A l’oeuvre donc !
1VIadère est une grâce. « C’est le point de jonction » affirmera Portal à la fin de sa vie. La devise de Lord Halifax « j’aime mon choix » s’applique à son élève, car lorsque chacun retournera chez soi c’est « l’abbé»1 qui activera les opérations : « Je ne vous laisserai pas un moment de repos jusqu’à ce que nous ayons commencé notre petite campagne… A l’oeuvre donc!».
Une parfaite unité de vue2 attelle les deux amis. Le prêtre catholique s’est dépossédé de la suprématie romaine pour acquérir une mentalité «œcuménique » très affinée :
«Si, malgré des avis contraires, je continuai des relations qui paraissaient à d’autres sans objet, c’est que la conversion n’est pas le seul bien à poursuivre. Le rapprochement des esprits, la disparition des préjugés sont aussi des résultats appréciables, dignes d’être recherchés par eux-mêmes, ne serait-ce qu’auprès d’une âme, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personnalité dont l’influence peut être considérable».
Portal3 a le génie de la pénétration d’un monde étranger. Il prévient avec bonheur les faux pas à éviter, les obstacles à éliminer, les attitudes à prendre. Il n’a pas son pareil pour se faire adopter comme l’ami ou le frère dans une maison inconnue, en se situant sereinement d’homme à homme, d’égal à égal : « Je me sentais tout à fait at home Mais c’est toujours comme cela avec vous » lui disait Lord Halifax.
Le désintéressement à l’égard de Lord Halifax honore la situation charnière4. («Je puis servir comme type » dit L.H.) que le personnage représente aux yeux des églises. C’est donc au niveau du concret, c’est-à-dire, des personnes et des communautés, que la recherche de l’union se place, avec l’intention de toucher au vif l’Eglise anglicane dans ses aspirations fondamentales, et en même temps d’ébranler les positions immuables de l’Eglise romaine. Le thème des Ordres Anglicans est choisi parce qu’il répond au programme envisagé5 (23 ter) : « exciter » et « allumer » le désir de l’union, et à cet effet, trouver une « expression » et un « point de contact », en vue de dégeler les blocs en présence ; cela permet de « se connaître » et de « s’expliquer » sans manier la « controverse ».
Lord Halifax pouvait apprécier la justesse des suppositions de Newman qui lui avait dit, peu de temps avant sa mort, qu’il était préférable de s’appuyer sur le clergé de France « mieux disposé et plus favorable à la réunion que les catholiques d’Angleterre ».
Monsieur Dalbus
En décembre 1893, en janvier et en avril 1894, la Science Catholique publie un article d’une quarantaine de pages, à l’écriture précise et alerte, intitulé Les Ordinations Anglicanes et signé Fernand Dalbus, pseudonyme de Fernand Portal6. Deux tirages à part seront édités: le dernier comprend trois lettres d’évêques catholiques dont celle, fort désagréable, du Cardinal Bourret, évêque de Rodez, puis une quatrième qui est la réaction d’un évêque anglican face aux affirmations abruptes de ce prélat français, et une réplique de Dalbus à un article assez désobligeant du Guardian. C’est le premier dossier de la Campagne : «modeste travail», « étude inspirée par l’amitié, poursuivie dans un esprit de rapprochement et de concorde ».
«La tige de tout l’épiscopat anglais » tenait à Parker, consacré en 1559 par Barlow qui avait reçu son épiscopat des mains de Cranmer. Dalbus, dépassant les questions mesquines du manque de notifications sur les registres et des intrigues portant ombrage à la succession apostolique, rejetant les légendes farfelues inventées par des catholiques, en vient à l’intention du consécrateur et au rite employé.
Quelle était en 1559, la conception de Barlow sur les ministères et sur l’Eucharistie? En s’attachant à remonter jusqu’à l’Eglise ancienne, cherchait-il, dans l’Eglise anglicane, à conférer véritablement le Sacrement de l’Ordre ?
Les différences de vocabulaire, exagérément soulignées par des controverses séculaires, ont contribué à durcir des isolements culturels (nier une présence «corporelle», est-ce forcément nier une présence « réelle»?) sans compter que « des opinions bien extraordinaires, insoutenables aujourd’hui » étaient jetées à la face des anglicans par des théologiens catholiques réputés, par exemple : l’Eucharistie est « un sacrifice absolu, complet en lui-même» indépendamment du sacrifice de la Croix.
Quant au rite essentiel de l’ordination sacerdotale, est-ce la «porrection des instruments»7 introduite tardivement dans le cérémonial latin, ou mieux l’imposition des mains, d’origine évangélique et apostolique, absolument primordiale dans les rites orientaux et retenue pareillement par l’Ordinal Anglican ?
Dalbus conclut adroitement : le rite anglican en soi est « suffisant » mais l’ordination anglicane reste « nulle », parce que pratiquement incomplète. De plus « un doute subsiste au sujet de l’intention du consécrateur ».
Venez amis en Jésus-Christ…
La brochure de Dalbus intéresse les milieux anglais et provoque quelques prises de position en France. A l’auteur, parvient, le 13 Avril 1894, une lettre de l’Abbé Louis Duchesne, ce brillant historien des premiers siècles du Christianisme, pourfendeur des saints trop auréolés du calendrier liturgique, mis au ban de l’Institut Catholique de Paris. Le document8 qui paraît dans le Bulletin Critique aboutit carrément à la validité des Ordinations Anglicanes. Duchesne sera nommé par le gouvernement, Directeur de l’École Française de Rome ; il fait son entrée dans l’amitié de l’Abbé Portal comme dans la Campagne des Ordinations, et un tel homme en place à Rome offrira un précieux concours.
