Septembre 1617.1
Monsieur,
Je n’avais pas tort de craindre de perdre votre assistance, comme je vous ai témoigné tant de fois, puisqu’en effet je l’ai perdre. L’angoisse où j’en suis m’est insupportable sans une grâce de Dieu tout extraordinaire, que je ne mérite pas. Si ce n’était que pour un temps, je n’aurais pas tant de peine ; mais quand je regarde toutes les occasions où j’aurai besoin d’être assistée, par direction et par conseil, soit en la mort, soit en la vie, mes douleurs se renouvellent. Jugez donc si mon esprit et mon corps peuvent longtemps porter ces peines. Je suis en état de ne rechercher ni recevoir assistance d’ailleurs, parce que vous savez bien que n’ai pas la liberté pour les besoins de mon âme avec beaucoup de gens. Monsieur de Bérulle m’a promis de vous écrire, et j’invoque Dieu et la Sainte Vierge de vous redonner à notre maison, pour le salut de toute notre famille et de beaucoup d’autres, vers qui vous pourrez exercer votre charité. Je vous supplie encore une fois, pratiquez-la envers nous, pour l’amour que vous portez à Notre-Seigneur, à la bonté duquel je me remets en cette occasion, bien qu’avec grande crainte de ne pouvoir pas persévérer. Si après cela vous me refuses, je vous chargerai devant Dieu de tout ce qui m’arrivera et de tout le bien que je manquerai à faire, faute d’être aidée. Vous me mettrez en hasard d’être en des lieux bien souvent privée des sacrements, pour les grandes peines qui m’y arrivent et le peu de gens qui sont capables de m’y assister. Vous voyez bien que Monsieur le général a le même désir que moi, que Dieu seul lui donne par sa miséricorde. Ne résistez pas au bien que vous pouvez faire aidant à son salut, puisqu’il est pour aider un jour à celui de beaucoup d’autres. le sais que, ma vie ne servant qu’à offenser Dieu, il n’est pas dangereux de la mettre en hasard ; mais mon âme doit être assistée à la mort. Souvenez-vous de l’appréhension où vous m’avez vue en ma dernière maladie en un village ; je suis pour arriver en un pire état ; et la seule peur de cela me ferait tant de mal que je ne sais si sans ma grande disposition précédente elle ne me ferait pas mourir.
- Françoise Marguerite de Silly, épouse de Philippe-Emmanuel de Gondi, était née en 1580 d’Antoine de Silly, comte de Rochepot, baron de Montmirail, ambassadeur en Espagne, et de Marie de Lannoy. Peu après que saint Vincent fut entré dans sa maison comme précepteur de ses enfants, elle lui confia la direction de son âme. L’influence du saint ne tarda pas à se faire sentir. La pieuse dame prit l’habitude de visiter et de servir les malades, de distribuer aux pauvres d’abondantes aumônes. Elle fit donner des missions sur ses terres et s’affilia à la confrérie de la Charité de Montmirail. Elle mourut le 23 juin 1625, après avoir fait nommer son saint directeur principal du collège des Bons-Enfants et lui avoir mis en main les moyens, par un don de 45.000 livres, de fonder la congrégation de la Mission. (Voir Abelly, op cit., t. I. chap- VII-XVIII ; Hilarion de Coste, Les éloges et vies des reynes, princesses, dames et damoiselles illustres en piété, courage et doctrine, Paris, 1647, 2 vol. in-4° t. II, p. 383 et suiv. ; Chantelauze, Saint Vincent de Paul et les Gondi, Paris, 1882, in-8°.) Madame de Gondi reçut, le 14 septembre, la lettre par laquelle son mari lui apprenait la résolution de saint Vincent ; ce fut à la suite de cette lettre qu’elle écrivit la sienne.