Une Semence d’Eternité : Saint Jean-Gabriel Perboyre : Prêtre de la Mission, Martyr, Premier Saint de Chine (16)

Francisco Javier Fernández ChentoJean-Gabriel PerboyreLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Jean-Yves Ducourneau, cm · Année de la première publication : 1996.
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15. Un signe qui germe

Quinze jours après l’exécution de Jean-Gabriel, son confrère, Jean-Henri Baldus, relit l’histoire et donne quelques éléments de réflexion intéressants à son Supérieur Jean-Baptiste Torrette : « Si vous me demandiez ce que l’on dit de MM. Rameaux et Perboyre, croyez-vous que je n’aurais que des éloges à vous écrire de la part des chrétiens et des confrères ? Pour ne parler ici que du dernier, sur qui à Macao vous mettiez tant de confiance et d’espérance, je ne sais pas ce qui déplaisait en lui aux chinois, mais de tous les européens que j’ai vus en Chine, je n’en connais pas dont le genre fut moins de leur goût » Sur la fatigue qui pesait sur Jean-Gabriel, les mots sont amers : »Ce sont les propres paroles de M. Rameaux qui disait que quand on ne savait pas mieux se remuer, il ne fallait pas venir en Chine. En plusieurs endroits les chrétiens ont montré une grande répugnance à l’avoir, fait de grandes instances, usé de beaucoup d’artifices, afin d’en avoir un autre, européen aussi… Je sais que la raison de son extérieur physique n’y entrait pour rien ». Cette lettre sévère est différente de tout ce que l’on peut déjà entendre sur le martyr. Conscient d’aller à contre courant de l’opinion générale de l’époque, le père Baldus, cependant, poursuit : « Hélas ! je vais peut-être aller trop loin !..Selon moi, qui étais présent, et selon tous les autres confrères européens et chinois, si la persécution a été si violente, c’est à cause de la prise de M. Perboyre. S’il a été pris, humainement parlant, c’est parce qu’il était une poule mouillée et par sa seule bêtise… Il n’était pas précisément question d’avoir des jambes, mais d’être plus avisé ». Ne pouvant plus arrêter sa pensée, il poursuit d’une plume alerte : « Tout le monde s’accorde à le dire et les chrétiens savent bien répéter : M. Rameaux en pareil cas n’aurait pas été embarrassé… De pareils événements, quand c’est la Providence qui seule les détermine n’ont rien de fâcheux pour des chrétiens ; mais lorsqu’il y entre de sa faute, il y a toujours quelque chose qui fait de la peine ». Se reprenant un peu et reconnaissant en Jean-Gabriel un foi profonde, il conclut : « Cependant connaissant la belle âme de M. Perboyre, je suis bien persuadé qu’il n’est pas coupable devant Dieu, et je voudrai bien faire échange avec lui. » Mais c’est bien Jean-Gabriel qui a souffert jusqu’au bout et est mort sur le gibet planté en terre païenne comme une semence, le 11 septembre 1840 à midi, heure de la mort du Christ, son Seigneur et Maître du Ciel.

La main de Dieu ne tarde pas à faire lever le grain de la semence. Le signe de sa présence divine germe par delà le monde et en particulier en Chine, dès l’annonce du martyre héroïque du missionnaire français.

Le premier signe perçu par les chrétiens comme une action de la Providence répondant au martyre est d’abord la révocation du Vice-Roi cruel et sanguinaire par l’Empereur Tao-Kouang. Tous ses biens sont confisqués en punition des supplices effroyables qu’il faisait endurer à ses prisonniers contrairement aux lois de l’Empire. Dans cette région blessée, les chrétiens se remettent à espérer et à prospérer sous la conduite de leur nouvel évêque, Mgr Rizzolati. Plus tard, ce pasteur se souviendra de l’accueil que lui avait réservé Jean-Gabriel, lors de sa visite à la résidence. Il l’avait reçu avec la plus grande déférence comme on recevait un évêque.