Cette lettre qui constitue une référence, circule dans les évêchés d’Angleterre, tandis que celle de l’archevêque anglican de Salisbury est publiée par les journaux9 qui avaient livré au public français le jugement malveillant du Cardinal Bourret (le Monde, l’Univers, la Vérité) et même par le Moniteur de Rome. Le nom de Duchesne désormais est lié à celui de Dalbus, en ce qui concerne les ordinations ; sa renommée sera acquise en Angleterre, à côté de celle de Portal.
Les dernières pages des Ordinations jettent une supplication à l’Eglise anglaise : ne pourrait-elle pas prendre ses responsabilités vis-à-vis de Rome10, en essayant de « faire la preuve » de la validité de ses ministres ? Ne serait-ce pas le plus sûr moyen de sortir d’une « insularité » et d’une « indépendance » presqu’invétérées ? La fière réponse de Salisbury à Rodez adresse, en guise de défense, une invitation à l’Eglise Romaine : « Venez, amis en Jésus-Christ… »11. Lord Halifax traduit ces appels d’une autre manière : « Nous avons beaucoup de préjugés chez nous et beaucoup d’ignorance… Il me semble aussi qu’il y a une certaine dose d’ignorance parmi les vôtres » (lettre à Portal du 6 Mai 1894).
La traversée du «pays inconnu»
Lundi 3o Juillet 1894, Portal arrive à Londres. L’Angleterre de cette fin de siècle, sous la tutelle de la reine Victoria, au milieu d’une resplendissante prospérité, subit de graves bouleversements sociaux12. L’appel de Léon XIII (Rerum Novarum 1891) en faveur de la justice pour les travailleurs, a retenti jusqu’en Angleterre.
Un bref séjour à Paris a suffi au voyageur pour préparer des arrières « sûrs » qui lanceront une percée vers Rome. Levé, le Directeur du Monde, a reçu « un tout petit rapport » assorti de la copie d’une lettre datée du ri Juillet, de Lord Halifax13, qui parviennent à Rome où se retrouvent deux grands amis, toujours bienvenus au Vatican, Georges Goyau et Henri Lorin, deux représentants du catholicisme social, l’un, historien et adjoint à Brunetière à la Revue des Deux Mondes, l’autre, un industriel, futur collaborateur de Marius Gonin aux Semaines Sociales14. Tavernier, de l’Univers, a été contacté. En plus de ces chrétiens démocrates, Portal a rencontré Arthur Loth, publiciste remarquable de la Vérité Française, représentant de la ligne catholique résolument royaliste. Et même il a vu le protestant de Pressenssé, du Temps, journal anticlérical. Divers courants de l’opinion sont donc mobilisés. Il a discuté, à l’Institut Catholique de Paris, avec l’Abbé Boudinhon15 qui se propose d’examiner les thèses de Dalbus. « La communauté d’efforts apparaît bien dans ces commencements… Elle devient de plus en plus intime et profonde » (Portal).
L’abbé a hésité, jusqu’à la dernière heure à faire ce voyage. De quel droit et avec quel mandat pouvait-il l’entreprendre ? Mais l’appel du large l’attirait. Et les meilleurs renseignements que le P. Puller ce prêtre anglican, de la fervente Société de St-Jean l’Évangéliste, — avec qui Lord Halifax l’avait mis en rapport — pouvait lui transmettre sur l’Église d’Angleterre ne vaudraient jamais « promenades » et « conversations », en fidélité aux heures de Madère, et « en pénétrant de façon vivante dans l’organisme de l’Église » (M5hler).
Trois semaines de découvertes fructueuses, en compagnie du seigneur d’Hickleton, Lord Halifax. Il y a une ambiance royale : Windsor Castle. Puis « le vieil Oxford se déployait… Dès qu’il aperçut ce lieu bien-aimé, il s’arrêta, les bras croisés, incapable d’aller plus loin. Chaque collège, chaque église, il les comptait… » (Newman). Cette grand-messe à St-Mathieu Westminster, dont le curé a lu Dalbus. L’accueil triomphal dans diverses communautés religieuses : Ascot, dont les Soeurs de Béthanie conservaient la mémoire de Pusey ; Bristol qui a une communauté surprenante : des religieuses de St-Raphaël, cousines germaines avec les Filles de la Charité de la rue du Bac, écoutent avec dévotion un commentaire du Père Portal, pris à l’improviste et fort ému, sur les paroles de Saint Vincent de Paul. « Aimez Dieu à la sueur de votre front et à la force de vos bras ». La rencontre des responsables de la hiérarchie anglicane et des théologiens : au Palais de Lambeth, sorte de Vatican anglican, on trouve le distingué évêque de Salesbury qui a contribué au dossier Dalbus. A Cambridge, la célèbre rivale d’Oxford, on trouve des théologiens remarquables comme le Révérend Lacey qui entre dans les amitiés portaliennes, le Dr Creighton, impressionnant historien, qui emporte l’Abbé Portal et Lord Halifax dans sa maison épiscopale de Peterboroug. C’est au tour de Maclagan, l’archevêque d’York, passionné de pastorale, imprégné de Charles Borromée et de Dupanloup, admirateur de Léon XIII, prêt à jouer le jeu du rapprochement.
