Du progrès par le christianisme (1)

Francisco Javier Fernández ChentoLivres de Frédéric OzanamLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Frédéric Ozanam · Année de la première publication : 1855 · La source : Œuvres complètes T. 7 (ed 1855-1865).
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Estote perfecti.

I

La société qui nous environne nous offre un étonnant assemblage de grandeur et de faiblesse. Jamais peut-être n’exista-t-il tant d’inspirations généreuses, tant de nobles ambitions et de sublimes désirs ; et jamais non plus des volontés si fragiles, des instruments si imparfaits et des œuvres si ché­tives. Jamais la semence des grandes pensées ne fut jetée dans de si nombreuses intelligences ; mais jamais ces germes précieux ne furent d’une si pé­nible culture et ne portèrent des fruits si amers. Jamais il n’y eut tant de douloureuses luttes entre l’impétuosité de l’idée au dedans et l’impuissance de l’expression au dehors ; tant de vérités senties, mais non comprises ; de créations artistiques, con­çues, mais non réalisées ; de vertus rêvées, mais non accomplies. Jamais enfin le poids et la chaleur du jour présent ne furent portés avec plus de tris­tesse, et la terre promise de l’avenir saluée avec plus d’amour. Ce sont des milliers d’âmes jeunes et impatientes qui viennent à chaque heure verser dans le creuset de l’activité commune leurs ta­lents, leurs sueurs et leurs larmes pour recueillir au fond un de ces deux trésors : Gloire ou Bonheur : puis, quand tout est consumé, il ne se trouve ni bonheur ni gloire, mais seulement des cendres mêlées quelquefois d’un peu d’or : et plusieurs de ces pauvres âmes déçues, ayant ainsi épuisé d’un seul coup ce qui leur avait été donné de provisions et de forces pour traverser le désert de la vie, s’ar­rêtent avant le terme et cherchent dans la mort un repos désespéré. C’est une multitude inquiète et souffrante qui voit dans un songe prophétique l’image de la perfection rayonner au sommet d’une lumineuse échelle: elle voudrait gravir celte échelle sacrée et se perdre dans ses splendeurs ; elle s’agite convulsive sur sa couche devenue trop étroite ; elle brise dans ses mouvements tumultueux les institu­tions politiques sur lesquelles elle s’appuyait et qui ont cessé d’être â sa mesure; mais toujours ses forces défaillantes trahissent son vouloir, et toujours elle retombe sur elle-même, fatiguée de ses efforts, infatigable d’espérance. Car la société ne saurait mourir de mort volontaire : balancée entre l’immensité de ses vœux et la nullité de sa puissance, il ne lui est pas loisible de se réfugier dans le néant. Mais dans l’immensité de ses vœux elle trouve le pressentiment qu’il est pour elle une loi de perfectibilité, et la nullité de ses efforts lui apprend qu’elle doit recevoir d’un enseignement supérieur la connaissance de cette loi. Ainsi ce malaise profond, cette inquiétude solennelle, dont elle est dévorée, s’explique de soi-même et se ré­sout en un besoin glorieux parce qu’il est infini ; besoin de Croyance et de Progrès.

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