiang-si où, entre autres choses, j’ai baptisé cent et quelques adultes assez bien instruits. J’aurais pu en baptiser un plus grand nombre qui me pressaient de leur accorder cette grâce, mais ils ne m’ont pas paru assez bien instruits et nous avons remarqué que les catéchumènes facilement baptisés apostasiaient aussi facilement. » (Lettre n° 12)