Après une délicieuse halte au manoir d’Hickleton, on redescend vers Cantorbéry, pour décider Benson, le primat d’Angleterre, successeur d’Augustin, Pape de la seconde Rome, peu accommodant, tiraillé entre Haute et Basse Eglise, mais qui se dispose à poursuivre des « relations » avec M. Portal.
A Hickleton « l’abbé » est attendu par la famille de Lord Halifax, et aussi par W. Ward, ce catholique éclairé, fils du fameux Ward qui se rendait friand pour son déjeuner matinal, à côté du Times, d’un texte papal quotidien, et puis l’indispensable Père Puller qui fera partie de l’escorte du retour jusqu’à Oxford.
Un impair n’a pu être évité : un retard de courrier a fait manquer l’invitation du Cardinal Vaughan, fixée pour le 14 Août. Portal, captivé par le inonde anglican, semble peu soucieux de cette bévue, alors que Lord Halifax sent que l’habituelle indisposition de l’archevêque n’en a pas besoin pour s’irriter davantage. L’Abbé préfère se sentir de plus en plus « frère » des anglicans : « Vous nous appartenez à présent » lui écrira Lord Halifax.
Je parlerai au Cardinal Rampolla et au Pape
A Libourne, un prédicateur achève à peine ses instructions à son auditoire, qu’il est invité par la Secrétairerie d’État à venir à Rome. Elle demande même à Lorin de prier ce lazariste de prendre le train dans les meilleurs délais.
Le 8 Septembre, à Paris, se précisent les ultimes préparatifs du voyage, entre Levé, Lorin, Portal et Lord Halifax16 accouru de Londres pour la journée.
« L’abbé » reçoit à Rome des lettres encourageantes de Lord Halifax : Léon XIII devrait faire un geste qui engage l’Eglise romaine vis-à-vis de « L’Eglise anglicane entière ». Lettre pontificale au Cardinal Vaughan ou bien adressée directement à la hiérarchie anglicane ? Portal préfère la seconde formule parce que plus gratuite.
En Angleterre, on attend de Léon XIII une sorte de réédition de Prœclara Gratulationis (1893), pathétique appel en faveur de l’union avec les églises orientales : « entre elles et nous — disait le pape — la ligne de démarcation n’est pas très accentuée ». « Et si Léon XIII voulait vraiment s’occuper d’un tel rapprochement… ayons un peu d’imagination, un peu de foi… Dieu s’est fait homme pour sauver le monde…» (Lord Halifax)17. Somme toute, le Pape, dans la ligne de l’Incarnation, doit pratiquer une logique de « folie » et un mouvement de désinteressée compromission. L’Abbé Portal parle le même langage de « l’imagination » :
« Je parlerai au Cardinal Rampolla et au Pape comme j’ai parlé aux vôtres. Je leur dirai tout ce que j’ai vu et entendu avec la plus grande franchise. Naturellement je m’enhardirai jusqu’à dire ce qu’il faudrait faire. Léon XIII est si bon et si intelligent qu’il me laissera parler. Il me semble qu’après avoir poussé les vôtres à faire connaître leur désir d’union, il faut pousser les nôtres dans le même sens… Sainte Thérèse, qui n’avait pas été élevée à Cambridge, disait : « Thérèse n’est rien, Thérèse et quelques ducats ce n’est pas grand chose, Thérèse, quelques ducats, et Dieu c’est tout ». Elle ne disait pas deux et deux font quatre. Je soutiendrai en face de tous les Docteurs de Cambridge que jamais deux et deux ne font quatre dans les choses de Dieu : ils font plus ou moins… ».
Lettre du 29 janvier à L. H.
L’audace de Léon XIII
Mardi ii Septembre : tête à tête d’une demi-heure avec le Cardinal Rampolla, qui est séduit par la question « anglicane » dont l’Abbé Portal lui dessine l’historique depuis les heures de Madère jusqu’au voyage en Angleterre que le secrétaire d’État semble ignorer. « Je tiens à ce que vous voyez le pape dès demain… Parlez- lui en toute franchise et avec la plus entière liberté » dit le Cardinal.
Mercredi 12 Septembre : Léon XIII reçoit l’Abbé Portal, pendant une bonne heure. Il écoute « avec une grande attention » ce prêtre lui proposer d’écrire « une lettre privée et secrète aux archevêques d’York et de Cantorbéry » et lui certifier qu’elle sera bien acceptée car ceux-ci ne voudront jamais « assumer la responsabilité de rejeter de telles avances ». On n’aborde pas le sujet des ordinations mais on envisage des rencontres mixtes à Rome, Paris, Bruxelles18 ou Cahors même. « Le Saint-Père s’animait et ses grands yeux vifs, profonds, les yeux d’un prophète, d’un voyant, semblaient sonder l’avenir… Au fond, Léon XIII, dans sa prudence italienne, est un audacieux ». Et le petit lazariste campait en toile de fond tant de physionomies vénérées : Lord Halifax, tel archevêque et tel théologien et telle communauté religieuse de l’anglicanisme, déployait la vigueur du Mouvement d’Oxford et le dynamisme de la Haute Eglise… Toutes ces réalités dépassaient les obstacles prévisibles infaillibilité — ordinations anglicanes — catholiques anglais et les conversions individuelles ! « Le Pape dit que personne ne lui avait jamais parlé de l’Angleterre » d’une façon aussi convaincante. L’union avec l’Angleterre, « je ne crois pas que ce soit une utopie19, affirme Léon XIII, il faut rester ici quelques jours à notre disposition ». Et il congédie son visiteur, en lui disant « familièrement » : « Adio, Portal, adio ».