Les chrétiens, méditant sur la Passion de leur prêtre martyr, se souviennent aussi de la force spirituelle qui avait envahi l’homme et qui lui avait fait garder foi dans les nombreuses souffrances infligées. Ce n’était plus le même missionnaire. Il semblait transfiguré, transformé. Sa crainte naturelle, sa réserve bien connue, son effacement constaté, tout cela avait laissé place à une vigueur incroyable. La puissance de Dieu se laissait toucher du bout des doigts lorsque l’on remarquait les rapides guérisons des plaies ensanglantées alors que les conditions hygiéniques de la prison empêchaient un tel rétablissement.

Certains se rappellent aussi la beauté et le calme qui ont envahi son corps lors de sa mort tragique. De plus, même des païens en ont été troublés.

D’autres évoquent encore ce qui semble être le premier miracle du martyr. On raconte que l’homme païen qui l’avait transporté en palanquin durant la période de la torture se trouvait au plus mal. Ce riche personnage du nom de Liéou-Kiou-Lin, qui avait sans le savoir exercé le ministère de Simon de Cyrène, eut une vision durant sa maladie. Il vit deux échelles, l’une blanche et l’autre rouge. Sur cette dernière se tenait Jean-Gabriel l’invitant à gravir la blanche, malgré l’opposition farouche du démon qui était là. Le malade se souvint alors des invocations des chrétiens qu’il avait entendu : « Ô Dieu, ayez pitié de moi ! Ô Jésus, ayez pitié de moi ! » Puis la vision disparut et une rémission arriva. Sans tarder, il devint catéchumène et reçut le baptême. Prêt pour le grand voyage, la maladie le frappa de nouveau et c’est, assisté dans son agonie par la communauté chrétienne, qu’il s’endormit dans la mort.

Bien sûr, on reparle de cette croix aperçue dans les ciel au moment où le martyr a remis son esprit à Dieu. On évoque aussi celle que l’on a vu au-dessus du cimetière, quelque temps plus tard.

La vénération croît à une vitesse que personne ne contrôle. Bien vite, les fidèles nomment le prêtre défunt : « le grand martyr ». Mgr Rizzolati semble dépassé par les événements. Avec fermeté, il demande de tempérer un peu cet élan populaire et de ne pas devancer une possible décision du Saint-Siège.

Rien n’y fait. La tombe du martyr devient rapidement un lieu de pèlerinage, dépassant en visites la dévotion attribuée aux autres martyrs. On se met à raconter la vie du « grand martyr » partout. Les limites de la province du Houkouang sont allégrement franchies. On se souvient des lieux de son passage. La renommée traverse les océans.

En France, on apprend le martyre de Jean-Gabriel avec émotion. Connaissant les risques encourus par les missionnaires de Chine, on ne s’étonne pas outre mesure de cette fin tragique. On dit ça et là que cette fin tant désirée puisqu’ouvertement exprimée correspond bien au personnage mais on reste surpris de la force avec laquelle ce prêtre a su résister aux nombreux sévices. Lui que l’on disait si faible et de petite nature a su montrer que c’est justement de sa faiblesse que Dieu lui a permis de tirer sa force.

Au Puech, c’est le vicaire M. Laborderie qui vient annoncer la terrible nouvelle de la mort du fils aîné. Sa mère, avec un courage admirable mais ne pouvant retenir quelques larmes, s’exclame :  » Que ferai-je en me lamentant ? Ses lettres depuis qu’il est en Chine nous ont exprimé de manière bien vive combien il désirait le martyre… Pourquoi hésiterai-je à faire à Dieu le sacrifice de mon fils ? La Sainte Vierge n’a-t-elle pas généreusement sacrifié le sien pour mon salut ? D’ailleurs je ne croirais pas aimer véritablement mon fils si je m’affligeais, sachant qu’il est maintenant au comble de ses vœux. » Toute la famille se joint à ses paroles et avec un sentiment de fierté mêlé à la tristesse, elle commence à rassembler des souvenirs sur l’enfance et la jeunesse de Jean-Gabriel.

