Mademoiselle2,
La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !
Votre lettre m’a trouvé parti de Paris et m’a été rendue en Ce lieu de Loisy-en-Brie, où nous tâchons à travailler parmi quantité de gens de la religion, où nous avons besoin de prières pour la confirmation des catholiques qui restent, n’espérant rien sur les autres, parce qu’ils ne se trouvent ès lieux où ils pussent profiter. Au reste, je ne vous ai point donné avis de mon départ. Me le pardonnerez-vous pas bien ? Mais, je vous en prie, comment votre cœur a-t-il reçu cela ? N’a-t-il point tancé le mien de rudesse ? Or sus, j’espère qu’ils s’accorderont bien ensemble en celui qui les contient, qui est celui de Notre-Seigneur.
Je ne vous réponds point à la proposition de votre retour à Paris, pource que j’estime que la chose est faite. Quant à l’affaire dont vous me faites l’honneur de m’écrire que vous désirez me communiquer, au retour, s’il vous plaît ; que si la résolution presse, faites ce que Notre-Seigneur vous en conseillera lui-même ; sinon, au retour, s’il vous plaît, comme je vous ai dit.
Mon Dieu ! combien sont différentes les filles de votre directeur : l’une toute pleine de respect envers la défense de l’Église, et l’autre de confiance à l’égard de l’affaire de Poissy3 ! Or sus, Notre-Seigneur est également honoré en toutes deux, à ce que je vois de votre communauté, dont je salue la Mère4.
Tenez-vous cependant toute gaie, Mademoiselle, je vous en prie, et honorez à cet effet la sainte tranquillité de l’âme de Notre-Seigneur, et soyez toute pleine de confiance qu’il dirigera votre cher cœur par la sainte dilection du sien, en l’amour duquel je suis votre très humble et obéissant serviteur.
VINCENT DEPAUL.
- Le copiste note que l’original était en entier de la main de saint Vincent. Il suffit de comparer cette lettre avec la lettre précédente pour se convaincre qu’elles ont été écrites à peu de jours d’intervalle, peut-être le même jour.
- Femme de grande piété, toute dévouée à saint Vincent, qu’elle aidait de sa fortune. Si une gênante infirmité ne l’en avait empêchée, elle aurait pris une part plus active aux travaux du saint. Son oncle paternel René Hennequin, avait épousé Marie de Marillac, tante de Louise de Marillac.
- Les religieuses dominicaines tenaient à Poissy (Seine-et-Oise) un pensionnat renommé, où Louise de Marillac avait passé quelque temps dans sa jeunesse, sous la direction d’une cousine germaine de son père, qui a composé diverses poésies, et de la prieure Jeanne de Gondi. A cette dernière avait succédé Louise de Gondi, sa nièce, dont l’élection fut longtemps contestée, bien que sa validité eût été reconnue par le roi, le R. P. Siccus, général des Dominicains, et le Pape lui-même. En 1625, le R. B. Siccus dressa de nouveaux statuts, qu’il fit approuver par le Saint-Siège. L’article 5 portait «que la Mère Louise de Gondy, maintenant prieure, demeure en sa charge, selon la concession apostolique qui lui a été faite ; mais si elle vient à se démettre ou à décéder de cette vie, qu’une prieure nouvelle soit élue par les soeurs vocales suivant les statuts et règlements du concile de Trente, de nos constitutions et des chapitres généraux ; laquelle prieure, ainsi élue et confirmée par le provincial, soit réellement triennale ; et que l’on observe dorénavant et perpétuellement cela touchant l’élection et le temps des prieures». Cet acte ne ferma pas la bouche aux protestataires. On trouve des détails intéressants sur cette affaire à la Bibl. Nat., fonds Joly de Fleury, 1475.
- Louise de Gondi.