Jeudi 13 Septembre : Portal2021 voit Rampolla qui lui demande de rédiger « une sorte d’esquisse » de la lettre que le Pape enverrait à Cantorbéry et à York, dans la ligne de l’encyclique Praeclara.
« Une combinazione »
Samedi soir 15 Septembre — Entretien avec Rampolla. L’accueil est toujours agréable mais l’attitude a changé : «Je vous écrirais une lettre que vous remettriez à Lord Halifax, et cette lettre contiendrait beaucoup de ce que vous avez esquissé pour la lettre aux archevêques». Portal objecte que cette lettre « indirecte » ne les « obligerait à rien ». (Il aurait pu user du langage halifaxien : si l’on ne met pas les évêques dans un trou d’où il leur sera impossible de sortir…).
Dimanche matin, et soir 16 Septembre Portal hante l’antichambre de Rampolla pour remettre et préciser une note sur « les futures conférences » entre catholiques et anglicans. Il souligne que l’organisation d’une structure de dialogue importe peu, à comparer avec les préalables requis qui, « des deux côtés », comporteront d’abord la nette résolution « tout de suite d’avoir des conférences », puis les premiers contacts avec les premières « difficultés » et « les concessions possibles ». Il y aura dès le début tant d’hésitations venant de réactions d’ordre historique, culturel, psychologique ! Portal a le don de comprendre ces nuances et d’envisager les liens à créer de personne à personne, de communauté à communauté, pour que rien ne soit réalisé en porte-à-faux.
Les ultimes audiences évaporent les grandes intentions des jours précédents. Léon XIII, la brochure de Dalbus sur sa table, félicite l’auteur ; ce dernier plaide la cause de la « lettre directe » dont « le résultat aurait été beaucoup plus certain ». Le pape arbore deux rapports : l’un, au sujet des presbytériens qu’il estime plus proches de la réunion parce que moins inféodés au pouvoir civil que les anglicans ; l’autre, au sujet des anglicans, insupportables en Arménie. Quant à Rampolla22 il promet la « lettre directe » aux archevêques si émane de leur bonne volonté « une réponse favorable » à la « lettre indirecte » que Portal va recevoir, transmettra ensuite à Lord Halifax, et que tous deux enfin porteront aux archevêques. « Une combinazione » estimera, longtemps après, Portal, alors que Lord Halifax semble satisfait de ce premier pas, fût-il timide, fait, depuis la séparation, par Rome, à l’intention des anglicans !
Rome avec l’adresse qui la caractérise, se dégage de ce sondage, en laissant une marge de manoeuvre avec un certain encouragement à Portal qui devra « voir ce qu’il y aurait à faire ». Le Vatican, comme Portal à Madère, à bien le droit de dire « Messieurs les Anglais, tirez les premiers!».
Face à Benson et à Vaughan
L’abbé, empressé de réduire l’impossible, fonce vers l’Angleterre, prépare avec Lord Halifax une « lettre explicative », et tous deux, munis de la lettre de Rampolla, forcent la porte de Benson pour obtenir une réponse destinée à Lord Hafilax, en vue d’être remise à Léon XIII.
Le Primat de Cantorbéry est « plus réservé que jamais ». L’abbé Portal en perd patience. L’entrevue n’est pas orageuse mais lourde de malaise. Les termes du Cardinal RampollaXXXX ne sont pas tous très heureux : le « retour au monolithisme romain, de l’Angleterre, comme Enfant Prodigue, passe difficilement. Et puis se profile la silhouette de Vaughan « contredisant directement… les sentiments amicaux du Vatican ». Lord Halifax recevra une lettre de Benson, confirmant son refus de « faire fond sur la conversation privée d’une personne privée sur les sentiments privés du Pape », tandis que « le Chef et le représentant de l’Eglise catholique romaine en Angleterre déclare officiellement dans une série de manifestations publiques, le rejet absolu et sans compromission, par le siège papal, des ordres de l’Eglise anglicane ». L’archevêque d’York, par contre, est « très touché » de la « communication » dont l’abbé Portal est l’émissaire.
L’abbé arrive vite à Cahors pour la rentrée des séminaristes ; il craint d’être remplacé. Lord Halifax écrit une lettre de remerciement au Cardinal Rampolla et prépare un voyage à Rome pour distancer l’influence du Cardinal Vaughan qui s’apprête à intervenir directement auprès du Vatican. Portal écrit au Guardian pour défendre la Campagne et Lord Halifax, attaqués par Vaughan qui ose affirmer avoir « reçu un mandat de l’autorité suprême ». Lord Halifax attend en vain une réponse conciliante de Benson. Alors voulant agir sur l’opinion, il prend la parole publiquement, surtout à Bristol, le 14 Février 1895, où il prononce un retentissant discours, véritable « encyclopédie de la réunion » (Gratieux). Il arrive, avec Birkbeck à Rome, le 12 mars, chargé d’un volumineux rapport, implore Léon XIII23 d’anticiper, à cause de son grand âge, sur le XIIIe centenaire de la Fondation du siège de Cantorbéry par St Augustin, qui sera fêté en 1897 au moment de la réunion des évêques anglicans à Lambeth, obtient l’assurance qu’aucune condamnation romaine n’est en cours, et suggère qu’en aucun cas, le Cardinal Vaughan, antipathique aux anglicans, ne soit pris comme intermédiaire. L’abbé Portal rejoint son ami Très affablement, Léon XIII reçoit, une dernière fois, Lord et Lady Halifax, avec leur fille, et l’abbé. C’était le 17 Avril 189524.
