Monsieur,
J’espère que vous me pardonnerez la liberté que je prends de vous témoigner l’impatience de mon esprit, tant pour le long séjour passé que sur l’appréhension de l’avenir, et de ne savoir le lieu où vous allez, après celui où vous êtes. Il est vrai, mon Père, que la pensée du sujet qui vous éloigne est un peu d’adoucissement à ma peine, mais elle n’empêche pas que, dans ma fainéantise, les jours quelque fois ne me semblent des mois. Je veux pourtant attendre avec tranquillité l’heure de Dieu et reconnaître que mon indignité la retarde.
J’ai bien reconnu que Mademoiselle du Fay, outre son ordinaire, a un peu le coeur pressé de désir. Nous passâmes le jour de la Pentecôte ensemble. Après le service, elle eut bien voulu avoir liberté de me parler ouvertement, mais nous demeurâmes dans l’attente et désir de faire la volonté de Dieu.
L’ouvrage que sa charité m’a donné est fait. Si les membres de Jésus en ont besoin et qu’il vous plaise, mon Père, que je vous l’envoie, je n’y manquerai pas. Je n’ai pas voulu le faire sans votre commandement.
Enfin, mon très honoré Père, après un peu d’inquiétude, mon fils est au collège et, grâce à Dieu, très content, et s’y porte bien. Si cela continue, je suis prou forte de ce coté là1 .
Permettez-moi, mon Père, de vous importuner encore sur le sujet d’une fille âgée de 28 [ans], qu’on veut faire venir de Bourgogne pour me donner. Elle est de bonne connaissance et vertueuse, à ce qu’on m’a dit ; mais auparavant celle-là, la bonne fille aveugle des Vertus2 m’avait dit que celle qui était avec elle, âgée de 22 [ans], pouvait peut-être venir céans. Elle est dans la conduite des Révérends Pères de l’Oratoire y a quatre ans et tout à fait villageoise. Je ne suis pas assurée qu’elle veuille venir ; néanmoins elle m’en témoignait quelque désir. Je vous supplie très humblement, mon Père, me mander ce que je ferai pour cela.
La personne qui va en Bourgogne doit partir lundi et, pensant votre retour cette semaine, je lui promis réponse.
Notre bon Dieu a permis à mon âme plus de sentiment de lui que l’ordinaire depuis un mois ; mais je ne laisse d’être toujours dans mes imperfections. Quand je ne mettrai point d’empêchement aux effets des prières que j’espère de votre charité, je crois que je m’amenderai.
J’ai bien eu désir, ces jours passés, que vous vous souvinssiez de me donner à Dieu et que vous lui demandassiez la grâce d’accomplir entièrement en moi sa sainte volonté, nonobstant les oppositions de ma misère. Doncques, mon Père. je vous fais en toute humilité cette supplication et vous demande pardon de vous tant importuner, étant, par la bonté de Dieu, Monsieur, votre très obligée servante et indigne fille.
L. DE MARILLAC.
Ce 5 juin 1627.
- Pour favoriser la vocation de son fils, qui désirait se faire prêtre, Louise de Marillac l’avait placé au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qu’avait fondé et que dirigeait l’austère et vertueux Bourdoise. C’est, semble-t-il, ce séminaire qu’elle appelle ici collège.
- Localité englobée aujourd’hui dans la commune d’Aubervilliers (Seine)