En haut lieu, on s’affaire. Le pape Grégoire XVI ayant appris la mort du missionnaire, fait dire au Père Général de la Congrégation de la Mission, Jean-Baptiste Etienne, qu’il faut entreprendre sans délai la récolte des informations sur ce martyr en vue d’une éventuelle introduction de sa cause. Le père Etienne confie alors à celui qui l’a bien connu, le père Rameaux, le soin de mener à bien cette enquête. Mgr Rizzolati et le père Laribe y apportent une précieuse contribution. Le travail, qui sera achevé en 1845, s’applique minutieusement à toutes les données, dont la principale est celle-ci : Jean-Gabriel est-il un Martyr de la Foi?

La définition du martyre est claire : « Le chrétien ne doit pas s’exposer de lui-même à la persécution, soit pour épargner un crime aux infidèles soit pour ne pas exposer sa propre faiblesse : mais lorsqu’on se trouve affronté à la lutte, nous ne pouvons pas nous y soustraire. Il est téméraire de s’exposer, se refuser est une lâcheté. » 10

Il sera affirmé que la cause de la mort du père Perboyre a bien été la foi en la Personne du Christ. Il a confessé sa foi dans son sang, comme les témoins de la Primitive Église qui se glorifiaient de cette Parole du Sauveur : « Qui perdra sa vie à cause de moi… la sauvera » (Marc 8, 35). Il a offert le plus beau mais en même temps le plus difficile des témoignages : à la suite du Christ, il a donné sa vie comme le Christ le fit pour ses frères.

Mais pour recevoir la palme du martyre, il ne suffisait pas à Jean-Gabriel de souffrir ou même de mourir pour la foi, il fallait que se manifeste, de la part de l’oppresseur, la haine envers Dieu et son Christ, la haine contre l’Église ou le désir de le forcer à commettre des actions entraînant le péché. Ensuite, il lui restait à accepter la mort par amour du Christ : « Tuez-moi », avait-il crié au Vice-Roi qui voulait le voir se prosterner devant une statue d’idole. En affrontant l’épreuve du martyre, Jean-Gabriel entrait dans ce cortège d’hommes et de femmes ayant lavé leur sang dans le sang de l’Agneau. Et Dieu n’a rien enlevé de son caractère, il lui a seulement permis de s’accomplir en montrant une certaine plénitude humaine. Aujourd’hui, Dieu ne demande pas de regarder Jean-Gabriel comme une personne extraordinaire, mais de le voir avec ce qu’il fut durant toute sa vie avec ses joies, ses peines, ses peurs et ses rêves sans gommer ses défauts dans le catalogue trop souvent gonflé des dons et qualités.

Mgr Rizzolati, qui s’était exprimé peu après la mort du missionnaire lazariste en ces termes : « Le vénérable serviteur de Dieu M. Perboyre, abstraction faite de son martyre, serait digne par ses vertus des honneurs des autels ». Le père Laribe, qui fut un temps son compagnon, font également le nécessaire pour qu’une stèle soit placée sur la tombe du martyr.

C’est le 23 mai 1858 que, sur ordre du Père Général, M. Etienne, les restes de Jean-Gabriel Perboyre et de son prédécesseur dans le martyre, François-Régis Clet, sont exhumés en présence de Mgr Delaplace, lazariste et de Mgr Spelta, successeur de Mgr Rizzolati, et ce n’est que le 6 janvier 1860, cinquante huit ans après le jour communément donné comme celui de la naissance du martyr, qu’ils parviendront à Paris pour y être exposés à la Chapelle de la Maison-Mère des lazaristes et confiés ainsi à la dévotion populaire. Leurs tombeaux, surmontés d’une petite statue, y sont toujours et témoignent encore, pour les gens venant s’y recueillir, de ces signes qui germent dans le monde et qui permettent à Dieu d’ensemencer sa Parole pour sa plus grande gloire.

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