Une voix de Rome parle aux Anglais
« Aux Anglais qui cherchent le royaume dans l’unité de la foi » : ainsi débute la lettre apostolique Ad Anglos, publiée le 20 Avril, « un des textes les plus généreux du généreux Léon XIII » (Daniel Rops), marquée par les suggestions de Lord Halifax et reflétant les inquiétudes de Vaughan. Ce dernier conserve sa mordante intransigeance (article du Times du 22 Avril et discours de Bristol du 9 Septembre) au moment où l’archevêque de Cantorbéry laisse s’entamer ses réticences. Le 8 Octobre 1895, à Norwick, à l’inauguration du Congrès de l’Eglise d’Angleterre, l’archevêque d’York, au cours du sermon, proclame : « une voix de Rome nous a parlé… elle exhale, depuis le début jusqu’à la fin, un esprit d’amour paternel»25. Lord Halifax, lors de ces assises26, situera l’enjeu du mouvement vers la réunion : « Nous avons beaucoup à gagner de Rome, mais Rome a aussi beaucoup à gagner de nous. N’est-ce pas une perte pour l’Eglise Romaine de n’avoir retenu dans sa communion que les races latines en Europe ?
Le sommet de la Campagne des Ordres Anglicans est atteint. « La question de la réunion occupe tous les esprits » (L.H.). Même la Basse Eglise réagit favorablement. « Quel dommage, écrit Lacey, que le Pape n’ait pas adressé la lettre aux archevêques !.. » car « elle fait réellement des merveilles… tous les coeurs sont attirés vers Léon XIII » (L.H.). On sait, par Lord Halifax, que Rome compte sur Duchesne et Gasparri pour examiner les questions en suspens et que le De Hierarchia de Denny et Lacey est lu par Léon XIII. Le baron de Hügel27, cet Autrichien mystique, qui tiendra un grand rôle à l’heure du modernisme, profitant de son séjour à Rome, a plaidé la cause des ordinations, devant le Cardinal Rampolla. Décidément, l’Angleterre appelle les énergies contemporaines à se tourner vers elle !
« La Revue Anglo-Romaine »
1895 est bien une année anglaise puisque le ter Décembre, voit le jour, le projet patiemment mûri de F. Portal : la Revue Anglo-Romaine donne son premier numéro, imprimé chez Levé au Monde. Et pendant un an, chaque semaine, 48 pages offriront une mine de documents, quelquefois brûlants, se rapportant à des faits actuels et historiques : études fouillées, chroniques et bibliographies précises, citations significatives… Le but de ce monument obéit au souhait que l’Abbé Portal avait partagé avec Lord Halifax : que les églises puissent mutuellement se connaître, en toute vérité et toute sérénité !
L’Abbé n’était pas le penseur génial mais plutôt l’habile animateur, sachant repérer les meilleurs publicistes, historiens, théologiens et exégètes ; relever la question importante, remarquer le fait émergeant et mettre à la tâche une équipe solide, quoique diversifiée. « Ce n’était pas pour lui oeuvre de littérature, mais l’expression de toute sa vie… il y a peu écrit… mais tout est de lui en un certain sens parce que de son choix » (Gratieux).
Parmi les collaborateurs, des hommes déjà rompus à l’affaire : Duchesne, Gasparri, Boudinhon, sans oublier les anglicans Lacey, Puller, Denny, lesquels se feront également interprètes de la Réforme, et même le vieux ministre Gladstone. L’Eglise d’Orient se réserve surtout des compétents slavophiles tels que Birkbeck, spécialiste de Khomiakov, et Tavernier, de l’Univers, ami de Soloviev. Des historiens : Loth, de la Vérité Française, Goyau et Fabre, de l’Ecole Française de Rouie. Des théologiens : Vacant28 du séminaire de Nancy qui prépare le premier tome du Dictionnaire de Théologie, Chabot de l’Université de Louvain, Klein de l’Institut Catholique de Paris, véritable chantre d’une théologie, venue d’Amérique, de l’engagement de l’Eglise en monde démocratique. De célèbres historiens et exégètes : Battifol, de l’Institut Catholique de Toulouse, et Loisy, dont les « petits livres rouges » deviennent de plus en plus effarouchants et sont lus par des biblistes anglicans. Et ces énormes morceaux choisis parmi les textes du St-Siège, les discours de Lord Halifax, les lettres des évêques anglicans et des métropolites russes… et jusqu’à celles du Cardinal Vaughan.
Quand Lord Halifax vient à Paris, en Février 1896, il rencontre tout ce milieu de l’intelligentzia religieuse, soit chez Mgr d’Hulst, recteur de l’Institut Catholique, soit chez borin. A ces réceptions où Lord Halifax parle des heures entières, on trouve : le philosophe de la Certitude Morale, 011é-Laprune, de l’École Normale Supérieure ; deux membres de l’Institut, le juriste catholique qui se prononcera pour Dreyfus, Viollet, et l’une des grandes amitiés portaliennes, Senart, spécialiste des civilisations asiatiques ; Fonsegrive qui est en train de prendre la Quinzaine, pour en faire la revue des Universitaires Catholiques démocrates attachés à l’ouverture intellectuelle et sociale. En somme se groupent surtout les tenants du catholicisme nouveau de cette période effervescente.
