Une reconnaissance en pays inconnu.
Depuis Octobre 1889, M. Portal est á Madère pour finir de soigner une congestion pulmonaire. A Funchal, il seconde deux lazaristes malades, charges de l’aumônerie de l’hospice Dona Maria Amelia, tenu par des Filles de la Charité.
Deux anglais se présentent : Lord et Lady Halifax, amenés dans l’ile par la tuberculose de Charlie, leur fils affiné. A l’issue de la visite, le gentleman propose á Portal de le revoir pour « causer… de temps en teins sur des questions religieuses ». C’est ainsi que débutent les « Conversations » de Madère. La première entrevue se déroule, sinon dans la méfiance, du moins á mots couverts et hésitants, á la Fagon d’une partie de fleuret diplomatique. L’abbé Portal, non sans charme, dépeint le tableau :
« De ma vie, je n’oublierai cette promenade que nous fîmes ensemble du côté du Caminho novo, tout á fait sur les bords de la mer, en suivant un capricieux sentier. Elle fut entièrement consacrée, ou á peu près, á faire une reconnaissance en pays inconnu. Vous savez le plaisir d’aller á la découverte dans une âme avec laquelle on est en rapport pour la première fois… Suivant la tradition, je laissai l’Anglais tirer le premier. Il s’en acquitta avec une grande habileté, et explora le terrain en éclaireur incomparable. Mon tour vint ensuite. Je n’y mis pas la même souplesse, la même dextérité, mais je n’en eus pas moins la certitude que j’avais en face de moi un homme d’une instruction très variée et très solide, doué d’une belle intelligence et surtout d’un grand cacheur. Ce laïc anglican avait une Arne d’aparté, toute pleine de l’amour de N.S. Jésus-Christ, toute désireuse de procurer la gloire du Maitre».
Le coup de foudre d’une amitié inaltérable1 s’en suit : une amitié faisant corps avec une cause, une mission. ((, Notre cacheur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous?»):
Au moins une fois par semaine, nous partions á travers la campagne, au hasard des chemins. En d’interminables causeries ou plutôt de vraies conversations, nos âmes se déversaient l’une dans l’autre pour s’unir plus étroitement… nous parlions un peu de tout, mais tout nous ramenait au centre, á Notre Seigneur, á son Eglise, aux divisions malheureuses qui attristent la chrétienté ».
Ce laïc anglican
Lord Halifax atteint 5o ans. L’aristocrate Charles Lindley Wood est un homme curieux et séduisant. Fils d’un ministre de la reine Victoria, compagnon du prince de Galles, le futur Edouard VII, marié avec lady Agnès Courtenay, de vieille ascendance nobiliaire française, il était destiné á un avenir politique prestigieux. Mais, passionné par la vie de l’Eglise, il avait renoncé á l’entourage royal et á la fréquentation des milieux diplomatiques, ne gardant que des relations qui, utilisées par une bonne connaissance des salons et des ambassades, serviront á son dessein généreux.
Lord Halifax avait étudié á Oxford et était entré d’emblée dans le 1VIouvement d’Oxford dont il avait approché les célébrités comme les poètes Keble et Fronde, Newman, l’influent curé de Saint-Mary’s, et Pusey, professeur d’hébreu et chanoine du Collège de Christ Church, Pusey le « tractarien », le « ritualiste»2 qu’il avait suivi jusque dans les quartiers déshérités de Londres, ravagés en 1886 par le choléra.
Ce mouvement, aux accents mystiques, avait soulevé la Haute Eglise, penchant pour une ouverture de type « catholicisant », avec insistance liturgique, usage de la confession, redécouverte de la tradition des Peres de l’Eglise et de la vie religieuse, et souci d’indépendance á l’égard du pouvoir civil3. Et Lord. Halifax, depuis 1868, gardait la présidence de l’English Church Union, groupement actif et important of se côtoyaient évêques, clergymen et laïcs, désireux de propager les idées maitresses du mouvement d’Oxford. La Basse Eglise, ayant sa Church Association, s’orientait plutôt dans la ligue de la Réforme protestante. Entre les deux tendances, se plaçait le marais populaire, passif et porté de bonne volonté.
- Amitié ; Promenades ; Conversations : il n’y a rien de tel comme cheminement intrépide et, sans mine compassée, vers l’union…
- Le passage de Newman au catholicisme avait provoqué une véritable hémorragie d’anglicans vers Rome. Pusey avait donné une telle marque personnelle au mouvement d’Oxford qu’on qualifiera ce mouvement de « puseyste », de « tractarien. » en raison de la campagne des 90 tracts publiés á son initiative, et de « ritualiste », á cause de l’effort liturgique pratiqué par les paroisses oxoniennes. Pusey, l’ami de Newman, avait essayé, par tous les moyens d’endiguer les fuites. Lord Halifax, admirateur de Newman, préferera se réclamer de l’attitude de son maitre Pusey : donner toute son influence á l’intérieur de l’anglicanisme.
- «Y a-t-il un chrétien instruit qui ne préférerait Léon XIII au Conseil Privé (de la Reine)?» Lord Halifax (1886). « La premiére impulsion au mouvement d’Oxford avait été donnée par la détermination de résister aux agressions de l’Etat… » (1896).