« Aux époques de discordes et d’anathèmes succède une période de transition… aujourd’hui nous sommes plus heureux… nous devons entrer dans le mouvement pacifique de notre époque… la possibilité de l’Union n’est pas un rêve d’âme pieuse mais la conclusion logique d’une intelligence qui apprécie toute chose d’une manière impartiale. Le succès final paraît donc certain. Les circonstances et les bonnes volontés décideront de l’époque » écrit l’Abbé Portal en ouvrant la Revue. Même si l’entreprise aboutissait à un échec, « notre devoir n’en serait pas moins de travailler à la faire réussir » mentionne-t-il.
- Tout de suite, une correspondance entre « l’abbé » et Lord Halifax s’échange. En plus des questions à propos de l’évolution des rapports « unionistes », des nouvelles et des réflexions sur de multiples sujets, des repères de leur va-et-vient, foisonnent des détails pittoresques qui donnent à leur amitié une expression encore plus vive (on s’envoie des cadeaux de jambon d’York et de foies gras de Cahors).
- Un seul point de friction : ils ne s’entendront jamais pour évaluer le montant de la dette de l’amitié : « Vous n’avez pas tout à fait perdu votre temps lorsque vous avez travaillé à la formation d’un élève qui sait ce qu’il vous doit, et qui a conscience de ne pouvoir jamais en être assez reconnaissant » (Portal 1909).
« Je n’aurais pas découvert par mes seules lumières les choses que l’abbé désirait laisser de côté, ou les choses qu’il souhaite voir introduites. Il est certainement l’une des personnes les plus fines que j’aie jamais connues» (Lord Halifax 1910).
« Je crois que nous sommes les seuls pour bien comprendre comment il faut agir et pour moi le mérite est que je fais ce que vous dites » (L. H. 1896).
- Le Cardinal Mercier essaiera de proposer à Lord Halifax la « soumission » à l’Eglise Romaine. Il se heurtera à un excellent éclat de rire. Et Portal, pour commentaire, dira à son ami « Au fond, il ne comprend pas votre position ».
- Ces situations charnières ne sont pas forcément ambiguës mais très significatives. Dans l’environnement de Lord Halifax et de Portal, il y avait quelques types-pont comme cet extraordinaire anglican russe, « le bon Bihrbeck ». Portal dit de L.H. : — « Sa loyauté absolue, son incontestable attachement à l’Eglise d’Angleterre lui rendent possible une visite au Pape, et il ne vient à l’esprit de personne que cet anglican aux tendances romaines si prononcées puisse compromettre l’Eglise d’Angleterre ou trahir la confiance des siens ». Il ne s’agit pas d’opportunisme mais de foi profonde : « …de notre point de vue, il n’y a et il ne peut être qu’une Église ; et si nous sommes convaincu que, bien que séparés extérieurement, nous ne sommes en vérité qu’un corps avec vous, tout ce qui nous touche vous touche aussi »… (L.H. à Portal 1894).
- Ces motivations seront souvent exposées par L. H. et Portal ; ce dernier en relatant la première audience de Léon XIII, rapporte : « J’avais fait remarquer que, pour nous la question des Ordres n’était qu’une prise de contact, qu’un terrain sur lequel les deux parties pouvaient se rencontrer… ».
- Albus : nom de jeune fille de la grand-mère et marraine de l’abbé Portal (est-ce l’appel inconscient à la source de l’enfance ?). Il fallait s’aventurer avec prudence dans un domaine dangereux, à une époque (et que sera-ce dans les années qui suivront ?) où la culture du nouveau en matière religieuse, apparaissait par principe comme chargée d’hérésie.
- Ce rite s’accomplit au moment où l’ordinand touche les objets eucharistiques : patène et pain, calice et vin. Il a été officiellement reçu par l’Eglise latine, au Concile de Florence (1434). La Constitution Sacramentum ordinis, le 30 Novembre 1947, redonnera au geste primitif de l’imposition des mains, sa valeur unique. («Si l’Eglise a eu la puissance de déterminer le signe, l’Eglise peut le changer » dit F. Dalbus).
- Le tempétueux breton qu’était Duchesne, peu tendre pour le cardinal Bourret, avoue simplement à Dalbus « mes études ne m’avaient pas jusqu’ici conduit de ce côté, et je vous remercie de m’avoir appris beaucoup de choses ». Sa causticité familière transparaît : « tout ce que l’on objecte du côté des intentions est sans valeur. Il y a eu de tout temps des prêtres et des évêques hérétiques ou même incroyants, et si l’on mesurait, à leurs croyances secrètes ou avouées, la valeur de leurs actes ecclésiastiques, on n’aurait plus aucune sécurité ». Plus tard Duchesne inclinera pour le doute. En attendant, sa lettre va contrebalancer l’influence néfaste de celle de l’évêque de Rodez.
- Les journaux et les lettres sont des agents privilégiés de la Campagne et même de toute l’action de L.H. et de Portal. L. H. n’aura pas son pareil pour utiliser, même en les rectifiant, les correspondances comme preuves à l’appui.
- « La question des ordres doit être soumise au Patriarche d’Occident et portée à Rome » (Dalbus).
- «Venez, amis en Jésus-Christ, étudiez librement chez nous notre manière de vivre, notre culte, nos réunions ecclésiastiques, lisez nos livres de théologie, nos commentaires bibliques, nos histoires, nos discours. Vous y trouverez peut-être beaucoup qui vous pourrait être utile comme unissant la science allemande avec la conscience et la bonne foi anglaise… Notre Angleterre est certainement un pays libre, et les prêtres comme les laïques fidèles, n’ont pas peur de s’exprimer franchement même devant les évêques. C’est notre soutien, comme évêque, de savoir qu’en prenant conseil avec notre clergé ou avec nos fidèles, nous pouvons compter sur un jugement sincère, et pas seulement sur un reflet de nos opinions déjà formées. Mais je ne crois pas qu’en matière de foi catholique ou de zèle pour l’honneur de Dieu, un évêque français puisse se reposer avec plus de sûreté sur la dévotion de son peuple qu’un de ses confrères anglais».
- L.H. dont le coeur est libéral (Gladstone) et l’esprit conservateur (Disraeli), fait une allusion à un soulèvement des mineurs, aux alentours de Doncaster : « La grève des mineurs est chose très grave, nous avons des gens d’armes et des soldats partout. Les routes ne sont pas très sûres et il se pourrait bien qu’il y eut des malheurs. On a fait feu sur la foule il y a quelques jours tout près d’ici » (Lettre du 25 Septembre 1893 à Portal). Dans le mémoire qu’il adressera bientôt à Léon XIII, il mentionnera « l’importance de l’union des chrétiens pour la solution des questions sociales ». N’oublions pas que les premières réalisations du « christianisme pratique » ou « social » ont vu le jour en Angleterre.
- Cette « très belle lettre » (Portal) de L.H. fait partie de ce « colis » qui a été porté par des amis « sûrs » au Vatican, lesquels ont provoqué la convocation de l’Abbé Portal à Rome. Elle fait preuve d’une confiance absolue en Léon XIII, seul capable de mettre en action un rapprochement, par un geste généreux et gratuit. Il faut de « l’imagination », une « folie », un « miracle ». Le laïc anglican pose la question de l’Épiscopat historique anglais : est-il à Cantorbéry ou bien à Westminster ? Il fait l’apologie du rattachement en corps des e membres » anglicans qui « quoique séparés de Rome » appartiennent à la « seule Eglise » car « il n’y a qu’une Eglise véritable au monde », par opposition aux « conversions individuelles qui ne servent à rien ». Ce que Dalbus avait écrit sur le côté relatif des folumlations, points névralgiques de mésentente, L.H. y revient : insister seulement sur l’essentiel et permettre des « explications ».
- Les meilleurs collaborateurs de l’Abbé Portal viendront du mouvement social et même « silloniste ». Il y a tout de suite une forte liaison entre sens des autres et unionisme. Lorin « le meilleur des amis » fait partie de ce groupe de catholiques républicains français sur lesquels Léon XIII et Rampolla s’appuient pour propager la politique du Ralliement de de France à la République.
- L’abbé Boudinhon est un élève de Mgr Gasparri, le grand canoniste italien qui, après son professorat à l’Institut Catholique de Paris, deviendra à Rome le maître d’oeuvre du Code de 1917 puis le Secréraire d’État de Benoît XV. Gasparri sera un « dalbutien » fidèle.
- «Songez que M. Lorin verra bientôt le Cardinal et Léon XIII… A Rome ils chercheront à se renseigner sur vous ; quand M. Lorin pourra dire : « J’ai vu Lord Halifax », vous comprenez que l’effet des paroles sera bien plus grand… Pensez, mon cher ami, qu’à nous deux, nous faisons toujours de la bonne besogne » Lettre de Portal (2 Septembre).
- Encore cette « très belle lettre » de L. H. du 11 Juillet 1894 qui continue : « Le Saint-Père, il me semble, pour l’unité de l’Eglise, pourrait faire des démarches qu’on ne pourrait demander à un autre qu’à lui. Qu’est-ce qu’un Père ne doit pas faire pour le salut de ses enfants ? Ah, il faut jeter loin de nous les conventions, les entraves, tout ce qui empêche ces démarches qu’on aime à appeler des folies mais qui sont la vraie sagesse. L’âge des miracles n’est pas passé et si jamais un Pape eût le droit d’agir d’une telle façon, c’est bien Léon XIII qui a exercé une si grande attraction sur toutes les âmes».
- Le jeune Mgr Pecci séjourna à Bruxelles, de 1843 à 1845, au cours d’une période tourmentée. La Belgique venait d’accomplir sa révolution libérale, et les catholiques se prononçaient pour « l’Eglise libre dans l’État libre ». Nul doute que ce bref passage à la nonciature de Belgique influença le futur Léon XIII. Il fut d’ailleurs rappelé par Grégoire XVI, parce que trop libéral. Notons qu’en 1921, l’Abbé Portal, avec son extraordinaire faculté de vaincre les personnes importantes, rappellera au Cardinal Mercier que l’originalité de l’idée de conférences anglicano-catholiques à établir en Belgique revenait au Pape Léon XIII qui l’avait suggérée, en 1894, un mercredi 12 septembre.
- Léon XIII, à ce moment là, s’accorde avec ce « rêve » imaginé en réalité et contre toute réalité, en espérance et contre toute espérance, cette « utopie » qui au sens d’un grand anglais du XVIe, Thomas More, est « le charme et l’assaisonnement de la vie ».
- L’Abbé explique au Secrétaire d’Etat que « ceux qui étaient responsables du schisme en Angleterre n’avaient pas eu l’intention de se séparer de l’Eglise Catholique, et que la grande chose était de ramener le peuple anglais en arrière sans un trop grand choc. On devrait insister pour ne faire que les changements nécessaires et toute concession possible devrait être faite…».
- Dans cette affaire, on remarque l’unité de vue qui rapprochait Léon XIII et son secrétaire d’Etat. Malgré les déceptions, Léon XIII restera pour L.H. et Portal, le Pape de la Campagne des Ordinations, et le Cardinal Rampolla, un sûr confident. Le duo Pie X – Merry Del Val, aussi indissoluble, aura une physionomie autre !
- La lettre du Cardinal Rampolla est adressée à l’auteur des Ordinations Anglicanes : F. Dalbus. Elle a un ton ample mais réservé. Le style indirect qu’elle prend parfois lui donne l’apparence d’une lettre ouverte. On relève la proposition d’« un échange amical d’idées » à prévoir des deux côtés, et des aperçus sur les répercussions de l’union des chrétiens, dans la vie du monde : « citoyens d’un pays libre, les Anglais » ne peuvent que s’unir au désir qu’a Léon XIII de rétablir « le règne de la justice, de l’ordre et de la paix » ; puis « l’unité visible de l’Eglise de Jésus-Christ » hâtera « l’aurore d’une renaissance religieuse générale ».
- Lord Halifax adresse une lettre au Cardinal Rampolla; «Si l’Eglise romaine reconnaissait ses torts, ce que sa supériorite même lui permet de faire facilement, elle prendrait ainsi le meilleur moyen pour nous amener à reconnaître les nôtres… ». Une telle attitude raviverait la confiance des anglicans qui désirent l’union mais qui suspectent la loyauté de Rome. Avec émotion Lord Halifax présente sa propre démarche auprès du Pape comme compromettante aux yeux de certains Anglais qui y voient une sorte de trahison nationale. « Il est nécessaire que je retourne en Angleterre avec la preuve irrécusable que mon action est regardée à Rome d’un oeil sympathique » en conclut Lord Halifax.
- «Il était impossible d’être plus aimable et plus encourageant. Léon XIII prit la tête de notre fille en ses mains… et dit « Mon enfant, il faut revenir me voir ». Il nous dit, comme le Cardinal Rampolla nous l’avait dit la veille au soir, de prendre courage, de ne pas regarder aux difficultés et de persévérer dans notre oeuvre.. » L. H.
- «La lettre du Pape ne sera pas sans fruit, ajoute l’archevêque d’York. Elle nous a tous excité dans nos ferventes aspirations… Un pape du XVIIe siècle a déclaré que ses prédécesseurs étaient responsables de la perte de l’Angleterre ; nous pouvons bien espérer que le jour viendra où un autre pape pourra être l’instrument de la réconciliation. »
- Alors que ce rassemblement baigne dans l’atmosphère d’une éventuelle réunion avec Rome, des témoignages sur l’orthodoxie sont donnés par Birkbeck. On n’insistera jamais assez sur les liens contractés par Cantorbéry avec Moscou, lesquels, Birkbeck aidant, pousseront l’Abbé Portal à se tourner vers l’Est.
- Le baron de Hügel (1852-19225) était d’ascendance écossaise par sa mère. C’est au cours de ce séjour à Rome qu’il fait la connaissance, grâce à l’historien Fabre, de l’Ecole Française, d’un jeune professeur de philosophie en congé, Maurice Blondel, dont il avait lu l’Action, avec enthousiasme : c’est l’ébauche d’une solide amitié. D’ailleurs les amitiés autour de la campagne anglicane se retrouveront dans les amitiés autour de la crise moderniste. Loisy collaborera à la Revue Anglo-Romaine qui annoncera la parution de la Revue d’histoire et de littérature religieuse, lancée par celui dont l’abbé Portal considérait les Etudes Bibliques comme « l’exégèse de l’avenir ». Plusieurs membres du Comité de la Revue Anglo-Romaine et non des moindres participeront à la rédaction de la Revue de Loisy.
Von Hügel, catholique, assurait avec un tact consommé, la direction spirituelle de sa nièce, anglicane : « Faites de votre mieux où vous êtes, avec les ressources que vous avez ; faites seulement attention à ne pas adopter une position négative vis-à-vis du catholicisme romain ».
- Mangenot, collaborateur de Vacant au D.T.C., deviendra un ami de Portal. Le nancéien Amarra, futur professeur à l’Université de Strasbourg et continuateur de l’ouvrage, sera l’un des plus brillants prêtres étudiants du Séminaire St-Vincent-de-Paul dirigé par M. Portal. Klein, cet anglo-saxonphile impénitent, sera reçu par Lord Halifax, à qui il exprimera quelques réticences sur la Revue. Selon son opinion, il valait mieux écrire dans plusieurs journaux, pour obtenir « beaucoup plus d’influence » et être protégé des « attaques », d’autant plus que Portal et Klein avaient « la main sur toute la presse religieuse en France ». (L. H. juge d’après Klein).